
La ligne de métro qui me conduit à l’atelier transporte autant de travailleurs que de touristes.
Côté Balard : l’Hexagone, État major des armées (9000 personnes), côté Créteil : la banlieue et ses cités. Au centre : La Concorde, les Invalides, Le Champ-de-Mars et la tour Eiffel. Sans oublier, le quartier des bureaux (l’Opéra), de la finance (La Bourse), du commerce (Le Printemps, les Galeries Lafayette)… Une population d’usagers qui varie selon les heures de la journée, et de la nuit (théâtres et cafés mythiques).
Une ligne saturée chaque soir au retour des travailleurs vers les gares et la banlieue.
En début d’après-midi, elle est un peu plus tranquille, sauf lorsque la RATP espace les rames pour des raisons d’économie.
Cette après-midi-là, je rêvassais sur mon strapontin à l’arrêt Opéra, lorsque j’entends des cris dans mon dos, une voix virile
— Bouge pas ! Je te tiens. Tu ne t’échapperas pas !
Il s’ensuit des protestations qui finissent en bafouillements incompréhensibles.
Je me retourne. La scène se déroule sur la plate-forme au-delà des places assises, des gens debout et je ne vois rien. Le métro ne repart pas. Le conducteur s’excuse et annonce un arrêt momentané sans plus d’explications.
Banal ! Un secteur où les pickpockets pullulent. Je suis un peu surprise, car il est rare de voir les victimes se défendre, encore moins s’en prendre physiquement aux voleurs la plupart du temps en bande, tout de même intriguée par le flot de menaces et de hurlements qui continuent de se déverser sur le récalcitrant. Pourtant, je n’entends pas les conciliabules habituels entre passagers et une femme d’un certain âge me sourit d’un air rassurant. Les minutes défilent. Le haut-parleur finit par grésiller :
— Un incident s’est produit dans la voiture de queue. Nous attendons l’intervention de la police.
En effet une patrouille arrive sur le quai, trois hommes et une femme en gilets pare-balles, casques et caméra, bardés de matraques, de menottes, robocops issus d’une autre planète, tranquilles dans l’urgence. Deux montent dans le wagon sans précipitation, les autres se postent devant la porte, se voulant rassurants.
Pas plus de quelques minutes et dans un silence complet, presque religieux, on voit la patrouille revenir sur le quai. Entre les deux plus gros costauds, un petit vieillard à lunettes et cheveux blanc, mince et les traits tirés, marche avec peine, soulevé sous les épaules comme une marionnette désarticulée. Il parait effaré, minuscule, et les policiers semblent un peu gênés. Quand ils passent devant moi, je me demande in petto ce qu’est devenu le justicier, la femme me lance :
_ Voilà qui est bien triste !
Une de ces scènes qui laissent perplexe, inertes, un peu sidérés, la conscience en berne.
Quelques jours plus tard. A peu près à la même heure et au même endroit, le métro s’arrête à la station. On entend une voix impérieuse venue du haut-parleur.
— Surtout, n’ouvrez pas la porte, ne descendez pas, surveillez vos sacs et vos portables. Des pickpockets sont dans la station. Quatre dans le métro, quatre sur le quai.
Les habitués connaissent leur mode opératoire. Juste avant le redémarrage, les voleurs, souvent des jeunes filles, bousculent et ramassent un butin qu’ils jettent à des hommes sur le quai. Imparable !
Mais cette fois-ci, le conducteur détaille :
— Une jeune fille avec un bandeau dans les cheveux. Les hommes sont en début du quai.
Un temps.
— Elle s’enfuit… C’est bon, maintenant vous pouvez descendre et monter.
Quand le train redémarre, il termine :
— Deux sont restés dans le wagon, les autres ont été arrêtés.
On se croirait dans une série policière. La participation publique de la RATP me laisse une impression désagréable…