• La Bourse de commerce.

    L’intérieur des restaurants est de nouveau accessible, mais avec ce beau temps, les consommateurs préfèrent les terrasses qui débordent sur la chaussée.

    Nous avons déjeuné avec Julien près de Jussieu. Un plaisir oublié depuis presque deux ans. Le repas était bon, les serveurs, aux petits soins, les arbres tamisaient le soleil. Mes oreilles auraient-elles perdu l’habitude du bruit de la rue ? Les motos pétaradaient, les voitures vrombissaient un peu trop pour mon goût. Je commence à être impatiente de retrouver le calme de Tougin, la verdure du jardin, les baignades dans le lac, les soirées et les nuits paisibles.

    Les lieux culturels rouvrent. Anne m’a demandé si j’ai fait une liste pour y retourner. Non, je ne suis pas capable de programmer ce genre de chose. J’y reviendrai tout naturellement. Elle m’évoque la Fondation Pinault et touche un point sensible.

    Nous habitons juste à côté. Ce nouveau musée est situé à l’extrémité ouest du jardin des Halles, dans un bâtiment rond qu’on nomme encore parfois dans le quartier « la Halle aux grains ». Il possède une longue histoire. Demeure royale, couvent, hôtel de Soissons et j’en passe, durant plusieurs siècles, il ne reste de cette époque qu’une colonne cannelée de 37 mètres de hauteur dont on dit qu’elle fut érigée par Catherine de Médicis pour les observations célestes de son astrologue, Côme Ruggieri. Elle est très visible depuis le jardin des Halles.

    Tombant en ruine, le vieux bâtiment fut démoli en 1763 et remplacé par la Halle aux blés, construction circulaire surmontée d’une coupole ouverte. Elle était destinée à stocker les céréales débarquées des bateaux, à distance des crues de la Seine. On dit qu’elle fit l’admiration de Thomas Jefferson, à la fois pour sa beauté et l’ingéniosité de son aération. Il faut croire le blé hautement inflammable, car elle fut ravagée par un incendie en 1802, en 1854 et deux fois reconstruite. Elle fut fermée en 1873.

    C’est en 1889 qu’y fut inaugurée la Bourse de Commerce, après qu’on eut restauré et réaménagé ses structures, coupole refaite à neuf, recouverte d’une verrière. Elle fonctionna jusqu’à l’informatisation des marchés en 1998, faisant partie intégrante du quartier avec cette part de mystère qui accompagne la finance. Depuis lors, on ne savait plus trop ce qu’elle contenait. Un jour que je voulus y jeter un coup d’œil, je me suis faite refouler. Il fallait prouver qu’on avait rendez-vous avec une des entreprises qu’elle abritait. Le gardien m’a tout de même laissée entrer pour que je puisse voir la fresque de la cour centrale. J’en ignorais l’existence et je fus éblouie.

    Rachetée par la Ville de Paris en 2016, elle fut cédée à bail à François Pinault, un riche collectionneur d’art contemporain. Son concurrent Bernard Arnault l’avait précédé en construisant un musée dans le jardin d’acclimatation du bois de Boulogne. La Fondation Louis Vuitton (LVMH) a été une réussite, due pour beaucoup à l’architecture de Frank Géry, à la beauté de ses voiles de verre l’enveloppant comme un navire. Émulation, concurrence ?

    Les deux transactions firent polémiques et je ne savais trop que penser de ce futur voisinage.

    Virginie, qui venait passer un week-end chez nous, a demandé à aller voir au Centre Pompidou une exposition sur l’architecte japonais Tadao Endo, très apprécié de son mari Gilbert, lui-même architecte. Ses réalisations tout en retenue, respectueuses des lieux, proches de la nature me plurent énormément. Et nous avons eu la surprise d’y trouver la maquette de la Bourse de Commerce, avec les détails de sa transformation en musée. Quel fut mon soulagement de constater que Tadao Endo avait conservé la fresque de l’industrie, cette superbe couronne qui entoure la vaste cour dans la lumière de la coupole vitrée ! Il l’avait mise en valeur grâce à une sorte de rotonde centrale d’où il était possible de l’admirer tout en poursuivant son chemin de salle en salle, grâce à un jeu de passerelles aériennes. Du grand art apparemment, de l’ingéniosité aurait dit Jefferson !

    La Fondation Pinault a ouvert ses portes ce mois-ci, avec un léger retard dû à la pandémie. Peu familière de l’art contemporain, lequel me semble souvent tenir du fourre-tout et du grandiloquent, je me réjouis d’aller y faire un tour. Aurai-je le temps avant notre départ ?


  • Déjeuner à Lozère.

    Le temps passe, les cloches de Notre-Dame des Victoires sonnent.

    Que reste-t-il de nos années ?…

    Mardi dernier nous avons déjeuné à Lozère chez des amis de toujours. Le confinement et des ennuis de santé nous avaient éloignés durant plusieurs années.

    Une foule patientait sur le quai du RER à Châtelet. Le panneau d’affichage annonçait du retard. Mais plus le temps passait, plus les horaires se brouillaient. Au bout de vingt minutes, on nous a annoncé de la perturbation sur la ligne B. en raison d’un accident grave de voyageur au Stade de France. Traduisez : suicide.

