• Paris, Tougin, Grenoble, Tougin, Paris.



    Nous avons débarqué à Tougin dans une forêt vierge.

    Les camomilles avaient envahi le jardin. L’année dernière nous les avions laissées grainer. Petites étoiles blanches venues d’on ne sait où, elles étaient si jolies, si légères ! Mais à notre arrivée, elles avaient vraiment trop pris leurs aises autant dans les plates bandes que dans les allées. Nous les avons arrachées une à une. Il ne faut pas exagérer !

    Les roses étaient superbes. Le rosier grimpant au parfum délicat, les sévillanas d’un rouge éclatant en pleine forme. Depuis un an, le rosier de Monique redémarre. Il avait commencé son existence à Wimille près de Boulogne sur mer. Pas du tout le même climat ! Il avait quand même poussé en fanfare, petites boules roses serrées en grappes, jusqu’à ce qu’un nid de fourmis ne s’en prenne à ses racines.

    Le rosier blanc, rachitique pendant des années nous offre désormais des floraisons chaque année plus fournies. Il parait que les racines doivent dépasser je ne sais quelle couche avant de trouver dans la terre l’eau et ce qui leur convient. C’est vrai que l’arbre de Judée a pris son temps pour démarrer et le lilas aussi.

    D’ailleurs, le lilas avait tellement fleuri que nous avons dû le décharger. Il en aurait péri.

    Denis nous a donné un plan de capucines et des œillets d’Inde. Il les fait pousser à partir des graines de l’été. Garantis solides, et de bonne composition. Indispensable pour leur survie après notre départ !

    Les plans de fleurs jaunes, genre héliotropes, qu’Ève nous a donnés l’automne dernier, ont pris le dessus sur les herbes à chat. Cette plante est réputée pour résister à toutes les sécheresses, mais il faudra la tenir à l’œil. Elle se plait à envoyer des racines sur des distances considérables.

    Un jardin même petit comme le nôtre est le terrain d’une guerre sans merci, sur lequel il est nécessaire de veiller pour que chacun trouve sa place, y compris les jardiniers, les dîneurs et les amateurs de lecture sous le parasol.

    Les oiseaux ? Manifestement, nous les avons dérangés, surtout le couple de merles. On dirait qu’ils ont fait leur nid dans la haie. Un festival au lever du soleil ! Ils se répondent d’un bout du village à l’autre. Qu’est-ce qu’ils peuvent bien se raconter ?

    Nous ne distinguons pas vraiment le chant des autres oiseaux, sauf peut-être celui des mésanges parce que Pierre Michelot un jour m’a dit qu’ils disaient : « Taille vite, taille vite… », et que je crois entendre un cri ressemblant à cette injonction printanière. Plus familier, le pépiement des moineaux, la même volée depuis des années.

    On pensait que la corneille handicapée n’avait pas passé l’hiver. On a entendu son cri plus que bizarre. Il semble qu’elle se soit mise en couple. Denis nous a dit en avoir retrouvée une morte derrière le cabanon de Marcel. Je me suis demandé si elle n’avait pas profité d’un veuvage opportun.

    Un combat sans merci se livre sur nos têtes entre les corneilles de la plaine et les rapaces du Jura. Je dois avouer que je suis du côté des busards, leur cri est moins désagréable que celui des corvidés. Ils font le vide en un rien de temps. Ils piquent sur leur proie et visent les yeux.

    Je suis allée chez Nick, notre voisin anglais. Je lui avais demandé si je pouvais jouer ma petite sonate de Mozart sur son piano, histoire de voir la différence et surtout pour vaincre ma crainte de jouer devant un public. Il a été charmant et m’a offert un nocturne de Chopin, juste pour le plaisir. Il étudie en ce moment la sonate Hammerklavier de Beethoven, une montagne !

    Tout cela est bien futile lorsque le monde s’étripe et s’autodétruit.

    Dans le train, un enfant. Environ 14 ans, blouson de cuir, yeux perdus errant sur les rochers crevassés du Jura. Arrivent les contrôleurs. Il tend son portable.

    Ils se lancent des regards entendus :

    — Do you speack english ?

    L’adolescent fait signe que non.

    — Have-you money ?

    Il hoche la tête.

    — Passport ?

    Toujours non.

    — Identity card ?

    L’enfant sort d’une poche intérieure de son blouson une carte plastifiée.

    Le chef des contrôleurs la photographie, lui fait signe que ça va et s’éloigne après lui avoir dit quelque chose comme : « Be much ! ». Un Ukrainien ? Probable, ils peuvent circuler gratuitement sur le réseau français.

    L’enfant était propre, mains, ongles, cheveux coupés et lavés de frais. Avait-il passé la nuit dans un refuge genevois ? Il n’était probablement pas le seul de son genre, car à plusieurs reprises on a entendu, entre deux annonces, cette recommandation inhabituelle :

    — Prenez garde à vos effets personnels. Des pickpockets sont susceptibles d’agir dans le train.

    La misère du monde dans l’opulence d’un TGV Genève-Paris, avec pour seul lien avec les siens un portable, comme un cordon ombilical.


  • Reddition de Marioupol. Anatole Liebermann.

    Sur ordre du gouvernement ukrainien, les derniers militaires ont quitté les abris antiatomiques de l’usine Azovstal pour se rendre. À la suite de négociations, des échanges sont plus ou moins prévus avec des prisonniers russes. Mais des procès se préparent en Russie pour justifier la guerre en prouvant au monde que les soldats du régiment Azov, les tout derniers à se rendre sont des nazis. Dans les pays totalitaires, les jugements sont par nature truqués. Poutine saura fabriquer toutes les pièces et justifications qui lui seront nécessaires et le peuple russe continuera d’approuver la guerre.

    De son côté l’Ukraine juge des prisonniers russes pour leur implication dans des crimes de guerre, viols, massacres de civils.

    La Finlande et la Suède ont décidé de rejoindre l’OTAN.

