• Trois jours à Vienne (suite 3)

    Le lendemain matin, nous nous sommes dirigés vers Schönbrunn en métro..

    À propos de ce métro, une ancienne ligne de chemin de fer, je dois avouer que durant ce séjour à Vienne, nous sommes passés à côté de l’Art nouveau d’Otto Wagner. J’ai bien ressenti une harmonie particulière le long du trajet, le comparant à son avantage aux RER de la région parisienne, le croyant d’une époque proche de la nôtre, sans me douter qu’il datait du début du XIXe siècle. À plusieurs reprises, j’avais remarqué plusieurs façades ouvragées au centre de Vienne sans vraiment m’y arrêter. Il a fallu un petit mot d’Anne P. sur l’église de Steinhof pour que j’y prête une réelle attention. Hélas, trop tard. Mais nous reviendrons.

    En évoquant Schönbrunn, Yves A. m’avait prévenue : « Par rapport à ce qu’on m’en avait dit, je l’ai trouvé beaucoup plus petit que Versailles. Vous me direz ce que vous pensez ! »

    En effet, s’il a été construit sur le modèle de Versailles une trentaine d’années plus tard, il n’en possède pas la grandeur. Remanié par l’impératrice Marie-Thérèse, son style rococo est plus riant, sans être véritablement familier, c’est le moins qu’on puisse dire. On imagine volontiers derrière les façades ocre jaune, Joseph II, le fils de Marie-Thérèse, frère de Marie-Antoinette, monarque du Siècle des Lumières. Bien que de tempérament austère, il avait commandé à Mozart L’Enlèvement au sérail et avait soutenu Les Noces de Figaro, contre l’opinion d’une partie de la noblesse de Vienne qui jugeait l’opéra subversif.

    La visite se déroula dans les appartements de François Joseph, lequel y passa tous les étés de sa longue vie (1848-1916). Une sorte de réplique du palais viennois, peut-être un peu moins solennelle et plus familiale. Nous avons déambulé dans les appartements du couple très épisodique qu’il formait avec Sissi, de leurs enfants élevés sous la coupe de la reine Sophie, la mère abusive de l’empereur. Un revenez-y peut-être de trop, mais comment ne pas visiter Schönbrunn, après avoir vu Élisabeth d’Autriche incarnée par Romy Schneider accueillir Louis II de Bavière sur le grand escalier extérieur dans le film de Visconti ? Ah,  leur déambulation dans la Grande galerie… !  Mais mon souvenir est lointain, je me trompe peut-être de château … Je me souviens surtout que Visconti évoquait avec une terrible acuité la décadence de l’empire austro-hongrois.

    Nous nous sommes promenés dans le parc effectivement beaucoup moins grand que celui de Versailles, puis nous avons déjeuné sur la terrasse de  l’orangerie. En raison de la saison, nous n’étions pas trop nombreux comme dans la plupart des sites touristiques aujourd’hui. Matinée délicieuse sous le soleil d’automne.

    (à suivre)


  • Trois jours à Vienne (suite 2)

    Partager avec vous ces moments, c’est un peu les revivre.

    Marcel et Jacqueline, nos voisins de Tougin aiment commencer l’année en écoutant le concert du Premier janvier retransmis dans quatre-vingt-dix pays depuis de la salle du Musikverein de Vienne. Concert consacré aux Strauss, valses, polkas dirigées par les plus grands chefs d’orchestre. Une tradition qui réunit plus de cinquante millions d’auditeurs dans le monde entier.

    Gilles avait eu l’idée d’y réserver des places pour un concert Mozart (en costumes d’époque) et je craignais une manifestation à visée touristique.

    Une foule internationale, beaucoup de Chinois probablement propulsés par des tours opérateurs, se pressait dans le hall d’entrée, mais on y voyait aussi des Viennoises en robes du soir et bijoux, des hommes en costumes sombres. Nous avons reconnu la salle, un peu moins dorée qu’à la TV, moins étincelante, car moins éclairée, mais tout de même révélatrice de la Vienne de la fin du XIXe siècle et de ses fastes. Plusieurs couples autrichiens d’un certain âge en habits de fête ont pris place autour de nous avec une certaine gravité. C’était peut-être une tradition de venir y célébrer des souvenirs ou des anniversaires de mariage.