    Il y a quelques années j’aurais eu une pensée émue pour le pauvre bougre et les malheurs qui l’avaient amené à se séparer d’une vie pourtant unique et précieuse. Désormais, l’événement se produisant à intervalles de plus en plus rapprochés et la mienne commençant à se réduire comme une peau de chagrin, je commence à estimer qu’il y a des façons plus discrètes et surtout moins embêtantes pour les autres d’en finir avec elle.

    Je ne vous raconterai pas les péripéties qui nous avancèrent jusqu’à Massy-Palaiseau pendant que nous cherchions en vain à joindre nos hôtes au téléphone, incertains de trouver une correspondance pour poursuivre jusqu’à Lozère. Régis finit par nous cueillir en voiture devant la gare. Nous avons habité dans cette banlieue, il y a plusieurs dizaines d’années. Le quartier de la gare de cette petite ville ressemble maintenant à une grande cité futuriste avec immeubles de verre. Régis eut bien du mal à trouver son chemin dans les chantiers fouillant et bétonnant. On prit d’innombrables ronds-points, on emprunta un bout d’autoroute, on traversa une zone commerçante et c’est seulement à quelques kilomètres de chez eux que nous avons retrouvé les jolies maisons entourées de jardins qui jalonnent la vallée de Chevreuse.

    C’est devant l’une d’elles que Régis s’est garé. Après avoir poussé une grille, descendu un petit escalier sous une voûte de verdure, nous avons retrouvé Brigitte, son épouse, Bernard et Simone qui nous attendaient sur la pelouse, au milieu des pâquerettes et des iris. Un rien de surprise : les cheveux blancs ennuageaient les crânes, les rides marquaient les visages, les dos s’arrondissaient. Oui, le temps avait passé. Comme il était loin celui où nos enfants accompagnaient de leurs rires et de leur agitation nos déjeuners de printemps ! Leur fille Sylvie, qui nous a accueillis sur la pelouse, était elle-même devenue la mère de la belle jeune fille de 18 ans que nous n’avons pas reconnue. Au cours des années Régis et Brigitte ont agrandi leur maison, construit un appartement d’où elle peut veiller sur eux.

    Bernard et Simone, nous les avons connus un peu plus tard, surtout quand ils ont réaménagé un beau et vieux domaine avec parc, au bout de la vallée de Chevreuse. Nous en avons vécu de ces déjeuners non loin des arbres centenaires à raconter les aventures extraordinaires de leur fils, à évoquer les va-et-vient de nos petits-enfants !

    Brigitte et Simone sortaient d’une grave maladie. Elles évoquaient l’opération et la perruque qui avaient suivi leur chimio avec simplicité, sans chercher à apitoyer, trop contentes d’être en vie, de savourer entre amis ce déjeuner dans le jardin ensoleillé.

    Une entente paisible et heureuse accompagnait les conversations sur le passé, mais aussi sur le présent. Régis chante comme ténor dans une chorale, Bernard continue des recherches en mathématiques, Gilles travaille son grec ancien.

    On était merveilleusement bien et les heures ont défilé sans qu’on s’en aperçoive. Il était largement temps de partir quand nous avons consulté Internet pour savoir si la circulation du RER était rétablie. Nous avons remonté à pied le raidillon vers la gare et nous avons déboulé dans la foule de Châtelet au milieu des banlieusards qui retournaient chez eux.  


  • Tougin – Paris. Contraste.

    Nous avons quitté un village tranquille. À Tougin, on se dit des petits bonjours de jardin à jardin. On demande des nouvelles des uns et des autres. On parle de télétravail, de vaccinations, des conséquences du confinement sur les examens des enfants, de la chaleur au début de mars, du froid d’avril, des tomates qui sont en retard. Les pommiers ont abondamment fleuri. Il reste des plaques de neige sur le Jura. On regagne sa maison dans le chant des oiseaux. On désherbe. Le jardin a retrouvé ses allées. Les pivoines et les rosiers sont sur le point d’éclore.

    Mais il fallait repartir. Nous avons déposé la voiture au parking, pris le car. Nous sommes montés dans le TGV et…, et nous avons débarqué à Paris !

    Comment est-ce possible ? Nous étions partis le lendemain du déconfinement. Nous avions observé un changement, certes, davantage de monde dans les rues, une foule gare de Lyon, mais difficile de deviner ce qui nous attendait au retour.

    Où étaient donc tous ces gens durant la pandémie ? Ils garnissent les terrasses de cafés par dizaines de milliers, ils rient, ils boivent, beaucoup de jeunes, mais aussi des familles. Ils déambulent par paquets d’amis, paquets de parenté, de communautés, on dirait qu’ils découvrent la vie. Hier un concert a été organisé à Bercy. Cinq mille participants ! Amassés devant le podium où se produisait le groupe Indochine, sono à crever les tympans, debout pendant deux heures, après avoir fait une heure de queue pour vérification des tests sanitaires. Tous sautaient, levaient les bras en l’air, frénétiques, heureux.

    D’où vient que certains ont besoin de s’entasser par milliers pour être heureux, alors que d’autres louent des rbnb dans des îles bretonnes désertes ?