    Le Covid marque le pas pour le moment et le soleil aidant nous profitons du printemps.

    Que de retrouvailles ! J’en évoquerai une, qui m’a particulièrement touchée.

    Pendant de nombreuses années, nous sommes allés écouter Anatole Liebermann. La simplicité de son jeu, une sorte de limpidité sans esbroufe dans ses suites pour violoncelle seul de Bach nous enchantait. Nous l’avions connu et rencontré à Philomuses chez Chantal Stigliani, une autre amoureuse de Bach.

    Né à Moscou, il y a fait ses études. Lauréat du conservatoire Tchaïkovski, il a fondé le fameux trio du même nom, apprécié et connu dans le monde entier. Parvenu à s’échapper d’URSS dans des conditions dont il n’aime pas parler, il nous a raconté qu’il avait connu chez eux les plus grands violoncellistes Tortelier, Pablo Casals. Il avait porte ouverte chez Pierre Fournier en Suisse. Son humour, ses histoires juives nous ravissaient, même si je n’en comprenais qu’un mot sur deux en raison de son fort accent russe.

    Avant le Covid, nous l’avions vu à l’occasion d’une master class d’Éric Heidsieck (évoquée dans une précédente chronique). Il n’allait pas bien du tout. À la suite d’une négligence de paperasse, la banque propriétaire lui avait repris son violoncelle, un instrument italien de 1725. Il ne s’en remettait pas. Une partie de lui-même était morte à jamais.

    — Ma carrière est finie, je suis vieux, nous avait-il confié, avec un désespoir qui faisait presque craindre pour sa vie.

    L’année dernière, nous l’avions revu lors du concert de Qing Li à Philomuses, il n’allait pas mieux. J’étais assise à côté d’Éric Heidsieck et de sa petite fille Muse. Juste derrière nous, son mutisme et son visage serré m’avaient inquiétée. Je lui avais demandé :

    — Ça va, Anatole ? (J’adore son prénom !)

    Il m’avait répondu d’un « oui » étranglé et je n’avais pas insisté.

    Cette soirée (évoquée elle aussi dans une précédente chronique) avait été exceptionnelle, particulièrement brillante et émouvante. Au moment des applaudissements, un doute m’avait saisie et je m’étais retournée. La chaise était vide, il était parti…

    Et voilà que nous étions conviés à venir l’écouter à Philomuses ! Comment était-ce possible ? Une fleur que lui faisait Chantal ? Réflexe de fidélité ? Amitié ? Nous nous sommes inscrits pour les trois suites de Bach pour violoncelle seul annoncées sur Internet.

    L’endroit est intime, une trentaine de chaises seulement, du beau monde un peu intimidant. Chantal nous a dit :

    — Je ne vous présente pas Anatole Liebermann. C’est une star. Il ne compte que des amis !

    Elle a distillé la composition des suites : allemandes, gavottes, sarabandes, gigues.… J’avais oublié qu’il s’agissait de danses.

    Il a surgi des coulisses dans un costume sur mesure, très classe, genre Kenzo. Un sourire, deux ou trois blagues, pour remercier Chantal et il a démarré sans une ombre d’hésitation.

    Et, nous avons retrouvé les suites d’autrefois…

    Mieux encore ! Après l’entracte, la musique s’est envolée avec une grâce, une vie comme il est très rare d’entendre Bach, que beaucoup veulent résumer à des compositions savantes. Tous les sentiments humains s’y sont mêlés dans un mouvement d’une force assumée, associée à une grâce aérienne. Au moment où je me mettais à gigoter avec le rythme, comme je ne peux m’empêcher de le faire quand ça balance (je m’étais placée sur une banquette derrière !), j’ai entendu Éric Heidseick venu avec son épouse Tania chuchoter :

    — Magnifique ! Dansant !

    Lorsque la voix presque humaine du violoncelle a cédé la place au silence, le grand pianiste fut le premier à se lever pour applaudir. De sa haute taille, il a salué son ami avec une déférence émouvante.

    Quant à moi, je voulais vous dire combien la renaissance d’Anatole Liebermann m’a réchauffé l’âme en ces temps de guerre, de marasme économique, de climat qui se détraque.

    Une revanche sur le malheur ! De l’espoir. On en a tellement besoin ! Merci !


  • Paris au printemps

    Vendredi, un délicieux concert de mélodies françaises, Fauré, Ravel, Verlaine… Des mélodies folkloriques de Benjamin Britten m’ont fait penser à Julian Snelling qui l’aimait tant. Ada Bonara, une voix mezzo soprane, juste et chaude, associée à Manon de Preissac, harpiste.

    Nous nous sommes ensuite retrouvés plus d’une dizaine dans un bistro autour d’Ada. Bourrée de talent, très belle femme, elle pratique mille activités créatrices, trop nombreuses pour être énumérées en quelques lignes. Paris, banlieue populaire, province, campagne. Peut-être à une autre occasion…

    Samedi, Jean Cocteau et les dimanches de Carnetin à l’ENS.

    Une correspondance entre Cocteau et un prince roumain, remise en main propre au conférencier par le fils de celui-ci. Dix-sept lettres interrompues subitement. Le travail du chercheur, un spécialiste du poète avait surtout consisté à trouver la raison de cette interruption soudaine à travers les documents répertoriés. Il en avait trouvé trois, toutes aussi savoureuses les unes que les autres. Je vous cite celle-ci :

    Lors de leur deuxième et dernière rencontre à Paris, Cocteau avait demandé au prince de l’accompagner à une soirée mondaine dans un château assez éloigné de Paris. À l’arrivée, il l’avait abandonné dans le taxi, à charge de payer la course, aller et retour. Le prince était beau, titré, introduit au Palais, mais fauché comme les blés. Il avait été obligé de donner l’adresse d’une amie pour pouvoir payer la course. « J’ai été un peu déçu ! » avait-il déclaré.

