Sous nos fenêtres dans la cour, des ouvriers sont en train d’installer un échafaudage pour la réfection de la toiture et son isolation. Crise énergétique oblige.

De toute façon, c’était une passoire. Comment a-t-on pu loger les domestiques dans ces mansardes haussmanniennes, minuscules, étouffantes l’été et glaciales l’hiver ? Comment ont-ils pu survivre au milieu des cheminées qui crachaient une suie collante ? La tuberculose sévissait alors à grande échelle. Aujourd’hui, elles sont réunies en lofts spacieux avec de larges velux, assez agréables à vivre, avec vue sur les toits et chez nous sur le Sacré-Cœur.

Les échafaudagistes travaillent dans un bruit continu de barres de fer qui s’entrechoquent, de coups de marteau, au milieu d’incessants discours. Dans quelle langue ? Difficile à dire. Le monde ouvrier est devenu une tour de Babel. Ils se comprennent et leurs échanges font un chœur de voix graves qui me réjouit le cœur et les oreilles. Ils montent le mécano, étage par étage, verrouillent les passerelles, placent les échelles. Un travail en plein air, qui demande de la méthode et de l’astuce. Ils s’activent sans s’énerver. Ce matin, ils ont atteint le cinquième. Demain, ils seront devant nos fenêtres. Il faudra éviter de se promener en petite tenue…

L’enterrement de Philippe C. J’y reviens.

Ce cousin germain allait sur ses 92 ans. Il ne se portait pas trop mal et vivait encore chez lui quand il a eu l’idée d’aller à Lourdes comme chaque année avant l’épidémie, pour participer au pèlerinage de Monaco où il avait vécu jusqu’à la mort de son épouse, Jessie. Au retour, il s’est arrêté chez sa fille à Aix en Provence. Et c’est là que s’est déclaré le Covid.

Elle a dû l’hospitaliser. À l’entrée, il a exigé qu’on le ramène chez lui. C’était un homme de l’ancien temps, particulièrement autoritaire. Le médecin lui a répondu :

— Pas de problème, vous signez une décharge. Mais demain matin, vous êtes mort.

Il est resté et ils l’ont tiré d’affaire. Il a pu rentrer chez lui à Blois en ambulance. Son autre fille qui habitait la même résidence l’a persuadé d’entrer dans une maison de convalescence où curieusement, il a séduit tout le personnel par sa gentillesse. Mais le cœur n’a pas tenu bien longtemps, il s’est éteint juste comme Sophie avait quitté sa chambre pour aller faire des courses. Un grand classique ! Elle en était désolée.

On l’enterrait à Saint-Augustin, à côté de Faremoutiers où avait lieu la cérémonie religieuse, deux communes de la Brie, proche de Coulommiers.

Ce n’était pas une mince affaire ! Pas de train. Nous n’avons pas de voiture à Paris. La grève des raffineries avait fermé les pompes à essence. Claudine la sœur de Philippe nous a trouvé une gentille convoyeuse, qui nous a embarqués à la porte de Vincennes. C’est en discutant que nous avons pris l’autoroute. Nous avons évoqué la vallée de l’Aubetin sur la commune de Saint-Augustin vers laquelle nous nous dirigions et le Moulinet, un lieu familial et enchanteur, dont j’ai déjà parlé ici.

A dix ans et onze ans, j’y avais fait des séjours pendant les vacances de Pâques, chez mon parrain, l’oncle Hervé et son épouse, la si vive et gaie tante Mimi. Avec Catherine et Claudine, les cousines de mon âge, nous avions gambadé au bord de la rivière, cueilli des fleurs, nous nous étions raconté des tas d’histoires. Les soirées dans l’odeur du feu de bois nous ensommeillaient avant de nous glisser dans nos lits bassinés. Par la suite, Claudine et son mari y avaient habité à l’année et j’ai évoqué à plusieurs reprises les bons moments que nous y avons passés, en heureuse compagnie, au son de la rivière qui chantait en sautant les vannes sous la maison. C’est au cimetière de Saint-Augustin qu’allait être enterré Philippe, auprès de Jessie et de ses parents.

La famille de Philippe habitant à Blois et dans le midi, Claudine s’était chargé des démarches pour les obsèques de son frère. Ce fut toute une histoire ! Philippe avait été un pilier de sa paroisse de Beauséjour, trésorier du diocèse de Monaco et ami de la sœur du prince Régnier. Voyant la mort venir, il avait organisé ses obsèques dans les moindres détails, prières, organisations, coussin pour ses décorations monégasques. Sans être pédant, il aimait les solennités !

Seulement voilà… Aujourd’hui, les prêtres se font rares pour célébrer les enterrements, ils sont remplacés par des laïcs formés à ces cérémonies. Et celui de Faremoutiers, un ami de la famille, une tête de mule, s’indigna et refusa de changer ses habitudes. Dans l’intervalle, un prêtre très âgé s’était trouvé disponible, et celui-ci décida tout de go, compte tenu de ses états de service d’obéir aux volontés du mort. Ouf !

C’est ainsi qu’à la fin de la messe, un jeune homme nous lut le message posthume de son grand-père par lequel il exprimait son amour et son amitié pour nous tous et s’excusait d’avoir été un peu trop autoritaire !

Nous nous sommes rendus ensuite au cimetière de Saint-Augustin sous la pluie. Un repas briard, savoureux et simple a réuni une cinquantaine de convives dans la salle communale de Saint-Augustin.

Comme nous avions vieilli ! Les petites filles d’autrefois étaient devenues des vieilles femmes ridées et courbées, pour certaines assez branlantes. Heureusement qu’autour de nous, une nuée d’arrière-petits-enfants criaient et couraient dans tous les sens. La vie continuait…

Nous aurions été intarissables sur nos souvenirs, sur nos enfants et nos petits-enfants, mais il fallait débarrasser le plancher, tout ranger pour laisser la place aux activités périscolaires. Nous avons donc pris la route du retour vers quinze heures, après un petit arrêt sentimental au Moulinet, racheté par un jeune couple ayant fui Paris après le confinement et qui travaillait dans la cyber sécurité. La vie s’y poursuivait, là aussi…

Trois jours après : éternuements, fièvre, fatigue, gorge emportée, j’avais le Covid.