    Ni l’un ni l’autre ne me convient. Les foules denses me font peur, je crains toujours un mouvement incontrôlé. À la rigueur, je me trouverais plus en sécurité sur la scène, même avec le risque de se faire siffler, ou de recevoir des projectiles. Quant à la solitude dans une nature magnifique, cela va quelques jours, mais bien vite, je me languis de ne pas pouvoir partager mes émotions, mes aventures.

    L’autre jour, je photographiais la foule de la rue Montmartre. Un monsieur d’un certain âge m’ayant vu faire me lança avec bonne humeur : « Bonjour le Covid ! » Je lui ai répondu : « Pour ma part, le confinement me convenait assez bien ! » Il eut un silence de surprise et hocha la tête. « Moi aussi ! » approuva-t-il en riant.

    Je sais que des familles entassées dans des appartements, en arrêt de travail dû à la pandémie, ou en télétravail ont beaucoup souffert du confinement, pour ma part ce ne fut pas une trop mauvaise période.

    Le métro est de nouveau plein, les embouteillages encombrent les rues, les motos roulent sur les trottoirs, les autobus sont en retard, le bruit de la circulation me casse à nouveau les oreilles, les mégots jonchent les trottoirs devant les bureaux, le jardin des Halles est envahi par une marée de pique-niqueurs abandonnant sur les pelouses des monceaux de barquettes et de bouteilles en plastique.

    Dimanche dans le métro, personne ne parlait français. Il faut croire que les touristes n’attendaient que ce moment pour revenir faire leurs selfies en tournant le dos aux monuments.

    Le confinement, c’était le bon temps ? Soyons honnêtes, je suis heureuse de voir de nouveau les amoureux se bécoter, les jeunes rire et flirter aux terrasses de café. Je suis heureuse de voir la vie revenir à grands pas. Je suis heureuse d’avoir entendu, samedi dernier, un jeune musicien de rue jouer sur sa guitare un air de Django Reinhart avec une joie, un entrain et un dynamisme dont nous avions perdu l’habitude. D’ailleurs, depuis notre retour, le soleil est de la fête.


  • Paris, Tougin, Grenoble, Tougin.

    Dent de Crolles (à travers le pare-brise de la voiture).

    Paris, Tougin, Grenoble, Tougin.

    Jeudi, départ en TGV pour Tougin. Gare de Lyon bondée.

    Vendredi, pluie, nous sommes restés nous reposer à Tougin.

    Samedi, pour la première fois depuis novembre nous avons pu aller chez nos enfants à Grenoble. Nous ne les avions pas vus depuis Noël à Paris. Pendant tout ce temps nous avions communiqué par visioconférence. C’est mieux que rien, mais ne peut remplacer la présence, le « présentiel » comme on dit aujourd’hui.  Se voir sur l’écran est un peu embarrassant  et ôte de la spontanéité aux conversations. Certains se cachent sous une lumière insuffisante, d’autres éteignent leur image, on s’autocensure. La virtualité de l’écran impose une absence de contexte, d’odeurs, de bruits quotidiens.

    Les retrouvailles en chair et en os n’en sont que plus surprenantes. On pourrait croire qu’on va mettre les bouchées doubles, compenser par un enthousiasme débridé le ralentissement dû au confinement. Mais on a un peu perdu l’habitude de lire les émotions sur les visages, de décoder les comportements. On doit rétablir les identités sur la base de nos sens et non plus sur des désirs plus ou moins fantasmés. On prend son temps, on retricote la signification des mots, la marge de mystère de nos libertés réciproques. Une nouvelle aventure, passionnante  !

    Nous avons déjeuné au soleil dans leur jardin. Quel plaisir ! Un merle nous tournait autour, un peu étonné, pas trop farouche, ce qui ne l’empêchait pas de se goberger de vers de terre, nombreux en raison de la pluie qui ne cesse de tomber depuis plusieurs semaines. Les iris et les pivoines étaient en fleurs, couleurs vives sur un fond d’arbustes verts tendre et d’herbe fraîchement tondue.

    Dans le TGV, j’avais entendu une dame dicter sur son smartphone un message de condoléances. Elle reprenait ses phrases, en rajoutait dans une sympathie plus ou moins codifiée, faisant l’éloge du mort. Gênée, mais intéressée, j’ai découvert là un moyen de noter des événements en cours de voyage et Marius s’est fait une joie de m’enseigner la marche à suivre. Merci à lui, et au défunt par la même occasion. J’ai cependant constaté que l’oral n’a rien à voir avec l’écrit. Une parole lancée et écoutée ne possède pas le même pouvoir d’évocation que le mot écrit et lu. Ce sont des domaines différents.  Il est vrai que la facilité des textos à peine écrits, à peine lus, vite oubliés, vite supprimés brouille cette différence.

    Nous avons couché à Grenoble et nous sommes repartis le lendemain vers 14 h. Il fallait profiter du soleil pour débroussailler le jardin de Tougin avant qu’il ne pleuve à nouveau. Ce n’est pas que l’« exploitation » soit bien grande, mais en principe nous ne pourrons pas revenir avant la fin juin et les herbes commençaient à étouffer les rosiers.

    Le retour entre la chaîne de Belledone et le massif de la Chartreuse s’est déroulé sur une autoroute vidée par le week-end de la Pentecôte. Les sommets encore enneigés flirtaient avec des nuages légers, étirés, d’autres plus sombres et menaçants. Difficile d’établir un lien entre la puissance des sommets désertiques tendus vers le ciel et les jeunes entassés sur les terrasses des cafés de Paris du mercredi précédent. Vitalité cosmique, vitalité humaine ?