     

     

     

    Les airs les plus connus de Mozart se sont succédé comme un jeu de devinettes. La Petite musique de nuit, la Marche turque et bien d’autres. Le public applaudissait avec bonheur comme s’il s’agissait d’un rituel incontournable. L’homme à ma droite posa sa main sur celle de sa compagne et leurs pouces se caressèrent avec une tendresse de vieux couple pendant le duo d’amour de Tamino et Pamina.

     

    Et Papageno s’est avancé en dansant au son de la flûte. Après avoir posé sa cage à oiseau d’un geste tranquille, il commença à chanter. Après quelques phrases, il se tut, entoura de ses bras les jambes du chef d’orchestre et glissa lentement vers le sol. Le chef baissa les yeux avec amusement et dirigea de plus belle son orchestre en redingotes et gilets XVIIIe. Mais l’oiseleur ne se releva pas. Le chef se pencha sur lui une seconde et se dirigea d’un pas ferme vers la coulisse. Il revint accompagné d’un monsieur en costume sombre qui fit un signe sur le côté. L’oiseleur fut évacué inanimé, porté par les pieds et par la tête. On avait cru à une blague, il y eut un flottement.

    Le concert allait-il continuer ? Le chef d’orchestre se tourna vers la salle. « It’s life ! ». dit-il après un mot d’excuse. Une jeune femme surgit en robe à paniers et embraya sur l’air de la Reine de la nuit. Aussitôt après et sans transition, le chef d’orchestre lança le Beau Danube bleu, puis la Marche de Radestzki. Dans la plus pure tradition du premier janvier, il incita le public à frapper en rythme dans ses mains avec un entrain peut-être démultiplié par l’angoisse des circonstances. Et nous sommes sortis sans rien savoir du sort du pauvre Papageno. Ainsi va la vie viennoise ! Finalement à l’image de celle de Mozart…

    Gilles me dit qu’il lui avait vu remuer les pieds.

    (à suivre)

     


  • Trois jours à Vienne (suite)

    Vite avant d’oublier ! Le lendemain mardi, nous sommes donc repassés devant le Rathaüs où le cirque se démontait. Une noria d’hommes costauds s’employait à transporter des tubes de fer et des planches de bois. Ils travaillaient dans un silence qui contrastait avec le bruit de la veille. Noria bien rodée dont on devinait que chaque mouvement était immuable. Il y a quelque chose d’émouvant dans ce nomadisme perpétuel. L’un d’entre eux a dû comprendre mon sentiment ; quand je les ai photographiés, il m’a comme remerciée d’un chaleureux sourire. Mais plus tard, j’ai appris que le cirque Roncalli présentait un célèbre numéro de fauves. Même si ces animaux sont nés et ont toujours vécu en captivité, je ne supporte pas de les voir tourner en rond dans leurs minuscules enclos au lieu de courir dans la savane africaine.

    J’ai ressenti une impression un peu semblable lorsque nous avons visité le Hofburg. Les ors et l’immensité du palais impérial ne cachaient pas les impératifs de la cour, de l’étiquette, le travail acharné de l’empereur, les requêtes, les fastes obligés. Une immense cage dorée. Ce genre de visite ne m’inspire aucun désir de pouvoir.

     

     

    Comme je comprends l’impératrice Élisabeth d’Autriche d’avoir fui Vienne ! Le musée qui lui est consacré à l’étage supérieur est touchant, d’autant plus qu’à Genève nous passons souvent sur le quai où elle fut assassinée. Je ne lui envie pas ses wagons particuliers, ses robes magnifiques, ses dames de compagnie et même pas ses palais italiens et ses palaces suisses. J’y vois plutôt des voyages à escarbilles de suie, des robes qui serrent et qui piquent, des accompagnatrices encombrantes, des palais à gérer, des courbettes serviles. La liberté me semble faire mauvais ménage avec l’apparat,aujourd’hui comme hier.

     

     

    Heureusement qu’ensuite nous avons visité la maison de Mozart.

