• Covid Omicron 2022

    Les rencontres sont plus que jamais plombées par la recrudescence de l’épidémie. Reports, annulations, on rame.

    Arguant du fait que 80 % des lits d’hôpitaux Covid sont occupés par des non-vaccinés, dans une interview au Parisien, le président de la République a déclaré, entre autres : « Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder », suscitant des réactions indignées dans l’opposition. Propos mûrement préparés et destinés à son futur électorat.

    Un sondage récent a montré que moins de 5 % des personnes non vaccinées sont des militants antivax. Les autres sont surtout comptabilisés dans les zones urbaines défavorisées, en particulier dans les quartiers nord de Marseille. Ce sont eux qui ont assuré les services durant le grand confinement : livraisons, soins, sécurité, collectes des déchets et j’en passe… Ce sont encore eux qui restent le plus exposés au virus, écartés du télétravail, dans les transports en commun, dans les hôpitaux, dans le commerce.

    Je n’ai pas apprécié le ton méprisant du président. Le mépris n’engendre jamais rien de bon ! S’agissant des antivax, il est préférable de leur opposer des arguments valables ou comme dans certains pays, en Italie par exemple, de prendre des mesures radicales. Après tout, d’autres vaccins sont obligatoires.

    Autour de nous, les trois fois vaccinés sont atteints de formes bénignes, au pire une « grippette », et on peut se demander si tout le monde ne va pas en passer par là. Heureusement le nouveau variant omicron, qui tend à devenir majoritaire, très contagieux, semble moins dangereux.

    Pour ma part, je m’efforce d’utiliser un masque FFP2, car je déteste ces énormes rhumes qui vous mettent le nez et la gorge en compote pendant plusieurs jours. Je ne tiens pas non plus à contaminer ceux qui ne sont pas vaccinés et qui risquent de faire des formes graves. Rien n’est certain dans cette histoire. J’entends des personnes sans contacts, ne pas savoir comment ils ont pu attraper le virus, d’autres dorment à côté d’un cas positif et restent négatifs.

    Depuis le début, Julien s’est montré très vigilant, pour lui et sa famille, mais surtout vis-à-vis de nous, du fait de notre âge. Qu’aurait-il dit du comportement de son père, la semaine dernière ?

    Les traducteurs d’Homère, trois fois vaccinés, n’ont pas jugé utile de s’isoler malgré la montée de l’Omicron. Vendredi, ils se sont retrouvés à huit chez Alain Merlet, durant plus de deux heures. Seul Alain de santé fragile avait mis un masque FFP2, les autres s’étaient contentés d’un masque chirurgical et l’avaient même retiré pour une pause-goûter. Le soir, j’ai tout de même vivement conseillé à Gilles de porter son FFP2 pendant la réunion du lendemain dans un café-restaurant de Saint-Germain-des-Prés, ne serait-ce que pour éviter de ramener le virus à la maison.

    Il est rentré quatre heures plus tard : deux heures de traduction à quinze participants avec FFP2, puis dans la foulée …deux heures de déjeuner à huit (fenêtre entrouverte).

    Le lendemain, un mail d’un helléniste de la première réunion lui annonce qu’il est positif, bientôt suivi de la même nouvelle de la part d’Éliane qui avait déjeuné en face de lui (en quinconce…), à la suite de la deuxième rencontre.

    Depuis, tests et re-tests. Négatifs. Il est allé chez son dentiste et son ophtalmo, qui en ont vu d’autres et sont barricadés derrière des FFP2.

    Encore quelques tests quotidiens (qui coûtent des milliards à la sécurité sociale) avant d’être tout à fait rassurés. Compte tenu de l’irrésistible envolée des contaminations et en dépit des directives de la Santé publique, on peut se demander s’ils sont bien utiles. Beaucoup de questions restent plus que jamais sans réponses.

    En attendant, la pluie et la brume plombent aussi le ciel de Paris.


  • Nouvelle année. Sylvain Tesson (suite.)

    Un début d’année tristounet. Le variant omicron fait une avancée fulgurante, on dirait que nous allons tous devoir en passer par là. Heureusement, les hôpitaux se remplissent moins vite que lors des précédentes vagues. On ne sait pas encore si c’est à cause des vaccinations, d’une moindre dangerosité ou des deux à la fois. Masques dans la rue, télétravail, pass vaccinal, gestes barrières, amis contaminés, le moral est en berne.

    Nous avons annulé presque toutes les rencontres prévues entre les deux fêtes. Après des tests le matin même, Julien, Laure et Thomas ont pu venir déjeuner le premier janvier. Ève avait prévu un réveillon à Grenoble. Par acquit de conscience, à deux heures de l’arrivée des amis, elle a fait faire un autotest à Marius. Positif ! Annulation en catastrophe, dîner à quatre et repas au congélateur.

    Naturellement, nous espérons tous la fin de la pandémie pour 2022.

    Je reprends la pièce sur Byron que j’étais allée voir au Théâtre de poche la semaine dernière, écrite et présentée par Sylvain Tesson :

    … Sylvain Tesson, s’était dressé, le verbe haut, hérault d’un écrivain dans lequel il se reconnaissait. Il donnait parfois la parole à un personnage au visage terreux, William Mesguich, émanation de lord Gordon Byron pour lire « Le pèlerinage de Child Harrold » et d’autres textes, hélas un peu trop tronqués pour qu’on puisse se laisser emporter par leur fleuve étincelant.

