• En réanimation

    La tension hospitalière s'accentue.

    La température a chuté de 17° en quelques jours. Dans la rue, les chemises légères, les bras et les jambes nues ont cédé de nouveau la place aux doudounes de l’hiver. Pour le moment le soleil brille encore, mais la neige est annoncée même en plaine. « En avril, ne te découvre pas d’un fil. » En effet !

    Nous avons appris avec tristesse l’hospitalisation d’un de nos proches dans un service de réanimation. Il était pourtant jeune, la cinquantaine débonnaire. Il y a quinze jours, son épouse s’était inquiétée de l’entendre tousser. Elle avait appelé leur médecin de famille qui l’avait envoyé aux urgences. Hospitalisé et mis sous oxygène, il allait de mieux en mieux quand au bout de six jours son taux d’oxygène a brutalement chuté. On l’a alors placé sous coma artificiel et intubé. Après deux jours d’angoisse, son état s’est heureusement stabilisé. Les poumons seuls sont atteints. Jeune et solide, il devrait s’en sortir, mais les médecins ne savent pas combien de temps ça va durer. Son épouse et ses parents sont désormais autorisés à venir le voir. L’infirmière leur a dit qu’il ne sentait rien, mais qu’il entendait. Elle les a encouragés à lui exprimer leur affection, à lui parler des uns et des autres pour l’aider à résister à la maladie. Son père nous a expliqué que les courbes du monitoring bougent quand on lui parle. L’équipe soignante est admirable d’efficacité et d’humanité.

    Bourré d’humour, son caractère avait quelque peu changé depuis plus d’un an. Il manifestait une sorte d’amertume qui l’amenait à tenir des propos étranges, jugeant l’épidémie inventée de toute pièce par l’industrie pharmaceutique et le gouvernement. Pourtant intelligent et brillant dans son métier, il refusait de se protéger. Son entourage avait exprimé son inquiétude à plusieurs reprises. Ce fut un coup de tonnerre lorsque nous avons appris sa contamination, on ne croit jamais que le malheur puisse frapper près de chez soi. Une solidarité sans faille a aussitôt entouré sa famille, la réaction spontanée de l’un d’entre nous fut cependant une indignation, mal venue vu les circonstances, mais compréhensible : « Non seulement, il se mettait en danger, mais il mettait en danger les autres ! ».

    Depuis plus d’un an, en raison de la pandémie et du télétravail, il travaillait dans des conditions difficiles, aggravées par un patron qui intervenait constamment sur internet dans ses relations avec les clients, l’obligeant à louvoyer et à en faire toujours davantage. Il semble qu’usé par le travail, il ait été victime d’un burn-out. Dépressif, affaibli dans ses facultés de jugement et de réaction, il aurait été amené à nier la réalité.

     Le télétravail, cette panacée contre le confinement, comporte des effets délétères dont on n’a pas encore mesuré l’importance. La difficulté de régler les degrés de communications efficaces, le manque d’humanité qu’entraîne la distance de l’image sont loin d’être négligeables. L’écran ne peut remplacer les odeurs environnantes, les bruits d’ambiance, la lumière du jour. Nos yeux, notre peau, nos oreilles ont besoin d’être concernés pour nous sentir véritablement en présence de l’autre. Nul doute que ceux qui ont tendance à abuser de leur pouvoir, le monde de compétition actuel de plus en plus exacerbé ne profitent de cette situation hors sol.

    On peut espérer de tout cœur qu’il va se remettre aussi vite que possible et qu’il nous dira comme Bernard, le cousin de Gilles, plus âgé que lui, sorti indemne après des semaines de coma : « Je n’étais pas malheureux, je ne souffrais pas, mais j’ai l’impression d’avoir vécu durant ces moments une autre vie, une vie différente de la mienne ».

    Nous avons fêté Pâques tous les deux, filet de bœuf aux girolles, petits œufs à la liqueur sur un nid de mousse au chocolat, café devant un bouquet de jonquille. Rendez-vous vidéo avec les enfants et petits-enfants, le lundi. Toujours bon à prendre !


  • Printemps

    Le printemps s’installe, douceur d’après-midi.

    Dimanche nous avons déjeuné chez Claudine et Philippe, en toute sérénité puisque nous étions tous les quatre vaccinés. Nous avons dégusté un repas raffiné (merci, Claudine) devant des baies vitrées éclairées par le soleil, sous un ciel d’un bleu d’aigue-marine. Plusieurs de nos amis parisiens logent comme nous dans des appartements en étage élevé, sous un ciel presque plus présent qu’à la campagne sans végétation pour le cacher, en compagnie des toits et des tourterelles, des arbustes et des fleurs en pot.

