• Philomuses, novembre 2017 (suite)

    Philomuses, déc 17. jpg.

    Et j’attends. À l’heure comme d’habitude, Chantal prend la parole. Elle annonce le concert, nomme ses interprètes. Puis elle présente l’artiste dont les tableaux sont accrochés aux murs. Les œuvres ont été peintes spécialement pour l’occasion. Un travail considérable compte tenu des dimensions, de la recherche de matière. Semi-figuratifs, on y voit un cheval (son arrière-train), la Callas (plus grande que nature), des acrobates suspendus à des portées de partition, beaucoup de notes de musique. Le thème est adapté aux circonstances. L’artiste évoque le sens de son travail. Je ne comprends pas l’anglais, et fais partie de ceux qui estiment que l’œuvre peinte n’a pas besoin d’explications. Chantal  pose quelques questions bienveillantes dans le genre : pourquoi le cheval est-il coupé en deux ? Je ne comprends pas la réponse, mais de toute évidence elle est imparable. La femme bourrée de vitalité s’exprime avec fougue et certitude.

    Elle qui a travaillé d’arrache-pied pour cette exposition, peut-être encore bousculée par le décalage horaire, se doute-t-elle de la quasi-indifférence de ce public restreint, réuni en grande partie pour assister au concert ? C’est possible ! Mais la Chine et Paris la même année ça meuble un curriculum vitae et elle s’y donne à fond. Un feuillet déposé à côté du livre d’or donne le ton de son discours. Impossible de savoir si elle est inconsciente, courageuse ou encore si elle trace un véritable chemin vers la célébrité.  Son sourire me semble inoxydable lorsqu’elle cède la place aux musiciennes.  Mais je ne peux m’empêcher de ressentir à son égard un brin de pitié, mêlé d’estime et d’irritation.

    (à suivre)


  •  

    Philomuses, déc 17. jpg.Près de la cheminée, la banquette me tend les bras. Je m’apprête à m’étaler sur les coussins lorsqu’un groupe me déloge. « Mais si, il y a de la place pour tout le monde ! On va se serrer ! » Je préfère m’asseoir sur une chaise devant. Je déteste me sentir coincée pour écouter de la musique. Mon moral ne s’améliore pas, d’autant plus que le casse-pied de derrière me bouscule quatre fois pour passer et repasser. Mon voisin de droite, une soixantaine d’années, élégant, barbe bien taillée pousse gentiment sa chaise afin de laisser un couloir à l’importun. Je lui fais remarquer que le feu de bois répand une chaleur peut-être excessive.  Il me répond que c’est bien agréable.  J’acquiesce sans trop de conviction afin de ne pas passer pour une râleuse. Et pour le remercier de sa  courtoisie, je lui dis le plus gentiment possible :

    – Vous êtes américain ?

    Il me répond  :

    – Mon accent français est si mauvais que ça ?

    Je bafouille :

    – Pas tant que ça ! Vous êtes à Paris depuis longtemps ?

    Il opine de la tête,  et j’insiste :

    – Depuis cinquante ans ?

    Patatras ! Manifestement, je luis mets un peu trop d’années sur le dos. De bonne grâce, il réagit comme à une plaisanterie.  Et nous commençons une conversation sur les Américains à Paris, sur Midbnight at  Paris de Woody Allen, sur le dernier livre de Douglas Kennedy. Il est de bonne composition. J’accumule les clichés et les gaffes, mais il n’en prend pas ombrage. Il travaille à l’Institut Pasteur depuis plus de vingt ans.  Il est marié à une Argentine professeure de tango. Elle doit être jeune car il évoque leur fils  de moins de dix ans. On dirait un personnage de roman américain et je finis par sagement prendre le parti de me taire. Il se tourne tout aussi aimablement vers sa voisine de droite.

    (à suivre)


  • Philomuses, nov 2017

    Pont neuf, nov 2017

    Ce soir-là, j’ai traversé le Pont Neuf dans la seule clarté de ses lampadaires. Le Louvre, l’Institut, l’hôtel des Monnaies ne sont plus éclairés, les tours de  Notre-Dame s’évanouissent dans l’obscurité. La ville-lumière désormais évoque le Moyen-âge. Quelques touristes semblaient perdus dans l’attente d’autre chose.

    Comme elle est belle, ma ville,  dans le mystère retrouvé, dans l’eau sombre qui la traverse d’est en ouest, dans ses monuments devinés qui cachent des drames historiques et des fêtes oubliées !