    Le fond de l’affaire était la reconquête de la Grèce et de l’hellénisme contre l’Empire ottoman. Byron qui y avait laissé sa fortune, n’avait pas combattu, mais sa célébrité avait fini par faire lever l’Angleterre d’abord, puis l’Europe vers une victoire finale.

    Sylvain Tesson incita la salle à se joindre à un combat réactualisé contre l’Islam d’aujourd’hui. « Nous lèverons une armée de penseurs, de poètes, de combattants et nous la nommerons Missolonghi ! »

    Il termina sous des applaudissements frénétiques. On vint lui offrir des bouquets de fleurs.

    J’avais dû m’éclipser quelques minutes à cause d’un chat dans la gorge. De retour, craignant de faire du bruit, j’étais restée debout au fond de la salle. C’est ainsi qu’après avoir vu défiler les spectateurs, j’ai fini par retrouver Denis.

    — C’est curieux, ce n’était pas le même ton que l’autre fois ! Moins brillant, mais plus convaincu ! me confia-t-il.

    En fait, Denis connaissait personnellement la famille Tesson. Il avait un peu contribué au texte que nous venions d’écouter. Évoquant la traversée à la nage de Byron du détroit des Dardanelles, autrefois nommé Hellespont, il me dit :

    — L’Hellespont n’est pas à l’est, mais à l’ouest, entre la mer de Marmara et la mer Égée. Ce soir l’erreur était corrigée.

    J’aime écouter ce genre d’anecdotes. Elles offrent un ton familier au spectacle.

    Il me présenta Stéphanie, la sœur de Sylvain, la fille de Philippe Tesson. Ces deux derniers sont propriétaires du Théâtre de poche-Montparnasse et responsables d’une programmation réputée intéressante. En 2019, nous y avions vu une pièce de Tennessee Williams lors d’une soirée mémorable racontée dans une de ces chroniques.

    Nous avons parlé avec joie de son amie Émilie Chevrillon et des Contes de Ionesco que celle-ci a si heureusement mis en scène à la Huchette. Elles préparent ensemble Les Chaises du même Ionesco.

    Un buffet attendait les invités de cette dernière séance, mais Denis s’excusa. Je crois qu’il ne voulait pas avoir à retirer son masque. Je n’ai pas traîné non plus, peut-être à tort. J’avais hâte de retrouver ma famille réunie pour Noël.

     Les joies et les soucis du quotidien sont peut-être finalement aussi acrobatiques que les exploits d’un lord anglais en voyage, entouré d’une armada de serviteurs. Cela m’a tout de même fait du bien d’entendre Sylvain Tesson défendre un destin exceptionnel, comme une respiration dans un monde trop formaté, souvent à la merci d’ukases moraux, lesquels pour n’être plus victoriens, n’en sont pas moins plats et ennuyeux.


  • Noël. Byron, La liberté ou la mort.

    Le taux de contamination est aujourd’hui le plus élevé depuis le début de la pandémie. En France, plus de 100 000 cas détectés par jour. Heureusement, la vaccination tempère la sévérité des symptômes. Il semble que le variant Omicron atteigne davantage les enfants, jusque là plutôt épargnés. Les hôpitaux sont à l’extrême bord de l’asphyxie. Certains experts prédisent un blocage général de l’économie en janvier. Pas de confinement, pas de couvre-feu, des mesures comme le télétravail. Le pass vaccinal sera proposé à l’Assemblée nationale en janvier.

    Ève, Emmanuel et leurs enfants sont arrivés le 21. Nous avons pu nous réunir le 24, tous testés négatifs le matin même.

    Le Noël solitaire 2020, celui-ci en famille. Les Noëls se suivent et ne se ressemblent pas. La soirée du 24 fut particulièrement confiante, gaie et chaleureuse. Après les cadeaux, Thomas (12 ans) nous a proposé un Quiz drôle et imaginatif, qui les a tous mis en joie. Gilles et moi étions un peu largués.

    Ils sont ensuite partis dans les belles-familles. Le temps et l’inquiétude généralisée n’aidant pas, ces derniers jours ne baignent pas particulièrement dans l’allégresse. On verra bien !

    Le jeudi soir, j’ai laissé Gilles et les enfants à l’appartement pour aller voir La liberté ou la mort au Théâtre de Poche, Byron et la Grèce. Ce spectacle avait été reporté. Après quelques hésitations, nous y avions renoncé, mais Danielle Sarrat m’a prévenue que Denis Feignier de la Byron society en était revenu enthousiaste. L’avant-veille de la dernière, j’ai réservé un strapontin resté vacant.

    À l’entrée, pass sanitaire. J’ai eu la surprise de trouver Denis :

    — Je croyais que vous y aviez déjà assisté…

    — La direction m’a envoyé un mail, ce matin… me dit-il d’un air mystérieux,

    Je l’ai laissé. À l’entrée dans la salle, l’ouvreuse se démenait au milieu d’une file compacte.

    Ayant repéré ma place sur Internet, je l’ai cherchée des yeux. Elle était tout près et je m’apprêtais à sortir de la queue lorsqu’un homme s’est dressé devant moi, sourcils froncés, furibond. J’ai pensé qu’il n’appréciait pas mon initiative. Il s’est approché à vingt centimètres de mon visage et a lancé :

    — Qu’est-ce que vous me voulez ?

