Partager avec vous ces moments, c’est un peu les revivre.

Marcel et Jacqueline, nos voisins de Tougin aiment commencer l’année en écoutant le concert du Premier janvier retransmis dans quatre-vingt-dix pays depuis de la salle du Musikverein de Vienne. Concert consacré aux Strauss, valses, polkas dirigées par les plus grands chefs d’orchestre. Une tradition qui réunit plus de cinquante millions d’auditeurs dans le monde entier.

Gilles avait eu l’idée d’y réserver des places pour un concert Mozart (en costumes d’époque) et je craignais une manifestation à visée touristique.

Une foule internationale, beaucoup de Chinois probablement propulsés par des tours opérateurs, se pressait dans le hall d’entrée, mais on y voyait aussi des Viennoises en robes du soir et bijoux, des hommes en costumes sombres. Nous avons reconnu la salle, un peu moins dorée qu’à la TV, moins étincelante, car moins éclairée, mais tout de même révélatrice de la Vienne de la fin du XIXe siècle et de ses fastes. Plusieurs couples autrichiens d’un certain âge en habits de fête ont pris place autour de nous avec une certaine gravité. C’était peut-être une tradition de venir y célébrer des souvenirs ou des anniversaires de mariage.

 

 

 

Les airs les plus connus de Mozart se sont succédé comme un jeu de devinettes. La Petite musique de nuit, la Marche turque et bien d’autres. Le public applaudissait avec bonheur comme s’il s’agissait d’un rituel incontournable. L’homme à ma droite posa sa main sur celle de sa compagne et leurs pouces se caressèrent avec une tendresse de vieux couple pendant le duo d’amour de Tamino et Pamina.

 

Et Papageno s’est avancé en dansant au son de la flûte. Après avoir posé sa cage à oiseau d’un geste tranquille, il commença à chanter. Après quelques phrases, il se tut, entoura de ses bras les jambes du chef d’orchestre et glissa lentement vers le sol. Le chef baissa les yeux avec amusement et dirigea de plus belle son orchestre en redingotes et gilets XVIIIe. Mais l’oiseleur ne se releva pas. Le chef se pencha sur lui une seconde et se dirigea d’un pas ferme vers la coulisse. Il revint accompagné d’un monsieur en costume sombre qui fit un signe sur le côté. L’oiseleur fut évacué inanimé, porté par les pieds et par la tête. On avait cru à une blague, il y eut un flottement.

Le concert allait-il continuer ? Le chef d’orchestre se tourna vers la salle. « It’s life ! ». dit-il après un mot d’excuse. Une jeune femme surgit en robe à paniers et embraya sur l’air de la Reine de la nuit. Aussitôt après et sans transition, le chef d’orchestre lança le Beau Danube bleu, puis la Marche de Radestzki. Dans la plus pure tradition du premier janvier, il incita le public à frapper en rythme dans ses mains avec un entrain peut-être démultiplié par l’angoisse des circonstances. Et nous sommes sortis sans rien savoir du sort du pauvre Papageno. Ainsi va la vie viennoise ! Finalement à l’image de celle de Mozart…

Gilles me dit qu’il lui avait vu remuer les pieds.

(à suivre)