    Nous avons beaucoup demandé des nouvelles des uns et des autres, peut-être pour retrouver cette humanité que les confinements Covid ont tendance à diluer, à distendre dans un magma de crainte et d’irréalité. Nous nous accrochions à des détails précis, au souvenir d’une maison, d’une attitude, de sentiments éprouvés. Une bienveillance, peut-être due à l’âge, certainement provoquée par l’expérience s’attardait sur des propos qui glanaient quelques minutes, quelques heures contre la solitude et les informations préoccupantes.

    Oui, l’avenir se révèle de plus en plus préoccupant. Le taux d’infections flambe dans de nombreux départements en raison du variant britannique, tout particulièrement en Île de France. D’une centaine dans le sud-ouest, il dépasse les mille en Seine-Saint-Denis. Ce lundi, il est envisagé d’y fermer les écoles. Nous sommes actuellement les plus atteints de toute l’Europe, laquelle avait pris le parti pour la majorité des pays de serrer la vis en février, contrairement à nous qui avions misé sur le comportement responsable des Français.

    Naturellement sur le Net, se déverse un flot de commentaires accusant cette banlieue d’un manque de sens civique, accusant les jeunes désœuvrés errant au pied des immeubles de propager la maladie, du poids des dealers dans la désobéissance. Difficile de nier que dans le métro ou aux Halles, il est fréquent de voir des personnes issues de l’immigration sans masque ou descendu sur le cou. Mais, nous savons aujourd’hui, que ce n’est ni dans les transports, ni dehors qu’on se contamine le plus, c’est en intérieur. Se réunissent-ils dans des espaces clos ?

    Par ailleurs, comment ne pas penser aux employés de supermarché, au personnel soignant, aux livreurs et leurs entrepôts, aux préposés de la Poste, en contact permanent avec des foules anonymes et non testées, dans des espaces peu ventilés propices aux aérosols délétères ? Les caissières sont protégées par des plexiglas ; mais les manutentionnaires ? Comment ne pas rendre hommage à tous ces gens venus des quartiers dits difficiles, de la Seine-Saint Denis en particulier, qui ont maintenu et maintiennent la région parisienne à bout de bras depuis plus d’un an avec de maigres salaires, à ces travailleurs sans lesquels nous aurions beaucoup plus souffert de la pandémie. Ils logent dans ces mêmes quartiers. Peu de statistiques à ce sujet.

    Les prochaines élections risquent de propager des slogans mensongers sur le terreau des confusions et des insatisfactions de l’année écoulée. J’espère que la France saura faire la part des choses !

    En attendant, essayons de profiter des jours qui rallongent et du soleil printanier.


  • Troisième confinement

    Jeudi dernier, discours de Jean Castex à la télévision. Le Premier ministre nous annonce un troisième confinement pour une durée d’un mois. Seize départements sont concernés dont l’Ile de France. Etrange ! On s’attendait au pire, il est désormais possible de sortir se promener aussi longtemps qu’on le désire dans la limite de dix kilomètres autour de chez soi. Les écoles restent ouvertes, avec quelques ajustements. Les restaurants et les lieux culturels restent fermés, les commerces « qui ne sont pas de première nécessité » ferment, cependant  les fleuristes, les cordonniers, les coiffeurs et quelques autres dont les chocolatiers restent ouverts. La liste des prescriptions et des attestations remplit deux pages difficiles à lire. En gros, « Dehors, vous ne risquez rien ! »

    Le vendredi, les Parisiens sans enfants scolarisés se sont rués vers leurs résidences secondaires. Le samedi , comme les autres week-ends,  une foule tout de même un peu moins dense a envahi les bords de Seine et les jardins restés ouverts. De nouvelles directives nous ont avertis qu’une attestation de domicile ou une carte d’identité suffisait. La liste s’est raccourcie. Dans l’ensemble, on est dans le flou.  

    Logiquement, qui dit vaccin, dit immunité. C’est ainsi que, dimanche, nous sommes allés déjeuner chez de jeunes amis. Quelle respiration ! Ce fut une joie de nous retrouver autour d’une table avec des adolescents rieurs !

    Hélas, le lendemain voilà qu’on nous annonce : « Même vacciné, il faut rester chez soi, garder son masque et maintenir les distances de sécurité ! » Nous pouvons éventuellement transporter le virus dans le nez, seuls nos poumons seraient immunisés. Aurions-nous été imprudents ? Retour en arrière : nous n’avons vu personne “en présentiel“ durant la semaine précédente, Gilles devant son écran, moi à l’atelier avec mes pinceaux. À l’extérieur, nous portons le masque. Le risque est minime pour ne pas dire inexistant ! C’est tout de même une leçon. Nous continuerons de nous rencontrer et même de déjeuner avec des amis, de notre âge et vaccinés, mais il faut protéger les générations suivantes en attendant de nouvelles études épidémiologiques sur la transmission du virus après vaccination. Pourquoi pas ?