    Il avait cru que je le dévisageais ! J’ai préféré éluder :

    — J’ai peut-être eu l’impression de vous avoir déjà rencontré…

    Son compagnon est entré dans mon jeu :

    — Ce sont des choses qui arrivent.

    L’homme a concédé, magnanime :

    — Possible. J’habite le quartier.

    Je ne voyais pas le rapport, mais j’ai ajouté :

    — Avec ces masques, on ne sait pas à qui on a affaire.

    Son compagnon approuva, soulagé. Ils se sont introduits dans le rang devant moi et par la suite firent aimablement en sorte de ne pas me gêner. Je dois avouer que sur mon strapontin, j’étais merveilleusement bien, personne en début de rangée, jambes et bras à l’aise, avec une vue aussi panoramique que possible dans un si petit espace.

    Sur la scène, Sylvain Tesson avec sa gueule cassée d’aventurier, assis devant un bureau lisait des papiers, comme si de rien n’était. Une femme est montée sur la scène, pour recommander un port correct des masques et la mise sur « avion » des téléphones portables. Elle prenait des précautions oratoires, comme si elle craignait d’éventuels antivax et de possibles contestations. Les lumières se sont éteintes.

    Damned ! Qu’est-ce que c’est que ces détails concernant mon installation sur un misérable strapontin de théâtre ? « Débile ! » dirait Nicolas, le Don Juan d’Obtusobus.

    Ah, Byron ! Son génie fulgurant, sa vie tout entière tournée vers le scandale et le plaisir ! Sa fin dans la ville de Missolonghi, où il était allé défendre la liberté de la Grèce ! Voilà autre chose, du lourd ! Exit la mollesse et le confort, exit les tergiversations, exit les trains-trains et la morale. Vive les voyages, les excès, les femmes et vive la liberté !

    (à suivre.)


  • La thèse de Sara.

    Hier, le soleil illuminait le salon jusqu’au fond du bureau de Gilles. J’ai eu beaucoup de difficulté à m’extirper de ce bien-être hivernal et je suis partie vers l’atelier dans un métro bondé par les courses avant Noël et les touristes. Mal m’en a pris, j’ai saboté un « soleil levant dans la brume », une huile sur carton qui démarrait plutôt bien. Heureusement, ce n’est pas la première fois qu’en cours de route je pense avoir tout raté. Mes premières satisfactions sont souvent de courte durée. Reprenant mon travail, je m’aperçois en général qu’il y a lieu d’élaguer pour dépasser un cap. Dans un sens, c’est frustrant, mais j’aime le risque de l’échec. J’aime aussi reconquérir la surface à peindre et faire ainsi durer le plaisir.

    Lobtusobus. Andromaque.

    Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle

    Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle.

    La thèse de Sara à l’ENS, boulevard Jourdan. Photographie et écriture. Thérapie par l’image et reconstruction de soi, dans l’œuvre de quatre écrivains, dont Annie Ernaux et Hervé Guibert. Sujet original et multidisciplinaire. Très bien reçue par les membres du jury (une partie par visioconférence). Ils n’ont pas manqué d’apprécier un travail élaboré durant une pandémie qui a rebuté beaucoup d’étudiants. Comment auraient-ils su que Sara y avait trouvé des avantages ? Combien de fois, ne m’a-t-elle pas envoyé un message exprimant sa joie de se trouver seule dans une bibliothèque jusque tard dans la nuit ? Et maintenant ? Elle espère obtenir un postdoc. Elle a ses chances, étant données la qualité de son travail, sa rigueur, son inventivité naturelle. Iranienne, malgré un parcours universitaire agité, une existence parfois compliquée, elle a tenu bon et trouvé une place active au sein du monde littéraire de l’École Normale Supérieure. Elle est aussi diplômée des Beaux-Arts en Iran. J’aime les personnes qui m’étonnent et me surprennent.

    Pour cause de Covid, nous nous sommes retrouvés dehors sur la terrasse, au-dessus de la cité universitaire. La lune brillait derrière un grand peuplier dénudé. Malgré le froid, nous étions heureux d’être réunis autour d’elle et du jury. Bravo Sara ! Désormais, tu disposeras peut-être de plus de temps ! À bientôt !

    Une amie proche a failli se faire arnaquer à Genève. Une histoire complètement folle ! Un affreux chantage contre une grosse somme d’argent, avec sa fille en enjeu. Téléphone, stress, taxi vers la banque. Heureusement, malgré son affolement et les injonctions à se taire, elle est parvenue à alerter le banquier qui a fait venir un spécialiste. Les mêmes malfrats avaient déjà soutiré plus de 300 000 francs à des personnes dans des circonstances aussi barbares ! Comme elle a dû avoir peur ! J’espère que les malfaiteurs vont aller croupir le plus longtemps possible en prison pour méditer sur leurs actions. Toutes proportions gardées, cela m’a rappelé comment je me suis laissé embobiner autrefois par un faux vendeur dans la rue. Je n’y avais vu que du feu. Ils sont fins psychologues !