    Exposé qui n’a pas revalorisé l’image que je me fais de Cocteau.

    Les dimanches de Carnetin, par Jean-Bernard Garreau. De 1904 à 1907, un groupe d’écrivains de situations sociales, de fortunes, de renommées contrastées, dont le riche et célèbre Valéry Larbaud, se retrouvaient chaque dimanche dans une maison modeste louée à Carnetin, un village de banlieue accessible par le train. Marguerite Audoux en était l’unique femme. Couturière de métier, ancienne bergère, elle avait publié un roman, Marie-Claire. Inspiré de sa vie et vendu à plus de cent mille exemplaires, traduit dans le monde entier, le titre a donné son nom au journal qui existe encore. Un rare exemple de mélange d’opinions politiques ayant abouti à une amitié commune et profonde malgré des divergences et des disputes.

    Nous avons continué les discussions dans un bistro, rue Gay Lussac. Nous avons évoqué les cheveux gris ou blancs, omniprésents dans le public des concerts de musique classique ou dans ce genre de conférences. Une fois disparus qui les remplacera ? Les jeunes se précipitent dans ces enseignements, mais ils sont absents dans les salles.  

    Dimanche matin, alors que j’allais à Saint-Eustache retrouver Pierre et Antoine, un nombre inhabituel de joggeurs courrait sur le trottoir.

    — Une course qui passe devant les monuments de Paris. Ouverte à tous, on peut même marcher, me dit le bénévole vêtu d’un gilet vert-pomme qui les dirigeaient vers la place des Victoires.

    Hélas, Pierre n’était pas encore revenu d’Évian et je suis retournée chez moi par le jardin des Halles. De la musique provenait du kiosque. N’importe qui peut s’y produire et c’est souvent intéressant. Hip hop, musiques du monde. J’ai décidé d’aller y faire un tour.

    En fait, le bruit provenait de la grande allée. L’enregistrement et le départ de la course, intitulée Run in the City, y étaient installés, deux files, une pour le circuit de 15 km, une autre pour celui de 9 km. Sur un podium, un animateur envoyait musique et instructions.

    En l’espace de quelques minutes, une foule de joggeurs s’est amassée vers le portail de départ. Des jeunes pour la plupart, mais aussi d’autres plus âgés, tous revêtus de couleurs fluos. La foule lâchée par paquets, se dispersait selon les circuits, à droite ou à gauche de la Bourse de Commerce. Des groupes hilares, des copines bavardes, des vieux bravaches, quelques solitaires au visage concentré. Les numéros de dossards, autour de 1000 devant la Grande Poste, atteignaient maintenant les 10 000 ! Des panneaux fléchés avec la recommandation : On respecte le code de la route, des bénévoles en gilets aux carrefours. À ma question, on a répondu que tout avait été organisé par Internet. Cela faisait plaisir de les voir courir dans le soleil, rieurs et dynamiques. Internet a du bon ! Comme on était loin des pays totalitaires et de la peur qui se répand ces temps-ci dans le monde entier !

    Attraction du parcours, place des Victoires, une fanfare jouait à côté d’un vieil autobus à plate-forme. Je me suis approchée.

    — Sans vouloir vous offenser, me dit un jeune homme, vous avez dû les utiliser de votre temps.

    — Bien sûr ! La meilleure place était sur la plate-forme, à l’air libre.

    — Mon grand-père était poinçonneur d’autobus, me dit-il.

    Et il ajouta :

    — C’était un bon poste. Il aimait son métier. Dans la famille, c’était celui qui avait réussi !

    Il ajouta, en riant :

    — C’est pas comme moi !

    Nous avons discuté un petit moment. En le quittant, je lui ai dit :

    — Je suis très fière d’avoir rencontré le petit-fils d’un poinçonneur.

    Il me lança un sourire radieux.


  • Guerre et paix

    La chaleur arrive. Les touristes sont revenus. Pas tout à fait les mêmes qu’avant la pandémie. Pas de Chinois. Interdiction pour eux de quitter le pays. Shanghaï et Pékin sont plus ou moins confinés en raison de la politique du Covid zéro. Pas de Russes à cause de la guerre en Ukraine. Beaucoup de familles, à croire que tous les enfants d’Europe sont en vacances, on entend surtout parler anglais, allemand, italien, espagnol.

    Un tourisme sympathique, de bon aloi. Et cela fait plaisir de savoir que Paris reste synonyme d’un art de vivre. À les voir heureux, j’accepte mieux l’encombrement des trottoirs, leurs hésitations dans le métro.

    Il faut profiter du recul de la pandémie, surtout quand les menaces de Poutine se font de plus en plus pressantes. Il aurait le doigt posé sur le bouton nucléaire. Il a annoncé cette semaine à notre président qu’il pouvait anéantir Paris ou Londres en deux minutes si nos pays continuaient à fournir des armes à l’Ukraine.

    Les dernières évacuations de la zone portuaire de Marioupol ont été effectuées cette semaine. Il n’y reste plus que quelques centaines de soldats du régiment Azov, ces troupes, à l’origine paramilitaires, ayant commis des exactions, des tortures en 2014 dans le Donbass et qui ont servi de prétexte à la prétendue nazification de l’Ukraine et à son invasion par les troupes russes. La ville est détruite à cent pour cent.

    Surprise ! Le défilé de la Victoire de 1945 sur la place Rouge n’a pas été trop provocant. On s’attendait à voir parader l’énorme avion destiné durant la guerre froide à embarquer le gouvernement soviétique. Poutine l’avait fait sortir de son hangar sous les caméras pour l’occasion. Il n’en fut rien. Aucun avion, un discours moins belliqueux que ces derniers mois, une couverture sur les genoux à la Roosevelt, que se passe-t-il ?

    Alors que la guerre sévit en Ukraine, nous savourons le printemps ensoleillé, l’instant, le plaisir de pouvoir circuler librement.

