Les Noëls se suivent et ne se ressemblent pas.

Dans les faits, oui. Les retrouvailles, l’installation des lits, les activités des uns et des autres, les achats de dernière minute, les menus, les courses se déroulent tous les ans avec la même vitalité, presque à l’identique. Nous nous retrouvons tous ensemble la veille de Noël et le lendemain, enfants et petits-enfants se dispersent dans les belles familles, à Paris pour les uns, vers Rouen pour les autres.

En réalité, des nuances se font sentir. Le passage du temps marque l’année écoulée. Chez nos enfants, des cheveux blancs apparaissent, l’expérience teinte les propos, chez nos petits enfants, les aînés sont désormais des adultes, étudiants, mais adultes, les deux autres évoluent dans l’adolescence, rude période de changements.

Et il faut suivre, ce n’est pas toujours facile. S’adapter ? Impossible. Les habitudes ont évolué. Nous nous contentons d’être attentifs, de les observer avec autant d’humour que possible, veiller à ne pas juger trop vite des comportements souvent transitoires. Des perles peuvent surgir d’une liberté d’expression dont nous n’avions pas l’usage à notre époque. De même que nous avons oublié les nuits agitées de la petite enfance, nous ne nous souvenons plus de l’adolescence de nos enfants. La prudence s’impose. Les conversations deviennent plus intéressantes, les sujets plus variés, les attitudes séduisantes.

Quel plaisir d’entendre une réflexion inattendue, une proposition pleine d’imprévu ! Des blagues fusent. Fête par nature affective, il nous est aussi arrivé, comme dans toutes les familles, de lever la voix. Noël est aussi fait pour ça. Cette année, ce fut très paisible.

Pendant trois jours, les Grenoblois se sont promenés dans Paris, ils ont revu des amis du temps de la faculté, vu un spectacle près de la République (ils ont traversé la manifestation qui a suivi l’attentat dans le centre culturel kurde), ont visité la BNF restaurée… et n’ont pas eu le temps de s’ennuyer.

Le soir, ce fut un dîner affectueux, tranquille et joyeux. Distribution des cadeaux. Touchée par celui de Thomas, un joli savon parfumé qu’il avait acheté tout exprès cet été pendant sa colonie de vacances au bord du lac de Serre-Ponçon.

Le lendemain matin, épuisés, nous ne les avons pas entendus défaire les lits, remplir leurs valises, prendre leur petit déjeuner. Ils nous ont réveillés juste cinq minutes avant de partir. Nous les avons vus disparaître dans l’escalier avec un rien de nostalgie.

On se reverra à Pâques !

Enfin nous nous sommes retrouvés seuls, dans le silence, dans un immeuble déserté. Et on a dormi, dormi…

C’est seulement maintenant que je retrouve mon train-train, grâce à vous, amis lecteurs.

A la réflexion, une question me tourne dans la tête. Leur univers, notre univers tourne désormais autour des mobiles. Nous sommes constamment reliés au monde par internet. Nous y passons des heures. Dans le métro, comme chez nous tous, les nez sont plongés sur ce petit quadrilatère de seize centimètres sur sept.

Le spectacle du salon et des mobiles se substituant à la parole me tarabuste. Contente de trouver des réponses à mes questions (obligée tout de même de recouper les informations), de suivre l’actualité en continu (avec les mêmes précautions…), je suis heureuse de pouvoir joindre mes amis grâce aux messageries, mais j’y suis mal à l’aise. Il me manque les mimiques, les odeurs, la chair, les sourires, mais surtout le mystère et le temps. Je rêve parfois la nuit que je me bats avec les touches de mon smartphone et que je suis larguée, mes doigts sont trop gros, les touches trop serrées, la charge insuffisante. Je ne peux pas regagner le groupe que ma rêverie et mon insouciance m’ont fait perdre au fil de la marche. Je ne trouve pas les numéros de téléphone.

Impossible de savoir s’il s’agit de maladresse ou d’une réaction à un monde se virtualisant à l’excès, ou les deux à la fois…