    Les enfants et petits-enfants vont arriver quelques jours avant Noël. D’ici là, on peut espérer que les restrictions vont attendre. Le nouveau variant omicron flambe maintenant dans le monde entier. Un reconfinement a été décrété aux Pays-Bas et au Danemark. Pour le moment on n’en sait pas grand-chose, si ce n’est qu’il est beaucoup plus contagieux que le variant delta, contre lequel nous sommes vaccinés trois fois mais qui protège seulement des cas graves. Quand je vois la foule se presser dans le métro et le port défectueux des masques, je me dis qu’il ne va pas régresser spontanément.

    Julien dans le TGV à son voisin qui s’entêtait à garder son masque sous le menton :

    — Mettez-le donc sur la tête, ça fera le même effet !

    L’homme s’est levé de son siège et n’est pas revenu.

    Les hôpitaux sont débordés. On espère que ce nouveau variant sera moins virulent, sinon…


  • Une semaine agitée

    Il arrive que les jours se succèdent comme s’ils étaient destinés à ne pas laisser de traces. Il ne se passe rien. Du lever au coucher, les heures défilent, scandées par des occupations quotidiennes. Je n’aime pas trop que cela dure. Pourtant, dépassées les impressions d’ennui, une sorte de routine fructueuse se met place, une maturation lente, mais perceptible des événements passés et à venir. Je savoure alors la lenteur du temps et je comprends un peu la vie réglée des méditatifs, leur mystérieuse implication au monde.

    Rien de tout ça, la semaine dernière ! Chaque jour a eu son histoire, ses rencontres. Rien non plus de très extraordinaire, mais une sorte de compagnonnage en continu, des bouts de chemin en commun. La crainte de voir le variant Omicron nous reconfiner ? En tous cas, Gilles a acheté un détecteur de CO2 qui a atteint à plusieurs reprises des sommets dans notre salon. Heureusement que nous avions tous eu le rappel du vaccin ! Et ce n’est pas fini, car Noël approche. Les enfants devront-ils comme l’année dernière loger dans mon atelier ?

    Mercredi, déjeuner succulent à la campagne, apéritif et café au coin du feu. Merci Simone, j’espère que tu n’as pas été trop fatiguée ! RER jusqu’à Lozère, puis en voiture avec Brigitte et Régis jusqu’à Rochefort. Retour sous la pluie, une équipée hivernale.

    Vendredi, avec Virginie et Yves, la Fondation Pinault. Nous y avons retrouvé tout à fait par hasard Célia Rupp-Pénichon, médiatrice des collections. Elle a commenté pour nous au deuxième étage le peintre afro-Américain que j’avais particulièrement aimé cet automne : Kerry James Marshall. Une belle surprise.

    En fin d’après-midi, nous avons pris le train pour Rouen. Dîner et soirée à Mont Saint-Aignan, à côté de Rouen, chez Bernadette et Jacques, les beaux-parents de notre fille. Nous en avons profité pour partager nos impressions de grands-parents sur l’évolution du monde. Il faut dire qu’il n’est pas facile de comprendre la mentalité actuelle et les références numériques !

    Le lendemain matin et c’était la raison de notre voyage, nous sommes allés écouter la soutenance de thèse de Guillaume Boussard sur sa traduction du De rerum natura de Lucrèce à l’université de Rouen. Un essai de réflexion sur le monde et son origine, datant de plus de 2000 ans, à la fois scientifique et poétique, qui change des affabulations sur internet.

    J’ai connu Guillaume au festival antique d’Argenton-sur-Creuse. Au bord de la fontaine romaine, il avait lu le début de sa toute première traduction. Assise sur les gradins de pierre, dans cet univers investi d’un passé qui revivait dans ses paroles, j’avais été éblouie par la simplicité et la musicalité des phrases rythmées en hexamètres. Retournée à Tougin, il m’avait envoyé au fur et à mesure la suite de son travail. J’étais nulle à l’école en latin, et je ne suis pas certaine que mes observations aient été bien pertinentes, mais j’ai été heureuse peu de temps plus tard de l’écouter en lire des extraits, accompagné au piano par Emmanuel Lascoux dans des lieux prestigieux comme l’ENS. Une merveille de vitalité et d’harmonie ! De nombreuses années se sont écoulées, durant lesquelles il a continué, terminé et peaufiné cet énorme travail, en parallèle de son métier d’enseignant en collège. Poussé par Philippe Brunet, aujourd’hui son directeur de thèse, il présentait ce samedi sa traduction devant un jury spécialiste de Lucrèce, de la poésie et sa métrique, de philosophie et de philologie, du beau monde…

    Je ne m’attarderai pas sur son exposé et les questions du jury. Il y aurait trop à dire. Son travail fut qualifié d’extrêmement novateur et brillant. Sa thèse fut reçue par l’Université avec les félicitations du jury. Une victoire pour Guillaume dont l’originalité n’avait pas toujours été bien perçue durant ses études. Il est maintenant attendu pour une publication et le développement de certains aspects. De quoi travailler jusqu’à la fin de ses jours !

    Durant quatre heures nous avons été confinés, certes avec des masques, mais dans une chaleur conviviale des plus suspectes. Bien que triplement vaccinée, j’avais même fini par demander à la pause qu’on ouvre les fenêtres… Paradoxe, bien français, quelques jours auparavant, l’université avait interdit les pots de thèse en raison de la flambée actuelle de la pandémie. C’est ainsi que nous nous sommes ensuite retrouvés chez Guillaume et sa femme Sandrine, un verre de champagne à la main, pour féliciter le héros encore un peu groggy. Nous connaissions pas mal de monde, du fait de Démodocos, la troupe de Gilles. Ce fut pour moi une joie de discuter avec les uns et les autres. Comme le temps tourne !

