• Expositions

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    Je vais rarement voir des expositions. Mes amis m’y pressent, mais j’attends la dernière minute et le plus souvent, je me réveille trop tard. Cette semaine, nous sommes allés voir celle d’Edvard Munch au musée d’Orsay, puis celles de Garouste et Alice Neel à Pompidou. C’était beaucoup, d’autant plus que nous avions vu les portraits de Kokoschka, il n’y a pas si longtemps.

    Je repense à la réponse de mon ami David Azuz, alors que je lui proposais d’aller au Palais de Tokyo, pourtant pas loin de nos ateliers :

    — Tu sais, je ne vais plus aux expositions. Soit elles me rasent, soit je suis jaloux !

    Il m’avait fait rire. Aurai-je dû m’indigner ?

    Comment ne pas être jaloux devant les peintures de Goya, de Manet, de tant d’autres ? Comment, pourquoi prendre ses pinceaux après de tels chefs d’œuvre ? Quelle force mystérieuse qui nous y pousse!

    Mais voilà ! Difficile de ne pas passer à côté de Munch, l’auteur du Cri, le tableau le plus célèbre au monde après La Joconde. Garouste risquait de m’ennuyer, j’avais vu une de ses premières expositions (nous étions à l’École des Beaux-Arts de Paris en même temps) et je n’avais pas été très emballée, mais Pierre et Marie m’y avaient vivement encouragée. Seule Alice Neel m’attirait vraiment, elle avait peint avec simplicité ses amis à la maison, une démarche proche de la mienne.

    Autrefois, j’entrais dans les musées avec une incroyable liberté. Ah, ces déambulations dans le Musée du Louvre à l’heure du déjeuner plutôt que d’aller à la cantine de l’école ! Ces découvertes, mes coups de cœur, ces liens qui se créaient peu à peu ! Les premières grandes salles, L’Enterrement à Ornans, la grande galerie et la peinture italienne, française (la dame qui pince le téton de sa voisine…), le petit escalier qui menait à La Jeune orpheline de Delacroix, aux Corot ! À peu près seule dans cette immensité, c’était mon jardin, mon palais secret, des fenêtres duquel je voyais couler la Seine et vivre Paris.

    Aujourd’hui, une foule s’y presse. Des files d’attente sont canalisées en rubans labyrinthiques à l’entrée, et aussi à l’intérieur devant La Joconde enfermée dans une cage de verre anti balles.

    Désormais, ces visites s’apparentent à un parcours du combattant. Il faut réserver à l’avance, choisir sa file, ruser avec l’affluence, attendre qu’un tableau se dégage. Plus question de bouger sans se cogner, il faut veiller à tout, se faufiler comme à la foire. Alors nous réservons à l’heure d’ouverture, nous filons aux dernières salles encore vides et revenons vers la foule agglutinée devant les explications. C’est ainsi que j’ai pu voir Le Pape Innocent X de Vélasquez, seuls, comme si je l’avais surpris à son réveil.

    Munch. Aperçu entre les têtes des visiteurs, son expressionnisme n’est pas ma tasse de thé, comme on dit aujourd’hui. Mais peut-on comparer ce paisible breuvage évoquant la tante Léonie de Marcel Proust, aux tourments d’un homme qui durant toute sa vie a oscillé entre notoriété et hôpital psychiatrique. Le Cri n’était pas exposé, mais d’autres de la même période montraient le même effroi. Pierre Christin avait semblé perturbé par le succès dès l’origine de cette œuvre très difficile d’accès tant par la forme que par son contenu. On peut se poser la même question devant les portraits peu flatteurs de Kokoschka à Vienne. Un état d’esprit généralisé ayant quelque rapport avec les horreurs des deux guerres ?

    Beaubourg, à trois avec mon frère Yves. Nous avons commencé par la rétrospective de Garouste.

    Vingt zous ! Dès l’entrée, on en a pris plein la tête. Des toiles de sept mètres sur quatre, foisonnantes de personnages. La suite, une centaine de tableaux, évoquait les grands textes de l’humanité, La Divine comédie, la Bible, ainsi que ses souvenirs d’enfance, ses amis et des banquets mythiques dans un tourbillon de déformations, de couleurs et de noirs sonores ponctué par des visages clairs peints sur le vif parmi son entourage. Gigantesque et logorrhéique. Yves me dit :

    — Bizarre, cela ne me parle pas.

    Il finit par en reconnaître les incontestables qualités picturales et par apprécier. Enfin, après le déjeuner, nous nous sommes promenés parmi les portraits d’Alice Neel.

    Toute autre chose ! Cette féministe new-yorkaise (1900-1984) a croqué sa société d’originaux avec une acuité éloignée de toute complaisance. Il en ressortait une acceptation des différences revigorante. Devant son regard sans jugement et affectueux, les modèles qui posaient chez elle dans son salon, sur son canapé, sur ses fauteuils ou ses chaises, parfois nus (Andy Warhol, femmes enceintes…) se laissaient aller à être eux-mêmes, sans fard. C’était un peu comme s’ils s’offraient à nous, avec la même générosité que celle du peintre. Ces portraits m’ont fait penser à la poésie d’Aragon :

    Est-ce ainsi que les hommes vivent ?

    Et leurs baisers, au loin les suivent.


  • Travaux

    Régulièrement, de l’eau coule et s’infiltre chez nous depuis l’appartement du dessus. Après six mois de séchage, le plafond tombe en lambeaux sur nos têtes et une entreprise de l’assurance vient réparer les dégâts.

    Nous avons tous plus ou moins connu ce genre de désagréments.

    Un beau matin à l’aube, on sonne à votre porte et une armée de peintres scotche des plastiques sur le palier, dans le couloir et s’installe pour une durée indéterminée. Allées et venues, échelles, outils et sacs de déchets, poussières d’enduits, pots de peinture seront votre quotidien.

    Chaque matin, ces jeunes gens, lesquels aujourd’hui parlent rarement français, vont se changer le plus discrètement possible en arrivant, pas plus à l’aise que nous. Ils me verront sortant du lit, en robe de chambre, les cheveux dépeignés. Il faudra leur laisser la place dans la cuisine, jongler avec l’occupation des toilettes. Un mauvais moment à passer.

    Des progrès apparaissent. L’équipe est désormais reliée à un réseau qui fait tourner les compagnons de chantier en chantier, qui distribue sur le trottoir les fournitures au fur et à mesure de l’avancement des travaux. On peut en permanence entrer en contact avec le chef. Efficacité et rapidité s’en suivent.