    En revenant de Grenoble, nous avons traversé le petit bout de Suisse derrière Genève. Mon mobile a sonné. Selon mon pays de résidence, je devais me mettre en quarantaine. Pas un chat à la douane.

    Gilles a fait le plus gros du travail dans le jardin en friche. Pas facile à gérer par temps de Covid ! D’habitude, il bénéficie de plusieurs séjours  au printemps.

    Lundi, nous avons pu retrouver des amis de longue date sur une terrasse de restaurant à Hermance, au bord du Léman. Une chance, car la météo s’annonçait détestable. En deux tablées, de quatre et de trois, éloignées de deux mètres pour obéir aux règles sanitaires suisses. Nous avons changé de places au cours du repas.

    Il ne faisait pas très chaud, mais bien couverts nous avons pu savourer les lumières changeantes du lac et de la montagne.   Le calme plat tout en gris lumineux a cédé la place à une surface  agitée, plus sombre, striée par la blancheur des moutons se poursuivant sans relâche. Magnifique, et même un peu troublant ! Nous nous sommes quittés, secrètement émus. Nous avions arraché à la vie quelques moments d’amitié heureuse.


  • Le grand week end de l’Ascension

    Les semaines se suivent et ne se ressemblent pas. Le grand week-end de l’Ascension, la pluie et le froid ont vidé les rues de Paris. Spleen.

    En attendant l’autorisation d’ouvrir, les restaurateurs s’activent à aménager des terrasses sur les trottoirs. Ils font assaut d’invention, les uns a minima, d’autres à grand renfort de peinture, de bacs à fleurs et de pergolas.

    Nous ne regrettons pas d’être restés. La fin des limites de distance marque le retour des transhumances sur des autoroutes surpeuplées, des lieux piétinés par la foule des touristes. Ah, les queues dans les restoroutes pour un plateau qui promet toujours plus qu’il n’offre ! La tension de la conduite, les embouteillages et l’envie d’en finir. Cette année, la pandémie a freiné les décisions. Il faut se secouer, mais est-ce une raison pour s’entasser sur les bords de mer, surtout lorsque le temps est pluvieux et venteux comme ces jours-ci ?

    Je préfère rester à Paris, même si la céramique, les cours de théâtre sont fermés et les amis sont partis. Je continue d’aller à l’atelier. Je remets en forme d’anciennes chroniques. Parenthèse finalement fructueuse dans une agitation qui laisse peu de loisirs pour réfléchir.

    Un fond d’aigreur accompagne la sortie de l’épidémie. Le métro se remplit de nouveau de valises à roulettes encombrantes et de contestataires. Les manifestations avec leurs cortèges de casseurs et de dégradations ont repris.

    L’autre jour dans le métro, un homme d’une trentaine d’années vêtu d’une pelisse luxueuse, bien qu’usée, un smartphone dans la main, mendiait à la cantonade. Il criait :

    — Je ne m’adresse qu’aux enfants de moins de quinze ans et aux étrangers. Les Français sont des égoïstes et des pourris ! Ils ne connaissent pas la générosité.

    Il partit dans les rangées, la main tendue. Je fus surprise de voir mon voisin approuver de la tête. J’avais remarqué cet homme jeune au crâne rasé. Penché sur son smartphone, montre et souliers de prix, un rien dandy. Etonnée du fait qu’il était métis, j’avais eu une pensée pour Obama qui ne tient pas compte de la couleur de peau des gens qu’il rencontre.

    L’homme qui lui tournait le dos, tout en continuant de lire, tendit tranquillement vers le haut un pouce approbateur.  Après une seconde d’hésitation, il sortit à grand peine de la poche de son pantalon une pièce de vingt centimes, puis une autre et les tendit au mendiant sans le regarder. Autour de nous les usagers restèrent impassibles, mais on devinait que ça mijotait dans les têtes. Il n’est jamais agréable de se faire insulter.

    Pour ma part, je me demandais ce qu’un tel homme faisait en France. Je pensais que sa générosité avait des limites et que le mendiant s’était fait rouler, qu’il n’aurait pas dû le remercier aussi vivement.

    L’actualité n’est pas plus réjouissante. La guerre a repris entre Palestiniens et Israéliens. Les roquettes pleuvent sur Jérusalem. Dans les rues de Lods, des lynchages ont été perpétrés entre arabes et juifs. La nuit dernière, l’immeuble de la chaîne Al Jezzira et de médias internationaux a été bombardé, la résidence du chef du Hamas vient d’être pulvérisée. Hier des milliers de manifestants ont défilé dans le monde en soutien aux Palestiniens.

    Dans le même temps, comme si de rien n’était, on montre à la télévision des scènes de liesse dans les discothèques israéliennes, rouvertes grâce à une heureuse politique de vaccination.


  • Rue Montorgueil.

    La rue Montorgueil bénéficie d’une place tout à fait particulière dans la vie du quartier. Piétonne et commerçante, elle part des Halles pour arriver rue Réaumur sous le nom de rue des Petits Carreaux. Elle passe du premier au deuxième arrondissement en traversant la rue Étienne Marcel. C’est dire son importance, du moins pour nous, habitants du centre de Paris, rive droite. Son architecture ne paye pas de mine, mais elle regorge de trésors pour qui sait regarder.