    Le soir, nous nous sommes retrouvés en famille, en visio. À Grenoble, pour le moment rien de changé. À Nogent, Julien et Thomas pratiquent le vélo à haute dose, en profitant des “parcours corona“. C’était bien agréable de se voir et s’entendre, de plus en plus détendus face aux écrans. Mais quelle différence avec le repas de midi, avec la saveur du bœuf à la coréenne, le parfum qui se dégage de l’assiette, la spontanéité des conversations, le tintement des cloches de l’église voisine, l’expression des visages, le va-et-vient dans l’appartement ! Espérons qu’en avril nous pourrons voyager.

    Hier, nouvelles recommandations du gouvernement. Slogan : « Dedans avec les miens, dehors en citoyen »

    « Je ne reçois pas chez moi,

    «  Je ne me rends pas chez les autres… »

    En Allemagne, Angela Merkel le visage serré annonce “une nouvelle pandémie”, la fermeture de la plupart des commerces et annule les offices religieux pour le week-end de Pâques. Fichtre !

    Nous sommes privilégiés, mais comment ne pas penser aux hôpitaux de toute évidence saturés, aux tris dans les urgences ? Le variant britannique est beaucoup plus contagieux, plus virulent, plus mortel que “l’historique”. Le gouvernement oscille entre confinement strict et dégâts collatéraux. En Ile de France, la Seine-Saint-Denis est la plus impactée. Et pourtant, il est impossible de maintenir des familles déjà durement éprouvées dans des petits appartements surpeuplés. De plus, la révolte gronde, des manifestations se multiplient dans toute l’Europe. Le gouvernement fait appel à l’autoresponsabilité de chacun.

    Message reçu ? En tous cas, hier, les rues de Paris étaient à peu près désertes.  


  • Froid et soleil.

    Bizarre ! Je cite généralement mes livres en cours, comme si une fois lus, ils avaient déjà migré pour une sorte de digestion dans un monde intérieur qui ne peut plus tout à fait se dire, désormais destinés à faire partie intégrante de ma vie, sans que je puisse distinguer précisément ce qu’ils m’ont apporté ou examiner l’empreinte en creux de ce que j’ai refusé de garder. Si j’écris parfois des notes de lecture, elles me servent surtout à améliorer l’attention que je vais porter aux suivants.

    Il en est de même pour les photos de mes œuvres. Elles apparaissent ici à l’état d’élaboration, comme des témoins d’étapes que les superpositions sur la toile vont plus ou moins recouvrir, et pourtant aussi nécessaires les unes que les autres. Premières affirmations, hésitations, allers et retour, légèreté ou densification. Une façon de décrire la vie qui accompagne les pinceaux et les couleurs sur la toile. La même chose pour les céramiques et leurs étapes successives.

    Nous avons tous les deux reçu la deuxième injection cette semaine. Dans quelques jours, nous n’aurons plus à craindre d’approcher amis et inconnus. Il va falloir reprendre confiance. Ce ne sera pas immédiat. Nous avons pris l’habitude du mètre de distance, sorte de zone interdite passée dans les réflexes. Même entre proches, quelques alertes comme une toux, une grippe, ou même un soupçon de cas contact nous ont malgré nous marqués plus ou moins durablement. Y aura-t-il un retour aux nombreuses et peut-être excessives embrassades qui présidaient aux rencontres avant la pandémie ?

    Un retour graduel va-t-il nous amener à retrouver nos anciennes habitudes comme si rien ne s’était passé ? Certains évoquent les débordements des années folles après les millions de morts de la grippe espagnole. Ils prévoient un relâchement fulgurant, des foules en liesse, corps contre corps, une frénésie de spectacles et de danse. L’avenir le dira. Les événements ne se répètent jamais à l’identique, d’autant plus que la Covid pour le moment ne semble pas s’éteindre spontanément comme son illustre ancêtre de 1918.

    Je m’amuse à penser au genre qui accompagne le mot Covid depuis le début de l’épidémie. Il évoquait le coronavirus, un mot masculin. Ce fut « le » covid. Co-Vi-D. pour Corona-virus-disease. Las, le d, de disease a fait frémir les puristes en raison de sa traduction, maladie, mot féminin. Bien que le mot anglais soit neutre et qu’on ne l’ait pas remplacé pour autant par celui de Covim, ou Covig, pour maladie ou grippe, l’Académie Française a décidé qu’il fallait désormais dire « la Covid », « la » maladie que provoque le coronavirus. La grippe Covid. Une lutte d’influence entre les deux genres s’en est suivie. Dire la Covid était plus chic, mais un peu pédant, une résistance du côté du Covid argumentait d’un droit d’usage. La presse et la télévision ont pratiqué une valse-hésitation. Les plus grands épidémiologistes utilisaient plutôt le masculin, certains présentateurs osaient le féminin. En tant qu’usagers, nous étions un peu gênés d’avoir à prendre position. Depuis quelque temps, le féminin fait une percée fulgurante. Il semble que le masculin ait pris une dérouillée, dire le Covid sera bientôt tout à fait inapproprié. Un bel exemple de la vie des mots… !