    Il y a ceux qui cassent, ceux qui transportent les déchets, celui qui enduit et ponce, celui qui peint et tapisse. À chacun sa spécialité. Un peu comme à l’hôpital autour des tables d’opération.

    On ne les distingue pas vraiment les uns des autres. On ne connait rien d’eux ni de leur vie et cela me gênait.

    Carmen, la gardienne de l’immeuble m’avait raconté que son mari avait discuté avec un des ouvriers de la façade :

    — Il avait mal à la tête. José lui a donné un Doliprane. L’ouvrier lui a dit qu’il n’arrivait pas à dormir parce qu’il pensait trop à sa famille restée en Algérie.

    Elle-même avait connu cela, c’était dur !

    Le dernier arrivé, un homme grand et basané, travaillait en silence, sombre et consciencieux. Sans savoir s’il parlait français, je me suis lancée :

    — Vous venez de quel pays ?

    Il n’a pas compris. J’ai pointé un doigt vers moi et j’ai dit :

    — France !

    Puis je l’ai dirigé vers lui :

    — Vous ?

    Il m’a regardée, stupéfait. Après une seconde d’hésitation, il a ouvert la bouche et j’ai deviné plus qu’entendu :

    — Égyptian !

    Avec des mimiques, je lui ai fait comprendre que j’étais allée en Égypte et j’ai ajouté :

    — Magnifique !

    Son visage s’est éclairé. Il avait compris. Toujours avec des mimiques et des mots simples, je lui ai demandé où il habitait. J’ai cru comprendre que c’était dans la banlieue du Caire et qu’il y avait laissé sa famille. J’ai compris qu’il avait deux enfants. Avec les paumes à distance du sol, je lui ai demandé leur âge :

    — Deux et quatre ans, ai-je entendu.

    J’ai demandé :

    — Égypte, Mama ?

    Il a dit oui. Et j’ai demandé leur prénom, toujours avec des mimiques :

    — Mohamed, Ahmed, a-t-il dit en aspirant fort les H.

    — Et la Mama ?

    — Nadia !, accent tonique sur le premier A.

    Pas facile à comprendre ! Mais le lien était établi. Je repensai à notre voyage en Égypte, lorsque nous avons remonté le Nil depuis Louxor. J’avais tellement aimé ce pays, ce fleuve, ces habitants bavards et rieurs. Je pensai à sa vie là-bas, au soleil égyptien, à sa vie en France. Je lui ai expliqué que j’avais aussi des enfants et aussi quatre petits-enfants. Il a paru intéressé. Il m’a demandé leur âge. Avec les mains et les doigts, j’ai égrené l’âge de mes enfants. Il voulait savoir l’âge de mes petits-enfants. Puis je lui ai montré son mobile :

    — Téléphone, Égypte ? Tous les soirs ?

    Son visage s’est illuminé et il a dit oui !

    Il est encore resté une journée avant de terminer le chantier. Les déblayeurs sont venus ramasser les plastiques de protection et les outils. Il a posé le panneau de papier peint, peaufiné les détails et nous a dit que le chef allait venir dans vingt minutes pour clore le chantier. Il nous a dit au revoir et je lui ai dit :

    — Ce soir, bonjour à Nadia, Mohamed et Ahmed !

    Il a dit oui d’un air amusé et il est parti.


  • Quatre jours agités (suite)

    Agnès m’avait téléphoné alors que nous roulions vers Grenoble. Conversation laborieuse, interrompue par le tunnel de Chambéry et difficilement reprise. Ayant profité des vacances de la Toussaint, elle arrivait tout juste de leur maison d’Intragna, un village accroché à la montagne au-dessus du lac Majeur en Italie.

     Ils habitent dans le haut de Gex, dans la partie ancienne de la ville. J’ai déjà évoqué ces vieilles maisons aux murs épais dont les jardins s’étagent sous les remparts de l’ancien château fort. Longtemps le refuge des pauvres de la commune, occupées ensuite par des émigrés de l’après-guerre, elles sont aujourd’hui prisées et restaurées par des Nordiques et des Anglais travaillant dans les organisations internationales de Genève. De jardin en jardin, de terrasse en terrasse, ils forment une communauté cultivée et originale. Et l’année dernière, ils ont déposé les statuts d’une association culturelle programmant des événements variés ; expositions de photos, de céramiques, visionnage de courts métrages et ce jour-là un spectacle dans une grange.

    Nous arrivions d’Albertville et la nuit tombait. Après un bref passage à Tougin, nous nous sommes aventurés dans les rues sombres et désertes de la vieille sous-préfecture. À l’écart, au pied des remparts, nous avons trouvé une grange, telle je ne pensais pas qu’il puisse encore en exister en centre-ville. Une voiture occupait le rez-de-chaussée. Personne nulle part. Nous allions continuer lorsque des chuchotements provenant de l’étage nous ont alertés. Nous avons grimpé un escalier de bois raide et blanchi par les siècles. Dans la pénombre vaguement éclairée par des guirlandes lumineuses, une assemblée écoutait en silence une mélopée accompagnée d’une sorte de harpe celtique. Les jeunes filles assises sur un plancher rustique jonché de feuilles mortes nous ont fait un passage et Wilfrid a surgi pour nous conduire vers un banc de bois.

    Nos yeux s’habituant à l’obscurité, nous avons deviné les silhouettes d’une trentaine de personnes entourant une sorte de catafalque faiblement éclairé, composé de feuillages et de fleurs. Devant nous un grand gong en cuivre pendait à une potence de fer forgé.

    Après une poésie déclamée par une jeune fille aux cheveux d’ondine, un son profond s’en éleva, monta, s’éteignit, reprit jusqu’à remplir l’espace, s’éleva à nouveau pour se replier lentement et se fondre définitivement dans le silence. La jeune fille nous convia alors à descendre pour déguster une soupe à la citrouille. On se leva. Wilfrid et Agnès nous présentèrent aux organisateurs. Tout autour, des jeunes, parfois très jeunes dont beaucoup parlaient anglais.

    La pièce du haut se vida lentement. À la sortie, une jeune fille nous incita à couper une tige de lierre à laquelle était accroché un petit rouleau de papier. Une poésie y était calligraphiée. Nous devions la lire à haute voix avant d’accéder au rez-de-chaussée débarrassé de la voiture ayant servi à camoufler le buffet orné de feuillage.