    Elle conduisait vers une hauteur (actuellement quartier Bonne Nouvelle), un si petit mont qu’il lui valut au Moyen-âge par dérision le nom de Victus Montis Superbi. Elle est citée sous le nom de « rue de Montorgueil » dans un manuscrit de 1636 : « ordre, boueuse, avec plusieurs taz d’immundices. » Prolongement des Halles, elle resta jusqu’à leur démolition, plus associée aux récits de Victor Hugo dans les Misérables, qu’aux allées et venues des calèches sur les Champs Élysée.

    Elle a cependant ses lettres de noblesse. Autrefois point d’arrivée de la pêche, le restaurant le Rocher de Cancale en a gardé le souvenir. L’Escargot Montorgueil, auparavant l’Escargot d’or a vu et voit toujours défiler des célébrités : Sarah Bernhardt, Marcel Proust, Georges Feydeau, aujourd’hui des chanteurs et des acteurs, amateurs d’escargots de Bourgogne. La pâtisserie Stohrer, la plus ancienne de Paris, à qui l’on doit l’invention du baba au rhum, fut depuis sa fondation en 1730 un lieu incontournable pour tout souverain britannique en visite à Paris. Lors de sa dernière visite officielle à Paris, le 6 juin 2014, la reine Élisabeth d’Angleterre tint à venir en personne. Tout le quartier était sorti pour la voir.

    Aujourd’hui piétonne, trottoirs pavés de blanc, la rue Montorgueil a perdu ses marchandes des quatre saisons et ses musiciens ambulants, mais elle a gagné des terrasses de café, nombreuses et accueillantes. Un peu plus propre qu’au XVIIe siècle, mais pas tellement – la mairie de Paris qu’elle soit de droite ou de gauche n’est pas très regardante côté mégots et crottes de chien, sauf en période électorale – elle demeure pittoresque. Dans une rue adjacente, la rue Tiquetonne, le magasin « G. Detou », connu de tout Paris, vend une multitude d’ingrédients pour une cuisine fine, originale et savoureuse.

    La rue Montorgueil fait partie de notre univers. Gilles va tous les jours y faire les courses. Il y a son boucher, son marchand de légumes, son marchand de fromage, son boulanger. Ce dernier est parti récemment pour s’installer en province. Une mode depuis la pandémie. Toute l’équipe a changé, ce qu’il a un peu considéré comme une trahison. Il croise des voisins. On se salue discrètement, on discute un peu.

    Lieu de rencontre, on y voit aussi bien des touristes que des personnes âgées, des jeunes en bande, des mères avec leurs poussettes et désormais des bobos qui s’installent dans le Sentier grâce à des prix presque abordables. J’y vais moins souvent que lui, pour des achats chez le quincaillier par exemple ou pour me rendre chez mon médecin niché au fond d’une cour tranquille. Mais ce samedi après-midi, la petite pharmacie de la rue voisine était fermée et j’ai poussé vers celle de la rue Montorgueil.

    En sortant du porche, j’ai mis un certain temps avant de réaliser qu’il y avait du changement dans l’air.

    Les magasins étaient encore fermés par ordre du gouvernement. Pourtant, une foule de jeunes, venue je ne sais d’où, déambulait sur les trottoirs de la rue Étienne Marcel avec une étrange allégresse. Un vent léger soulevait les cheveux, le soleil brillait, et plus j’avançais, plus je voyais de garçons et de filles se conter fleurette, appuyés contre un mur, assis côte à côte sur un rebord de boutique, blottis dans l’embrasure d’une porte, presque tous sans masque. Les visages vibraient, les cheveux frétillaient, les bouches riaient. Ils s’embrassaient avec ferveur, comme s’ils avaient failli mourir de soif. Des groupes se formaient. Les filles roucoulaient, les muscles se tendaient sous les chemisettes des garçons. Les corps se déliaient.

    Le printemps était arrivé ! La foule avait oublié les mois de tristesse, de précautions, d’interdictions, elle savourait la liberté, et la rue Montorgueil éclatait de vie dans un défilé ininterrompu de jeunes heureux et rieurs qui faisaient plaisir à voir et à entendre.


  • Dans la pharmacie

    Ce matin-là, j’étais entrée dans ma pharmacie habituelle, une petite officine. La pharmacienne, la cinquantaine, petite brune robuste est au courant de tout ce qui se passe dans le quartier. Elle peut anticiper un renouvellement d’ordonnance, connait les médecins à cinq cents mètres à la ronde. Pas docte pour deux sous, elle mène sa barque avec Sophie, une jeune métisse discrète et placide, et donne des conseils souvent judicieux. La proximité des Halles et de sa faune met parfois son autorité à rude épreuve, mais son sens des valeurs ne s’en trouve jamais entamé.

    J’ai dû attendre, car elle se préparait à pratiquer un test antigénique dans le réduit aménagé sous l’escalier. Distraite, je n’avais pas vu la petite fille agrippée à la robe de sa mère, une grande noire, vêtue d’une tunique colorée, coiffée d’un turban. La femme n’était plus de première jeunesse. Son visage marqué par la vie manifestait une inquiétude qui agitait l’enfant. Elle parvint à s’en détacher et à s’asseoir sur la chaise. L’enfant, deux ou trois ans, cheveux dressés sur la tête en petites tresses ornées de perles, plantée à côté du rideau regardait la scène avec le plus grand intérêt.