    Parmi les douze maisons qu’il habita à Vienne, elle abrita de 1784 à 1789, les moments les plus heureux de sa vie. Il y composa les Noces de Figaro. Une plaque à son nom était posée sur une belle maison ancienne. Ne voyant pas de porte nous sommes allés nous renseigner dans l’hôtel-restaurant à sa gauche. Nous sommes entrés par un porche dans une cour surmontée d’une verrière, sorte de salon d’hiver assez luxueux où se tenaient des clients du genre jet set. Le garçon ne se fit pas prier et nous conduisit jusque dans la rue pour nous faire contourner l’angle de la maison.

     

     

    Quel plaisir d’être plongé dans l’univers de Mozart ! Le musée englobe les pièces qu’il a occupées avec sa famille. Les salles aux planchers d’époque distillent à l’aide de tableaux, de documents et d’un audio guide très bien fait  des informations sur sa musique et son mode de vie. Passionnant ! Le salon est reconstitué grâce à des meubles qui ressemblent à ceux retrouvés dans un inventaire. On peut observer la Vienne de la fin du XVIIIe siècle, ses partitions, ses amis, sa femme Constance et leurs enfants, des costumes et des photos de mises en scène à travers les âges. Un régal pour qui aime Mozart et c’est mon cas ! Son masque mortuaire présente une architecture puissante assez éloignée de la légèreté associée à son nom. À cette époque, Mozart menait grand train et recevait énormément. Comment a-t-il pu travailler dans un tel capharnaüm ? Une maquette montre une vaste cour dans laquelle étaient disposés beaucoup de lits destinés autant à ses amis de passage qu’aux musiciens des concerts qu’il proposait à un public assis sur une cinquantaine de chaises disposées en rangs d’oignons. J’imaginais le bouillonnement qui avait dû y régner.

    En sortant, j’ai compris qu’il s’agissait probablement de la cour de l’hôtel voisin. Comme il est émouvant de s’introduire par hasard dans l’univers d’un génie !

    (à suivre)

     


  • Trois jours à Vienne

    La descente sur Vienne était annoncée depuis un bon moment, le Danube d’une couleur bleu saphir se frayait un chemin sinueux entre les collines assombries par le soir. Montagnes ou collines ? En avion, le relief perd de sa réalité même à faible altitude. Devant nous, le large ruban qui brillait au soleil couchant semblait prendre possession de la métropole étalée dans la plaine, agglomération qui me parut un peu incongrue après les centaines de kilomètres de forêts et de clairières survolées, en Lorraine et en Allemagne.

    Le temps d’attendre la valise sur le tourniquet, c’est de nuit que nous sommes sortis du métro à l’arrière du Rathaus (le Nouvel hôtel de ville, de style néogothique). De larges avenues désertes, quelques voitures, une lumière insuffisante pour lire le plan nous laissèrent perplexes après le remue-ménage de Paris. Nous nous attendions à des foules, à de la musique, à des cafés. Une jeune fille a surgi d’on ne sait où pour nous indiquer la direction de l’hôtel. Ce premier contact fut à l’image des trois jours qui suivirent : une sorte de nonchalance inventive et efficace de la part de tous.

    Notre hôtel, un ancien palais, à l’époque découpé en petits appartements avait abrité Stefan Sweig avant son départ pour Berlin. Aujourd’hui, sa façade, son hall, son escalier majestueux, son intérieur moderne et confortable n’ont plus grand-chose de commun avec le logement du jeune journaliste-écrivain.

    Après avoir déposé la valise, nous sommes passés devant le parvis du Rathaus où le cirque Roncalli, un cirque baroque à la hongroise, terminait sa représentation dans une débauche de lumière. Avec des cris de joie et des applaudissements, la foule s’est déversée dans le parc.

    Un énorme orgue de barbarie, le beffroi illuminé du Rathaus accompagnaient cette sortie rieuse. J’ai pris des photos, ratées pour je ne sais quelle raison, et c’est bien dommage. Celle-ci est prise  le lendemain au démontage..

    À la sortie du parc, de l’autre côté du Ring ce vaste boulevard circulaire que se partagent les tramways, les voitures, les cyclistes, les piétons, et qui longe monuments et palais avec une grâce incompréhensible, un public élégant entrait dans le Burgtheater, le théâtre de la cour.