    Il se trouve que depuis mon enfance je ne supporte pas la soupe au potiron. On pouvait me priver de dessert et même de repas, sans que j’accepte d’en avaler la moindre cuillérée. Heureusement, Agnès et Wilfrid avaient concocté une soupe avec des châtaignes rapportées d’Italie. Avec une lichée de crème bio de la même origine, ce fut un délice. Elle cuisait sur un feu de bois maintenu dans une vasque métallique, au fond d’un chaudron suspendu à des fourches.

    Nos amis nous ont présenté plusieurs des membres de l’association, ce qui nous a rajeunis. Des décennies auparavant, débarquant dans une région à l’époque encore presque exclusivement agricole, à l’initiative de Mazé Guillot, nous avions créé Le Mouvement artistique du Pays de Gex. Nous en avons gardé de chers amis tout au long de notre vie. Plusieurs ont fait de beaux parcours : Julian exposant ses bijoux sur la Cinquième avenue, Joël, invité principal du Printemps des poètes de Paris, Henriette à Genève, Karen en Californie.

    Enfin, Wilfrid, à la lumière de son portable, nous a conduits chez lui par les cours et les jardins. Nous avons pu embrasser Armand qui s’apprêtait à partir, les vacances terminées. Il est en deuxième année d’EPFL, une école d’ingénieur terriblement difficile. Agnès le déposait à Coppet au train de Lausanne.

    Après une nuit réparatrice et encore quelques rangements, avant de fermer la maison et de prendre le car, puis le TGV pour Paris, Gilles a commenté la soirée :

    — Si le feu avait pris dans la grange, on serait probablement tous morts !

    Halloween ! 


  • Quatre jours agités.

    Jeudi : Tougin. Arrivée sous la pluie et dans la froidure.

    Vendredi : Taille des rosiers, coupe des holtas et des iris, ramassage des feuilles de la vigne vierge entre deux averses, rangement de la maison pour l’hiver.

    L’impasse était déserte. Quelques nouvelles des voisins néanmoins. Nous avions tant à nous raconter ! Nous avons retrouvé Marcel et Jacqueline autour d’un café. Marcel partait rendre les honneurs militaires aux obsèques d’un compagnon de la guerre d’Algérie.

    Deux bonnes soirées devant un feu de cheminée. Le premier soir, la tempête s’est soudain mise à souffler. Les tuiles cliquetaient sur le toit au milieu du vacarme des arbres tordus par le vent. Vers minuit, tout s’arrêta. Plus un souffle d’air, un étrange silence s’était installé sur le village.

    Samedi : déjeuner chez Patrick et Marie.

    Avec Ève et Emmanuel, Jean-Michel et Caroline, les cousins de Grenoble avaient décidé d’inviter leurs vieux oncles et tantes.

    Yves est donc venu de Paris en train et logeait chez Caro. Marc et Catherine étaient montés du midi, avec une étape à Barcelonnette et logeaient chez Ève. Hervé et Véronique en avaient profité pour faire une escapade dans les Alpes, ils restaient plusieurs jours chez Patrick. Nous venions donc de Tougin. Une belle idée qui s’était développée avec une belle simplicité.

    Ce fut une fête de famille bien agréable ! Agnès et son mari, venus de la Drôme s’étaient joints à nous.

    La maison sur les hauteurs de Vizille, construite dans la campagne, il y a une dizaine d’années est magnifique. Férus de montagne, ils ont fait les plans de façon qu’on puisse voir toutes les montagnes aux heures les plus belles.

    Repas savoureux ! Champagne du producteur. Blagues et anecdotes. Photos. Nous nous sommes quittés en fin d’après-midi en nous donnant rendez-vous le lendemain, qui pour aller visiter le musée de la Résistance, qui pour faire une grande balade en montagne dans la neige, qui encore pour monter à la Bastille.

    Le soir nous nous sommes retrouvés chez Ève avec Marc et Catherine. Jean-Michel était allé écouter Cabrel avec sa fille Maud. Yves et Caro se sont joints à nous pour un dîner léger.

    Dimanche : nous avons cherché les tombes de la famille dans le cimetière de Grenoble, sans succès. Je les avais pourtant trouvées il y a quelques années, mais le cimetière est très grand. Nous nous sommes perdus, retrouvés. Puis nous avons traversé la vieille ville. Nous sommes passés devant le monument dédié à la Révolution Française avec l’hommage à la Journée des tuiles et à Mounier, héros familial, devant la maison de Stendhal.

    Enfin, nous sommes montés à la Bastille en bulles. Pas un nuage. Le Mont Blanc trônait à l’est, derrière nous la Chartreuse, à droite le Vercors, devant nous Belledonne enneigée. C’était magnifique ! Ève et Emmanuel nous ont expliqué la géographie de la ville qui s’étendait à nos pieds. Nous avons cherché les lieux familiaux (mon père était originaire de Grenoble, vous l’aurez compris !)

    À midi, nous avons déjeuné avec nos petits-enfants, 20, 18 et 16 ans. Comme c’est intéressant d’écouter ce qu’ils vivent dans leurs lycées, à l’université, d’entendre leurs opinions sur les problèmes d’aujourd’hui ! Pour le moment, ils s’en tirent plutôt bien.

    Marc et Catherine sont partis visiter le château de Vizille où une de nos arrière-grand-mères au 19e siècle avait été préceptrice des enfants du comte de Chambord. Famille-famille…

    Enfin, Gilles et moi, nous sommes partis pour Albertville voir son frère Jean-Claude. Les médecins ont décidé de ne pas l’opérer de son cancer. Nous avons passé une heure à discuter au soleil. Nous avons plaisanté autant que possible. Après-midi à la fois triste et gaie, affectueuse. Nous avons évoqué un peu le passé, beaucoup le mystère de la vie et de la mort. Nous nous sommes quittés sans savoir si nous allions nous revoir…

    Pour ceux qui me lisent régulièrement, j’espère que plusieurs de ces personnages vous sont devenus familiers, tels des amis qu’on ne voit pas souvent, mais qui vous tiennent à cœur.

    Nous nous sommes dépêchés de rentrer à Tougin, pour ne pas être trop en retard à une petite fête organisée dans la vieille ville par un groupe hétéroclite d’écrivains, de musiciens et de cinéastes.

    Le sommet des montagnes rougeoyait au soleil couchant.

    (à suivre)


  • Art contemporain.

