Siaska à l'oeilletJe me suis retrouvée dans une caverne d’Ali Baba, devant une flopée de chefs d’œuvre anciens, renaissance italienne, flamands, allemands, espagnols, français, que la guerre avait isolés du monde occidental. Et j’ai déambulé des heures, me nourrissant de ce que le passé européen pouvait m’offrir de plus admirable, de plus puissant, pensive devant une œuvre, interrogative devant une autre. Je me suis arrêtée longuement devant la Saskia à l’œillet de Rembrandt, bouleversée par son humanité, par cet œillet fragile tendu par la jeune femme vers le peintre, comme si je puisais à la source de mon existence.

Je suis rentrée à l’hôtel en même temps que mes compagnons et je fus contrainte de leur expliquer mon absence. La réaction des plus âgés m’étonna,  ils pensaient que j’avais avorté volontairement. Aujourd’hui je comprends mieux leur attitude car contrairement à la France, dont la législation, à l’époque, punissait de prison les interruptions volontaires de grossesse, la RDA les pratiquait officiellement dans les hôpitaux d’état. Ils semblèrent surpris d’apprendre que j’étais mariée. En ce temps-là, une jeune femme voyageait rarement seule.

Je dus faire la quête. J’avais changé mes francs en monnaie locale, laquelle ne valait rien en occident. Or les médecins m’avaient conseillée de retourner à Paris en avion depuis Berlin, le risque d’hémorragie ne me permettant pas un long voyage en train. Mes compagnons eurent la gentillesse d’échanger leurs francs contre mes marks. Après les avoir remerciés,  j’ajoutais que cette mésaventure avait eu l’avantage de me permettre de passer toute l’après-midi au musée. Je surpris dans leur regard une pointe de perplexité.