     

    Le café Landtmann nous tendait les bras. En pensant à Freud un habitué des lieux, nous avons commandé un goulasch sur la terrasse. Choix du soir peu judicieux. Après une petite exploration de la vieille vile, de retour à l’hôtel notre sommeil fut agité.

    (à suivre)

     


  • Les cafés de Paris (suite)

    Un café peut s’ouvrir à des activités originales. J’en connais plusieurs.

    Rue de Charenton, le Rocamadour accueillait dans sa salle du fond nos réunions de copropriété autour de monsieur Camuset, président bénévole, un vieux de la vieille du quartier, pour lequel les règlements et les lois n’avaient pas de secret.

    Dans le quartier grec de la Huchette, l’Olympie réunit chaque mois dans ses sous-sols une grande vingtaine de traducteurs d’Homère. Une dizaine d’hellénistes reste ensuite à déjeuner pour continuer des évocations personnelles soudant des amitiés de longue date.

    Place de la Bastille, le Café des Phares s’ouvre chaque dimanche matin, qu’il pleuve ou qu’il vente, été comme hiver, à des interventions philosophiques. Après avoir choisi à main levée un thème, le meneur de jeu tend le micro à qui veut s’exprimer. S’y retrouvent plus de cinquante personnes de tous bords, de toutes les nationalités, de toutes les professions, surtout des médecins, des scientifiques, mais aussi des artisans, cultivés ou non. Le dernier thème : souvenir et mémoire.

    Je me souviens d’un café de la rue de Turenne qui possédait un billard. J’aimais tellement déguster mon sandwich baguette-jambon-cornichon en regardant et en écoutant les billes virevolter. L’alternance du silence et des commentaires m’enchantait.


  • Les cafés de Paris

    Quel plaisir de s’arrêter dans un café à Paris, parenthèse hors des parcours habituels, halte ouverte à tout un chacun. Terrasse ou intérieur ? Banquette ou chaise ? Express ou café noisette ? Je fuis ceux qui serinent de la musique crin-crin, j’évite les voisins bruyants et m’écarte du trajet des serveurs. Par inadvertance, des conversations se glissent jusqu’à mes oreilles comme des cadeaux du ciel. J’y apprends des quotidiens, j’y surprends des confidences. En terrasse, je regarde défiler les passants, comme autant de destins croisés. Et mon esprit flâne, libre et attentif.

    La plupart des cafés se transforment à l’heure des repas. Les tables se couvrent d’assiettes et de couverts. Ils m’évoquent des rencontres amicales, des repas passionnants. Non pas que la nourriture y soit très recherchée, mais c’est une occasion de se retrouver. On s’y donne des nouvelles des uns et des autres, on raconte ses dernières vacances, on évoque ses derniers travaux. On blague sans retenue. On y partage des intérêts communs. On s’écoute et on se parle.


  • Voyage d’une semaine en Crète

    Atterrissage acrobatique à Héraklion dans la tempête, vent de travers. Après avoir loué une voiture, nous avons cherché un hôtel par booking.com.

     

    En quelques clics, nous avons sélectionné un hôtel en bord de plage. Nous y fûmes accueillis avec chaleur, mais il ne fut pas possible de de se baigner, un cyclone passait sur Athènes.

    La Grèce des anciens, de l’Odyssée, de la colère ou de la dérision des dieux, des drapés de la statuaire antique. Superbe !

     

    Nous avons filé vers l’ouest. Arrêt à Réthymnon pour grimper dans l’impressionnante forteresse vénitienne,  battue par le vent.

     

     

    Nous avons retrouvé Yannis et Françoise (des amis du Café homérique à Paris)  dans le village de Stavros, au pied d’une grande falaise ocre, où a été tourné le film Zorba le Grec. La maison de famille de Yannis a été construite du temps où il n’y avait qu’une baraque de pécheur blottie à l’abri du charmant petit port, lequel n’a guère changé depuis. Dîner crétois au port de Xania.

     

    Retour à Héraklion. Déjeuner au port. J’aime ces bateaux amarrés, prêts à affronter le grand large

     

     

    Visite du Musée archéologique. Remarquable mise en valeur d’une civilisation vivante et heureuse.