    Lula est élu au Brésil d’une courte avance. Une lueur d’espoir pour le monde. Démocratie et climat.

    Passé la nuit à l’atelier, pour surveiller la mise en route du four à céramique, rodage à vide. 1020 degrés Celsius, ce n’est pas rien ! Disjoncteur, claquements intempestifs, arrêt prématuré : que d’émotions ! D’autant plus qu’ayant ensuite dormi comme des loirs, nos observations se révèlèrent plutôt approximatives. Le lendemain, nouvelle cuisson test avec des tuiles d’argile. Nous avions procédé à un échange agité de régulateur défectueux auprès du fabricant et je n’étais pas trop optimiste. Le surlendemain, merveille ! Elles étaient impeccables, dures et ocrées à souhait.

    Ce lundi, un essai d’émaillage. Cuisson à 900 degrés. Si ça marche, c’est le rêve ! Je mets le four en marche en partant de l’atelier et le lendemain, il n’y a plus qu’à ouvrir…

    Donc samedi, profitant de notre nuit à l’atelier, après la magnifique exposition Kokoschka au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris et un pique-nique à l’atelier, nous sommes allés voir une exposition d’art contemporain près de la mairie du XVe (où nous nous sommes mariés…), intitulée Douze preuves d’amour. Le résultat d’un concours pour les moins de 35 ans. J’essaie régulièrement de rester au courant de ce qui se réalise à l’avant-garde.

    Au fond d’une impasse ouvrière, un ancien et vaste garage entièrement repeint en blanc et illuminé de rampes de néon au plafond accueillait des « installations », des toiles, des sculptures de tailles variées, parfois très grandes. On y retrouvait le fourre-tout de ce genre d’exposition. Des idées variées, et le plus souvent un travail énorme, de soudure, de couture, de moulage, d’assemblage, de résine, de précisions diverses. Difficile d’y retrouver le thème, si ce n’est qu’il y avait probablement fallu beaucoup d’amour… Le prix avait été décerné à Dora Ferigi pour ses toiles en diptyque, certes grandes, mais à peine couvertes de personnages elliptiques, tracés au pinceau et relayés sur la toile nue par quelques traits de craie grasse. Le jury, du beau monde de l’art, avait tranché parmi 3000 dossiers de candidature, nous a raconté la « médiatrice ». Peut-être exténué lui-même, fatigué de tant de fatigue, s’était-il offert un peu de repos.

    A la sortie de ce vaste espace désertique, un catalogue fut donné aux trois ou quatre visiteurs s’apprêtant à replonger dans les rues grouillantes de ce samedi après-midi. Un livre cartonné, sur papier glacé, bilingue français-anglais, orné d’un cœur, agrémenté d’explications sur les motivations des œuvres. Étonnée, j’ai demandé d’où provenait le financement d’un concours récompensé par des bourses non négligeables. La médiatrice m’expliqua que son promoteur, un très fortuné promoteur immobilier était également président du conseil d’administration du Palais de Tokyo, musée national. Un arrangement efficace entre le privé et le public ! En rentrant, j’ai vu sur Internet combien cet autodidacte débordait d’enthousiasme : fondation dans l’île Seguin, Villa Emerige (ouverte aux membres du Tokyo Art Club).

    — C’est la neuvième année qu’il organise ce concours et plusieurs de ses lauréats sont maintenant pris en charge par des galeries. Certains sont devenus célèbres.

    La jeune fille me cita des noms que je ne connaissais pas, ce qui ne veut rien dire.

    C’est ainsi que le lendemain dimanche, je fus à peine surprise en allant au Franprix de la rue du Mail, de trouver une immense toile entourée de papier bulle, posée sur la chaussée dans une caisse de bois à sa mesure. La rue était bouchée par un camion, convoi exceptionnel, et par un engin mécanique ultra moderne, surmonté de phares et de bras articulés, une de ces grues qu’on voit les jours fériés transporter des objets lourds et encombrants par-dessus les toits de Paris. Autour s’agitait une équipe spécialisée. En transparence, on devinait un personnage à la Rembrandt bras tendu vers le haut dans une atmosphère noire et apocalyptique. Je me suis approchée de la jeune fille qui dirigeait l’opération :

    — C’est un tableau ?

    — Oui, me répondit-elle gentiment.

    — Pour un particulier ?

    Elle leva la tête. Appuyée à une fenêtre, une femme élégante nous sourit en me saluant d’un geste large. La jeune fille prononça un nom que je ne compris pas tout de suite.

    — Anselm Kiefer !

    Il me fallut encore quelques secondes avant de relier la scène à l’auteur dont j’avais vu les immenses toiles macabres au Panthéon et qui avait fait un tabac à Pompidou, un artiste dont mon amie Marie fait grand cas.

    Une sorte de machine à calculer se mit en route sous mon crâne. Le prix de ce transport très particulier devait être astronomique. Je me suis éloignée de la jeune fille après l’avoir remerciée et j’ai dit à un voisin qui regardait la scène :

    — Cela doit valoir très cher ! Au moins 300 000 euros.

    Un clochard assis par terre dans ses vêtements gris et déchirés ouvrait des yeux ébahis,

    Le badaud déclara sur un ton neutre :

    — C’est de la spéculation ! Vous verriez ça chez vous ?

    En sortant du Franprix, je vis la toile pendue au bout de sangles. Les jeunes hommes ajoutaient des éléments de protection sur les bords avec des gestes lents et précis. Retournée dans l’appartement, je racontais la scène à Gilles, sceptique quant à mon évaluation.

    Vérification faite sur Internet, la toile valait 4 000 000 d’euros.


  • Les obsèques de Philippe C.

    Sous nos fenêtres dans la cour, des ouvriers sont en train d’installer un échafaudage pour la réfection de la toiture et son isolation. Crise énergétique oblige.

    De toute façon, c’était une passoire. Comment a-t-on pu loger les domestiques dans ces mansardes haussmanniennes, minuscules, étouffantes l’été et glaciales l’hiver ? Comment ont-ils pu survivre au milieu des cheminées qui crachaient une suie collante ? La tuberculose sévissait alors à grande échelle. Aujourd’hui, elles sont réunies en lofts spacieux avec de larges velux, assez agréables à vivre, avec vue sur les toits et chez nous sur le Sacré-Cœur.