    En sortant du cours de théâtre, j’ai traversé la Seine par le Pont Neuf et l’épidémie semblait avoir pris du plomb dans l’aile, même si le nombre de contaminations augmente dangereusement. Probablement à l’annonce des vaccinations, une détente anticipait sa déroute. Un jeune homme tout de jaune poussin vêtu, veste et pantalon de velours, gilet satiné, dansait dans un des arrondis du pont. Un chapeau sur la tête, il lançait bras et jambes aussi haut que possible, drôlatique pantin désarticulé, filmé par un ami. Le temps de sortir mon smartphone, tous les deux regardaient la prise de vue probablement destinée à Youtube. Je n’ai pas osé leur demander de recommencer. j’aurais dû.


  • Dimanche printanier au Palais-Royal

    En quelques jours on est passé de moins -6° à + 18°. Une foule prenait le soleil au Palais-Royal. J’aime le calme de ce paradis à l’abri des bruits de la ville et je n’apprécie pas qu’il soit envahi, mais ce dimanche, après des journées de quasi-confinement, quel plaisir de voir tous ces jeunes se chauffer au soleil, jouer à la pétanque, discuter à l’air libre, parfois démasqués, rire, s’étirer comme pour repousser le Covid! Il y régnait une suspension momentanée des éclats et des gestes trop affirmés. On se lâchait prudemment avec une assurance de bon aloi. Pas ou peu d’étreintes. Duos, yeux dans les yeux, à distance.

    Pas de bourgeons visibles sur les tilleuls, des jonquilles et des cyclamens violets éclairaient les petits jardins du centre. Le bassin n’avait pas eu le temps d’être mis en eau après le gel, mais une ribambelle de jeunes assis sur la margelle le bordait d’une frange vivante et bavarde. Un peu partout, on avait sorti un pique-nique, quelques pizzas, des fruits et des douceurs. Rondes amicales de sièges, couples adossés aux murs des galeries, petites assemblées sous les arbres autour des bancs transformés en dessertes. Chacun à sa façon composait, conscient de devoir vivre avec le Covid pour un temps encore indéterminé.

    Peu d’enfants — où étaient-ils donc passés ? Probablement en vacances à la campagne. Beaucoup de jeunes adultes sur les colonnes de Buren. Ils se hélaient de colonne à colonne, se photographiaient. Un garçon poussait les fesses charnues de son amie avec des encouragements, une fille rêvait, assise sur la plus élevée. Méditation sur les événements qui bousculait son passage à l’âge adulte ?

    Le ciel s’est un peu voilé et je suis rentrée. Devant le bassin, j’ai cru reconnaître un voisin que je retrouvais le dimanche au bistro avec Pierre avant l’épidémie. J’ai crié : « Antoine ! » C’était bien lui. Il se promène tous les jours dans le jardin du Palais-Royal et en connaît les petits potins.

    — Sais-tu que le Grand Véfour a été vendu ? Le chef, Guy Martin, va rester, mais il devra faire de la cuisine familiale.

    Nom d’un chien ! Lorsqu’en mars, pendant le confinement, à travers la vitre du restaurant fermé et désert j’ai photographié sa carte trois étoiles, comment aurai-je pu deviner que c’était la dernière ? Fini le « Filet de Saint-Pierre cuit à basse température, mitonnée de butternut relevée au piment Basque, jus de laurier ». Place au bœuf miroton et à la blanquette de veau. Je me souviens du bruit de l’explosion de la bombe qui y fit un mort, de nombreux blessés graves et des dégâts considérables. Haut lieu historique, avec ses fresques, ses miroirs et ses dorures Directoire, témoin du Palais-Royal et de ses galeries, centre des plaisirs de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle. Un restaurant légendaire.

    — Tu comprends, qui peut maintenant se payer des plats à 120 euros ? Même les entreprises ne pratiquent plus les repas gastronomiques.

    Pourquoi ai-je pensé à la ronde et à la ritournelle que nous chantions dans la cour de l’école paroissiale de mon enfance ? « Le Palais-Royal est un beau quartier, toutes les jeunes filles sont à marier, dis-moi si tu m’aimes, dis-moi oui, dis-moi non, dis-moi oui ou non ».