    Hier soir, une partie de notre petite troupe est restée jusqu’à minuit à travailler autour d’Émilie, devant une bière, à une terrasse de café de la place Saint-Michel. Il faisait bon.

    Je savoure ici la liberté de vous raconter ce qui me passe par la tête et de taire ce que je désire garder secret. Je savoure la liberté de vous embrasser par écrit, quand bien même il est encore conseillé de garder les gestes barrières.

    J’aime surtout penser à notre liberté d’aimer, cette aventure de tous les jours. notre bien le plus précieux. Chaque jour à remettre en chantier. Fragile.

    Ne laissons pas se répandre les anathèmes, les mensonges, les inventions de complots et les idées toutes faites, ces ingrédients des pays totalitaires qui prolifèrent sur les réseaux sociaux.

    — Bobards ! disait mon oncle Lafuma, qui en connaissait un rayon. Ils les avaient soigneusement découpés et collés dans des recueils durant la Deuxième Guerre mondiale. Je me demande d’ailleurs ce qu’ils sont devenus…

    Nous avons eu le très grand plaisir de revoir Sally et Roger, nos amis de San Francisco. Cinquante années d’amitié partagée. Ils aiment tant la France qu’ils ont encore et après deux années d’absence trouvé le courage de supporter douze heures d’avion pour venir passer un mois à Saint Julien, leur cher village de Dordogne. Leurs enfants vont venir les y rejoindre. Nous nous reverrons à Paris à leur retour. Nous nous en réjouissons à l’avance.


  • Défilé du 1er mai. Bouquet de lilas

    Le défilé du Premier Mai, assez peu fourni, s’est déroulé sans incident majeur, si ce n’est que les blacksblocs ont comme d’habitude cassé des dizaines de vitrines, pillé des magasins et incendié des poubelles. La police en a arrêté une cinquantaine, naturellement les moins mobiles. Les traditionnels services d’ordre des syndicats ne sont plus capables de gérer cette nouvelle forme de violence. Le droit de manifester se heurte à la violence pour la violence.

    Je me suis souvenue de Nick et Laura, nos voisins anglais de Tougin. Comme je leur disais que les manifestations reprenaient à Paris et qu’on évitait de sortir le samedi, ils m’ont dit :

    — Nous connaissons. Nous avons habité boulevard Voltaire.

    Le trajet République-Nation !

    — On les voyait passer sous nos fenêtres…

    Devant ma surprise, ils ont ri. Humour anglais oblige, ils ont continué :

    — D’ailleurs, c’est pour ça qu’on s’est installé tout près de la frontière suisse. Ici au moins on est protégé de tout, même des attaques nucléaires… grâce aux banques.

    Gilles m’a rapporté de la rue Montorgueil un bouquet de lilas. Tout tardif qu’il était, je n’en avais encore jamais vu d’aussi beau, d’aussi odorant. Ses fleurs simples très dessinées se dressaient en grappes touffues et luxuriantes. Probablement le produit des dernières recherches horticoles. Il était accompagné d’une branche d’obier fléchissant sous le poids de quatre boules de neige. Les lilas et les boules de neige dans le jardin de ville de mes parents émerveillèrent les printemps de mon enfance et je n’eus de cesse d’admirer mon bouquet, de me réjouir du parfum qu’il répandait dans le salon.

    La vendeuse s’installe chaque week-end au carrefour de la rue Montorgueil et de la rue Bachaumont, près de l’inscription sur la chaussée évoquant le dernier jugement et la dernière exécution (1750) pour homosexualité en France. Foulard sur la tête, Rom d’Europe de l’Est, une cinquantaine d’années, elle commence par vendre des jonquilles en février-mars à l’aide de quelques mots en français. Deux bottes pour pas cher. Puis elle continue en avril-mai avec du lilas et du muguet.

    J’ai d’abord pensé que ces jonquilles provenaient des bas-côtés des autoroutes urbaines, du boulevard périphérique. Mais non ! Les siennes ne sont pas rachitiques et recouvertes de poussières grasses comme j’en ai vu proposer à la sortie du métro Louvre.

    En savourant mon bouquet, je pensais qu’il ne provenait pas non plus des Halles de Rungis. Beaucoup trop luxuriant, beaucoup trop vivace ! Il avait été cueilli le matin même dans un jardin ! J’imaginais les chapardeurs escaladant à l’aube sans bruit une grille ou un mur de clôture dans une banlieue cossue proche de leur campement. Je songeais aux propriétaires exaspérés ou fatalistes.

    En examinant mon bouquet de plus près, il me vint à l’idée qu’un lilas aussi exceptionnel ne pouvait provenir que d’un lieu exceptionnel et j’ai pensé à nos promenades au parc floral de Vincennes, à Bagatelle… Il avait probablement poussé dans un de ces jardins botaniques dont nous avions tant parcouru les allées lorsque les enfants étaient petits, nous glissant entre les arbustes croulants de fleurs au printemps : lilas, obiers, aubépines roses et rouges, seringats rares, soignés par des jardiniers amoureux, dévoués à leur cause comme à la survie de la planète.

    Destin bien étrange, de naître accompagné de mille soins savants dans une serre ex-royale et de se voir proposé, sorti d’un seau par les mains brunes d’une femme à plus de mille kilomètres de son misérable village, aux bobos de la rue Montorgueil, purs produits de la civilisation occidentale et démocratique pour embellir leurs salons Ikéa !

    Hélas, une fois cueilli, le lilas se fane vite, plaisir intense mais de courte durée. Il eut peut-être été préférable qu’il finisse ses jours dans son domaine enchanté !

    Ce matin, j’ai pu en sauver une dernière tige. Les boules de neige tiennent encore bon, pour le moment.


