Saint-Eustache, au cœur de Paris — Narthex

Le froid a brutalement succédé à la chaleur. Dans certaines régions la température est passée en deux jours de 30° à -2°. La nature souffre. Les viticulteurs et les arboriculteurs jouent leur récolte sur deux nuits. Oui, le climat se détraque. Depuis le début de l’année, des trombes d’eau s’abattent sur des régions peu concernées d’habitude, causant des inondations et des dégâts qui justifient l’abandon définitif de certaines maisons pourtant anciennes.

Aux USA, la chambre des représentants a voté une aide de 61 milliards de dollars à l’Ukraine. Pour la première fois depuis la première campagne de Trump, les Républicains et les Démocrates se sont unis pour sauver la démocratie. Enfin une lueur d’espoir. L’Ukraine et l’Europe ne peuvent pas résister seules à la volonté de Wladimir Poutine de revenir aux frontières soviétiques.

Ces temps-ci, les usines d’armement se multiplient en Russie, y créant une économie de guerre florissante. Depuis quelques mois, les Ukrainiens reculent faute de munitions. Une loi adoptée par le Kremlin fin mars permet aux personnes suspectées de crimes d’échapper à une condamnation en rejoignant le front ukrainien. Le nombre de détenus déployés pourrait atteindre 150 000.

Israël continue de pilonner la bande de Gaza, semant terreur et famine. En représailles, la République islamique d’Iran a lancé des missiles sur Israël, qui a répliqué avec des drones.

La vie est difficile pour beaucoup. Dans les pays occidentaux, les salaires ne suffisent plus à faire vivre beaucoup de familles modestes, les logements sont trop chers, les charges fixes trop lourdes. Et pourtant, on rit, on déambule, on dépense, les touristes se bousculent plus que jamais à Paris. Je m’amuse de petites scènes cocasses, alors que je devrais peut-être m’indigner de l’injustice, parler politique ou philosophie. Je préfère me pencher sur ceux dont on ne parle jamais, qui se débrouillent sur les franges de nos vies.

Dimanche, je suis allée à Saint-Eustache. J’aurais voulu rester flemmarder au lit, mais je n’avais pas vu Pierre depuis plus d’un mois et mon sens de la fidélité s’en trouvait tracassé. J’ai affronté la bise, traversé le marché de la rue de Montmartre. Peu d’étalages, juste ceux de première nécessité, poissonniers, marchands de légumes, bouchers, traiteurs. Les vendeurs de bijoux, de vêtements n’étaient pas au rendez-vous. Trop froid. Je trébuche sur la chaussée qui attend un indispensable rafistolage et j’arrive devant la petite entrée de l’église.

Fermée ! Le mendiant est assis à sa place habituelle avec son chien, mais une nuée de jeunes l’entoure comme une barricade. Ils sont vêtus d’une même parka rouge ornée sur le dos d’une grande croix de Malte. Je me trace un chemin vers lui et m’étonne :

— Que se passe-t-il ? C’est fermé !

Le chien, un magnifique berger allemand, est allongé contre la porte, comme s’il défendait le lieu sacré.

Le mendiant est un personnage du quartier. Depuis des décennies rivé à cette place stratégique, il me rappelle celui de Saint-Germain des Prés que Marco voyait chaque matin garer sa voiture devant sa galerie et payer son parking. Mais celui-ci est tout à fait particulier, énorme, pantalon remonté sur des jambes gonflées et rouges, tartinées de crème, des cheveux blancs qui s’échappent de son bonnet durant l’hiver. Canne à proximité, il accueille les fidèles d’une « Bonne messe ! » prononcée avec la conviction d’une voix chaude et grave à la Chaliapine. Quand nous sortons, avant d’aller au café Pierre lui donne toujours une pièce. Il me répond, de mauvaise humeur :

— Oui, c’est fermé !

Et je ne comprends pas la suite. Je devine qu’il est énervé par la dizaine de jeunes qui l’entourent, mais j’insiste et il répond en montrant des gencives désertées sur le devant, articulant autant que possible.

— Je ne peux pas parler mieux !

Devant mon air compréhensif, il se calme un peu :

— La petite messe… Elle est supprimée. À cause des spectacles. On ne peut plus garantir la sécurité des installations. L’église ouvre seulement pour la grand-messe de 11 h.

Et j’ai pensé : comment est-ce possible ? L’ancestrale petite messe, dite messe basse, s’efface devant un spectacle son et lumières au tarif prohibitif et dépendant de la Ville de Paris !

Et il ajoute excédé, mais assez fier de lui :

— Je dois faire le bedeau et renseigner les gens !

Je devine surtout que la compassion des jeunes l’agace. Ils ont posé des thermos devant lui et forment un rideau qui l’isole de ses donateurs.

Je sors une pièce de mon porte-monnaie et la lui mets dans la main. Il s’étonne à son tour. D’habitude je ne donne pas. Un énorme sourire fend sa face hugolienne et il me lance :

— Merci, madame, que la journée vous soit favorable et que le bonheur se répande sur vous et ceux que vous aimez !

Je ne comprends pas tout de suite, je m’éloigne en refendant le groupe de jeunes. Quand je réalise, je dresse les bras et crie aussi fort que possible :

— Merci ! La même chose à vous !

Et j’entends sa voix de basse, joyeuse et musicale, monter par dessus les jeunes :

— Merci ! À bientôt !