    On y retrouvait désormais des familles, des amoureux, les nounous autour du bac à sable. Les employés des bureaux environnants y déjeunent à la pose de midi, dans le pépiement des oiseaux, le ruissellement de ses jets d’eau, à l’ombre de ses tilleuls, devant le foisonnement de ses fleurs, pensées, tulipes, roses, anémones du Japon, asters…, au gré des saisons.

    Je communiai ce dimanche avec la petite foule venue y trouver une consolation en ce temps d’inquiétude, une parenthèse heureuse. Le virus se vengera-t-il ?


  • Froid.

    Un peu de neige suivie de gel durant une semaine a ajouté à la misère des sans-abris. A-t-on ouvert comme chaque année des stations de métro pour les accueillir ? On sait seulement qu’une association a envahi un étage vide de l’Hôtel-Dieu. Avec quel résultat ? On ne sait pas, les variants du Covid monopolisent les médias.

    Je me souviens des hivers d’autrefois, lorsque la température tombait au-dessous de – 15° durant trois semaines. C’était juste après la guerre et l’économie n’avait pas encore redémarré. Je me souviens des allers et retours de l’école, du froid qui mordait nos jambes nues, de la pèlerine de laine sous laquelle nous protégions nos mains, de la capuche rabattue sur nos joues. Nous étions tourmentés par des engelures au retour à la maison. Une chaleur précaire à base de poêles alimentés par des boulets, agglomérat de poussière de charbon était maintenue dans quelques rares pièces, dont la chambre d’enfant. Mon frère Yves et moi avions introduit un papier roulé dans le trou du pique-feu. Il s’était enflammé et c’était magnifique. Entendant un bruit de pas, conscients d’avoir fait une bêtise, nous l’avions caché derrière le coffre à jouets devant la fenêtre. Le rideau s’était enflammé à son tour. La couturière de la maison d’en face avait couru prévenir nos parents.

    Les variants du Covid 19 inquiètent, beaucoup plus contaminants, surtout ceux venus des pays pauvres, le Sud-Africain ainsi que le Brésilien qui fait des ravages à Manaus. On les soupçonne d’être résistants aux vaccins actuels. Alors que la France a tendance à assouplir les gestes barrières, la Bavière met en place une interdiction totale de franchir sa frontière avec la Tchécoslovaquie et une partie de L’Autriche. Deux foyers en France : à Dunkerque et en Moselle.

    Les laboratoires travaillent sur une adaptation des vaccins. En attendant, on pique le plus possible, course de vitesse pour stopper l’épidémie. Israël, pays test, a déjà vacciné plus de 80 % de sa population. Il semble que ça marche !

    L’ex-président Donald Trump a été acquitté dans son second procès en destitution qui s’est achevé samedi au Sénat, composé par moitié de démocrates et de républicains. Acquittement voté avec une majorité de sept voix, il en aurait fallu dix-sept pour sa condamnation. Mitch McConnell, le chef de file des sénateurs républicains a voté pour son acquittement, puis l’a accusé dix minutes plus tard d’être « dans les faits et moralement responsable d’avoir provoqué les événements » du 6 janvier. L’invasion du Capitole par les partisans de Trump qui ébranla la démocratie américaine restera dans les mémoires d’une façon ou d’une autre. Espérons que Joé Biden saura redonner confiance aux Américains tentés par le populisme. Espérons que le parti républicain saura retrouver des valeurs rongées par les mensonges et le cynisme distillés jour après jour durant quatre ans sur Internet par l’ancien président.

    Il est peu probable que Donald Trump se représente en 2025. Privé de Twitter, il ne pourra plus pratiquer les annonces fracassantes dont il abreuvait un public friand de phrases toutes faites. On le voit mal se plier à un examen des difficultés de l’Amérique profonde, travailler à proposer des solutions, lui qui passe quatre heures par jour sur les terrains de golf. Ses partisans le suivent toujours, prêts à débourser des millions de dollars, mais l’énergie de cet homme vieillissant sera probablement concentrée sur sa défense lors des différents procès qui l’attendent. Comment le parti républicain sortira-t-il intact de tant de compromissions ? C’est la vraie question.

    La météo annonce des jours meilleurs et même un printemps précoce. Aujourd’hui, il ne gèle pas et le soleil brille.


  • Vaccination à la mairie du troisième arrondissement.

