Semaine des rendez-vous ratés.

Entorse de cheville : les 4 choses à faire en cas de douleur

Depuis longtemps déjà, une réunion de la Byron society avait été prévue dans la ville de Montargis, le samedi 4 décembre.

Au programme : départ gare de Lyon, une AG, la visite de l’exposition « Delacroix et le duel romantique » en compagnie de Sidonie Lemeux-Fraitot, sociétaire et commissaire de l’exposition. L’après-midi, exposé de Danièle Sarrat et Francesca Parrinello au sujet de leurs visites chez Byron et John Murray son éditeur, la publication de la traduction du deuxième chant de Don Juan par Danièle, et d’autres interventions. Retour le soir.

La veille, alors que je m’apprêtais à choisir le gratin d’écrevisses, l’andouillette de Jargeau et le carpaccio d’ananas mariné à la menthe sur le menu du restaurant envoyé par Olivier Feignier, notre président, je dus me rendre à l’évidence. Ce n’était pas raisonnable ! Depuis le début de la semaine, ma cheville gauche me faisait souffrir, elle pouvait se bloquer et empoisonner ma journée, ainsi que celle de mes compagnons et des organisateurs. J’ai annulé ! Une gentille réponse d’Olivier m’a fait regretter la chaleur communicative de ce genre d’aventure. Ainsi va la vie !

Nous avions auparavant refusé la proposition de Claudine d’aller ensemble ce jour-là écouter le concert d’Hervé à Trappes : des quintettes de Schubert et Boccherini avec Marianne Piketty et Xavier Phillips. Le samedi matin, ma cheville étant moins douloureuse, après tout, en voiture, c’était envisageable ! J’ai téléphoné à Claudine pour savoir si sa proposition tenait toujours. Elle me répondit qu’il était prévu qu’elle et Philippe y retrouvent Jacqueline et François, des cousins communs. Ils s’étaient mis d’accord pour dîner ensuite chez ces derniers à Marly. Il suffisait que je prévienne Jacqueline pour nous joindre à eux, ce qui fut fait.

Nous avions rendez-vous à 17 h à la station Michel-Ange Molitor près de la sortie de Paris. Nous sommes entrés dans le métro à Grands Boulevards, ligne 9. Grands Dieux ! Vous n’imaginez pas la foule qui s’y pressait. Pas étonnant que le Covid flambe ! Ça courait dans tous les sens. Nous nous sommes entassés à la va-comme-je-te-pousse dans une rame qui avait mis du temps à arriver et prit du temps pour repartir. Une attente interminable à la station Richelieu-Drouot, de même à Chaussée d’Antin-Lafayette et nous avons commencé à stresser. À Havre Caumartin le métro n’a pas redémarré. Le temps a passé… Il n’était plus possible d’être à l’heure à notre rendez-vous. Nous sommes sortis sur le quai pour téléphoner au milieu du vacarme. Claudine et Philippe nous attendaient déjà dans leur parking. C’était raté ! Nous nous sommes excusés et nous leur avons souhaité une bonne soirée. Après un appel à Jacqueline pour lui expliquer la situation, la ligne 3 nous a ramenés à la station Bourse, plus proche de chez nous, ce qui a soulagé ma cheville de nouveau douloureuse.

Le lendemain, Claudine m’a dit que le concert était magnifique, tout particulièrement le quintette de Boccherini, qu’il était resté la moitié du saumon frais et du gâteau qu’elle avait apporté. Qu’ils avaient vu Hervé et que la soirée avait été fort agréable.

Il y a des jours où rien ne se déroule comme on voudrait. Une leçon à en tirer ? Peut-être que les événements ne se maîtrisent jamais tout à fait, qu’ils se réservent une mystérieuse marge de liberté.

Théâtre, swing et corona.

Nous croisons notre voisin, un général à la retraite, il lance sous la voûte du porche d’entrée :

— Le Beaujolais nouveau est arrivé !

Je n’ai pas compris tout de suite, d’autant plus qu’il y a une quinzaine de jours, nous nous trouvions dans la fameuse Maison de bois à Mâcon un verre de Beaujolais à la main à attendre les cinq minutes fatidiques qui nous séparaient de son arrivée officielle. Beaujolais et Mâconnais sont proches parents. Tout juste sorti de son chai, il s’était révélé fruité, un peu râpeux, jeune et gaillard. Il m’avait réconcilié avec cette coutume à visée commerciale, devenue aujourd’hui internationale.

Le général avait voulu dire que le Covid nouveau était arrivé !

En effet, découvert en Afrique du Sud, un virus débarque depuis huit jours dans le monde entier à grand fracas, plus contagieux encore que le variant delta. A l’arrivée à Amsterdam, un tiers des passagers d’un avion en provenance de Johannesburg en était porteur. Toutes les liaisons aériennes avec six pays d’Afrique du Sud ont été suspendues. Aucun scientifique ne peut encore se prononcer sur sa dangerosité.