    Jacques et Bernadette nous avaient suivis durant toute cette aventure. Ils nous ont raccompagnés à la gare et nous avons juste eu le temps de sauter dans un train qui partait vers Paris-Saint Lazare.

    Le lendemain de nouvelles rencontres, Antoine et Pierre, à Saint Eustache puis au café, Françoise Gardiol, l’après-midi. Obtus Obus, le lendemain.

    Oui, une semaine bien remplie, pourvu que tout cela ne s’embrouille pas dans ma pauvre tête déjà trop remplie… en attendant le retour d’un peu de solitude méditative !


  • Semaine des rendez-vous ratés.

    Entorse de cheville : les 4 choses à faire en cas de douleur

    Depuis longtemps déjà, une réunion de la Byron society avait été prévue dans la ville de Montargis, le samedi 4 décembre.

    Au programme : départ gare de Lyon, une AG, la visite de l’exposition « Delacroix et le duel romantique » en compagnie de Sidonie Lemeux-Fraitot, sociétaire et commissaire de l’exposition. L’après-midi, exposé de Danièle Sarrat et Francesca Parrinello au sujet de leurs visites chez Byron et John Murray son éditeur, la publication de la traduction du deuxième chant de Don Juan par Danièle, et d’autres interventions. Retour le soir.

    La veille, alors que je m’apprêtais à choisir le gratin d’écrevisses, l’andouillette de Jargeau et le carpaccio d’ananas mariné à la menthe sur le menu du restaurant envoyé par Olivier Feignier, notre président, je dus me rendre à l’évidence. Ce n’était pas raisonnable ! Depuis le début de la semaine, ma cheville gauche me faisait souffrir, elle pouvait se bloquer et empoisonner ma journée, ainsi que celle de mes compagnons et des organisateurs. J’ai annulé ! Une gentille réponse d’Olivier m’a fait regretter la chaleur communicative de ce genre d’aventure. Ainsi va la vie !

    Nous avions auparavant refusé la proposition de Claudine d’aller ensemble ce jour-là écouter le concert d’Hervé à Trappes : des quintettes de Schubert et Boccherini avec Marianne Piketty et Xavier Phillips. Le samedi matin, ma cheville étant moins douloureuse, après tout, en voiture, c’était envisageable ! J’ai téléphoné à Claudine pour savoir si sa proposition tenait toujours. Elle me répondit qu’il était prévu qu’elle et Philippe y retrouvent Jacqueline et François, des cousins communs. Ils s’étaient mis d’accord pour dîner ensuite chez ces derniers à Marly. Il suffisait que je prévienne Jacqueline pour nous joindre à eux, ce qui fut fait.

    Nous avions rendez-vous à 17 h à la station Michel-Ange Molitor près de la sortie de Paris. Nous sommes entrés dans le métro à Grands Boulevards, ligne 9. Grands Dieux ! Vous n’imaginez pas la foule qui s’y pressait. Pas étonnant que le Covid flambe ! Ça courait dans tous les sens. Nous nous sommes entassés à la va-comme-je-te-pousse dans une rame qui avait mis du temps à arriver et prit du temps pour repartir. Une attente interminable à la station Richelieu-Drouot, de même à Chaussée d’Antin-Lafayette et nous avons commencé à stresser. À Havre Caumartin le métro n’a pas redémarré. Le temps a passé… Il n’était plus possible d’être à l’heure à notre rendez-vous. Nous sommes sortis sur le quai pour téléphoner au milieu du vacarme. Claudine et Philippe nous attendaient déjà dans leur parking. C’était raté ! Nous nous sommes excusés et nous leur avons souhaité une bonne soirée. Après un appel à Jacqueline pour lui expliquer la situation, la ligne 3 nous a ramenés à la station Bourse, plus proche de chez nous, ce qui a soulagé ma cheville de nouveau douloureuse.

    Le lendemain, Claudine m’a dit que le concert était magnifique, tout particulièrement le quintette de Boccherini, qu’il était resté la moitié du saumon frais et du gâteau qu’elle avait apporté. Qu’ils avaient vu Hervé et que la soirée avait été fort agréable.

    Il y a des jours où rien ne se déroule comme on voudrait. Une leçon à en tirer ? Peut-être que les événements ne se maîtrisent jamais tout à fait, qu’ils se réservent une mystérieuse marge de liberté.


  • Théâtre, swing et corona.

    Nous croisons notre voisin, un général à la retraite, il lance sous la voûte du porche d’entrée :

    — Le Beaujolais nouveau est arrivé !

    Je n’ai pas compris tout de suite, d’autant plus qu’il y a une quinzaine de jours, nous nous trouvions dans la fameuse Maison de bois à Mâcon un verre de Beaujolais à la main à attendre les cinq minutes fatidiques qui nous séparaient de son arrivée officielle. Beaujolais et Mâconnais sont proches parents. Tout juste sorti de son chai, il s’était révélé fruité, un peu râpeux, jeune et gaillard. Il m’avait réconcilié avec cette coutume à visée commerciale, devenue aujourd’hui internationale.

    Le général avait voulu dire que le Covid nouveau était arrivé !