    Les échafaudagistes travaillent dans un bruit continu de barres de fer qui s’entrechoquent, de coups de marteau, au milieu d’incessants discours. Dans quelle langue ? Difficile à dire. Le monde ouvrier est devenu une tour de Babel. Ils se comprennent et leurs échanges font un chœur de voix graves qui me réjouit le cœur et les oreilles. Ils montent le mécano, étage par étage, verrouillent les passerelles, placent les échelles. Un travail en plein air, qui demande de la méthode et de l’astuce. Ils s’activent sans s’énerver. Ce matin, ils ont atteint le cinquième. Demain, ils seront devant nos fenêtres. Il faudra éviter de se promener en petite tenue…

    L’enterrement de Philippe C. J’y reviens.

    Ce cousin germain allait sur ses 92 ans. Il ne se portait pas trop mal et vivait encore chez lui quand il a eu l’idée d’aller à Lourdes comme chaque année avant l’épidémie, pour participer au pèlerinage de Monaco où il avait vécu jusqu’à la mort de son épouse, Jessie. Au retour, il s’est arrêté chez sa fille à Aix en Provence. Et c’est là que s’est déclaré le Covid.

    Elle a dû l’hospitaliser. À l’entrée, il a exigé qu’on le ramène chez lui. C’était un homme de l’ancien temps, particulièrement autoritaire. Le médecin lui a répondu :

    — Pas de problème, vous signez une décharge. Mais demain matin, vous êtes mort.

    Il est resté et ils l’ont tiré d’affaire. Il a pu rentrer chez lui à Blois en ambulance. Son autre fille qui habitait la même résidence l’a persuadé d’entrer dans une maison de convalescence où curieusement, il a séduit tout le personnel par sa gentillesse. Mais le cœur n’a pas tenu bien longtemps, il s’est éteint juste comme Sophie avait quitté sa chambre pour aller faire des courses. Un grand classique ! Elle en était désolée.

    On l’enterrait à Saint-Augustin, à côté de Faremoutiers où avait lieu la cérémonie religieuse, deux communes de la Brie, proche de Coulommiers.

    Ce n’était pas une mince affaire ! Pas de train. Nous n’avons pas de voiture à Paris. La grève des raffineries avait fermé les pompes à essence. Claudine la sœur de Philippe nous a trouvé une gentille convoyeuse, qui nous a embarqués à la porte de Vincennes. C’est en discutant que nous avons pris l’autoroute. Nous avons évoqué la vallée de l’Aubetin sur la commune de Saint-Augustin vers laquelle nous nous dirigions et le Moulinet, un lieu familial et enchanteur, dont j’ai déjà parlé ici.

    A dix ans et onze ans, j’y avais fait des séjours pendant les vacances de Pâques, chez mon parrain, l’oncle Hervé et son épouse, la si vive et gaie tante Mimi. Avec Catherine et Claudine, les cousines de mon âge, nous avions gambadé au bord de la rivière, cueilli des fleurs, nous nous étions raconté des tas d’histoires. Les soirées dans l’odeur du feu de bois nous ensommeillaient avant de nous glisser dans nos lits bassinés. Par la suite, Claudine et son mari y avaient habité à l’année et j’ai évoqué à plusieurs reprises les bons moments que nous y avons passés, en heureuse compagnie, au son de la rivière qui chantait en sautant les vannes sous la maison. C’est au cimetière de Saint-Augustin qu’allait être enterré Philippe, auprès de Jessie et de ses parents.

    La famille de Philippe habitant à Blois et dans le midi, Claudine s’était chargé des démarches pour les obsèques de son frère. Ce fut toute une histoire ! Philippe avait été un pilier de sa paroisse de Beauséjour, trésorier du diocèse de Monaco et ami de la sœur du prince Régnier. Voyant la mort venir, il avait organisé ses obsèques dans les moindres détails, prières, organisations, coussin pour ses décorations monégasques. Sans être pédant, il aimait les solennités !

    Seulement voilà… Aujourd’hui, les prêtres se font rares pour célébrer les enterrements, ils sont remplacés par des laïcs formés à ces cérémonies. Et celui de Faremoutiers, un ami de la famille, une tête de mule, s’indigna et refusa de changer ses habitudes. Dans l’intervalle, un prêtre très âgé s’était trouvé disponible, et celui-ci décida tout de go, compte tenu de ses états de service d’obéir aux volontés du mort. Ouf !

    C’est ainsi qu’à la fin de la messe, un jeune homme nous lut le message posthume de son grand-père par lequel il exprimait son amour et son amitié pour nous tous et s’excusait d’avoir été un peu trop autoritaire !

    Nous nous sommes rendus ensuite au cimetière de Saint-Augustin sous la pluie. Un repas briard, savoureux et simple a réuni une cinquantaine de convives dans la salle communale de Saint-Augustin.

    Comme nous avions vieilli ! Les petites filles d’autrefois étaient devenues des vieilles femmes ridées et courbées, pour certaines assez branlantes. Heureusement qu’autour de nous, une nuée d’arrière-petits-enfants criaient et couraient dans tous les sens. La vie continuait…

    Nous aurions été intarissables sur nos souvenirs, sur nos enfants et nos petits-enfants, mais il fallait débarrasser le plancher, tout ranger pour laisser la place aux activités périscolaires. Nous avons donc pris la route du retour vers quinze heures, après un petit arrêt sentimental au Moulinet, racheté par un jeune couple ayant fui Paris après le confinement et qui travaillait dans la cyber sécurité. La vie s’y poursuivait, là aussi…

    Trois jours après : éternuements, fièvre, fatigue, gorge emportée, j’avais le Covid.


  • Une semaine à Paris

    Nous avons renoué avec les dîners de Nicky, qu’il continue d’assurer depuis le décès de Noëlle. Il envoie une invitation à une vingtaine de personnes en précisant le menu,  mardi un cassoulet (il est originaire de Pau). Selon les réponses, il concocte des tablées surprises. Ce soir-là, trois de ses petits-enfants s’étaient joints à nous et à un couple de notre âge.

    Quel plaisir ce fut de discuter de leurs études ! Stage de Science Po auprès d’assistants parlementaires à l’Assemblée nationale pour l’un. Pour les deux jeunes filles ayant laissé leur famille à Singapour, l’une étudie dans une école de cinéma (elle veut se spécialiser dans le montage) et pour l’autre, démarrage du droit à Dauphine. Le mari de l’autre couple avait fait ses études à Science Po, il y a près de cinquante ans. Ils s’étaient rencontrés dans la haute fonction publique et ils évoquaient leurs relations avec les politiques. Elle avait un temps été chargée de la communication des ministres, en particulier de celle de Laurent Fabius. Ils avaient vu défiler toutes les couleurs politiques. Lui, avait travaillé à l’Équipement, en particulier pour la ville nouvelle de Marne-la-Vallée. Ils avaient passionnément aimé leur métier. Le jeune garçon buvait leurs paroles, visage un peu tendu, le contingent de l’école étant passé dans l’intervalle de quelques centaines à cinq mille élèves.