    Début janvier, un discours du président de la République nous a annoncé le début des vaccinations. Plusieurs centaines de milliers de doses allaient être disponibles dès le lundi suivant. Il a donné adresses web et numéro de téléphone. Dès l’heure d’ouverture, Gilles a constaté que le système ne fonctionnait pas, ce qui fut confirmé par les actualités de la mi-journée. Le lendemain, Julien très soucieux de notre santé nous appela pour nous dire qu’il avait trouvé des créneaux à la mairie du 8e et qu’il ne fallait pas traîner. Nous avions été vaccinés de la grippe saisonnière dès les premières heures et en quelques jours le stock avait été épuisé, Gilles retourna derechef à son ordinateur. Il nous inscrivit pour le début février et annula même mon inscription pour la déplacer vers la mairie du 3e, plus près de chez nous, sans plus se poser de question.

    Bien lui en a pris ! Aujourd’hui, la plupart de nos amis, certains en très mauvais état, ne trouvent pas à se faire vacciner. Nicolle s’est vue repoussée de l’Hôtel-Dieu à deux pas de chez elle, puis de la mairie de son arrondissement, Philippe et Catherine espèrent trouver une solution à Boulogne sur mer. Nicole et Serge, 90 et 99 ans, se calfeutrent chez eux sans aide ménagère…

    Nous avons craint un instant les annulations qui se sont multipliées. Mais nous avons reçu régulièrement des rappels de nos rendez-vous, la gestion de stocks conservés à moins 70 degrés, par lots de 5 ou 6 n’ayant probablement rien de simple. À l’atelier de céramique, comme Séverine s’en inquiétait, je lui ai dit en blaguant : « La politique est plus sûre que les hôpitaux. Hidalgo a besoin de mon vote ! », suscitant une vague de protestations : « On peut crever, ce qui compte c’est leur réélection ! » Depuis les gilets jaunes, la mode est à la contestation de nos élus !

    C’est ainsi que mercredi, encore appelée le matin pour confirmation, je me suis dirigée en sortant de l’atelier vers la mairie du 3e arrondissement, attestation dans mon sac. Passé le couvre-feu de 18 heures, le métro était encore bien rempli. À la sortie, place de la République, des jeunes courraient s’y engouffrer. Puis trottoirs vides, voitures rares, je suis arrivée devant la mairie dans la pénombre des lampadaires. La cour était déserte, j’ai gravi le solennel perron. Après un sas vitré, je me suis retrouvée dans un immense vestibule à marbres, fresques et colonnades, un hymne à la République assez peu conforme à l’image d’un centre de vaccination. L’huissier devant son petit bureau m’a indiqué un espace en plexiglas devant lequel s’inscrivait un couple de mon âge. Nous avons été orientés vers le deuxième étage.

    Et c’est dans la prestigieuse salle de mariage que nous avons été vaccinés.

    Elle avait été cloisonnée en boxes grâce aux panneaux amovibles destinés d’ordinaire aux expositions. Après un peu d’attente, j’ai été reçue par une doctoresse qui m’a interrogée sur d’éventuelles allergies, elle a rempli la feuille de santé manifestement ravie de participer à cette aventure. Quatre à cinq personnes nous tournaient autour avec des gestes aussi prévenants que rassurants.

    J’étais la dernière. On s’est salué avec aménité, souhaité un bon retour à la maison et j’ai même senti, à plusieurs réflexions qu’elle me lança alors qu’elle passait devant ma chaise durant l’attente de quart d’heure prescrite après l’injection, que la doctoresse n’aurait pas demandé mieux de me revoir. Ses yeux brillaient et ses cheveux frisés frétillaient. Pourquoi pas ? Je dois revenir dans un mois pour la seconde injection.

    Deux jours plus tard, Gilles s’est fait vacciner à la mairie du 8e sans plus d’effet secondaire. Dans trois semaines, nous serons en partie immunisés. Il reste la question de la réponse de ce vaccin aux différents variants qui surgissent dans le monde, ainsi que le temps de son efficacité dont on ignore tout. Mais c’est déjà bien !


  • Cafés parisiens.

    Jeudi, à la galerie Nichido, à côté de l’Élysée, vernissage de l’exposition de mon ami Pierre Christin  : Cafés parisiens.

    Il m’avait dit qu’il travaillait sur les cafés et je savais qu’il peignait une toile de grand format. Il m’en avait décrit les grandes lignes, mais je n’avais pas bien compris de quoi il s’agissait.