Pour le moment, en Europe, c’est encore la quatrième vague de l’épidémie qui inquiète. Le pic des contaminations ne cesse de grimper. Du fait de l’hiver, on se retrouve dans des lieux clos et non ventilés. Les antivax nous disent que la vaccination est inutile, qu’elle est dangereuse, que c’est une atteinte à l’intégrité du corps, que l’obligation vaccinale est liberticide, que les vaccinés continuent d’être contagieux et j’en passe… Les provaccins, eux, estiment que c’est la seule issue possible. La Suisse où le virus flambe, après une campagne surexcitée, une « votation » à 66 % de oui a permis au gouvernement d’enregistrer une loi en faveur des pass sanitaires.

C’est vous dire notre imprudence lorsque samedi dernier nous sommes allés au théâtre de la Huchette voir Les contes de Ionesco. Un spectacle enchanteur, vivant, coloré, une petite merveille.

Les passes sanitaires et les masques étaient obligatoires. Cependant, de toute évidence les cinq ou six rangées d’enfants aux premiers rangs, trop petits pour être vaccinés ou masqués, la tranche d’âge ces temps-ci la plus contaminée, devaient représenter un sacré réservoir de Covid 19 ! Ils riaient tellement de bon cœur qu’ils devaient propulser une sacrée quantité de charge virale… ! Nous n’avons pourtant pas boudé notre plaisir, d’autant plus qu’Émilie Chevrillon qui avait mis en scène ce délicieux spectacle se trouvait placée derrière nous. Nous la connaissons et nous avons pu la féliciter et la remercier de tout cœur.

Le lendemain, nous sommes allés au Théâtre de Poche pensant voir un spectacle de cabaret, nous nous sommes retrouvés devant un verre au fond d’une cave bondée. Personne ne portait de masque. La vie de Crazy bird, un gangster de Chicago a défilé sous nos yeux en épisodes drolatiques au son d’un orchestre de jazz. Et toute une bande de jeunes de vingt à trente ans s’est mise à swinguer au centre de la cave. C’était merveille de voir les couples virevolter, sauter en harmonie tantôt à distance, tantôt serrés l’un contre l’autre ! Voilà qui changeait des danses actuelles où chacun se trémousse tout seul.

Nous avons dansé quelques minutes, ce qui nous a rappelé notre jeunesse. Un spectacle de clown devait suivre, mais nous n’avons pas tardé. Malgré nos trois doses de vaccins, nous n’avons pas voulu tenter le diable !

Nous nous sommes retrouvés sur le trottoir de Montparnasse, ravis d’avoir affronté le destin pour autant de plaisir et de dynamisme.

La nature est là qui t’invite et qui t’aime.

De retour vers Paris, j’écris dans le TGV. Il a pris l’ancien trajet. J’avais oublié la beauté sauvage et encaissée du Rhône après Bellegarde, la grâce de la retenue de Seyssel. Il s’y étale lumineux et romantique pour une courte pose avant de reprendre sa course vers la Méditerranée. Les cygnes, les roseaux, les reflets des montagnes m’ont évoqué Lamartine, un habitué de cette région dans sa jeunesse, et la commémoration du bicentenaire de la publication de ses Méditations à laquelle nous avions participé jeudi dernier.

Le salon dans le bel hôtel du XVIIIe siècle de l’Académie de Mâcon avait accueilli une cinquantaine d’amoureux du poète. Après l’historique de la publication, des interventions ont rappelé leur fulgurant succès, impossible à imaginer aujourd’hui pour un éditeur du genre. Il s’ensuivit des questions sociétales, religieuses, philosophiques selon les exposés successifs. Une jeune thésarde italienne le compara avec Leopardi, parla d’une langue simple et universelle. Puis quatre poèmes furent lus, ponctués par des intermèdes musicaux au piano. Le lac, L’isolement, le Vallon, L’automne.

On m’avait demandé de lire Le Vallon. Je me suis lancée :

Mon cœur lassé de tout, même de l’espérance,

N’ira plus de ses vœux importuner le sort ;

Prêtez-moi seulement vallon de mon enfance,

Un asile d’un jour pour attendre la mort.

À ma grande surprise, alors que je suis plutôt une habituée de ce genre d’exercice, mes mains se sont mises à trembler, les jambes à me manquer. Trop d’émotion ? Trop d’explications préalables ? Dans ces cas-là, on fait ce qu’on peut ! J’ai posé mon texte et je me suis appuyée contre le bureau, dans l’attitude du malheureux poète, exténué par une existence sans espoir.

Repose-toi, mon âme, en ce dernier asile,

Ainsi qu’un voyageur qui, le cœur plein d’espoir,

S’assied, avant d’entrer, aux portes de la ville,

Et respire un moment l’air embaumé du soir.