    Comme d’habitude, je n’ai pas pensé à prendre le code et comme d’habitude, il se trouva quelqu’un pour fouiller dans son smartphone et tapoter le digicode. Nous sommes  entrés dans la cour pavée qui sentait le feu de bois,  puis nous nous sommes enfoncés dans l’étroit escalier peint en blanc.

    Après avoir écarté le lourd rideau, l’odeur de feu de bois s’est  précisé, couvrant les parfums mêlés. Le bruit des conversations m’a retenue une seconde.  J’aurai voulu reculer, mais je suis entré d’un pas déterminé. Je ne connaissais à peu près personne. J’ai croisé Chantal, notre hôtesse, qui a juste levé la main. Elle était enrhumée.

    Une femme très maquillée, très, trop brune, aux yeux charbonneux, le bas de son corps serré dans un pantalon moulant noir, le haut déployé dans une masse de volants et de dentelles comme des ailes de corbeau, me salua comme si nous nous connaissions depuis toujours. Il me fallut quelque temps avant de comprendre que c’était l’auteur des œuvres qui tapissaient les murs.  Le concert s’accompagne toujours d’une exposition de peinture. C’est la règle, même que j’y ai postulé sans succès. Professeure d’histoire de l’Art à l’université de New York, elle venait d’exposer en Chine.

    (à suivre)

     


  • Cimetière

    Cimétière de Wimille, jpg

    La mort me fait physiquement mal au ventre.

    Voir Monique s’enfoncer dans le caveau au bout de cordes tenues par des croque-morts aux visages de circonstance ! Monique qui m’accueillait avec le sourire sur le pas de sa porte quinze jours plus tôt.

    Je n’ai pas envie d’en parler, mais il le faut. Mon corps proteste avec trop de vigueur. Contre la disparition comme un abandon ?  Contre l’inévitable oubli qui s’en suivra,  Trois petits tours et puis s’en vont… ? Contre la souffrance qui précède le plus souvent le dernier souffle libérateur, contre l’œdème qui vient à bout des courageuses impulsions du cœur ? Contre la rigidité cadavérique maquillée, comme une illusion s’apparentant à la croyance en la vie éternelle ?

    La mort !  Cet effrayant saut dans l’inconnu. Naître de rien, arriver dans rien ? La vie comme une minuscule étincelle dans l’infini du temps… ? Elle nous paraît tellement essentielle ! Nous la défendons avec tant d’acharnement, souvent aux dépens d’autrui. L’amour dont nous ont entourés nos morts fait fructifier notre présent comme notre avenir,  dilate nos âmes, mais comment fermer les yeux sur les haines qui n’en poursuivent pas moins leur œuvre de destruction ?

    Si la mort des êtres jeunes reste difficilement acceptable, celle des plus âgés laisse la place aux suivants. En ce sens, elle ouvre la porte à la vie. Alléluia… !  Le regard effaré des enfants devant la boite renfermant leurs grands-parents contiendrait-il un élément de réponse ?

     


  • Le jeu de la mise en terre.

    Bernardins,jpg

    C’est l’histoire d’une bande d’amis à la Sorbonne qui sont connectés à un jeu virtuel. L’un d’eux disparaît des écrans. Les autres qui ne le connaissaient pas physiquement organisent son enterrement virtuel. On voit deux garçons et deux filles discuter de cette disparition comme d’un suicide. Questions sur la vie et la mort, sur « l’éventuelle nécessité » de faire le tri entre virtualité et réalité. Alcoolisation des jeunes et toute puissance de la mort (Némésis). Entre deux questions existentielles, ils se saisissent de leurs Playstation et poursuivent leur dialogue sur grand écran par le biais de leurs avatars. Pas facile à comprendre !

    La pièce de théâtre avait été précédée d’une table ronde réunissant l’auteur et metteur en scène, philosophe de formation, un théologien, un concepteur de jeux vidéo et l’auteur d’un roman sur la robotique. Avantage et danger de la numérisation. L’Homme augmenté. La main robotique plus performante que la main de chair et d’os, l’intelligence artificielle dominant le cerveau humain. La sensualité et l’affectivité par algorithmes…

     

     

     


  • Les robes de mariées (suite et fin)

    La jeune fille brune et grande, lumineuse glissait comme dans une nef nuptiale au bras d’un jeune homme un peu effaré, en jaquette grise, perle sur la cravate de soie, haut de forme sur la tête. Il paraissait un peu pâlichon à côté de sa princesse, revêtue de dentelle, un flot de tulle s’échappant d’un chignon torsadé.