  • Retour à Paris. Elections présidentielles

    Emmanuel Macron est élu avec 58,5 % des voix. Ouf ! Mais, près de 42 % des électeurs se sont portés sur l’extrême droite et le même pourcentage des voix de Macron s’est contenté de faire barrage à Marine Le Pen. Même si c’est la première fois qu’un président de la République est réélu, hors cohabitation, il n’y a pas de quoi pavoiser ! Les Français qui ne parviennent pas à boucler leurs fins de mois ont exprimé leur mécontentement, ils sont de plus en plus nombreux. Les législatives vont suivre dans deux mois. Elles réservent des surprises.

    L’Europe souffle. De cette élection dépendait son unité face aux volontés guerrières de Wladimir Poutine, dictateur soutenu par un peuple trompé par une propagande héritée de l’ex Union soviétique et qui, peinant aussi dans la Russie profonde, se cherche des ennemis.

    Le monde entier croyait que l’armée russe serait à Kiev en deux jours, elle s’est révélée moins puissante et surtout moins organisée qu’annoncée. L’armée ukrainienne entraînée, armée par les Occidentaux résiste depuis des semaines. Retirés de la banlieue de Kiev, les Russes déversent désormais des milliers de missiles (on ne dit plus « bombes »…) sur le sud et l’est de l’Ukraine. Les survivants de Marioupol, femmes et enfants, sont terrés et affamés dans les caves depuis un mois. Et on croyait la guerre finie pour toujours en Europe !

    Dans le TGV de retour.

    Sitôt installés, nous avons déballé les sandwiches préparés par Gilles, une habitude. Ils sont bien meilleurs, plus frais que tout ce qui nous est proposé à la gare et dans le train. Nous sommes encore passés par Seyssel. L’éboulement sur la voie de Nantua semble sérieux ! Nous avons roulé dans la vallée austère et encaissée, creusée durant des millions d’années par la petite rivière qui serpente entre des murailles percées de marmites du diable, l’ancien trajet, avant de quitter le Jura.

    À cette saison, le train accompagne le coucher du soleil de la Bresse jusqu’aux collines du Beaujolais en se glissant dans une symphonie de bleus, de verts, d’orangés, de rouges.

    À partir de Mâcon, le train circule à grande vitesse et le crépuscule aidant, les passagers se replient sur eux-mêmes. Bercés par son ronronnement puissant, ils somnolent ou regardent leurs écrans.

    À ce sujet, je veux décrire le comportement de notre voisine de devant. Un spectacle trop fréquent dans nos nombreux trajets pour ne pas être un phénomène de société.

    Depuis Bellegarde jusqu’à Paris, elle a regardé un feuilleton américain sur l’écran de son ordinateur. Episode après épisode, j’ai vu défiler quantité de beaux jeunes gens, la trentaine, surtout des femmes, presque toujours filmés en lumière artificielle. Maquillage sophistiqué même au lit, robes élégantes et costumes-cravate. Dans des bureaux, dans des soirées cocktails, dans des appartements soigneusement décorés. Lèvres et yeux brillants. Ils parlaient. On voyait leurs lèvres bouger, bouger, sans s’arrêter. Impossible de savoir ce qu’ils se disaient, le casque étant heureusement désormais obligatoire. Des lèvres trop rouges ou des sourcils trop noirs, quelques grimaces laissaient deviner quand on avait affaire à de mauvaises personnes. Ils se ressemblaient tous, seules la couleur des cheveux et quelques mèches plus ou moins frisées ou relevées les distinguaient les uns des autres.

    Pour avoir entendu leurs propos avant l’obligation du casque, je savais qu’il s’agissait de rivalités de bureau et d’intrigues amoureuses. Toujours les mêmes. La femme devant son écran avait le même âge, un peu plus avancé, la quarantaine, le même maquillage, la même tenue élégante et décontractée, un étroit foulard de soie sur des mèches étudiées. Aucun sentiment ne troublait son visage fixé sur l’écran. Je me demandais comment elle pouvait survivre à tant d’ennui, lorsque je la vis sortir son Smartphone. De ses doigts aux ongles vernissés, elle tapota le reste du voyage sur un jeu de taquin, tout en continuant de regarder de temps en temps l’ordinateur.

    Je me souviens d’avoir autrefois été scotchée devant le feuilleton californien Santa Barbara, un défilé semblable de personnages jeunes et beaux. Mais ce qui me frappe dans le TGV, c’est que plus les années passent et plus les hommes regardent ces séries (en versions masculines) avec peut-être encore plus d’intérêt, comme s’ils cherchaient un mode d’emploi, une clé pour leur réussite personnelle, des modèles incontournables. Cela se devine à leur visage tendu, leurs coupes au rasoir, à leurs costumes-cravates, à leurs chaussures cirées. Quelles peuvent en être les conséquences sur la société ? Quelle que soit la réponse, les premiers gagnants en sont à coup sûr les producteurs : tournage bon marché, large diffusion.

    Pendant ce temps-là, nous avons peiné sur le mot croisé du Canard enchaîné. Définition : Un monde de brut. Réponse : OPEP.

    Le Festival du livre dans le Palais Éphémère du Champ de Mars.

    Amélie Nothomb évoquait son père devant un amphithéâtre bourré à craquer. Sa voix semblait se briser à chaque mot. Pourquoi ai-je eu l’impression qu’elle était dévorée par son public ?

    Samedi soir, nous avons revu le film de Jacques Demy : Les Demoiselles de Rochefort. Un hommage à la suite du décès de Jacques Perrin. Poétique et dérangeant. Un très beau film.

    Et puis, je veux vous dire que Caroline est venue avec un bouquet de muguet de sa terrasse et que demain, nous allons recevoir les trois générations. La dernière, Gabrielle, arrive sur ses deux mois.


  • Le printemps à Tougin.

    Vendredi matin en allant chez l’ophtalmo pour une visite de contrôle, j’ai eu la surprise de voir les marronniers du boulevard Pasteur en fleurs. Pyramides roses ou blanches dressées sur les feuilles en éventail. Cette année, contrairement aux autres années, l’hiver m’a paru court. Peut-être parce qu’il n’a pas été aussi froid et pluvieux que d’habitude. Un bienfait du changement climatique ?

