• Les animaux de la famille, suite et fin.

    Epinoche

    Lorsqu’un mercredi Julien est revenu de l’étang voisin où il avait l’habitude de jouer avec son ami Benoit, tenant dans sa main comme un trésor une épinoche d’un gris un peu sale qui baignait dans l’eau douteuse d’un sac en plastique, j’ai refusé catégoriquement de la prendre en charge. Nous avons versé son contenu dans un couvercle de jeu transparent aux dimensions suffisantes pour qu’il ne pas se sente pas à l’étroit et je l’ai déposé sur le balcon. Les garçons avaient l’intention de la ramener dès que possible dans son habitat d’origine .

    Le jeudi suivant, ils avaient sport. Le suivant, ils étaient invités à un anniversaire, puis ce furent les vacances. J’avais un peu oublié l’événement lorsqu’un mois plus tard, donnant un coup de balai sur le balcon, j’aperçus la vaste boite plate recouverte d’une mousse verdâtre. L’épinoche est un animal assez ingrat, plutôt moche. Il m’a semblé dans la nature des choses que sa fin ait été à l’image de son existence périlleuse dans un étang boueux. J’avais peut-être aussi épuisé ma commisération à l’égard de la gent aquatique.

    Je repoussai la mousse pour voir s’il en restait quelques débris lorsque je vis dans l’eau glauque une ombre de faufiler et se cacher sous une feuille morte. Grand Dieu, elle avait survécu ! Elle paraissait même en pleine forme. La pluie, les insectes qui lui procuraient des protéines, la mousse, ses vitamines, le soleil, sa photosynthèse, tout semblait lui convenir. À l’abri de ses prédateurs habituels, elle menait une existence des plus satisfaisantes, ne demandant rien à personne. C’est ainsi qu’elle est restée sur notre balcon durant plusieurs années, toujours pareille à elle-même comme si elle s’était adaptée à la taille de son habitat. Elle ne craignait ni le chaud ni le froid. De temps en temps nous allions la voir avec une estime qui finit par atteindre son paroxysme lorsqu’un certain hiver nous avons eu le plaisir de la retrouver vivante sous une couche de glace.

    Et nous avons déménagé. Il n’était pas possible de l’emmener. Le bassin dans le coffre de la voiture, nous avons roulé doucement jusqu’à son étang d’origine. Et Julien traversant tant bien que mal les ronciers qui le bordaient l’a rendue à son milieu naturel.

    Aujourd’hui, quand nous passons sur la route non loin de là, nous ne manquons jamais d’avoir une pensée émue pour notre vaillante épinoche.

    Fin


  • Les animaux de la famille

    poissons rouges

    Puis nous avons emménagé dans un appartement de la banlieue parisienne. Comment le poisson rouge est-il venu chez nous ? Je ne m’en souviens plus. Nous partions souvent à la campagne et je suis certaine que nous ne transportions pas le bocal. Il est probable que nous répandions à la surface une grande quantité de poudre nourrissante, sans trop savoir s’il commençait par se goinfrer avant de souffrir de la faim. Mais nous aimions le mouvement doré et déformé de ses ronds dans l’eau transparente. Forts de la précédente expérience nous lui avons offert un ami, un peu plus petit que lui, mais tout aussi joli.

    Au début, nous avons pensé à des jeux. Ils se poursuivaient, se dérobaient, repartaient imprimant une course rapide qui nous comblait d’aise, jusqu’au jour où m’approchant de plus près, je vis sur le flanc du nouvel arrivant une plaie étrange, blanche et un peu granuleuse. Deux, trois jours plus tard, il avait disparu ! Avec un étonnement mêlé de désolation, nous l’avons retrouvé inerte sur le parquet, amputé de la moitié de son corps ! Ce furent des questions à n’en plus finir. Nous avons conclu que son congénère l’avait dévoré vivant et que la pauvre bête avec les quelques forces qui lui restaient avait tenté d’échapper à son bourreau.

    Peut-être n’ai-je pas voulu y croire et préféré la thèse d’une maladie ? J’ai provisoirement transféré le poisson survivant dans une casserole et j’ai désinfecté le bocal à l’eau de Javel.