    Quel plaisir ! De toile en toile, de bistro en bistro, une foule de gens vivaient en heureuse compagnie appuyés au zinc, attablés devant un repas, discutant, riant ou soucieux, dans des attitudes diverses, fatigués ou dynamiques, des vieux, des jeunes, de groupes, des consommateurs solitaires, tout un monde dont on a perdu l’habitude depuis un an. Ce n’était pas les terrasses restées ouvertes durant l’été, mais le café, le vrai de vrai, celui qui vous accueille à l’intérieur. Je croyais entendre la sonorité des conversations, je ressentais sa chaude et vivante convivialité. Les globes lumineux du plafond caressaient les visages et les mains en mouvement. Des verrières éclairées de l’extérieur accompagnaient d’une lueur opalescente la danse des serveurs en chemise blanche et tabliers noirs. Les bouteilles alignées derrière le bar chantaient en polychromie délicate. Piliers ou voûtes, miroirs ou fresques, affiches ou tableaux, tout portait vers le haut, au-delà des luminaires suspendus, vers la poésie de l’instant, une liberté éphémère offerte par intermittence. Monde pour le moment interdit par la pandémie, retrouvés en tableaux sur les murs de la galerie, témoins d’« une époque lointaine et fabuleuse » m’écrit Jean-Marc avec lequel, comme avec d’autres, j’ai bavardé, évoqué des lectures, des travaux, des souvenirs sur la banquette du Picquet, ce no mans land qui n’est ni chez l’un, ni chez l’autre, mais un domaine commun et confiant.

    Soutenue par des structures fortes, la peinture de Pierre vibre de multiples observations, en couleurs à la fois vives et retenues. La puissance des blancs le caractérise, à l’égal des Flamands. Enfant, Pierre a vécu dans l’ombre de sa grand-mère qui tenait un café restaurant à Evian, il en connait un rayon. J’ai été impressionnée par le grand format dont il m’avait parlé : la terrasse du café Florian entourée de vues de Venise. Il y passe plusieurs semaines par an depuis des décennies et en perçoit le moindre frémissement. On y retrouvait Carpaccio et Le Tintoret.

    Les cafés parisiens font partie de ma vie. Pendant plusieurs années, alors que je n’étais pas bien, j’ai marché tous les matins dans la ville, un arrêt dans un café à mi-chemin. Le long de la Seine, c’était les bistros du quai autour de la Samaritaine. Rive gauche par la passerelle des arts, c’était La Palette, rue Jacques Callot. Je les tous aimés, ceux de la rue de Rivoli, les buvettes du jardin des Tuileries, Le Nemours sur la place Colette où j’observais l’entrée et la sortie des décors de la Comédie française. Combien de conversations passionnantes ai-je surprises ? Entre autres, au Zimmer, place du Châtelet, Peter Brook discutant avec sa troupe. Combien de détresses ai-je devinées ? Un havre particulièrement touchant fut le café des Initiés, où le patron me saluait d’un « Bonjour jeune fille ! ». Le berger allemand Timmy venait s’allonger à mes côtés soulevant de temps en temps les paupières pour voir si tout allait bien.

    Les cafés ont toujours été pour moi un lieu de liberté et de convivialité. Ils ont fermé à cause de la Covid. Vivement qu’ils rouvrent en espérant qu’ils puissent sans tarder retrouver leur clientèle !


  • Dernière semaine de janvier.

    L’investiture de Joe Biden s’est déroulée sans incident. Ouf !

    Des dizaines de milliers de policiers et de militaires avaient réduit Washington à l’état de camp retranché. Sur le Mall, la foule traditionnelle avait été remplacée par des centaines de milliers de drapeaux américains en raison de la Covid.

    Joe Biden a prêté serment derrière des vitres blindées. Cérémonie destinée à la télévision. Lady Gaga en tenue extravagante a chanté l’hymne américain avec puissance et conviction, mais ce fut à peu près tout. Rien à voir avec la foule en liesse qui a accompagné l’investiture de Barack Obama. J’ai trouvé émouvant d’entendre ce vieil homme prononcer des mots dont on n’avait plus l’habitude, les mots de paix, de concorde, de vérité, de tendresse, de compassion et de courage. Ils remplaçaient les discours de haine, les mensonges, l’apologie de l’argent et de la compétition comme seul objectifs, du repli sur soi-même dont on était abreuvés depuis quatre ans. Mais retrouverai-je cette admiration pour une Amérique qui a traversé l’océan et débarqué sur les plages de Normandie afin de débarrasser le monde de la pourriture nazie, l’Amérique dynamique qui permit à tant d’émigrants de sortir de leurs bateaux de misère pour s’inventer de nouvelles vies.

    Mes amis américains se sont félicités de l’événement avec prudence. Impossible de faire comme si les électeurs de Donald Trump n’existaient pas ! Quelle insatisfaction mine le pays au point de piétiner ce qui fait le socle de notre humanité : dialogue et solidarité ?

    L’hiver se poursuit, pas trop froid, mais pluvieux, ce qui est bon pour les nappes phréatiques…

    Dernier rendez-vous à l’hôpital Cochin. Je vois clair ! Le professeur Monnet est parvenu à me rassurer avec une remarquable compréhension. Il est de bon ton aujourd’hui de vanter le passé. On a oublié combien la vie était dure autrefois, qu’on était vieux à cinquante ans, sourds et aveugles à soixante-dix  !