    Puis nous nous sommes dirigés vers l’est. Hôtel dans une ville touristique, des centaines de chambres insonorisées, climatisées, une organisation d’enfer. Tout ce qu’il faut pour une clientèle européenne middle class. Sauna, salles de gym… tout, pour pas si cher que ça ! Mais il faut aimer être pris en charge.

    A l’approche d’Élounda, étape dans un hôtel plus familial. Avant de repartir, nous avons pu profiter d’une jolie plage, enfin baignable malgré les vagues.

     

    À Élounda, nous avons assisté au mariage d’Astrid et Jérémy devant une petite chapelle orthodoxe, complètement entourée par la mer. Les coiffures, les chapeaux, les robes et les paroles tournoyaient dans le vent.

     

    La réception et le brunch qui suivirent eurent lieu dans un genre de rbnb, perché au-dessus du golfe. Luxe !

     

     

    Les jeunes déjeunèrent au bord de la piscine à moitié couverte.

     

     

    De baignade en baignade dans une mer à 24 degrés, retour à Héraklion,  « Revenez-y » d’été bien plaisant ! »

     

     

    Non loin de l’aéroport, Un étrange hôtel et la plage avoisinante, remplis exclusivement de Russes, personnel russe, baigneurs russes avides de soleil. Ils faisaient mentir leur réputation de rustres. Peu bruyants et discrets, (contrairement à beaucoup de touristes français !), ils portaient pour le dîner des tenues élégantes, légèrement désuètes.

    A Paris, dix degrés de moins, mais une belle lumière entre deux nuages.


  • « Madame de Staël et la politique moderne », au château de Coppet.

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    Rencontres de Coppet. Conférence de Marc Bonnant.

    La vaste salle voûtée était archi pleine. Nous n’avions pas réservé, mais Martina nous a gentiment trouvé deux chaises.

    Marc Bonnant, ténor du barreau de Genève, se sentait chez lui à Coppet dont il suit chacune des Rencontres, entouré ce soir-là d’amis dont une certaine Françoise Demole, plusieurs fois citée. Ce fut un festival !

    La meilleure partie de sa conférence a concerné l’amour des mots, l’importance de la parole à chaque moment de l’existence. En ceci, il rendait hommage à madame de Staël (soit dit en passant une incorrigible bavarde selon Byron…)

    Brillantissime, c’est peu dire ! Je me suis cru des années en arrière lorsque j’allais assister aux conférences du stage à Paris. Le plaisir des phrases bien balancées, de leur musicalité, des liaisons savoureuses, du rythme et de la chute.

    Marc Bonnant nous a défendu tout et son contraire avec un brio époustouflant, des inflexions de séduction superlatives, des piques d’humour dévastatrices. Sur le ton de la provocation, il a battu en brèche les notions de liberté égalité fraternité en défendant une politique autoritaire, ouverte en priorité aux initiatives économiques et financières, favorisant l’élite agissante, réticente aux subventions de tous ordres. Par quel tour de passe-passe est-il parvenu à se prévaloir du « libéralisme » de madame de Staël ?

    Egalement homme de théâtre, connaissant son public, il en jouait en virtuose. Des pirouettes pour atténuer des propos délibérément insupportables, exprimant sans retenue sa « haine du féminisme et du socialisme ». Des plaisanteries, « pour éviter que le public ne proteste et ne s’en aille ».

    Bien obligé de reconnaître qu’il est de ceux qui osent dire certaines vérités, qui osent choquer. Est-ce pour autant qu’il évite le politiquement correct ? Pas si sûr ! Il nous a surtout servi ses dadas, il en conviendrait sans vergogne.

    Plutôt qu’un grand méchant loup, bizarrement je trouve le personnage habile à se situer du côté des gagnants, des nantis. À se demander s’il lui arrive, dans son métier d’avocat de défendre la veuve et l’orphelin… Ce n’est peut-être pas sa spécialité.

    Quoi qu’il en soit – et comment aurait-il pu en être autrement ? – la victoire est revenue à Germaine de Staël, à son amour de la vie et de la liberté.

    Comme a dit Martina à la sortie « c’était chaud ! »

     

     

     

     


  • La tragédie de Saint-Gingolph en1944. 18 septembre 2018

    La semaine dernière, nous avons suivi la visite du château de Saint-Gingolph. Elle me trotte dans la tête.