    Le bocal étincelait au soleil quand j’ai réintégré le poisson rouge dans son logis. Il a paru enchanté, car il s’est aussitôt mis à tourner, tourner, tourner… Julien, dix ans, a remarqué qu’il tournait de plus en plus vite et que c’était un peu étrange. Chacun est parti vers ses occupations. Le soir, quelle ne fut pas notre surprise de retrouver le poisson le ventre en l’air, aussi mort qu’on puisse l’être ! De nouvelles questions, et la réponse fut fulgurante : je n’avais pas suffisamment rincé le bocal. Quelle horreur ! La pauvre bête avait avalé, respiré l’eau de Javel, tenté de survivre, rongée de l’intérieur. Combien de temps avait-elle résisté ?

    (à suivre)


  • Les Animaux de la famille

    image hamsterDans mon enfance, le chien gardait la maison, le chat mangeait les souris. Ils faisaient partie de la famille et nous n’aurions pas eu l’idée de leur offrir une place particulière puisqu’ils s’inscrivaient dans nos existences au même titre que l’air que nous respirions, que nos parents, nos amis, l’école et les vacances. Le chien nous sautait au cou, le chat se frottait à nos jambes sans que nous y prêtions une véritable attention. L’indépendance des animaux domestiques et la liberté des animaux sauvages, hirondelles ou sauterelles, nous semblaient de même nature.

    Une fois mariée, les habitudes avaient changé. Dans une animalerie, les enfants ont acheté Noisette, un cochon d’Inde, émerveillés par la couleur de ses poils, par la douceur de son museau et le brillant de ses yeux. Il couinait à chaque fois que nous passions devant sa cage, et nous entendions dans ce cri un je-ne-sais-quoi qui nous fendait le cœur. Au bout de quelques mois, les enfants jugèrent qu’il souffrait de solitude et nous l’avons confié à des amis qui possédaient au fond de leur jardin une cabane dans laquelle cohabitaient sans entrave deux autres cochons d’Inde, des lapins et une chèvre. À chaque visite, nous avons eu le plaisir de le voir gambader sur la paille fraîche avec ses copains. Il mit au monde une ribambelle de petits cochonnets, ce qui nous fixa sur son sexe. Difficile d’imaginer notre fierté d’être les heureux propriétaires de ses heureux animaux !

    Puis nous avons emménagé dans un appartement de la banlieue parisienne. Comment le poisson rouge est-il venu chez nous ? Je ne m’en souviens plus. Nous partions souvent à la campagne et je suis certaine que nous ne transportions pas le bocal. Il est probable que nous répandions à la surface une grande quantité de poudre nourrissante, sans trop savoir s’il commençait par se goinfrer avant de souffrir de la faim. Mais nous aimions le mouvement doré et déformé de ses ronds dans l’eau transparente. Forts de la précédente expérience nous lui avons offert un ami, un peu plus petit que lui, mais tout aussi joli.

    (à suivre)


  • Article Byron et Lamartine sur les rives du Léman. Ac. de Mâcon.

     

    LAMARTINE ET BYRON
    SUR LES RIVES DU LÉMAN

    Martine Farge de Rosny

    Jusqu’à nos jours, de nombreux écrivains sont venus trouver refuge sur les bords du Léman. La ville de Genève fut de tout temps hospitalière aux proscrits, tel Voltaire échappant régulièrement aux oukases royaux par un chemin privé qui rejoignait la frontière depuis son château de Ferney. D’autre part, les rives du lac se prêtent particulièrement aux pauses méditatives et réparatrices par la contemplation des infinies nuances de son eau, des crêtes du Jura et des sommets dentelés des Alpes.

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    Lamartine, Byron, Shelley et sa future épouse Mary Godwin y trouvèrent un abri nécessaire pour dépasser des moments de crise et poursuivre leur oeuvre, Lamartine se dérobant à l’enrôlement napoléonien durant les Cent Jours, Byron fuyant l’Angleterre et la menace d’un procès en inceste, enfin le jeune couple à la recherche d’un refuge pour leurs amours illégitimes.

    ***

    lire la suite  : Académie de Mâcon , pôle Lamartine


  • Obsèques de Pierre.

    La France a vibré aux obsèques de Jean d’Ormesson et de Johnny Halliday, puis elle est passée à autre chose. Novembre et décembre sont souvent des mois funèbres, comme si les malades chroniques et les vieillards au bout du rouleau ne jugeaient pas nécessaire d’affronter un nouvel hiver.