    J’entendis alors des mouvements, des petits cris et une protestation : « Comment voulez-vous que j’y arrive si vous vous reculez ? ». Les cris s’amplifièrent. La petite fille regardait pétrifiée. Quand ce fut fini, la femme émergea du rideau, le visage mouillé de larmes. « Vous aurez les résultats dans 15 minutes. Vous pouvez attendre dehors », lui dit la pharmacienne. Je restais perplexe, par expérience, je sais que l’opération n’est pas si douloureuse que ça. La femme s’immobilisa et attendit debout dans la boutique. La petite fille attirée par des tubes de rouge à lèvres sur un présentoir chercha à les attraper. La mère voulut la retenir, en vain, les objets à sa portée étaient bien trop tentants.

    La pharmacienne qui commençait à lire mon ordonnance sursauta et s’excusa. Elle revint vers elle pour lui montrer un banc sur le trottoir d’en face. La femme résista un moment, puis bon gré, mal gré, finit par sortir. D’habitude, peu avare pour râler contre les clients importuns, ma pharmacienne ne fit aucun commentaire. Pourtant la situation s’y prêtait. La patiente avait probablement des raisons pour se faire tester et risquait fort d’être positive à la Covid. Elle ne pouvait pas rester durant un quart d’heure dans un si petit espace. Je m’étonnais de ce silence, le mettant sur le compte de la discrétion professionnelle.

    Comme je sortais, je vis l’enfant qui jouait sur le large trottoir et la mère assise sur le banc. Celle-ci me regarda d’un air interrogatif. Je me suis demandé si elle parlait français.

    Au retour, j’ai raconté l’aventure à Gilles. Il m’a dit : « Je crois que cela peut faire très mal à certaines personnes. Ça dépend des gens ». Et j’ai repensé à ce qui s’était passé.

    Ma pharmacienne m’avait plusieurs fois tenu des propos désobligeants à l’égard des noirs du quartier. Il est vrai qu’ils sont assez énervants à squatter les allées du jardin des Halles, musique à toute pompe. Par ailleurs, chaque samedi le quartier avait été contraint de se barricader durant les manifestations de l’hiver 2019. Portée sur les généralisations, juive et fière de l’être, craignant pour son officine, elle m’avait évoqué un antisémitisme sous-jacent chez les gilets jaunes.

     J’ai du mal à évaluer la part de racisme, autant chez moi que chez tout un chacun. Le rideau m’avait cependant laissé entrevoir la tête de la femme noire acculée contre le mur du fond, la pharmacienne n’y était pas allée de main morte ! Était-ce vraiment un acte médical sans intention particulière ? Je me suis demandé comment la femme et sa petite fille l’avaient ressenti. N’était-ce pour elles rien de plus qu’un événement comme un autre ? Pourquoi écrire ces lignes ? Quelle en est la part de subjectivité? Pourquoi vouloir les partager avec vous  ? Vous l’aurez compris, toutes ces questions m’ont laissée songeuse.


  • Le métro.

    Il y a quelques années, le ministère de la Défense s’est regroupé à Balard, à la limite de Paris, dans de nouveaux bâtiments construits en hexagone à l’image du pentagone US. Très vite, la ligne 8 du métro, la mienne,  s’est retrouvée saturée chaque soir.

    Peindre est fatigant. Je travaille debout, j’avance, je recule des centaines de fois, je vais et viens pour recharger ma palette, prendre un chiffon. Avant de partir, je dois revisser à fond mes tubes de peinture pour qu’ils ne sèchent pas, nettoyer mes pinceaux, les savonner pour qu’ils conservent leur souplesse. J’ai à peine le courage d’enfiler mon manteau que je me retrouve compressée dans une foule, les jambes en marmelade, le nez dans une chevelure ébouriffée, mon sac comme seul rempart aux coudes envahissants.

     Pourtant j’aime cet entourage et ce retour commun après une journée de travail. J’aime côtoyer ces jeunes ou moins jeunes, j’aime entendre leurs conversations, j’aime leur patience. Je me vois souvent proposer une place assise. Je remercie d’un « Comme c’est gentil ! ». J’aime le regard discret et modeste en réponse à mon sourire. Ils me nourrissent de leur vitalité et j’imagine des retours à la maison, les retrouvailles avec le conjoint et les enfants, le dîner à préparer, les devoirs à surveiller. Je devine des amours, des ruptures, des tendresses, des scènes de joies ou de disputes, la vie, la vraie vie ! Avec des hauts et des bas, la plupart du temps courageusement assumés.

    Pourtant, ces dernières années, la foule est devenue trop dense et j’ai cherché une alternative à mon atelier. J’ai même pensé m’installer à Tougin toute l’année, ce qui présentait des avantages à bien des  égards. Mais j’apprécie trop Paris, la vie de ses rues, les rencontres qu’on y fait, les événements inattendus qui agrémentent des semaines toujours différentes.