    En effet, découvert en Afrique du Sud, un virus débarque depuis huit jours dans le monde entier à grand fracas, plus contagieux encore que le variant delta. A l’arrivée à Amsterdam, un tiers des passagers d’un avion en provenance de Johannesburg en était porteur. Toutes les liaisons aériennes avec six pays d’Afrique du Sud ont été suspendues. Aucun scientifique ne peut encore se prononcer sur sa dangerosité.

    Pour le moment, en Europe, c’est encore la quatrième vague de l’épidémie qui inquiète. Le pic des contaminations ne cesse de grimper. Du fait de l’hiver, on se retrouve dans des lieux clos et non ventilés. Les antivax nous disent que la vaccination est inutile, qu’elle est dangereuse, que c’est une atteinte à l’intégrité du corps, que l’obligation vaccinale est liberticide, que les vaccinés continuent d’être contagieux et j’en passe… Les provaccins, eux, estiment que c’est la seule issue possible. La Suisse où le virus flambe, après une campagne surexcitée, une « votation » à 66 % de oui a permis au gouvernement d’enregistrer une loi en faveur des pass sanitaires.

    C’est vous dire notre imprudence lorsque samedi dernier nous sommes allés au théâtre de la Huchette voir Les contes de Ionesco. Un spectacle enchanteur, vivant, coloré, une petite merveille.

    Les passes sanitaires et les masques étaient obligatoires. Cependant, de toute évidence les cinq ou six rangées d’enfants aux premiers rangs, trop petits pour être vaccinés ou masqués, la tranche d’âge ces temps-ci la plus contaminée, devaient représenter un sacré réservoir de Covid 19 ! Ils riaient tellement de bon cœur qu’ils devaient propulser une sacrée quantité de charge virale… ! Nous n’avons pourtant pas boudé notre plaisir, d’autant plus qu’Émilie Chevrillon qui avait mis en scène ce délicieux spectacle se trouvait placée derrière nous. Nous la connaissons et nous avons pu la féliciter et la remercier de tout cœur.

    Le lendemain, nous sommes allés au Théâtre de Poche pensant voir un spectacle de cabaret, nous nous sommes retrouvés devant un verre au fond d’une cave bondée. Personne ne portait de masque. La vie de Crazy bird, un gangster de Chicago a défilé sous nos yeux en épisodes drolatiques au son d’un orchestre de jazz. Et toute une bande de jeunes de vingt à trente ans s’est mise à swinguer au centre de la cave. C’était merveille de voir les couples virevolter, sauter en harmonie tantôt à distance, tantôt serrés l’un contre l’autre ! Voilà qui changeait des danses actuelles où chacun se trémousse tout seul.

    Nous avons dansé quelques minutes, ce qui nous a rappelé notre jeunesse. Un spectacle de clown devait suivre, mais nous n’avons pas tardé. Malgré nos trois doses de vaccins, nous n’avons pas voulu tenter le diable !

    Nous nous sommes retrouvés sur le trottoir de Montparnasse, ravis d’avoir affronté le destin pour autant de plaisir et de dynamisme.


  • Belleville et Bellegarde

     

    Au calme à Tougin depuis hier, je dois faire un effort pour me replonger dans le Paris agité de la semaine dernière.

    Claudine nous avait invités au salon Offprint, pour la vente exposition d’un Alphabet de son mari Olivier O Olivier, peintre et dessinateur de grand talent, décédé depuis maintenant dix ans. Elle nous avait raconté avec sa vivacité coutumière comment l’organisateur l’avait sollicitée pour publier cet inédit sous la forme d’un savoureux petit livre. Les circonstances en avaient été spontanées. Elle s’attendait à une présentation originale.

    En effet ! Déjà, dans le métro nous avons été happés par une foule de jeunes de toutes les couleurs de peau et de vêtements, crêtes de coq touffues, rires explosifs, qui profitaient joyeusement du samedi. À la station Belleville, comme nous cherchions un plan du quartier, Claudine qui sortait de la rame nous a hélés. Elle nous a dirigés d’un pas ferme le long du boulevard. Nous avons tourné sur la gauche dans une petite rue qui montait au loin vers les hauteurs de Belleville. Elle était encombrée par un groupe de jeunes occupés à jouer au football. Un ballon a bondi devant nous. Le trottoir était bouché par des supporters enthousiastes, l’un d’entre eux a probablement surpris de l’inquiétude dans mon regard, car il s’est écrié :

    — Laissez passer ! Laissez passer !

    Joignant le geste à la parole, il nous a tracé un chemin sous les ovations. J’entendis derrière moi :

    — Laissez passer tonton !

    Il s’agissait de Gilles. Et j’ai pensé à François Mitterrand. C’était tellement plus gentil que « pépé » !

    Nous nous sommes enfilés sous un porche qui conduisait à une courette bariolée de tags. Au bout d’une allée pavée bordée d’anciens ateliers d’artisans, nous sommes entrés dans un vaste entrepôt converti en espace culturel. Sur des tables, une masse de petits livres d’artiste tous plus inventifs les uns que les autres étaient proposés par leurs auteurs, lesquels jeunes et rieurs débordaient de vitalité. Mon regard s’est posé un instant sur une jeune fille. Cheveux orange dressés sur la tête, peau laiteuse et lèvres écarlates, anneaux comme des soucoupes dans les oreilles, vêtue de blanc de la tête aux pieds, elle me fixait de ses yeux bleus saphir bordés de noir comme si j’étais un animal étrange.