    Je ne connaissais pas vraiment Pierre. Il n’y a pas si longtemps, nous étions attablés face à face dans un bistro, rue de la Huchette et il m’avait évoqué sa vie, sa croyance dans l’au-delà, ses convictions religieuses. Je connaissais davantage sa femme, une professeure de français, latin, grec beaucoup plus jeune que lui, une brune abondante, et énergique. C’est pour elle que nous étions venus aux obsèques de son étrange mari. Scientifique, médecin et psychanalyste, il avait supervisé l’envoi dans l’espace d’une souris. Un premier mariage et des petits-enfants. Une vie très remplie qui s’était terminée à plus de 90 ans, sans passer par la case Alzheimer.Trois prêtres et deux diacres officiaient malgré la pénurie de clergé actuelle.

    Un peu avant la communion, une voix s’est élevée durant quelques minutes de la tribune accompagnée par l’orgue. Du Bach ? Plutôt Haendel. Cette voix comme une respiration, pas tout à fait juste, mais tellement sincère me mit le cœur en vrac.

    La façon dont on vit, dont on meurt, est bien étrange… Quel souvenir, quel impact laissons-nous après notre départ ? Comme il est difficile de répondre à ces questions !

    Désormais les jours rallongent. Dans quelques mois la végétation redémarrera et le printemps reviendra …comme chaque année.


  • voeux 2018

    Que l’année 2018 vous apporte

     

    Rires et sourires

    Amours et amitiés

    Soleil et ombre fraîche

    Rencontres et solitude

    Aventures et farniente

    Mer et montagne

    Musique et silence

    Travail et repos

     

    Sans oublier ceux qui nous ont quittés

     


  • Le Premier janvier 2019

    Je ne suis pas très douée pour les bilans de fin d’année. Pour moi, chaque jour suffit son histoire et l’année n’est qu’une accumulation arbitraire de jours, de levers et de couchers du soleil, de petits et parfois de grands événements.

    Cependant j’aime que chaque jour m’apporte un petit plus. Une avancée vers la sagesse ? Peut-être. Mais surtout que le jour précédent soit un enseignement pour le jour suivant. Je déteste stagner, me répéter,

    Je ne trouve pas indispensable de vivre des choses extraordinaires, je trouve plus d’inattendu dans le simple déroulement d’une vie que dans des triomphes ou échecs autoproclamés. J’espère pourtant de la vie de belles surprises, même si je ne sais que ce n’est pas raisonnable et qu’il vaudrait mieux ne rien en attendre.

    Je trouve plus de possibilités d’avenir dans une simple caresse que dans des trémolos passionnés.

    S’il m’arrive de m’ennuyer et c’est très rare, j’ouvre un livre comme une ouverture sur le monde.

    Si l’horizon s’assombrit, je prends acte. Je râle, je tempête et résiste.

    Si l’amertume m’envahit, je râle, je tempête, mais je résiste.

    Quels que soient les difficultés, l’âge qui se fait sentir, vivre me paraît un miracle à ne pas gâcher, à partager, grâce au passé, vers l’avenir.

    Plus le temps passe, plus le présent me semble investi de mystère. La mort en serait l’ultime expérience ?

     


  • Le premier janvier 2019

    Je ne suis pas très douée pour les bilans de fin d’année. Pour moi, chaque jour suffit son histoire et l’année n’est qu’une accumulation arbitraire de jours, de levers et de couchers du soleil, de petits et parfois de grands événements.

    Cependant j’aime que chaque jour m’apporte un petit plus. Une avancée vers la sagesse ? Peut-être. Mais surtout que le jour précédent soit un enseignement pour le jour suivant. Je déteste stagner, me répéter,

    Je ne trouve pas indispensable de vivre des choses extraordinaires, je trouve plus d’inattendu dans le simple déroulement d’une vie que dans des triomphes ou échecs autoproclamés. J’espère pourtant de la vie de belles surprises, même si je ne sais que ce n’est pas raisonnable et qu’il vaudrait mieux ne rien en attendre.

    Je trouve plus de possibilités d’avenir dans une simple caresse que dans des trémolos passionnés.

    S’il m’arrive de m’ennuyer et c’est très rare, j’ouvre un livre comme une ouverture sur le monde.

    Si l’horizon s’assombrit, je prends acte. Je râle, je tempête et résiste.

    Si l’amertume m’envahit, je râle, je tempête, mais je résiste.

    Quels que soient les difficultés, l’âge qui se fait sentir, vivre me paraît un miracle à ne pas gâcher, à partager, grâce au passé, vers l’avenir.