    Quel soulagement ce fut de recevoir un message de Daria ! Elle est revenue à Paris. Nous nous sommes retrouvées à l’atelier. Elle m’a raconté la vie des jeunes et des femmes au milieu de la répression en Iran. Alors qu’il distribuait des tracts lors d’une manifestation, un ami étudiant a été arrêté par un gardien de la révolution surgi d’une ambulance. Toute sa famille a été poursuivie. Jusqu’à l’arrivée au pouvoir du président Ebrahim Raïssi, Daria était heureuse à chaque retour en Iran de voir combien la société évoluait, à la fois dans la modernité et dans le respect des religions, de la culture et des traditions. Elle était fière de cette évolution vers un humanisme inventif. La répression s’est abattue sur les jeunes comme un cataclysme. Elle m’a dit que beaucoup des gardiens de la révolution, représentants de la police des mœurs, sont des arabes mercenaires venus de Syrie ou d’ailleurs et ne parlent pas persan. Selon elle, les jeunes n’ont pas peur et ne reculeront pas, contrairement aux précédentes révoltes. Mal à l’aise à Paris dans l’attente d’une réponse pour un postdoc, elle pense sans cesse à son pays et voudrait y retourner.

    Ce matin dimanche, café avec Pierre derrière Saint-Eustache. Quand un peintre rencontre un autre peintre, ils se racontent… des histoires de peinture. Malgré les perpétuelles exigences qui nous font souvent peiner sur notre travail, nous avons parlé de notre chance. Pinceau à la main, le temps et l’univers se dilatent, nous ignorons l’ennui. Nous avons un peu discuté d’art contemporain, un art extraverti, qui s’adresse au plus grand nombre. Nous avons évoqué les façades d’immeubles peintes, appréciant certaines, jugeant beaucoup d’autres trop envahissantes.

    Nous nous sommes quittés pour rentrer déjeuner, lui, vers le Pont Neuf, moi par la rue Montorgueil. Une queue démarrait un peu avant Stohrer. Songeant encore à notre conversation, j’ai continué machinalement vers la pharmacie. Quand j’ai réalisé qu’elle s’étirait sur plus de cent mètres, je suis revenue sur mes pas pour regarder quelle boutique pouvait intéresser ces jeunes au point de faire le pied de grue durant plus d’une heure, une occupation à laquelle je ne me plie qu’en cas de nécessité absolue.

    La queue démarrait d’une petite boutique intitulée « Fou de pâtisseries » en lettres fines et dorées sur fond bleu-nuit. Elle proposait des pâtisseries destinées à un nouveau public, du genre petits cannelés ou tartelettes architecturées. La file indifférente à ses babas au rhum, à ses gâteaux moussus bouchait l’entrée de l’illustre et historique Stohrer. On remarque de temps en temps à Paris des files de ce genre, composées de jeunes à baskets blanches devant des magasins qui paraissent insignifiants. Là, il s’agissait plutôt de trentenaires, en couple ou célibataire. Effet internet ? Pourquoi n’ai-je jamais possédé cet instinct grégaire ?

    Lundi, nous sommes allés à Faremoutiers pour les obsèques de mon cousin Philippe C. et c’est une autre histoire.


  • Une semaine à Paris

    Nous avons renoué avec les dîners de Nicky, qu’il continue d’assurer depuis le décès de Noëlle. Il envoie une invitation à une vingtaine de personnes en indiquant le menu – mardi un cassoulet (il est originaire de Pau) – et selon les réponses, il offre des tablées surprises. Ce soir-là, trois de ses petits-enfants s’étaient joints à un couple de notre âge ainsi qu’à nous.

    Quel plaisir ce fut de discuter de leurs études ! Stage de Science Po auprès d’assistants parlementaires à l’Assemblée nationale pour l’un. Pour les deux jeunes filles ayant laissé leur famille à Singapour, l’une étudie dans une école de cinéma (elle veut se spécialiser dans le montage) et pour l’autre, démarrage du droit à Dauphine. Le mari de l’autre couple avait fait ses études à Science Po, il y a une cinquante d’années. Ils avaient travaillé dans la haute fonction publique où ils s’étaient connus. Ils évoquaient leurs relations avec les politiques. Elle avait un temps été chargée de la communication des ministres, en particulier de celle de Laurent Fabius. Ils avaient vu défiler toutes les couleurs politiques. Lui avait travaillé à l’Équipement, en particulier pour la ville nouvelle de Marne-la-Vallée. Ils avaient passionnément aimé leur métier. Le jeune garçon buvait leurs paroles, visage un peu tendu, le contingent de l’école étant passé dans l’intervalle de quelques centaines à cinq mille élèves.

    Quel soulagement ce fut de recevoir un message de Daria ! Elle est revenue à Paris. Nous nous sommes retrouvées à l’atelier. Elle m’a raconté la vie des jeunes et des femmes au milieu de la répression en Iran. Un ami a été arrêté parce qu’il distribuait des tracts, toute sa famille a été poursuivie. Jusqu’à l’arrivée au pouvoir du président Ebrahim Raïssi, elle était heureuse à chaque retour de voir combien la société évoluait, à la fois dans la modernité et le respect des religions, de la culture et des traditions. Elle était fière de cette évolution vers un humanisme inventif. La répression s’est abattue sur les jeunes comme un cataclysme. Elle m’a dit que beaucoup des gardiens de la révolution, représentants de la police des mœurs, sont des arabes mercenaires venus de Syrie ou d’ailleurs et ne parlent pas persan. Les jeunes n’ont pas peur et ne reculeront pas, contrairement aux précédentes révoltes. Mal à l’aise à Paris dans l’attente d’une réponse pour un postdoc, elle pense sans cesse à son pays et voudrait y retourner.