    Nous avons dévalisé le stand d’Olivier pendant que Claudine discutait avec l’organisateur du salon, la quarantaine décidée. La salle se remplissait d’un public enthousiaste. Mais nous devions rentrer rapidement pour un rendez-vous visio.

    En sortant, j’ai pensé à l’énorme travail que nécessite ce genre de livres. Leur conception, la mise en page, le dessin, la couleur, l’impression demandent une énergie hors du commun pour un bénéfice financier presque nul. J’ai pensé à cette réflexion de Claudine, laquelle a dirigé plusieurs galeries en vue : « J’éprouve une grande affection pour les artistes et pour leur œuvre. C’est pour moi à chaque fois un miracle ! »

     Le lendemain, nous avons pris le train pour Tougin. À Bellegarde, pas de car ! Nous avions oublié en achetant les billets que c’était dimanche. Il nous fallait poireauter deux heures ! Nous avons cherché à déjeuner dans une ville désertée par le repos dominical. Au complet, une pizzeria nous a envoyés avec notre valise à roulettes vers des collègues un peu plus bas dans la pente. Nous avons poussé la porte d’Il Destino, tout un programme !

    — Vous aviez réservé ?

    Nous nous étions déjà résolus à patienter le ventre vide dans la salle d’attente de la gare, lorsque le patron débarrassa une grande table ronde de ses couverts en excès. Le lieu fleurait bon l’Italie, accent, photos de la tour de Pise et du Colisée. Écartant la rubrique pizza à la vue d’une croûte un peu trop abondante sur le plateau d’un serveur, nous avons machinalement commandé des pâtes. Aux ceps pour Gilles, aux morilles pour moi, tout de même ! Quand nous avons vu arriver dans l’assiette de nos voisins des écrevisses à la sauce Nantua, c’était trop tard…

    C’est ainsi que les deux heures à poireauter filèrent agréablement. Autour de nous, des tablées de trois générations, des couples de retraités, des jeunes ménages réunis après avoir laissé les enfants aux grands-parents, un chiot qui mâchouillait l’écharpe de sa maîtresse à son insu, la famille des gérants du restaurant attablée après le coup de feu. Les coiffures n’étaient pas celles de Paris, les conversations non plus, il y aurait tellement à raconter !

    Mais j’ai dépassé la longueur habituelle de ces chroniques et je ne peux pas m’attarder davantage. Je veux juste ajouter qu’une végétation rousse recouvrait le bas de la montagne lorsque nous avons enfin pu rouler vers Tougin.


  • Familles : Pas de Calais, Pontoise, Paris.

    Il est des jours qui défilent, plutôt tranquilles. Sous le signe des familles, la semaine dernière fut plutôt variée et agitée.

    Gilles, Ève et Julien m’attendaient à la gare de Calais-Frethun. Le TGV, à peu près vide à Paris s’est rempli à Lille de travailleurs de retour chez eux. Un coucher de soleil sur les plaines du nord qui jouait avec les nuages et les arbres flamboyants de l’automne, puis l’obscurité totale m’ont rendue méditative. Citadine depuis deux mois, je redécouvrais la rotondité de la terre, sa rotation. Impression puissante surtout dans un train qui roule à près de trois cents kilomètre-heure, une broutille à l’échelle de l’univers.

    Après l’autoroute et une zone industrielle, s’enfoncer dans l’obscurité sur un chemin de terre chaotique au milieu des champs, se glisser sous les arbres, découvrir la maison basse et ses fenêtres éclairées, c’était s’introduire dans un conte de Perrault. Nous avons savouré l’accueil et le dîner de Philippe et Catherine, la soirée au coin du feu, le sommeil dans le silence de la nuit, le réveil au-dessus des marais, des mouettes et des cygnes, le petit déjeuner abondant. Le lendemain, nous avons fait un tour sur la plage de Wimereux. La mer… Je ne l’avais pas vue depuis la pandémie. Ses bleus, ses mauves, ses lueurs dorées m’ont sauté au visage. Son immensité, la mouvance qui s’approchait et reculait en sonorités fines sur les rochers de la digue m’a émue, comme un animal sauvage qui aurait cherché à se frotter à mes jambes. Je sais qu’elle peut être terrible, mais ce matin-là, elle n’était qu’harmonie. On voyait pourtant au loin des porte-containers hauts comme des immeubles. Et j’ai pensé au film de Visconti, Mort à Venise, revu il y a peu. J’ai vu la même lumière, les enfants blonds et leurs mamans, les cabines. Les hommes souples et musclés aux pulls et pantalons de qualité. Une bourgeoisie de bon aloi. Comment ne pas penser aux corps des migrants retrouvés sur la plage, le matin même?

    Visites de famille, retour au coucher du soleil dans une symphonie de jaunes et d’oranges laissant peu à peu la place au crépuscule et à la nuit. A l’approche de Paris, des embouteillages auraient pu nous faire croire que ce n’était qu’un rêve.

