Samedi après-midi. Foule dans Paris, les touristes ont oublié le Bataclan et sont revenus plus nombreux qu’auparavant.

Je décide de me risquer vers le quartier de Beaubourg pour aller voir l’exposition Taulé, avec l’espoir de rencontrer le propriétaire de la galerie, Thierry Schwab. Son père, Marc Fontenoy, écrivait des chansons à succès dans les années 50 :  Le Petit train, La Petite diligence, les Bohémiens… C’est ainsi qu’enfant, il a vu passer chez lui des chanteurs comme André Claveau et Tino Rossi, plus tard Dalida et même Sylvie Vartan. J’aime son sourire heureux lorsqu’il évoque ses souvenirs, la liberté et la fantaisie qui régnaient alors chez ses parents. Son père, né en Russie, avait fui la révolution bolchevique.

Le 29 vient de quitter l’arrêt et je fais des grands signes. Immobilisé au feu rouge, son conducteur m’ouvre la porte.

– Comme c’est gentil ! Je crains de devoir attendre le suivant.

Vingt cinq-trente ans, il me sourit :

– Non, il est juste derrière. C’est le précédent qui est loin.

– Pourtant vous venez de Saint Lazare, à deux pas.

Il a un geste évasif :

– J’ai été retenu…

Et il ajoute :

– Il y avait du monde.

Il continue, comme s’il me confiait le résultat d’une longue méditation :

–  Il y a trop de monde sur terre !

Je lève la tête. Beau garçon, type maghrébin ou quelque chose comme ça. Je réponds :

– En France, on n’en fait pas tant que ça. 2 ou 3.

– 2,3, me répond-il.

Un peu étonnée de la précision, je m’apprête à poursuivre, lorsque je m’aperçois que j’ai dépassé l’arrêt de la rue Quincampoix.

– Oh, excusez-moi. Est-ce que je peux descendre ?

C’est strictement interdit. Le risque de se faire faucher par une voiture sur la droite n’est pas négligeable. Mais gentiment, il obtempère et je descends par l’avant.

Avant que la porte se referme, je me retourne et je lui crie :

– En tous cas, moi, je ne peux plus en faire !

Son visage se fend d’un large sourire et il lève un pouce approbateur.