    Au début de l’année dernière, le métro est devenu plus problématique encore. On parlait d’un mystérieux virus se transmettant par voie respiratoire. On entendait des toux inquiétantes dans la foule compressée et personne ne possédait de masque. Je me suis efforcée de tourner le dos à mes voisins, de diriger mon nez contre la vitre de la porte du fond. Puis j’ai rusé, j’ai pris la ligne 10, moins encombrée, je suis descendue à Odéon et j’ai traversé la Seine et les Halles à pied, une aventure quotidienne exténuante.

    À la mi-mars, ce fut le confinement général. On sortait de chez soi pour une promenade limitée à une heure. Plus d’atelier, donc. J’en ai profité pour modeler des petites céramiques à la maison. Je dois avouer que le printemps et le soleil aidant, je n’ai pas vraiment souffert. Notre âge étant le plus menacé, il fallait faire attention aux facteurs de contagion, c’était le gros de nos préoccupations. Et je pensais aux travailleurs du métro, contraints de rester chez eux, pour beaucoup moins bien logés que nous, à la difficulté de vivre avec des enfants bridés dans leur vitalité.

    En juin, le confinement s’est desserré. Enfants à l’école, télétravail, attestation d’entreprise pour s’éloigner de chez soi, j’ai pu reprendre le métro. Quel changement ! Je ne l’avais jamais connu aussi vide. Quel plaisir de pouvoir s’asseoir à distance les uns des autres ! Les autobus ne bouchonnaient plus aux portes de Paris, finies les attentes interminables dans les abribus qui n’abritent de rien. Et le mois de juin a passé dans une certaine allégresse, d’autant plus que les terrasses de café ayant rouvert, on pouvait s’y retrouver entre amis, masques sur le nez. Nous sommes partis en juillet pour Tougin sans l’impression d’avoir à fuir Paris.

    Le retour de septembre se fit sans histoire, les employés du ministère toujours en télétravail.

    Le reconfinement de novembre n’a pas non plus ramené la foule des travailleurs dans les transports en commun, malgré le couvre-feu de 18 heures. Depuis, vaccinée, je savoure sans retenue mes retours confortables. Je m’assieds de préférence à côté de la porte. À chaque station, avec sérénité, je sens l’air s’engouffrer dans la rame et balayer les miasmes. Depuis quelque temps, on voit revenir des touristes, des jeunes qui ne prennent pas toujours les précautions nécessaires, mais pas suffisamment nombreux pour encombrer la ligne 8.

    Comment ne pas penser à la sagesse populaire : À quelque chose malheur est bon ? En tous cas, pour moi et pour le moment ! Touchons du bois, et n’oublions de nous laver ensuite les mains au gel hydroalcoolique.  


  • Le jardin du Palais-Royal

    L’épidémie vous engourdit la tête et les membres. Le printemps est arrivé sans que j’y prête vraiment attention. La floraison du prunier décoratif de la rue du Louvre m’avait presque échappé et je venais juste de remarquer les feuilles d’un vert tendre qui commençaient à revêtir d’une toison aérienne les branches sombres des arbres plantés à chaque coin de rue par notre mairie écologique. Ce matin-là, j’étais un peu fatiguée, mais le ciel était clair. Je me suis poussée pour traverser la place des Victoires et je me suis engagée dans le passage de la rue des Petits-Champs. J’avais seulement l’intention de m’asseoir un quart d’heure dans le jardin du Palais-Royal, histoire de voir où en étaient ses floraisons et savourer le soleil sur ma peau.

    En fait, j’arrivais un peu tard pour les fleurs de magnolias, ils avaient semé leurs larges et étonnants pétales sur les tiges défleuries des narcisses et des jonquilles. Dans les parterres du centre, des tapis de tulipes blanches les avaient remplacées, la dentelle délicatement rosée de leurs rangs serrés frémissait à la lumière du printemps. Je méditais dans le petit jardin clos, quand me parvint dans une demi-conscience une conversation provenant du banc voisin. Une femme disait « Tu vois, c’est là qu’habitait Colette. » Je me suis tournée. Elle tendait le doigt vers la façade au-dessus du passage. « En haut ? » demanda son amie. « Non, au premier étage, la grande fenêtre ! » Soixante-dix ans après sa mort, l’ombre de la dame à l’accent bourguignon, aux écrits subversifs et hédonistes plane encore sur le Palais-Royal ! Longtemps, longtemps, après que les poètes ont disparu, leurs chansons courent encore dans les rues

    Quand je me suis levée, un peu plus loin, du côté du théâtre, un groupe s’agitait avec lenteur. Du taï-chi ! Une activité que j’avais un peu pratiquée autrefois. J’ai voulu voir si je reconnaissais quelques mouvements. Je me suis plantée sous les tilleuls et leur tout nouveau feuillage pour regarder la petite troupe masques sur le nez, à distance anticovid, arrondir les bras et les jambes, pivoter, tendre le corps et les mains vers le ciel, s’accroupir, se reculer, s’avancer dans une synchronisation remarquable. Beaucoup de cheveux blancs, quelques jeunes femmes, on ne me prêtait aucune attention. Je me suis souvenue de la concentration indispensable pour le bon déroulement des séquences. L’animatrice, une femme d’une quarantaine d’années, vêtue de lin tissé les avaient laissés faire. Elle les félicita, puis elle leur proposa de poursuivre avec d’autres enchaînements : « Tigre, singe, cheval… » J’aime cette danse lente ancrée dans la nature, qui se tend et s’arrondit, s’élève et s’abaisse en mouvements alternatifs et complémentaires. Si j’ai arrêté, c’est parce que mine de rien, le taï-chi demande de l’espace, le tapis du living ne suffit pas et les prairies ne sont pas toujours à disposition.

