Lula est élu au Brésil d’une courte avance. Une lueur d’espoir pour le monde. Démocratie et climat.

Passé la nuit à l’atelier, pour surveiller la mise en route du four à céramique, rodage à vide. 1020 degrés Celsius, ce n’est pas rien ! Disjoncteur, claquements intempestifs, arrêt prématuré : que d’émotions ! D’autant plus qu’ayant ensuite dormi comme des loirs, nos observations se révèlèrent plutôt approximatives. Le lendemain, nouvelle cuisson test avec des tuiles d’argile. Nous avions procédé à un échange agité de régulateur défectueux auprès du fabricant et je n’étais pas trop optimiste. Le surlendemain, merveille ! Elles étaient impeccables, dures et ocrées à souhait.

Ce lundi, un essai d’émaillage. Cuisson à 900 degrés. Si ça marche, c’est le rêve ! Je mets le four en marche en partant de l’atelier et le lendemain, il n’y a plus qu’à ouvrir…

Donc samedi, profitant de notre nuit à l’atelier, après la magnifique exposition Kokoschka au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris et un pique-nique à l’atelier, nous sommes allés voir une exposition d’art contemporain près de la mairie du XVe (où nous nous sommes mariés…), intitulée Douze preuves d’amour. Le résultat d’un concours pour les moins de 35 ans. J’essaie régulièrement de rester au courant de ce qui se réalise à l’avant-garde.

Au fond d’une impasse ouvrière, un ancien et vaste garage entièrement repeint en blanc et illuminé de rampes de néon au plafond accueillait des « installations », des toiles, des sculptures de tailles variées, parfois très grandes. On y retrouvait le fourre-tout de ce genre d’exposition. Des idées variées, et le plus souvent un travail énorme, de soudure, de couture, de moulage, d’assemblage, de résine, de précisions diverses. Difficile d’y retrouver le thème, si ce n’est qu’il y avait probablement fallu beaucoup d’amour… Le prix avait été décerné à Dora Ferigi pour ses toiles en diptyque, certes grandes, mais à peine couvertes de personnages elliptiques, tracés au pinceau et relayés sur la toile nue par quelques traits de craie grasse. Le jury, du beau monde de l’art, avait tranché parmi 3000 dossiers de candidature, nous a raconté la « médiatrice ». Peut-être exténué lui-même, fatigué de tant de fatigue, s’était-il offert un peu de repos.

A la sortie de ce vaste espace désertique, un catalogue fut donné aux trois ou quatre visiteurs s’apprêtant à replonger dans les rues grouillantes de ce samedi après-midi. Un livre cartonné, sur papier glacé, bilingue français-anglais, orné d’un cœur, agrémenté d’explications sur les motivations des œuvres. Étonnée, j’ai demandé d’où provenait le financement d’un concours récompensé par des bourses non négligeables. La médiatrice m’expliqua que son promoteur, un très fortuné promoteur immobilier était également président du conseil d’administration du Palais de Tokyo, musée national. Un arrangement efficace entre le privé et le public ! En rentrant, j’ai vu sur Internet combien cet autodidacte débordait d’enthousiasme : fondation dans l’île Seguin, Villa Emerige (ouverte aux membres du Tokyo Art Club).

— C’est la neuvième année qu’il organise ce concours et plusieurs de ses lauréats sont maintenant pris en charge par des galeries. Certains sont devenus célèbres.

La jeune fille me cita des noms que je ne connaissais pas, ce qui ne veut rien dire.

C’est ainsi que le lendemain dimanche, je fus à peine surprise en allant au Franprix de la rue du Mail, de trouver une immense toile entourée de papier bulle, posée sur la chaussée dans une caisse de bois à sa mesure. La rue était bouchée par un camion, convoi exceptionnel, et par un engin mécanique ultra moderne, surmonté de phares et de bras articulés, une de ces grues qu’on voit les jours fériés transporter des objets lourds et encombrants par-dessus les toits de Paris. Autour s’agitait une équipe spécialisée. En transparence, on devinait un personnage à la Rembrandt bras tendu vers le haut dans une atmosphère noire et apocalyptique. Je me suis approchée de la jeune fille qui dirigeait l’opération :

— C’est un tableau ?

— Oui, me répondit-elle gentiment.

— Pour un particulier ?

Elle leva la tête. Appuyée à une fenêtre, une femme élégante nous sourit en me saluant d’un geste large. La jeune fille prononça un nom que je ne compris pas tout de suite.

— Anselm Kiefer !

Il me fallut encore quelques secondes avant de relier la scène à l’auteur dont j’avais vu les immenses toiles macabres au Panthéon et qui avait fait un tabac à Pompidou, un artiste dont mon amie Marie fait grand cas.

Une sorte de machine à calculer se mit en route sous mon crâne. Le prix de ce transport très particulier devait être astronomique. Je me suis éloignée de la jeune fille après l’avoir remerciée et j’ai dit à un voisin qui regardait la scène :

— Cela doit valoir très cher ! Au moins 300 000 euros.

Un clochard assis par terre dans ses vêtements gris et déchirés ouvrait des yeux ébahis,

Le badaud déclara sur un ton neutre :

— C’est de la spéculation ! Vous verriez ça chez vous ?

En sortant du Franprix, je vis la toile pendue au bout de sangles. Les jeunes hommes ajoutaient des éléments de protection sur les bords avec des gestes lents et précis. Retournée dans l’appartement, je racontais la scène à Gilles, sceptique quant à mon évaluation.

Vérification faite sur Internet, la toile valait 4 000 000 d’euros.