    Elle avançait, tête droite et sourire figé. La foule s’écartait religieusement. Sa traîne plus longue encore que celle de l’Asiatique ratissait les pavés. La robe était magnifique et la fille aussi. Accroupi devant les mariés, un homme en jean et blouson de cuir filmait la scène à reculons. On pouvait déjà imaginer le couple de rêve sur Facebook, Instagram et You Tube, entourés par la foule de la rue de la Huchette, dans les lumières des restaurants, au milieu des jeunes et des touristes admiratifs. La fête pour le monde entier et pour l’éternité.

    Au regard de l’avenir réservé à tout couple lié par un contrat de mariage, un peu de discrétion me semble pourtant indispensable. Un tel tralala promet quelques désillusions. Les querelles, les enfants qui vous réveillent la nuit, le quotidien d’une vie conjugale n’ont pas grand-chose de commun avec ces paillettes.

    La semaine suivante, comme je repassai devant la vitrine de la place des Victoires, deux jeunes filles admiraient sans retenue les robes, plus scintillantes et dénudées que jamais. Alors qu’une vague peut-être excessive de misanthropie m’envahissait, je vis soudain à travers la vitre, surgissant entre un mannequin surmonté d’une pomme de pin dorée et le comptoir à moulures non moins dorées, une jeune femme sortir d’une cabine d’essayage. Sa robe l’enserrait sans la serrer. Sous le bustier, la jupe s’élargissait en corolle. Pas de verroterie, pas de drapé, juste en attente des longs gants blancs, et de la dentelle du voile. Elle s’avançait en hésitant, un peu intimidée et demandait du regard quelque approbation. Dieu, qu’elle était jolie !

    Fin


  • Les robes de mariée 2

    rue de la huchette,jpgElle paraissait préoccupée. Son visage maquillé, fond de teint appuyé, joues rougies, yeux et lèvres peintes, faux cils interminables, contrastaient avec son dos blanc, un peu granuleux. Du chignon classique ne sortaient ni perles, ni tulle. Elle marchait vite et la traîne glissait sur le sol, récoltant tout ce qu’une nuit parisienne pouvait y avoir abandonné. Elle finit par rejoindre un photographe. Plutôt laid et râblé,  asiatique lui-aussi, il écouta avec une attention indifférente les ordres de la jeune femme qui s’empara enfin de la traîne et l’enroula autour de son bras, insensible aux dégâts qui avaient fané le satin et auréolé les plis. Le haut de la robe de location n’avait guère de grâce et le bas évoquait plutôt une serpillière. Je me dis qu’ils comptaient sur Photoshop pour transformer cette parodie de bonheur en une toilette de lumière destinée à faire des envieux, mais comme j’arrivais à destination, je n’en sus pas davantage.

    Il se trouve que quelques jours plus tard, nous sortions du théâtre de la Huchette après avoir applaudi une pièce évoquant le désastre d’un mariage à Athènes. Les touristes se mélangeaient à un nombre impressionnant de jeunes débordant des bars un verre à la main. Nous étions parvenus à en écarter quelques uns lorsque la foule se fendit en deux comme par miracle  pour laisser passer un couple de mariés.

     La jeune fille brune et grande, lumineuse glissait comme dans une nef nuptiale au bras d’un jeune homme un peu effaré, en jaquette grise,  perle sur la cravate de soie,  haut de forme sur la tête. Il paraissait un peu pâlichon à côté de sa princesse, revêtue de dentelle, un flot de tulle s’échappant d’un chignon torsadé.

    (à suivre)


  • Les robes de mariée

    Exif_JPEG_420Place des Victoires, le magasin de vêtements Esprit a été remplacé par Pronuptia qui vend des robes de mariées.

    Chaque semaine les vitrines exhibent de nouvelles robes cousues de diamants et de paillettes, décolletés plongeant, échancrures vertigineuses, une mousseline couleur chair créant l’illusion. Traînes de trois mètres, dentelles à gogo. Les demoiselles d’honneur à l’américaine ne sont pas oubliées, drapés moulants, violets, rose fushia, vert pomme, retenus dans le dos par des lanières de même tissu. Les belles mères en noir scintillant et jais. Un conte des mille et une nuits.

    Et chaque semaine, passée la surprise, je me désole de tant de laideur. Pourtant en dépit des prix faramineux, chaque samedi les familles, mères, filles et sœurs s’y pressent, font la queue et attendent sagement leur tour. Moi qui ne suis pas très portée sur ce genre de cérémonie, j’éprouve comme une pitié pour ces pauvres créatures livrées à la mode et au qu’en-dira-t-on. Elles sont souvent jolies, parfois un peu épaisses, à se demander comment elles peuvent entrer dans ces cuirasses de verroteries.