    Un peu plus loin des jeunes filles s’entraînaient à la boxe française. Jolies, queue de cheval de sportives, moulées dans des combinaisons de néoprène, elles lançaient leurs gants de couleur sur ceux du moniteur. De temps en temps, elles projetaient un pied jusqu’à son visage et le moniteur leur disait et répétait « Vous devez vous tenir à distance, vous approchez, mais vous vous tenez à distance… ». Je pensais à la lascive Colette et je pensais que le féminisme prenait des chemins variés. Il émanait de ces jeunes, un dynamisme bien différent du groupe de retraités et de leur lent taï-chi. À deux pas, le carré grillagé des mamans résonnait de cris et de rires enfantins qui semblaient éternels.

    De part et d’autre de l’enclos des petits, j’avais vu disparaître les grands arbres devant la fenêtre de Colette et cela m’avait fendu le cœur. Des arbres maigrichons les avaient remplacés. Était-ce les mêmes ? Ce jour-là, j’ai eu la surprise de découvrir deux marronniers d’Inde en pleine force juvénile. Parmi leurs feuilles en éventail, de grosses fleurs se dressaient et s’ouvraient, doucement, comme si elles ne voulaient pas gâcher le plaisir de mettre le nez dehors.

    Je suis rentrée revigorée et bien décidée à résister à la léthargie qui nous imprègne depuis le confinement.


  • Sorti du coma.

    Antoine est sorti du coma. Quand la sonnerie a retenti et que j’ai lu le nom de son père sur l’écran de mon portable, mon cœur s’est serré. Mon doigt pesait des tonnes lorsque j’ai appuyé sur la pastille rouge. Au premier mot, j’ai deviné la bonne nouvelle et mon cœur a bondi. Antoine n’est pas encore debout, mais il est vivant ! Il a échappé à la Kère, comme disaient les Grecs dans l’Antiquité. La voix de son père vibrait d’un soulagement inexprimable. Le variant britannique, beaucoup plus virulent que le précédent, n’épargne plus les malades de l’âge d’Antoine et les médecins ne voulaient pas s’engager sur son pronostic vital. Partir à l’âge de quatre-vingts ans est dans la nature des choses, mais mourir à moins de cinquante ans, en laissant femme et enfant — je le sais par expérience — remplit d’effroi et de chagrin une famille et un entourage marqués pour toujours. Maintenant, on peut espérer qu’il n’aura pas de séquelles et que sa convalescence ne sera pas trop longue, qu’il pourra bientôt rentrer chez lui et retrouver l’affection des siens.

     Quand j’entends minimiser l’épidémie, refuser les gestes barrières, et mettre ainsi en danger sa santé et celle des autres, je ne comprends pas. Comment peut-on être à ce point borné ? Mystère ! Je connais un de ces négationnistes, enfermé dans son entêtement, infecté par le coronavirus, accuser les antibiotiques et la cortisone de sa difficulté à respirer.

    Le froid persiste. Le gel de la semaine dernière après une montée des températures jusqu’à 25° a déjà produit des dégâts énormes sur les vergers, sur les vignes de la France entière. On n’avait pas besoin de ça ! Le soutien de l’état sera indispensable à la plupart des cultivateurs. La dette de la nation était déjà faramineuse avant l’épidémie, comment pourra-t-on la rembourser ? On peut comparer cette hémorragie aux milliards dépensés en munitions et en morts d’hommes, de civils, d’infrastructures pendant les guerres. On peut aussi se dire que les agriculteurs ont tout de même de bonnes années derrière eux et que les vignerons possèdent des stocks excédentaires dus au confinement. Mais la crise économique actuelle ne peut qu’en être aggravée.

    Quand il s’agit du changement climatique, on peut essayer d’inventer des solutions contre les dérives du monde contemporain, mais qui peut se vanter de baisser la température de son chauffage, de diminuer sa consommation de produits dangereux pour la planète, de prendre le moins possible sa voiture ? On est tous dans le même bain.

    Les vacances scolaires ont encore vidé Paris d’une grande partie de sa population partie se confiner ou poursuivre son télétravail à la campagne. Hier, dimanche, sous la pluie, les trottoirs étaient désertés, une tristesse morose s’appesantissait sur la ville. Au jardin des Halles, peu d’enfants, mais les jeunes, beaucoup venus de proche banlieue faisaient contre mauvaise fortune bon cœur. Je suis toujours surprise de leur vitalité. Certains déambulaient un sandwich dans une main, un gobelet dans l’autre, la capuche sur la tête, le sourire et la plaisanterie aux lèvres. D’autres, masqués, discutaient entre deux averses, assis sur les banquettes qui bordent les allées.

    Les vaccins vont bon train, on a hâte d’en finir avec la pandémie. En attendant, on aimerait voir arriver un vrai printemps, ni trop chaud, ni trop froid, ni trop pluvieux, ni trop sec. Mais il ne faut pas rêver !