Gilles a coupé les fleurs fanées des holtas, rangé les tables et les chaises, rentré la chaise longue dans la serre. J’ai nettoyé la maison de fond en comble (j’aime la retrouver accueillante à mon retour). Nous avons entassé nos livres et matériels de peinture dans les valises (c’est lourd !). J’ai roulé ma grande esquisse dans du papier bulle. Sans avoir le temps d’aller dire au revoir au lac malgré un soleil généreux, nous nous sommes retrouvés encombrés et épuisés devant l’arrêt du car. Nous disposions de dix-sept minutes de battement à Bellegarde pour prendre le TGV en direction de Paris. Après avoir mis les valises dans la soute, nous avons été arrêtés par une discussion entre un passager et le conducteur du car :

— Un euro vingt. Vous devez faire l’appoint.

Nous n’avons pas entendu la réponse du gaillard, une trentaine d’années, un mètre quatre-vingt-dix qui bouchait la plate-forme d’entrée.

— Votre carte de crédit suisse ne fonctionne pas ici.

Le passager voulait passer tout de même, mais le conducteur refusa. Le temps s’écoulait inexorable, rognant minute après minute nos chances d’attraper notre train. Au bout d’un quart d’heure de discussion, l’homme a fini par payer, il avait simplement tenté de se faire transporter gratuitement jusqu’à la station suivante plutôt que d’aller à pied !

Le car a roulé à toute allure, prenant les ronds-points et les virages comme un bolide de formule un. Par chance, le tunnel de Fort l’Écluse n’était pas embouteillé. Il nous restait juste une minute pour monter la rampe vers le quai et nous placer sous le repère de notre wagon. Il faut dire que le train peut mesurer plus de deux cents mètres… J’ai cru que mon cœur allait lâcher, j’ai abandonné ma vie au destin. Heureusement nous n’entendions pas le bruit caractéristique des rails à l’approche du monstre d’acier à quatre motrices et notre repère était juste en haut de la rampe !

À peine étions-nous immobilisés que le « ding, dong » des informations de la gare a retenti :

— En raison d’un grave accident survenu dans une voiture du train précédent, le TGV en provenance de Genève aura quarante-cinq minutes de retard. Veuillez nous excuser pour ce contre temps.

Et nous avons flemmardé au soleil en compagnie d’une myriade de voyageurs en provenance de Thonon et Évian, tout aussi hagards et essoufflés que nous, leur train ayant également eu du retard. Je me suis souvenue des voyages de mon enfance qui duraient douze heures, mais dont la ponctualité était implacable. Les temps changent !

Samedi : atelier. Une foule comme je n’en avais jamais vue jusque là. Dans les rues, sur les trottoirs, sur les terrasses de café. Bigarrée, de tous âges, rieuse. Les sempiternelles manifestations sur les grands boulevards et surtout les Journées du patrimoine. Difficile de se souvenir du Paris désert lors du grand confinement ! Quelle différence avec le calme de Tougin !

Dimanche : Julien et Thomas. Pour éviter la foule, nous avons atteint l’Arc de Triomphe par la place des Ternes. Son emballage dessiné et prévu par Christo longtemps avant sa mort fut mené à son terme par ses héritiers. Opération étroitement surveillée par les monuments historiques. Organisation impeccable : zone d’approche, entrée avec passe sanitaire, détecteurs de métaux. On nous a donné en souvenir des petits carrés du tissu de l’enveloppe. Événement entièrement financé par la société Christo et rentabilisé par la vente des photos et des dessins préalables. Une fantaisie et un clin d’œil philosophique de pays riche. Il y avait moins de familles venues des banlieues que la veille autour du Châtelet. Thomas a rappelé le saccage des gilets jaunes deux ans auparavant. Paris sera toujours Paris ! Un jour on rit, un jour on pleure.

Lundi : atelier, théâtre. Le soir, un superbe concert à Saint Julien le pauvre par Chantal Stigliani. Au programme, Bach, son compositeur préféré. Bouleversant de précision, de couleur, de sincérité, d’humanité. Un bis de Debussy, comme un hommage à la vie. Une respiration en ces temps de Covid !

Hillary que j’avais remerciée pour les photos de l’apéritif dans le square de Tougin m’a répondu : « J’espère que vous pourrez profiter de la rentrée culturelle dans la belle ville des Lumières,… ».

En effet !