    D’autant plus que le lendemain, nous nous sommes retrouvés en famille au funérarium pour un hommage à Magalie. L’émotion m’a submergée lorsqu’après les évocations ont défilé des images d’enfant, d’adolescence, des repas de famille et d’anniversaires. Charlotte, sa contemporaine, s’est penchée à mon oreille : « Le masque est bien commode pour pleurer ». Nous l’avons encore évoquée au cimetière parmi les fleurs de la Toussaint, puis chez Dominique, sa sœur. Autour d’un buffet, nous nous sommes autant que possible réconfortés les uns les autres. Nous savions qu’elle aurait été heureuse d’être avec nous. Nous sentions sa présence et nous aurions voulu la serrer dans nos bras ! Que de questions sans réponse !

    Le soir, nous avons retrouvé les enfants à l’appartement, leur jeunesse, d’interminables discussions, leurs certitudes. Un plongeon dans le monde Internet. Ils m’ont raconté les montagnes de copains qu’ils y rencontrent à toute heure du jour et de la nuit. Alors que je trouvais tout cela bien virtuel, Marius m’a dit que profitant de son séjour chez ses grands-parents à Rouen, il avait pu donner rendez-vous à un ami avec lequel il correspondait depuis plus d’un an. J’essayais de leur expliquer que la rencontre « dans le monde réel », comme ils disent, est beaucoup plus aventureuse, risquée et donc plus enrichissante. Ils n’ont pas voulu opposer les deux mondes, les jugeant complémentaires. Peut-être !…

    Vendredi, Le Bourgeois gentilhomme au Ranelagh, dans une mise en scène vive et claire. Quel plaisir d’observer à travers les siècles les mêmes motivations et les mêmes sentiments humains ! On était loin du virtuel, mais j’ai constaté que la vanité de monsieur Jourdain avait des points communs avec celle des usagers d’internet qui prétendent tout comprendre et tout savoir en quelques clics sur un clavier. J’y ai vu le même aveuglement, la même absence de bon sens et surtout, cet entêtement qui conduit la société actuelle à des comportements compulsifs et dangereux.


  • Deuil et Espoir.

    Je déteste le mois de novembre. C’est le mois durant lequel beaucoup de ceux que j’aimais ont baissé les bras, comme s’ils avaient refusé de subir l’hiver, comme s’ils n’avaient pas jugé bon d’attendre le printemps.

    Nous sommes à nouveau frappés. Magalie s’est donné la mort ! Elle arrivait sur cinquante ans, célibataire, une belle carrière dans la banque au Luxembourg, dynamique et volontaire, une masse d’amis, bourrée d’humour. Ce fut un coup de tonnerre, une incompréhension généralisée. Pas un mot, pas une explication. Le Covid ? Usée par la solitude, par le télétravail ? Nous n’avons pas de réponse. Deux jours auparavant, elle envoyait des messages et communiquait sur Facebook. Elle avait le projet de descendre dans le midi en famille. Nous allons nous réunir autour de ses cendres et pleurer ensemble son absence, chacun seul devant le mystère de la vie et de la mort.

    Je n’aime pas le mois de novembre. Les arbres se dénudent pour presque six mois, imposant la vue de leurs troncs noirâtres, de leurs silhouettes décharnées. Le vent, la pluie vident les rues. Les premières gelées surviennent, on reste chez soi. Le jour tombe tôt à cause du changement d’heure. Et les soirées s’étirent. On attend le solstice d’hiver, la nouvelle année pour redémarrer. Et c’est long ! Janvier et février sont souvent plus froids, mais au moins les jours rallongent. En mars, on attend avril. Arrive enfin le joli mai ! Les fleurs, les feuilles sur les arbres !

    Pourtant, je ne suis pas certaine que j’aimerais vivre sans saisons. Leur alternance ressemble à la vie, à ses hauts et à ses bas, à ses variations. Elle m’évoque la lutte contre l’adversité, nos victoires et nos chagrins, les bonheurs qui surgissent quand on n’y croit plus, la renaissance après un deuil ou une maladie. L’hiver contraint à des efforts pour sortir de chez soi, scelle des amitiés, abrite des fêtes chaleureuses, concentre des réflexions et des projets.

    Il pleut, il rit sur Paris. Les parapluies s’ouvrent, les terrasses se remplissent au moindre rayon de soleil. Les sourires fleurissent. Et c’est toujours bon à prendre !

    Passage de Cécile et de sa petite fille Léocadie, 11 ans, de retour de Rome. Quel plaisir de tourner les pages de son carnet de voyage, de déchiffrer l’écriture enfantine, de la suivre dans l’évocation d’une semaine de découvertes, d’étonnements en compagnie d’une cousine ! Je revoyais avec elle comme si j’y étais la chapelle Sixtine, le Colisée, la place Navone. La petite fille revivifiait le passé avec l’insatiable curiosité des générations qui se succèdent. Elles avaient beaucoup marché dans une ville plus ou moins encombrée par le G20 réunissant les chefs d’État des grandes économies de la planète. Les hélicoptères tournoyaient. « Contrôles sécuritaires et sanitaires continuels ! ». J’imaginais un raccourci entre un passé enfui et un avenir incertain. L’énergie de Léocadie y glissait un message d’espoir.

    Je les ai accompagnées à l’arrêt de l’autobus 39 qui passe à la gare Montparnasse. Elles ont pu voir le Louvre et sa Pyramide, elles ont franchi la Seine au Pont-Royal, l’île de la Cité à l’est, Orsay, les Invalides et la Tour Eiffel à l’ouest, avant de regagner Bordeaux. La petite fille et sa grand-mère auront fait un beau voyage !