    Nous sommes sous la menace d’un reconfinement dur, mais le gouvernement hésite. La révolte gronde un peu partout, en Espagne, aux Pays-Bas. Emmanuel Macron se souvient probablement des Gilets Jaunes et craint de nouveaux débordements. Les variants anglais, sud-africains, brésiliens beaucoup plus contagieux accélèrent la circulation du Coronavirus et seul un confinement strict, selon les experts, pourraient le ralentir. Mais beaucoup de gens semblent ne plus vouloir se sacrifier pour les hôpitaux, pour les personnes fragiles et âgées.


  • Les obsèques de Jean.

    Cathédrale Saint-Maclou (Pontoise) | Structurae

    Les obsèques de mon frère Jean ont eu lieu à Pontoise dans la cathédrale Saint-Maclou, église qui a vu quantités d’événements familiaux, baptêmes, mariages, et désormais hélas trop d’enterrements. Nous avions retrouvé Yves, gare Saint-Lazare. Par la vitre du train, j’ai vu défiler les paysages et les gares qui ont accompagné les allers et retours de ma vie d’étudiante. À la sortie, place de la Gare, la ville et son église perchée au bout de la rue Thiers nous ont accueillis comme de vieilles connaissances. Chaque maison m’évoquait une famille, une personne, une anecdote. Nous avons traversé la rue Pierre Butin qui longeait notre maison. Elle me paraît aujourd’hui bien étroite ! Dans mon enfance, elle absorbait dans un vacarme que nous n’entendions plus le trafic de Paris à Rouen, voitures et camions pétaradants. Par cette rue désormais calme sont passés les énormes chars américains Sherman en 45. Les trottoirs en sont restés longtemps défoncés une fois la guerre terminée. Une rue vivante où tout le monde se connaissait.

    Nous sommes arrivés avant le fourgon mortuaire. Le cercueil est entré dans la cathédrale suivi d’une dizaine de porte-drapeaux. Les étendards aux couleurs vives bordés de franges dorées éclairaient l’obscurité de ce jour pluvieux et maussade. Le cercueil sur les tréteaux fut recouvert d’un grand drap bleu, blanc, rouge. Mon frère Jean avait droit aux honneurs militaires. Sa décoration était posée sur un coussin de velours. Qu’en aurait-il pensé lui qui ne parlait jamais de cette période de sa vie, lui qui n’utilisait jamais l’euphémisme des « événements » d’Algérie, mais le mot de guerre, et qui comme beaucoup d’autres n’a jamais pu en décrire les horreurs ? Il fut de ceux qui n’en revinrent pas intacts.

    Les frères évoquèrent son caractère parfois volcanique, leur enfance, des épisodes partagés de leur vie professionnelle en termes affectueux et souvent drôles, Christine parla de son père avec une justesse émouvante. Le prêtre mena la cérémonie avec une humanité exceptionnelle. Il avait compris la douleur d’une existence secouée par un effroi jamais tout à fait dépassé. Il sut aussi rassembler dans cette vaste et antique nef les croyants et les incroyants par des gestes simples et fraternels. Le dernier adieu se fit sans goupillon, à cause de la Covid. Chacun lança un petit signe à sa façon, sans toucher le cercueil.

    C’est bouleversée que je me suis trouvée devant la dépouille de mon frère. Je l’imaginais souriant, ému, un peu ironique. La forme de la boite me laissait pour un dernier instant l’imaginer vivant.

    Après les congratulations au fond de l’église, et pendant que les plus proches allaient au crématorium, petit comité oblige, nous nous sommes retrouvés autour d’un buffet dans la maison familiale, désormais occupée par Marc et plusieurs cabinets d’avocats. Ce furent des moments confiants, bien que contraints par les gestes barrière du Covid. Nous avons dégusté les délicieux petits cannelés de Dominique, le traditionnel gâteau au chocolat de Catherine, en demandant des nouvelles des uns et des autres.

    Nous avons savouré le plaisir de voir les enfants, les petits-enfants de Jean, de l’évoquer avec humour, de se souvenir des moments aujourd’hui enfuis qui nous réunissaient si nombreux dans cette grande maison. Nous avons attendu ceux qui étaient allés au funérarium pour sabrer le champagne. Bonheur de se retrouver, tristesse à la pensée de ceux qui n’étaient plus là.

    Mais il fallut partir assez vite pour ne pas se heurter aux foules qui rentraient avant le couvre-feu de 20 heures et nous avons sauté dans le train. La gare Saint-Lazare vibrait comme d’habitude de ses voyageurs pressés. La vie continuait. Nous sommes bien peu de chose !