    L’après-midi, nous avons vu défiler depuis le TGV de grandes surfaces de colza, peut-être une conséquence de la guerre en Ukraine, grenier de l’Europe, nappes jaunes d’or alternant avec le vert tendre des blés de printemps. Mais c’est surtout à l’arrivée dans notre petit jardin que le renouveau nous a sauté aux yeux,… et aux oreilles. Un merle lançait ses trilles entortillées, les mésanges criaient « taille vite, taille vite ». Les moineaux pépiaient en se poursuivant. Les bourdons bourdonnaient, les sittelles s’appelaient d’un bout du village à l’autre.

    Les muscaris bordaient la serre d’un tapis bleu outremer. Les jonquilles jaillissaient des corbeilles d’argent. Sous le prunus, les grosses tulipes jaunes et rouges, fidèles parmi les fidèles depuis cinquante ans, n’avaient pas pris une ride. Les roses de Noël finissaient de fleurir. Elles avaient de toute évidence affronté la neige en beauté. Aux alentours, la blancheur un peu rosée des pommiers vibraient dans la lumière du soleil.

    Tout cela n’avait cependant rien à voir avec le Sacre du printemps de Stravinski et son explosion de vacarme, sa mise à mort. Dans un calme à mille lieues des rues de Paris assaillies par des nuées de touristes traînant à grand bruit leurs valises à roulettes, le Jura déroulait ses crêtes dans un silence majestueux. Des plaques de neige dessinaient sur ses pentes des souvenirs de l’hiver. Un aigle a plané au-dessus du jardin et le petit chat gris est venu voir qui pénétrait dans son domaine.

    Le lendemain, nous avons salué nos voisins, demandé des nouvelles sous le soleil. Marcel et Jacqueline recevaient leurs enfants et petits-enfants. Léonard et Romi, la petite voisine, 4 ans tous les deux, jacassaient en faisant des concours de trottinettes. J’ai dit bonjour à Denis :

    — Dis donc, Denis. J’ai vu tourner des mésanges autour du nichoir. Tu ne crois pas qu’en nous voyant arriver, elles vont déserter leur nid. Il vaudrait peut-être mieux entrer par la porte sur la rue ?

    Denis est mon informateur pour tout ce qui concerne la nature. Élevé dans une ferme, il s’y connait. Il a haussé les épaules :

    — Mais non, elles savent très bien que vous ne leur voulez pas de mal. Elles savent que vous n’êtes pas des chats ! Notre nichoir est juste à côté de la fenêtre et nous cohabitons très bien. Il est vrai qu’elles y ont intérêt, nous les nourrissons.

    — Qu’est-ce que vous leur donnez ?

    Je pensais aux paquets de margarine suspendus dans les jardins du village. Il m’a répondu :

    — Nous, on leur donne des graines de tournesol.

    Et j’ai pensé au jardin de ville de mon enfance qui fourmillait d’oiseaux. On n’aurait pas eu l’idée de les nourrir sauf pour essayer de sauver les oisillons tombés du nid. On leur donnait du pain trempé dans du lait et naturellement ils ne survivaient pas.

    Samedi, nous avons déjeuné au soleil, au milieu des herbes qui commençaient à pousser. Quel plaisir ! L’après-midi, la bise s’est mise à souffler. Il a fallu fermer les fenêtres et la nuit fut fraîche.

    Le jour de Pâques, nous sommes allés dire un petit bonjour au Léman. Agité par la bise, de violet à l’horizon, il virait au bleu outremer, puis se teintait d’indigo, puis de vert et finissait en vagues dorées par le soleil. J’aime tellement leur chanson sur les rochers !

    Le lundi, la famille d’Ève est venue pour la journée. Il a fallu déjeuner à l’intérieur. Les garçons nous ont aidés à couper quelques branches du prunus qui a tendance à prendre toute la place. Les parents partaient le lendemain pour Gênes en amoureux. Nous nous sommes quittés, un peu tristes, sachant que nous ne pourrions pas nous revoir avant deux, trois mois.

    Nous avons de la chance. La méteo était exécrable, mais elle nous annonce désormais du beau temps, un peu frais, du soleil jusqu’à notre départ. Nous retournerons à Paris vendredi pour voter. Il faut à tout prix éviter que Marine Le Pen, incompétente notoire à la solde de la Russie, ne profite du mécontentement qui entoure Macron. L’enjeu est de taille. Avec la guerre en Ukraine, ce serait une catastrophe !


  • Gabrielle

    Chaque semaine je me gratte la tête en me demandant ce que je vais pouvoir vous raconter. Tous les chroniqueurs vous diront la même chose. Parfois ça vient tout seul et dès le dimanche en un tour de main, la mise à jour du site est écrite, enregistrée, prête à partir automatiquement le mardi suivant.

    D’autres fois, c’est plus compliqué. Manque de temps le week-end précédent, une cuisson ou un émaillage de céramique le lundi, ou encore rien à dire et je traîne. Il m’arrive même de penser que je pourrais éventuellement laisser passer la semaine. Qui s’en apercevrait ? Cependant mon sens de la fidélité renâcle et je décide au pire de m’en tenir à trois lignes, dans le genre : bonjour, bonsoir, il fait beau aujourd’hui, à bientôt… Mais dès que je touche au clavier, un monde s’ouvre. Le monde qui m’entoure surgit sous mes doigts maladroits, les idées surviennent et les phrases s’écoulent.

