La semaine dernière, nous avons suivi la visite du château de Saint-Gingolph. Elle me trotte dans la tête.

En 1940, l’armée italienne avait pris position à la frontière franco-suisse de la partie française de Saint Gingolph. Elle fut remplacée en septembre 1943 par l’armée allemande.

Le 22 septembre 1944, le réseau de résistance d’Abondance reçoit l’ordre d’attaquer le poste de Saint-Gingolph.

Un groupe descendu de Novel tombe sur une patrouille de deux soldats allemands qui discutent avec une femme. Perdant son sang froid, un jeune maquisard tire. Un soldat et la femme sont tués, l’autre soldat est blessé. Les coups de feu donnent l’alarme. Une fusillade éclate dans la rue principale. Dix Allemands sont tués. Les résistants battent en retraite.

Le maire de la partie suisse se rend sur le territoire français pour parlementer avec le chef de la garnison allemande qui compte enfermer tout le village dans l’église et l’incendier comme à Oradour sur Glane. Il argumente que l’église est un bien commun aux deux communes, française et suisse, ce qui serait une atteinte à la neutralité de la Suisse. On lui concède la sauvegarde de l’église. Durant les pourparlers qui se prolongent, le chef militaire de la brigade de montagne du Valais, de son propre chef fait franchir à pied la frontière à la totalité des habitants de la partie française, recueillie ensuite en Suisse. Lorsque les SS arrivent pour raser le village au lance-flamme, ils prennent en otage huit personnes qui n’avaient pas pu ou pas voulu passer la frontière, ils en fusillent deux, et abattent le curé d’une balle dans le dos, alors qu’il sortait de son église.

Le brigadier se rend auprès des officiers SS et leur fait savoir que la mise à feu des maisons appartenant à des Suisses entraînerait l’intervention de son contingent concentré à la frontière, coup de bluff qui fit son effet, car la rue Nationale, axe principal du village fut épargnée. Il put même faire intervenir les pompiers suisses pour sauver ce qui pouvait l’être encore.

Cette histoire se racontait dans mon enfance, sans que j’en sache exactement les circonstances. Naturellement, je savais les familles suisses et françaises de Saint-Gingolph très apparentées, mais lorsque le guide évoqua le dernier enfant, un bébé tendu sur le pont-frontière à des âmes secourables, une vague d’émotion me submergea. Nous sommes abreuvés, aujourd’hui, d’horreurs aux actualités, l’argent et le repli sur soi semblent avoir tout envahi. La démocratie est partout en recul et la fin justifie de plus en plus les moyens, on ment aux électeurs, lesquels se laissent volontiers faire espérant en tirer profit. On ruse, on triche autant que faire se peut et le courage ne semble plus de mise. Suis-je pessimiste ? En tous cas, cette histoire surgie du fond de mon enfance m’a réchauffé l’âme.