    Un lundi, les traînes s’étalaient plus que jamais et les hauts se dénudaient autant que faire se peut. Au coin de la rue du Maréchal de la Feuillade (un courtisan de Louis XIV), j’eus la surprise de croiser sur le trottoir malgré le froid qui pinçait en ce début d’octobre, une mariée dans cette même tenue, bras et épaules à l’air, vêtue d’un simple bustier sur une poitrine comprimée à l’arrière par un laçage en zigzag. C’était une Asiatique. Il est fréquent de voir des Japonaises ou des Coréennes se faire photographier autour du Palais-Royal. On dit que c’est un service tout compris, robes, coiffeurs, maquillage, le mari est en jaquette et tous deux arborant des sourires crispés. Mais celle-ci était seule ! Elle marchait d’un pas déterminé et sa traîne balayait le trottoir ramassant poussières, crottes de chien et mégots de cigarettes.

    (à suivre)


  • Le fils du roi et les télécommandes (suite et fin)

    Exif_JPEG_420

    Les nuits suivantes, elle ne rêva pas. Elle y vit le signe qu’elle avait retrouvé son prince charmant. Ils passèrent le dimanche sur la plage, se gorgeant de soleil, courant à perdre haleine, se baignant dans des gerbes d’éclaboussures. La mer n’était pas tout à fait limpide, mais les familles de Brooklyn, noires, asiatiques, latinos, les amoureux de toutes origines les entouraient d’une foule bigarrée, exubérante, grouillante de vie bien différente de la pelouse de son père tondue au millimètre et de la piscine oxygénée et chlorée le plus souvent déserte. Ils s’assirent dans le sable, côte à côte.

    — Je ne sais pas d’où me vient cette volonté d’optimiser les progrès techniques. Il me semble indispensable de réfléchir à leurs conséquences. Si l’avancée de la science a sorti la plupart des peuples de la misère, elle s’accompagne d’une cupidité, d’un goût du pouvoir décuplés. Ses conséquences portent sur le meilleur comme la santé, mais aussi sur le pire. Les bombes ont remplacé les flèches, jusqu’à pouvoir détruire la planète. En parallèle, chez moi dans mon garage, j’étudie le moyen de faire évoluer la robotique vers des utilisations plus souples. Je fabrique des objets un peu farfelus, mais qui laissent davantage de place à la poésie et à l’invention personnelle.

    — Justement ! Depuis quelque temps, j’étudie les avantages du microcrédit, en matière de production artisanale, de défense de l’environnement, tant du point de vue de l’investisseur que de l’usager. Qu’en penses-tu ? Beaucoup de talents manquent de soutien, aussi bien dans le monde occidental, que dans les pays en voie de développement.

    Il se pencha vers elle, et lui déposa sur la joue un baiser qu’elle reconnut sans aucun doute possible. Elle murmura :

    — Lancelot…

    Il s’immobilisa et lui dit :

    — Qu’as-tu dit ? Lancelot ? Comme c’est bizarre ! C’est le nom de mon ancêtre parti sur « l’Angelo ». Il était lui-même le fils d’un roi du même nom qui avait épousé une…,

     Il la regarda comme on cherche une réponse à une question et ajouta, pensif :

    —… Une Violaine. C’est du moins ce qu’on raconte dans ma famille. Elle était, dit-on, belle, vive et intelligente, comme…, comme, comme toi…

    — Angy !

    — Vivian !

    Ils s’étaient retrouvés. Il poussa plus loin ses baisers.

    Au bout d’une semaine, il repartit vers Bethesda. Après un temps de réflexion qui leur parut une éternité, ils s’envoyèrent des watsaps où ils se déclaraient leur amour.

    Angy et Viviane se marièrent l’année suivante. Ils eurent deux enfants, un garçon et une fille. D’un commun accord, ils décidèrent de ne pas poser d’alarme dans leur maison. Ils purent entrer et sortir à leur guise, accueillir leurs hôtes sans précautions particulières. Malgré l’augmentation substantielle de leur tarif d’assurance, ils ne furent pas tellement plus cambriolés que leurs voisins.

    À part quelques inévitables accidents de l’existence, comme des accidents de voiture, un peu d’asthme dû à la pollution, quelques alertes cardiaques dues à l’excès de travail, lesquels ne laissèrent que peu de traces grâce au progrès des IRM, à l’amélioration des produits antihistaminiques et aux extraordinaires avancées de la chirurgie endoscopiques, ils vécurent heureux, toujours plus amoureux l’un de l’autre. Ils atteignirent quatre-vingt-dix ans, soit dix ans de plus que leurs ancêtres.

