Il s’y mêlait le sentiment étrange que cette armée soviétique sans contact avec la population la protégeait des remous de l’existence. Elle contribuait à un bien-être socialiste dont l’absence d’initiative semblait appréciée par nos interprètes et le personnel du restaurant, par les professeurs de l’école et les responsables qui guidaient nos pas. Qu’en était-il des Allemands de base ? Devant la fenêtre de l’hôtel, j’avais observé le manège des ouvriers sur le chantier d’un immeuble en construction. Un simple plateau en bois montait les matériaux par l’intermédiaire d’une poulie datant de Mathusalem. Des planches servaient de plateformes branlantes à des va-et-vient dont la lenteur et la nonchalance avaient quelque chose de surréaliste. J’aurais pu y découvrir le paradis des travailleurs, si je n’avais remarqué que rien ne fonctionnait dans ma chambre d’hôtel, ni la robinetterie, ni l’électricité et que le papier peint était posé à la va-comme-j’te-pousse.
Le soir, nous avons assisté à une sorte de café-théâtre dont je n’ai aucun souvenir, si ce n’est que les blagues concourraient à recouvrir d’un rideau de fumée les problèmes de l’existence. À croire qu’en RDA, tout marchait comme sur des roulettes.
Je me savais enceinte depuis un peu plus d’une semaine. Je me suis couchée alertée par un petit saignement. Comme il était tard, j’ai préféré ne déranger personne et je me suis endormie.