    En 1940, l’armée italienne avait pris position à la frontière franco-suisse de la partie française de Saint Gingolph. Elle fut remplacée en septembre 1943 par l’armée allemande.

    Le 22 septembre 1944, le réseau de résistance d’Abondance reçoit l’ordre d’attaquer le poste de Saint-Gingolph.

    Un groupe descendu de Novel tombe sur une patrouille de deux soldats allemands qui discutent avec une femme. Perdant son sang froid, un jeune maquisard tire. Un soldat et la femme sont tués, l’autre soldat est blessé. Les coups de feu donnent l’alarme. Une fusillade éclate dans la rue principale. Dix Allemands sont tués. Les résistants battent en retraite.

    Le maire de la partie suisse se rend sur le territoire français pour parlementer avec le chef de la garnison allemande qui compte enfermer tout le village dans l’église et l’incendier comme à Oradour sur Glane. Il argumente que l’église est un bien commun aux deux communes, française et suisse, ce qui serait une atteinte à la neutralité de la Suisse. On lui concède la sauvegarde de l’église. Durant les pourparlers qui se prolongent, le chef militaire de la brigade de montagne du Valais, de son propre chef fait franchir à pied la frontière à la totalité des habitants de la partie française, recueillie ensuite en Suisse. Lorsque les SS arrivent pour raser le village au lance-flamme, ils prennent en otage huit personnes qui n’avaient pas pu ou pas voulu passer la frontière, ils en fusillent deux, et abattent le curé d’une balle dans le dos, alors qu’il sortait de son église.

    Le brigadier se rend auprès des officiers SS et leur fait savoir que la mise à feu des maisons appartenant à des Suisses entraînerait l’intervention de son contingent concentré à la frontière, coup de bluff qui fit son effet, car la rue Nationale, axe principal du village fut épargnée. Il put même faire intervenir les pompiers suisses pour sauver ce qui pouvait l’être encore.

    Cette histoire se racontait dans mon enfance, sans que j’en sache exactement les circonstances. Naturellement, je savais les familles suisses et françaises de Saint-Gingolph très apparentées, mais lorsque le guide évoqua le dernier enfant, un bébé tendu sur le pont-frontière à des âmes secourables, une vague d’émotion me submergea. Nous sommes abreuvés, aujourd’hui, d’horreurs aux actualités, l’argent et le repli sur soi semblent avoir tout envahi. La démocratie est partout en recul et la fin justifie de plus en plus les moyens, on ment aux électeurs, lesquels se laissent volontiers faire espérant en tirer profit. On ruse, on triche autant que faire se peut et le courage ne semble plus de mise. Suis-je pessimiste ? En tous cas, cette histoire surgie du fond de mon enfance m’a réchauffé l’âme.

     


  • Perche soleil.

    Le petit garçon pêchait à la gambe allongé sur le port.

    – ça mord ?

    Il s’est redressé ravi et m’a montré deux petits poissons aux dos striés de vert qui nageaient au fond d’une boite.

    – Des perches ! ai-je constaté.

    – Celle-là est une perche soleil.

    Elles se ressemblaient pourtant comme deux gouttes d’eau, il glissa la main dans la boite, la saisit et me montra le flanc du petit poisson.

    – Oh, comme elle est jolie ! Je connais les poissons du lac, mais je n’en avais jamais vu de pareilles.

    Ses écailles scintillaient de mille couleurs et sa petite bouche délicate cherchait de l’air que c’en était attendrissant.

    – Elle mange les œufs de tous les autres poissons. C’est une espèce exogène et nuisible. On n’a pas le droit de les remettre à l’eau.

    Il s’appelait Fabio. La première fois qu’il en avait pêché, c’était à Divonne, au pied du Jura. Grand Dieu, comment étaient-elles venues de l’autre bout du monde, comment avaient-elles pu se retrouver dans un si petit lac ?

    – On ne sait pas, me répondit l’enfant fataliste avec un sourire rayonnant. Brun, doré par le soleil, il était aussi beau que son poisson, et bien que pécheur certainement plus pacifique !