    Ce matin dimanche, café avec Pierre derrière Saint-Eustache. Quand un peintre rencontre un autre peintre, ils se racontent… des histoires de peintres. Malgré les perpétuelles exigences qui nous font souvent peiner sur notre travail, nous avons parlé de notre chance. Pinceau à la main, le temps et l’univers se dilatent, nous ignorons l’ennui. Nous avons un peu discuté d’art contemporain, un art extraverti, qui s’adresse au plus grand nombre. Nous avons évoqué les façades d’immeubles peintes, appréciant certaines, jugeant beaucoup d’autres assez envahissantes.

    Nous nous sommes quittés pour rentrer déjeuner, lui, vers le Pont Neuf, moi par la rue Montorgueil. Une queue démarrait un peu avant Stohrer. Encore dans la conversation, j’ai continué machinalement vers la pharmacie. Quand j’ai réalisé qu’elle s’étirait sur plus de cent mètres, je suis revenue sur mes pas pour voir quelle boutique pouvait intéresser ces jeunes au point de faire le pied de grue durant plusieurs heures, une occupation à laquelle je ne me plie qu’en cas de nécessité absolue.

    La queue démarrait d’une petite boutique intitulée « Fou de pâtisseries » peintes en lettres fines et dorées sur fond bleu-nuit noire. Elle proposait des pâtisseries destinées à un nouveau public, des cannelés par exemple. La file indifférente à ses babas au rhum, à ses gâteaux moussus bouchait l’entrée de l’illustre et historique Stohrer. On remarque de temps en temps à Paris des files de ce genre, composées de jeunes à baskets blanches devant des magasins qui paraissent insignifiants. Là, il s’agissait plutôt de trentenaires, en couple ou célibataire. Effet internet ? Pourquoi n’ai-je jamais eu cet instinct grégaire ?

    Lundi, nous sommes allés à Faremoutiers pour les obsèques de mon cousin Philippe C. Mais c’est une autre histoire.

    Ce matin dimanche, café avec Pierre derrière Saint-Eustache. Quand un peintre rencontre un autre peintre, ils se racontent… des histoires de peintres. Malgré les perpétuelles exigences qui nous font souvent peiner sur notre travail, nous avons parlé de notre chance. Pinceau à la main, le temps et l’univers se dilatent, nous ignorons l’ennui. Nous avons un peu discuté d’art contemporain, un art extraverti, qui s’adresse au plus grand nombre. Nous avons évoqué les façades d’immeubles peintes, appréciant certaines, jugeant beaucoup d’autres assez envahissantes.

    Nous nous sommes quittés pour rentrer déjeuner, lui, vers le Pont Neuf, moi par la rue Montorgueil. Une queue démarrait un peu avant Stohrer. Encore dans la conversation, j’ai continué machinalement vers la pharmacie. Quand j’ai réalisé qu’elle s’étirait sur plus de cent mètres, je suis revenue sur mes pas pour voir quelle boutique pouvait intéresser ces jeunes au point de faire le pied de grue durant plusieurs heures, une occupation à laquelle je ne me plie qu’en cas de nécessité absolue.

    La queue démarrait d’une petite boutique intitulée « Fou de pâtisseries » peintes en lettres fines et dorées sur fond bleu-nuit. Elle proposait des pâtisseries destinées à un nouveau public, des cannelés par exemple. La file indifférente à ses babas au rhum, à ses gâteaux moussus bouchait l’entrée de l’illustre et historique Stohrer. On remarque de temps en temps à Paris des files de ce genre, composées de jeunes à baskets blanches devant des magasins qui paraissent insignifiants. Là, il s’agissait plutôt de trentenaires, en couple ou célibataire. Effet internet ? Pourquoi n’ai-je jamais eu cet instinct grégaire ?

    Lundi, nous sommes allés à Faremoutiers pour les obsèques de mon cousin Philippe C. Mais c’est une autre histoire.


  • Par Cœur, au Palais-Royal

    Oh, Daria, si tu savais comme je pense à toi, à ta famille, à ton pays !

    Un automne radieux dans un monde sous la menace nucléaire. Si prier, c’est espérer, oui, je prie de toute mon âme pour que la folie de Poutine n’entraîne pas le monde dans cette apocalypse probable, annoncée par Joe Biden. Des déluges de missiles tombent sur l’Ukraine.

    Pourquoi dans un tel contexte évoquer la récitation de poésies, ouverte à tous, au Palais-Royal ? Peut-être parce que des rescapés des camps nazis ont dit combien la mise en commun de leur mémoire poétique les avait aidés à tenir bon. Mais aussi parce que la prochaine séance, programmée cette semaine, propose d’apprendre par cœur pour une récitation collective, la Chanson d’automne de Paul Verlaine.

    Les sanglots longs

    Des violons

    De l’automne

    Blessent mon cœur

    D’une langueur

    Monotone.

    Blessent ? Bercent me venait spontanément à l’esprit. Recherche sur Internet : cette strophe a été envoyée à la Résistance par De Gaulle, comme code du débarquement en Normandie, avec le mot bercer, utilisé par Charles Trenet.

    Une mémoire collective riche d’espérance !

    Ce dimanche-là, journée du patrimoine, nous étions allés écouter un exposé sur le théâtre de Molière sous le péristyle de la galerie Montpensier. En sortant, nous avons aperçu sur une colonne une affichette annonçant cette récitation publique. Elle démarrait justement à cet instant.

    Les fables pour l’anniversaire de mariage de Patrice et Monique encore fraîches dans nos mémoires, sans plus réfléchir, nous avons filé vers le petit jardin clos, sous les fenêtres de Colette. Malgré l’heure tardive, 18 h, les promeneurs étaient encore nombreux à écouter des guides qui commentaient ça et là l’histoire du lieu, celle de Richelieu, de Philippe d’Orléans, de la Comédie française, du ministère de la Culture et du Conseil d’État.

    Le soleil caressait encore les étages et les toits, l’ombre avait gagné les rangées d’arbres, les pelouses, le bassin et nous avons poussé le portillon. Sur son pourtour, une vingtaine de personnes assises côte à côte sur les bancs de bois écoutait religieusement le discours d’un homme dressé au centre de l’enclos. Nous les avons rejoints. Installés confortablement dans la brise du soir, les paroles nous parvenaient, émergeant d’un univers à la limite de la réalité.

    Je compris qu’il s’agissait de prose, d’une prose littéraire, dont les phrases longues et cursives me disaient quelque chose. Proust ? Oui, Proust ! La grand-mère, la madeleine flottaient dans le murmure étouffé de la ville. On n’entendait pas très bien, mais la ferveur de l’orateur compensait, retenait l’attention.