    Les recherches d’Angy sur la robotique lui valurent vers l’âge de soixante ans le prix Nobel de physique et les banques de crédit qu’elle avait créées valurent un peu plus tard à Viviane celui de la paix. À leur insu, ils étaient également devenus les héritiers de Pierre et Marie Curie.

     Ils se partagèrent entre les USA, la France, et le reste du monde. Sur leurs vieux jours, accompagnés de leurs enfants et de leurs petits-enfants, ils visitèrent le palais de leurs ancêtres. Un enfant, vif, assez désobéissant mais plein d’avenir, après avoir failli dégringoler des murailles sans parapet attira l’attention de la famille sur un graffiti : on y voyait deux cœurs enlacés gravés dans la pierre, usés par le temps, mais bien visibles. Dans l’un on pouvait reconnaître un L, dans l’autre un V.

    Le gamin remarqua juste au-dessous de l’inscription une petite excavation bouchée à la chaux. Il sortit son couteau de poche et sous le regard intéressé de la famille, la dégagea. Il en sortit un petit objet attaché à une cordelette. Il l’essuya sur son pantalon et l’observa avec attention. Ses yeux se plissèrent dans une expression d’incompréhension. Il prit délicatement l’objet entre le pouce et l’index et le tendit à son père qui le tendit à son grand-père Angy, qui le tendit à Viviane, laquelle après l’avoir tourné dans tous les sens s’écria d’une voix un peu chevrotante :

    — La télécommande du portail de mes parents ! Je me demandais où elle avait bien pu passer !

    Sa mémoire était restée intacte, contrairement à Angy qui confondait un peu les époques et les pays.

    Fin

    Le tableau « Just smile »  qui a accompagné ce feuilleton est d’Alain Trez. Merci à lui.


  • Le fils du roi et les télécommandes (16)

    New York minisiteLorsqu’elle se réveilla au 50e étage d’un gratte-ciel de Manhattan, elle ne fut pas vraiment triste. Elle partit bourrée d’énergie faire la connaissance de son université.

    Tout lui était nouveau. Elle se dirigea vers son département, trouva l’amphi et suivit son cours avec un intérêt décuplé par l’amour. À midi, elle descendit dans le parc et s’installa sur un banc. Alors qu’elle sortait un sandwich de son emballage en plastique, elle entendit un jeune homme lui demander s’il pouvait s’asseoir à côté d’elle. Elle acquiesça d’un geste. Elle leva la tête et crut défaillir. C’était lui !

    Elle allait se jeter dans ses bras quand elle fut retenue par son attitude, aimable certes, mais indifférente. Serait-il devenu amnésique ? Elle l’examina de plus près. Le jean et la chemisette le rajeunissaient. Ses cheveux longs lui donnaient un petit air à la Bob Dylan. Ses mains fortes et fines tournaient les pages d’un livre. Avec prudence, elle lui en demanda le titre. Il répondit sans se faire prier :

    — C’est une communication de la revue Nature, concernant les dernières avancées sur l’optimisation des sols, grâce à un apport hydrique et chimique réduit au minimum.

    — Vous êtes ingénieur agronome ?

    — Chercheur. Envoyé par mon laboratoire pour participer à une conférence. Et vous ?

    — Étudiante. Française. Je viens compléter ma formation par un MBA de gestion. Votre prénom ?

    — Angy. Je m’appelle Angy, un diminutif d’Angelo.

    — Vous êtes Latino,

    — Non, mais ma famille d’origine française remonte aux premières arrivées sur le continent à bord d’un navire espagnol, « l’Angelo ». Après deux siècles en Louisiane, elle s’est installée à Washington plus précisément à Bethesda, à côté d’un important centre de recherche. D’où mon goût pour la biochimie au départ. Et vous ? Comment vous appelez-vous ?

    — Je m’appelle Viviane, comme Vivian Leigh, la Scarlett d’Autant en emporte le vent.

    — Dites plutôt comme la fée Viviane !

    Était-ce son Lancelot ? Elle reconnaissait ses yeux bleus, son attitude à la fois sérieuse et dégagée. De l’allure ! Mais un je ne sais quoi de Yankee l’en différenciait. Une liberté dans ses gestes, une façon de se comporter sans politesse superflue. Elle disposerait de peu de temps pour en avoir le cœur net. Il ne fallait surtout pas qu’ils se perdent de vue. Il n’y songea d’ailleurs pas, car il lui proposa illico pour le weekend une promenade en métro à Coney Island, idée saugrenue qu’elle accepta d’autant plus volontiers qu’un air maritime tempérerait la chaleur de cette fin de juillet.

    — Apportez votre maillot de bain !

    (à suivre)