    Déçue à leur relecture, je les triture et les agence pour approcher au plus près de ce que j’ai vu, entendu, vécu. Sans illusion sur une objectivité inatteignable, mais bien décidée à partager ces instants éphémères, souvent savoureux, qui furent la trame d’un présent désormais enfui. Une lutte perdue d’avance contre le temps, mais grisante ! Les heures me paraissent des secondes, j’oublie la casserole sur le feu, le rendez-vous noté. Souvent en retard, je deviens inabordable les dernières minutes, soulagée quand j’appuie sur la touche « publier ». Par la suite, je ne peux m’empêcher de changer une virgule, corriger une phrase, une faute d’orthographe pendant un jour ou deux. L’avantage de ne dépendre de personne ! Je partage cette liberté avec vous, amis lecteurs…

    La tête en plomb à cause de la guerre en Ukraine et de ses atrocités, j’ai traîné les pieds tout le début de la semaine de l’appartement à l’atelier jusqu’à ce dernier jeudi où j’ai retrouvé Gilles à la Pitié Salpétrière.

    Nous avons attendu quelques minutes dans la magnifique chapelle de l’hôpital. Construite sous Louis XIV sur le modèle d’une croix de Saint-André pour des raisons sanitaires, ses quatre nefs reliées à la chapelle centrale m’ont toujours émue lors des concerts qu’elle abrite avec des expositions. Je pense aux malades de cette époque, à leur misère, aux maux qui les rongeaient. J’imagine les prières tendues vers l’autel éclairé par les hautes verrières de la coupole, en ces temps où l’on avait si peu de chance de guérir.

    Mathilde nous a rejoints avec la poussette au pied du grand escalier à rambarde de chêne qui monte à son appartement. Elle loge avec Arnaud et leur bébé tout neuf dans les bâtiments mitoyens qui accueillaient à l’origine les communautés religieuses attachées à la chapelle.

    C’est justement de Gabrielle que nous étions venu faire la connaissance. Rendez-vous différé à cause de nos contaminations au Covid. Nous avons pu apercevoir une petite tête ronde qui manifestait son mécontentement de voir s’achever sa promenade, au grand dam d’une maman qui aurait voulu nous la présenter sous un meilleur jour :

    — Le soir, elle n’est pas toujours de bonne humeur !

    Nous l’avons rassurée. Nous avions tout le temps et il lui fallait bien restituer la fatigue de sa journée ! Nous avons grimpé tout en haut du superbe escalier restauré. Un bébé dans les bras de sa jeune mère, des grands oncle et tante essouflés, accueillis par un papa heureux de revoir sa fille, leur première-née, et de nous la faire admirer. Un condensé de vie.

    Nous avons passé deux heures paisibles. Nous avons commencé par observer la jolie Gabrielle, toute rose et ronde, puis nous avons osé l’accueillir dans nos bras. Gilles s’y prenait très bien, attendri et attendrissant. C’est bizarre comme on oublie vite des gestes qui ont rempli nos journées, dont on a eu une petite resucée avec nos petits-enfants. Ce petit être qui tournait la tête vers nos voix étrangères avait quelque chose d’un peu intimidant, son avenir devant lui, nos années derrière nous.

    Quel plaisir de parler du travail de Mathilde à l’hôpital, des projets d’Arnaud, des mille et un soucis autour du sommeil du bébé, de ces petits riens qui font l’existence de jeunes parents !

    Ils nous ont revigorés et la semaine s’est achevée mieux qu’elle avait commencé. Merci à tous les trois !

    Le dimanche suivant, premier tour des élections présidentielles. Une tout autre affaire ! Comme prévu, Emmanuel Macron est en tête avec Marine Le Pen. Nous voterons de nouveau le 24, à notre retour de Tougin. Le contexte de la guerre, des pénuries, de la baisse du pouvoir d’achat risquent de rendre la campagne électorale agitée, à moins qu’une certaine désespérance n’écarte les électeurs des urnes. On verra !


  • Obsèques de Serge, Ukraine, élections

    Les tulipes de Sara

    Nouvelles du Covid : une flambée des contaminations, mais en Europe, pour le moment, une baisse des hospitalisations du fait des vaccinations. La Chine décrocherait. La politique du « zéro Covid » serait mise à mal par le variant Omicron, très contagieux, et probablement en raison de la faiblesse de son vaccin Sinovac. Des villes, comme Shanghaï, sont confinées en urgence. Au moindre soupçon, les Chinois sont isolés dans des structures gigantesques qui séparent les familles et ne sont pas adaptées aux pathologies préexistantes.

    La guerre en Ukraine : L’armée russe se retire de la banlieue de Kiev et se déplace vers l’est, dans le but se se regrouper autour de la région du Donbass. Les Russes ont abandonné Tchernobyl après avoir creusé des tranchées dans des terres hautement contaminées. La centrale est de nouveau dans les mains des experts. Le peuple russe reste majoritairement solidaire de Poutine. Celui-ci exige que le gaz russe (100 millions de dollars par jour) soit payé en roubles afin de contrecarrer les mesures européennes contre sa monnaie. Probablement un effet d’annonce.

    Et toujours les bombardements, les réfugiés sur les routes, les fausses annonces russes de cessez-le-feu. Des espoirs démentis par les actions de Poutine, à l’image des horreurs en Tchétchénie et en Syrie.

    Les obsèques de Serge. Beaucoup de monde dans l’église Saint-François Xavier. Son petit-fils Thibaut (environ trente ans) a célébré la messe. Son sermon a tourné autour de la notion de paternité. Paternité familiale, ecclésiale, spirituelle, Dieu le père, Jésus le fils. Son grand-père Serge et son père Arnaud ont été des pères bienveillants, très éloignés des autoritarismes d’autrefois.

    Nous nous sommes retrouvés à sept chez Nicky autour d’un paleron de bœuf à la bière, vin de choix et dessert basque. Il y avait un certain temps que nous n’avions pas participé à un de ses dîners, rencontres gastronomiques qu’il mitonne environ deux fois par mois avec gourmandise et amitié. J’ai pensé au Temps retrouvé de Marcel Proust. Les cheveux avaient blanchi, les rides s’étaient creusées, les gestes et les démarches avaient un peu perdu en assurance, veufs et veuves, heureux de partager leur solitude. Ils avaient tous eu des responsabilités importantes dans le privé comme dans le public, ils avaient plusieurs fois fait le tour du monde, certains étaient maintenant arrière-grands-parents. Les conversations portaient quelque peu sur le passé. Nous n’avons pas trop l’habitude de ce genre de réunions, mais nous en avons apprécié la bienveillance. On sentait tout de même pointer sous les propos d’anciennes batailles perdues ou gagnées.