    Quand il se tut, une femme s’approcha de nous :

    — Comment êtes-vous arrivés ici ?

    — Nous avons vu une affichette et nous avons demandé au bureau où cela se trouvait.

    Elle parut très étonnée et nous a expliqué la genèse de cette histoire, toute récente.

    Il y a peu, un groupe de proustiens s’était réuni au Palais Royal pour une récitation en plein air. Le conservateur du domaine les avait surpris en pleine action et s’était joint à eux. Lui aussi connaissait par cœur des passages de La Recherche. Il les avait encouragés à élargir ces récitations à la poésie et à les ouvrir à tous. Il faut rappeler que cet oasis au centre de Paris est un condensé de charme recueilli. En 2016, des vers de Baudelaire, Rimbaud, Hugo et de poètes étrangers ont été inscrits au laser sur le dossier de plusieurs de ses chaises ou peints sur le bois de ses bancs.

    Pas de lecture, mais des récitations. C’est ainsi que le groupe a pris le nom de « Par Cœur » et se réunit désormais régulièrement au Palais-Royal. En cas de pluie il est accueilli sous le péristyle Montpensier, avec chaises et sonorisation. Tout le monde peut s’y joindre.

    Ce soir-là, nous avons écouté Montesquieu, Corneille, et bien d’autres. J’ai pu réciter Sous le pont Mirabeau et Le chat, la belette et le petit lapin. Impression étrange de lancer ces mots défiant le temps vers le ciel illuminé par le soleil couchant, vers ces lieux chargés d’histoire, à deux pas de la Comédie Française, en toute liberté, devant des regards bienveillants et intéressés.


  • Aujourd’hui, le monde.

    Lorsque je relis mes notes sur la politique, la guerre ou l’état du monde, je m’étonne. Par exemple, les actualités avaient annoncé la mobilisation générale en Russie, la levée de 300 000 soldats. Aujourd’hui, après une semaine d’intense incorporation, on nous dit qu’elle était ciblée sur les seuls réservistes. Tout de même, 300 000 hommes, à loger, à nourrir, à transporter, à instruire, à armer…

    Poutine après un référendum truqué a confirmé par un discours retransmis par les télévisions du monde entier l’annexion des quatre provinces de l’est de l’Ukraine. Désormais territoires russes, toute intervention militaire y justifierait selon lui l’usage de l’arme nucléaire. Les Russes par peur ou tout simplement pour être tranquilles croient toujours dans ses discours mensongers. Pour combien de temps ? L’Ukraine résiste avec l’aide stratégique et l’armement des Occidentaux, surtout des U.S.A.

    Nous entrons dans une économie de guerre. Plus de gaz, plus de pétrole russe, l’électricité va manquer cet hiver. Déjà le prix de l’énergie flambe et les prix à la consommation suivent. Le gouvernement français établit un bouclier tarifaire tout en assurant des services publics de plus en plus défaillants.

    La guerre ne fait qu’accentuer une réalité qu’on ne voulait pas voir : nous vivons au-dessus de nos moyens sur des dettes explosives tant sur le plan économique que sur le plan climatique.

    Cependant, j’hésite à écrire ce genre de commentaires pessimistes ! Le confinement n’a pas entraîné autant de malheur que je l’avais craint. Les Russes ont peut-être déjà perdu la guerre et les menaces de Poutine ne seraient alors que gesticulations. La paix est peut-être plus proche qu’on ne le croit.

    En Iran, le soulèvement à la suite de la mort en garde à vue d’une jeune fille arrêtée pour n’avoir pas suffisamment caché ses cheveux met en marche une répression qui pourrait s’apparenter aux atrocités commises en Syrie depuis 2011. Je pense à Ana, plongée dans cette douloureuse situation. Wattsapp a été coupé et je ne veux pas lui nuire !

    Beaucoup de pays vivent sous la menace de révoltes sociales. Quand les plus riches profitent de la crise, les pauvres trinquent, ne pouvant plus manger, circuler, se chauffer décemment. La faim regagne du terrain.

    Le monde va mal !

    Et pourtant… Malgré des résultats décevants au premier tour , il semble que Lula soit en mesure de gagner les élections au Brésil contre l’actuel président d’extrême droite Bolsonaro, (Isa notre nièce brésilienne doit être sur le qui vive). Les événements actuels nous contraignent à réfléchir enfin au gaspillage énergétique (moi qui aime tant les bains chauds !) La pénurie de main-d’œuvre oblige les compagnies dont les profits explosent à se poser la question des bas salaires. L’Iran franchit peut-être une marche vers la liberté.

    Sortie de crise ? Le calme avant la tempête ? On n’a jamais vu autant de touristes à Paris, malgré l’absence des Chinois et des Russes.

    Samedi, le métro s’est arrêté pendant un quart d’heure à la station Madeleine. Des cris, l’arrivée de la police, le spectacle habituel des pickpockets dans les rames bondées de touristes avec enfants, de retraités en goguette, de jeunes en bandes. Venus de l’Est, on dirait qu’ils font leur marché et l’extrême droite s’installe sur cette insécurité.

    Le monde était beaucoup plus simple autrefois. Il y avait les pays capitalistes, les pays socialistes, le tiers monde. La gauche et la droite. La ville, la banlieue et la campagne. La guerre et la paix… Aujourd’hui tout se mélange. Les fakes news sont prises pour paroles d’évangile, la vérité et le mensonge se distinguent difficilement. Tout le monde a droit à la parole par internet, qu’on s’y connaisse ou non. Chacun est juge de tout. Et chacun vit comme il peut, dans un univers individualiste, équilibre précaire qui risque à tout moment de sombrer dans l’anarchie ou le désastre économique.

    Et pourtant… on est en droit d’espérer. Imaginez ce que serait le monde, si Trump inféodé à Poutine avait gagné les élections ! Les périodes troublées ont toujours précédé les avancées de civilisation. On a de tout temps trouvé des moments de bonheur dans l’adversité (voir Montaigne), l’important n’étant pas tant ce qu’on vit, mais la façon dont on le vit. La France demeure pour le moment un pays de liberté. L’espoir est de mise et surtout l’avenir est imprévisible.

    Pour ma part, je ne regrette pas la compétition des trente glorieuses, ses valeurs fondées sur la réussite financière ou sociale. J’ose avouer respirer mieux dans la complexité d’aujourd’hui.

    Être vivant, c’est espérer. En tous cas, on y travaille !