On nous réunit dans une salle du ministère des Affaires culturelles, austère bâtiment administratif. On était loin des dorures du Palais-Royal à Paris. Respectueux des productions de la RDA, de la qualité de sa musique, du théâtre de Bertold Brecht, de Kurt Weil et son Opéra de quat’sous, influencés par des intellectuels français proches du marxisme, comme Aragon ou Jean-Paul Sartre, nous prîmes place autour d’une grande table qui n’aurait pas déparé dans une MJC de quartier et nous avons salué le ministre.
Fougeron, en habitué des voyages à l’est, prit la parole en notre nom. Après quelques compliments d’usage, il nous engagea à nous présenter les uns après les autres. Nous fîmes un tour de table. Les honneurs et les compétences défilaient, à la satisfaction du ministre et de ses adjoints, qui voyaient là de futurs ambassadeurs qualifiés pour leur demande de reconnaissance internationale. Quand vint mon tour, il y eut un léger silence. Les huiles se demandaient depuis le départ ce qu’une jeune femme de moins de trente ans sans qualité particulière faisait dans leur cénacle, me considérant tout au plus comme une de leurs élèves. En fait, entre mes activités de professeur dans deux MJC, dans un institut pour enfants en difficulté et mes réalisations en matière de sculptures monumentales et de vitraux, je remplissais largement les conditions de ce voyage. Je surpris des regards étonnés. Et le tour de table se poursuivit. Musiciens, écrivains, journalistes dont les propos étaient traduits avec le plus grand soin.
Avec le recul et la chute du mur de Berlin, la démarche me semble aujourd’hui intéressante. Lorsqu’elle n’est pas au service de la propagande, la culture est un moyen efficace de dialogue. En tous cas, il émanait de cette réunion la volonté de dépasser les incompatibilités entre les deux blocs. On n’en était plus au temps des intellectuels français pris au piège des salamalecs staliniens.
(à suivre)





Je me suis retrouvée dans une caverne d’Ali Baba, devant une flopée de chefs d’œuvre anciens, renaissance italienne, flamands, allemands, espagnols, français, que la guerre avait isolés du monde occidental. Et j’ai déambulé des heures, me nourrissant de ce que le passé européen pouvait m’offrir de plus admirable, de plus puissant, pensive devant une œuvre, interrogative devant une autre. Je me suis arrêtée longuement devant la Saskia à l’œillet de Rembrandt, bouleversée par son humanité, par cet œillet fragile tendu par la jeune femme vers le peintre, comme si je puisais à la source de mon existence.
Il s’y mêlait le sentiment étrange que cette armée soviétique sans contact avec la population la protégeait des remous de l’existence. Elle contribuait à un bien-être socialiste dont l’absence d’initiative semblait appréciée par nos interprètes et le personnel du restaurant, par les professeurs de l’école et les responsables qui guidaient nos pas. Qu’en était-il des Allemands de base ? Devant la fenêtre de l’hôtel, j’avais observé le manège des ouvriers sur le chantier d’un immeuble en construction. Un simple plateau en bois montait les matériaux par l’intermédiaire d’une poulie datant de Mathusalem. Des planches servaient de plateformes branlantes à des va-et-vient dont la lenteur et la nonchalance avaient quelque chose de surréaliste. J’aurais pu y découvrir le paradis des travailleurs, si je n’avais remarqué que rien ne fonctionnait dans ma chambre d’hôtel, ni la robinetterie, ni l’électricité et que le papier peint était posé à la va-comme-j’te-pousse.
Comme toujours à la traîne par rapport au groupe, je me sentis tirée par la veste. Un étudiant m’incita à me glisser derrière la porte que nous franchissions. Entre deux casiers, il tira un carton à dessin. Comme s’il dévoilait le diable ou le saint sacrement, il me montra des fusains sur papier léger. Ils étaient inspirés de l’expressionnisme allemand de Beckmann. Je n’eus que quelques secondes pour les regarder, l’étudiant referma vivement le carton et me fit signe de rejoindre le groupe. J’avais pensé qu’il me demandait des magazines occidentaux. Il n’en était rien. Le jeune homme au visage tourmenté revendiquait son identité allemande, sa liberté de s’exprimer librement. Avec le recul, je devine qu’on lui aurait pardonné de détenir les fameuses revues, mais qu’il risquait beaucoup plus à revendiquer sa résistance à l’idéologie soviétique. À cette époque, la Stasi, de triste mémoire, enfermait, torturait et éliminait pour moins que ça. Il m’arrive de repenser à mon inconscience quant aux déterminations de la RDA et au courage de ce garçon. Je demeure cependant assez fière de lui avoir ouvert, par mon regard et sans le vouloir, une petite fenêtre dans l’univers quasi carcéral de son école. Aujourd’hui que le rideau de fer est tombé, que les deux Allemagne sont réunies, se souvient-il de cette rencontre ?
Hier, jeudi, Je suis allée au yoga. Le cours de Michelle (photo !) une américaine, ancienne danseuse de Brodway est ouvert à tous, quelque soit son âge.