Automne à Paris. Quelques jours de soleil. Je regrette de ne pas avoir le temps d’un café au soleil comme autrefois.
Nouvelle démission d’un nouveau premier ministre (27 jours).
Cette semaine, nous nous sommes réunis avec Marie dans le restaurant situé au pied de chez les Christin à deux pas de la Seine. Pierre connait le patron-cuisinier depuis toujours. Les choix se portèrent sur des moules marinières.
Nous étions au fond du restaurant, entourés d’une sorte de musée, une voiture à pédale pour enfant sur le palier de l’étage, un grand compas de bâtisseur accroché au mur… De grosses poutres de chêne nous séparaient du bar.
— Ce sont les mêmes qui passent chez nous, deux étages plus haut, dit Pierre.
Nous étions comme à des kilomètres de la rue, envahie aujourd’hui de restaurants touristiques. Nos conversations tournèrent autour des forts des Halles que Pierre et Nicolle avaient bien connus. Ils évoquèrent celui, énorme, jovial et alcoolique, qui dormait dans une remise sans fenêtre depuis qu’il avait surpris un homme dans son lit conjugal. Ils racontèrent comment le quartier fut vidé de ses occupants, la plupart très pauvres, pour construire le nouveau quartier. Comment des escaliers furent détruits quand ils s’absentaient. Ils évoquèrent la résistance d’une vieille femme aidée par un entourage efficace.
Nous avons continué chez eux autour d’un petit verre de kirch provenant du Chablais.
Nous parlions de nos problèmes de mémoire. Marie dit :
— Maintenant, je fais des listes.
J’ai dit :
— Il parait que ça empêche d’exercer sa mémoire !
Pierre a continué en riant :
— Et on peut oublier la liste !
Il s’y connait. Depuis plus de soixante ans, il va chaque jour rue Montorgueil, sac au bout du bras, reconnaissable de loin, désormais barbe et cheveux blancs.
Cette semaine, nous sommes allés au Théâtre de poche à Montparnasse voir Petites misères de la vie conjugale, de Balzac. Émilie qui avait participé à la mise en scène nous avait écrit : féroce hilarant et servi par de grands acteurs.
Françoise venant de Genève, nous avons réservé des places. Puis j’ai téléphoné à Claudine. Nous avions plusieurs fois cherché à la rencontrer sans succès. Genevoise jusqu’à son mariage, elle habite à Montparnasse. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés à l’entrée.
— Tu as lu la présentation de la pièce, sur Internet ? me dit-elle.
Devant mon ignorance, elle continua :
— En fait, j’ai un peu hésité à venir. Balzac, c’est un peu vieux. À la sauce MeToo, il y a de quoi s’inquiéter !
Assez perplexes, nous sommes descendus dans la petite salle du bas retrouver un public composé en majorité de personnes de notre âge, mais aussi de pas mal de jeunes d’une vingtaine d’années.
Décor intimiste, une chambre à coucher, lumières chaudes. Le spectacle commença avec quelques lenteurs, accumulant les lieux communs du 19e siècle, misogyne comme on s’y attendait.
Mais peu à peu, s’insinua dans les propos balzaciens un ton qui nous fit tendre l’oreille. Le duo échappait à toute interprétation hâtive. Les travers du mari succédaient à ceux de la femme avec une liberté, un humour et un brio étonnants. Oui féroce ! Mais tendre à la fois. Avec une indulgence à laquelle on n’est pas habitué. Le jeu des deux acteurs tenait un peu des séries télévisées. L’actrice, également danseuse de profession, avec une diction impeccable exprimait mille sentiments successifs, courrait, sautait, dansait, s’immobilisait avec grâce. L’homme tenait sa place, à la fois odieux et touchant. Un spectacle vivant, subtil, inclassable, qui fut ovationné et nous laissa sur le boulevard, ravis de notre soirée. Une soirée que nous avons terminée au coin de la rue de la Gaieté, dans une brasserie, « La liberté ».
Nous avons discuté avec plaisir de tout et de rien, du passé, de Genève. Claudine est une mine d’histoires concernant le monde artistique parisien. Mais le bruit augmentait et devenait de plus en plus difficile à couvrir. En fait, les trois grands écrans sur les murs retransmettaient un match de ligue : Barça contre PSG. Les buts étaient salués par des hurlements. … À croire que nous attirons les matchs de foot !
Claudine s’est excusée :
— Je connais bien cette brasserie. D’habitude ce n’est pas si bruyant !
Nous l’avons rassurée :
— Oui, c’est bruyant, mais très sympathique !
À la sortie, en enfilant nos manteaux, nous avons blagué avec deux jeunes hilares dont nous bouchions la vue d’un quatrième écran.