    Plus le temps passe, plus le présent me semble investi de mystère. La mort en serait l’ultime expérience ?

     


  • Philomuses, novembre 2017 (suite et fin)

     

    Philomuses, déc 17. jpg.J’aime voir le corps de la flûtiste onduler. On dirait que les sons s’envolent du bout de ses doigts. Mon regard se promène vers les mobiles qui pendent au plafond. Je connais leur auteur. Un personnage plus qu’étrange, un rejeton de la haute aristocratie bulgare. Né difforme, il ne mesure pas plus d’un mètre, seules ses mains sont à l’échelle d’un adulte, fortes et larges. Il se meut très péniblement accompagné d’une aide aux petits soins pour lui. Son épouse beaucoup plus jeune que lui, très belle, plasticienne, se produit dans des performances d’art contemporain. Il y a longtemps que je ne les ai pas vus. Sont-ils toujours ensemble, est-il toujours en vie ? M’approchant du fauteuil qui lui était attribué à Philomuses, je lui avais tendu la main, il l’avait saisie avec détermination pour un baiser difficile à oublier, un condensé d’élégance et de courtoisie. Autour de lui virevoltait une nuée de jeunes filles en fleurs.

    Aujourd’hui, mon regard erre autour de ses machines volantes composées de bois léger et de fils de lin, aériennes, sophistiquées comme entourées d’un nuage d’ailes de libellules, elles semblent chercher à s’élancer comme emportées par le souffle de la flûte.

    Les bûches rougeoient maintenant dans la cheminée, la température est douce. J’évite de gigoter. J’aimerais me lever, déambuler au rythme des sons, sidérée par la parfaite immobilité  de mon voisin américain.  À la fin, les musiciennes nous offrent en bis un « Rêve d’amour » de Schubert, complètement rénové.

    Le buffet fut rondement dressé, mais je ne suis pas restée longtemps. Encore quelques mots  échangés avec l’Américain et j’ai retraversé le Pont Neuf, dans le scintillement sombre du fleuve.

    Fin

     


  • Philomuses, novembre 2017 (suite)

    Philomuses, déc 17. jpg.Ces temps-ci, tout bruit me semble vacarme. Rien que l’idée d’être présente sur les Champs-Élysées avec les centaines de motards accompagnant la dépouille de Johnny Halliday me torture. J’apprécie pourtant le rockeur et sa vitalité, mais  je préfère murmurer « que je t’aime » plutôt que le crier à grand renfort de décibels.  C’est pourquoi le programme de cette soirée m’a tenté, flûte, musique française, Debussy, Ravel, Fauré, avec l’espoir de renouer avec le plaisir de l’écoute.

    Chantal nous présente les deux jeunes femmes. La flûtiste Raquele Magalhaes a enregistré des CD, mais on comprend surtout qu’après des études brillantes elle s’est consacrée à ses enfants.  Petite, brune, simplement vêtue, elle sourit avec modestie.  Presque l’antithèse de la plasticienne. La pianiste est son amie.  «Elles aiment jouer ensemble.» prévient Chantal.

    Et c’est un régal, sur une trame d’André Jolivet, une succession de délicatesse, de finesse, de sentiments à la fois forts et retenus. Elles me font apprécier Jolivet, retrouvant dans ses broderies sonores les cascades perlées de Schubert, dans ses rythmes les souplesses de Fauré. Main tendue à travers les âges, la flûtiste joue avec simplicité. Le son est juste, posé, sans pathos. Elle joue des airs célèbres en les rafraîchissant. Il y avait  longtemps que je n’avais pas été aussi émue.

    Entre deux morceaux, elle explique ses choix, son itinéraire. On comprend qu’elle n’est pas un poussin de la dernière couvée. Elle évoque Jean-Pierre Rampal, un maître qu’elle n’a pas connu, mais qu’elle a beaucoup écouté. Et cela me rappelle une anecdote.

    J’avais une vingtaine d’années, nous étions allés dans sa loge après un concert. Je me souviens d’un homme de haute taille, assez volumineux. Il m’avait complimenté et avait retenu ma main dans la sienne. Parlerait-on aujourd’hui de harcèlement sexuel  ? Je dois dire que j’en fus plutôt fière. À cette époque, j’écoutais en boucle son concerto pour flûte de Mozart et je n’imaginais pas que ma modeste personne puisse l’intéresser le moins du monde. Sa flûte était en or !

    (à suivre)