    La campagne électorale est perturbée par la guerre en Ukraine. Après le début fracassant d’une extrême droite autour d’Éric Zemour ayant fait le vide autour de Marine Le Pen, le Rassemblement National semble avoir repris du poil de la bête. La gauche socialiste et la droite libérale historiques se sont effondrées. Il semble qu’il nous restera à choisir au second tour entre Emmanuel Macron, président sortant et Marine Le Pen. Comme d’habitude.

    Cette fois-ci, le duel risque d’être chaud ! Le pouvoir d’achat est au centre des préoccupations des Français d’autant plus que le prix du pétrole, du gaz, des matières premières flambe du fait de la guerre, que les intérêts de la dette ont explosé et que l’inflation est au plus haut depuis des décennies. La politique d’Emmanuel Macron, « le président des riches » lui a valu une haine féroce de la part de ceux qui ont vu leur niveau de vie baisser, de ceux qui ne joignent plus les deux bouts, de ceux qui se sont sentis méprisés par les « élites » (cf : les gilets jaunes). L’écart entre les riches et les pauvres s’est accentué durant son septennat, même si l’économie s’était redressée avant la survenue de la pandémie, même s’il a plutôt bien géré la crise sanitaire et qu’il tient sa place dans la gestion internationale de la guerre en Ukraine.

    De là à voter pour Marine Le Pen et ses promesses mirobolantes, sans équipe et sans compétence dans un contexte aussi tendu à l’intérieur comme à l’extérieur, le pas sera peut-être difficile à franchir ! Favorable à Wladimir Poutine pendant des années, accusée par un rapport de police de détournement de fonds européens, son absentéisme ostentatoire au parlement européen ne plaide pas pour elle dans la situation actuelle.

    Elle a su montrer patte blanche depuis quelque temps et les Français ont la mémoire courte, elle a ses chances. Le risque viendra surtout de l’abstention. Une abstention par un refus grandissant de la politique et des politiciens, multipliée par la date des élections en plein milieu des vacances scolaires. Les sondages les donnent ces jours-ci au coude à coude. La démocratie est à la peine !


  • Guerre, covid et printemps

    La ville de Marioupole, plus de 400 000 habitants avant la guerre, est rasée. Elle tient encore, contre toute attente. Des millions d’Ukrainiens vivent dans des abris, les femmes, les enfants, les vieillards partent sur les routes traversent les frontières, les hommes se battent jusqu’à la mort ou la victoire. Et les Russes croyaient être accueillis en libérateurs ! Absurdité des fake news sur Internet ?

    Et pourtant le printemps est arrivé. Plusieurs jours de douceur et de ciel sans nuages.

    Etrange, pour la première fois depuis des années, l’hiver ne m’a paru paru trop long ! Une réaction aux deux précédents plombés par le Covid ? Peut-être ! Le virus moins menaçant, les obligations sanitaires moins impérieuses, j’aurais davantage savouré une liberté qui allait de soi auparavant, chaque instant précieux d’une vie qui redémarre.

    Ces jours-ci, je relis et reprends ces chroniques pour les réunir dans des volumes, je m’étonne. Semaine après semaine, je m’attache à noter des faits qui n’ont rien de spectaculaire, mais qui me semblent importants. Dans celles qui concernent la pandémie, les petits événements qui nous réunissent autour d’une table, dans la rue ont disparu. Je m’attarde sur les confinements et les déconfinements, sur le port des masques et sur les vaccins. Le covid prend toute la place. J’en établi une sorte de calendrier, avec des hauts et des bas, citant les anecdotes qui lui sont liées, avec l’intention de laisser quelques traces de nos existences soumises à ses dictats.

    Aujourd’hui, je m’interroge. N’était-ce pas une obsession, une soumission ? J’aurais peut-être dû en profiter pour lire davantage, relire mes classiques. J’aurais peut-être pu écrire sur le pourquoi et le comment de l’existence, fouiller dans les états d’âme découlant d’une situation exceptionnelle, riche en questions. J’aurais pu démarrer une amitié sur internet, écrire un roman, contourner la réalité de l’isolement par des mots. Non, j’ai préféré noter les maigres faits qui ont égrené ces deux longues années d’épidémie.

    Et je pense aux précédentes pandémies. Sitôt finies, sitôt oubliées. Qui se souvient de la grippe de Hong Kong en 1968 ? La guerre de 14 -18, ses 20 millions de morts a provoqué et suscite encore aujourd’hui un immense travail de mémoire, mais que sait-on de la grippe espagnole (1918-1920) et de ses 40 à 50 millions de morts ? Le sujet manquerait-il d’intérêt ? Est-ce une simple péripétie à travers les âges, ne méritant pas de commentaire particulier. En me relisant, je ne serais pas loin de le penser.

    Et pourtant… (à suivre)

    L’Odyssée à la Sorbonne. Les chants 3, 4, 20. Déclamations illustrées par de superbes marionnettes. Gilles : Nestor et Télémaque. Suzy Busbaumer : remarquable dans le retour à Ithaque d’Ulysse déguisé en vieux mendiant. Hélas, le tout était un peu trop long. Il a fallu abréger, sous la menace de voir les lumières s’éteindre et de repartir à tâtons vers les issues de secours.

    Décès de Serge à la veille de ses 99 ans. Il s’est éteint chez lui durant la nuit entouré de sa femme et son fils. « Nous avons entendu sa respiration s’espacer, puis s’arrêter. » Dernier souffle. Une mort paisible.