Tes jours sombres et courts comme les jours d’automne

Déclinent comme l’ombre aux penchants des coteaux 

L’amitié te trahit, la pitié t’abandonne,

Et seule, tu descends le sentier des tombeaux.

Après avoir retrouvé un semblant de calme, je me suis redressée : 

Mais la nature est là qui t’invite et qui t’aime,

Plonge-toi dans son sein qu’elle t’ouvre toujours

Quand tout change pour toi, la nature est la même,

Et le même soleil se lève sur tes jours.

Suis le jour dans le ciel, suis l’ombre sur la terre ;

Dans les plaines de l’air vole avec l’aquilon ;

Avec le doux rayon de l’astre du mystère

Glisse à travers les bois dans l’ombre du vallon

Et c’est presque avec assurance que j’ai pu terminer, en balayant la salle du regard :

Une voix à l’esprit parle dans son silence :

Qui n’a pas entendu cette voix dans son cœur ?

En regagnant ma place, j’ai confié à ma voisine, Joëlle Pogé, une des organisatrices :

— Je ne sais pas ce qui m’a pris, j’étais morte de trouille ! 

Aurais-je dû me taire ? Le mystère de la poésie avait peut-être fait son travail…

Quelques jours plus tard, nous sommes montés sur la route de la Faucille pour échapper au froid et à la brume qui noyait la plaine. Nous nous sommes garés devant le Florimont pour boire un café. Il fermait ; avec un sourire, la serveuse nous a offert les bancs en bois de sa terrasse. Il faisait bon. Le soleil illuminait la rousseur des hêtres, le mont Blanc luisait doucement au-dessus d’une mer de nuages. Quel réconfort ! J’ai pensé à Lamartine…

Belleville et Bellegarde

 

Au calme à Tougin depuis hier, je dois faire un effort pour me replonger dans le Paris agité de la semaine dernière.

Claudine nous avait invités au salon Offprint, pour la vente exposition d’un Alphabet de son mari Olivier O Olivier, peintre et dessinateur de grand talent, décédé depuis maintenant dix ans. Elle nous avait raconté avec sa vivacité coutumière comment l’organisateur l’avait sollicitée pour publier cet inédit sous la forme d’un savoureux petit livre. Les circonstances en avaient été spontanées. Elle s’attendait à une présentation originale.

En effet ! Déjà, dans le métro nous avons été happés par une foule de jeunes de toutes les couleurs de peau et de vêtements, crêtes de coq touffues, rires explosifs, qui profitaient joyeusement du samedi. À la station Belleville, comme nous cherchions un plan du quartier, Claudine qui sortait de la rame nous a hélés. Elle nous a dirigés d’un pas ferme le long du boulevard. Nous avons tourné sur la gauche dans une petite rue qui montait au loin vers les hauteurs de Belleville. Elle était encombrée par un groupe de jeunes occupés à jouer au football. Un ballon a bondi devant nous. Le trottoir était bouché par des supporters enthousiastes, l’un d’entre eux a probablement surpris de l’inquiétude dans mon regard, car il s’est écrié :

— Laissez passer ! Laissez passer !

Joignant le geste à la parole, il nous a tracé un chemin sous les ovations. J’entendis derrière moi :

— Laissez passer tonton !

Il s’agissait de Gilles. Et j’ai pensé à François Mitterrand. C’était tellement plus gentil que « pépé » !

Nous nous sommes enfilés sous un porche qui conduisait à une courette bariolée de tags. Au bout d’une allée pavée bordée d’anciens ateliers d’artisans, nous sommes entrés dans un vaste entrepôt converti en espace culturel. Sur des tables, une masse de petits livres d’artiste tous plus inventifs les uns que les autres étaient proposés par leurs auteurs, lesquels jeunes et rieurs débordaient de vitalité. Mon regard s’est posé un instant sur une jeune fille. Cheveux orange dressés sur la tête, peau laiteuse et lèvres écarlates, anneaux comme des soucoupes dans les oreilles, vêtue de blanc de la tête aux pieds, elle me fixait de ses yeux bleus saphir bordés de noir comme si j’étais un animal étrange.

Nous avons dévalisé le stand d’Olivier pendant que Claudine discutait avec l’organisateur du salon, la quarantaine décidée. La salle se remplissait d’un public enthousiaste. Mais nous devions rentrer rapidement pour un rendez-vous visio.

En sortant, j’ai pensé à l’énorme travail que nécessite ce genre de livres. Leur conception, la mise en page, le dessin, la couleur, l’impression demandent une énergie hors du commun pour un bénéfice financier presque nul. J’ai pensé à cette réflexion de Claudine, laquelle a dirigé plusieurs galeries en vue : « J’éprouve une grande affection pour les artistes et pour leur œuvre. C’est pour moi à chaque fois un miracle ! »

 Le lendemain, nous avons pris le train pour Tougin. À Bellegarde, pas de car ! Nous avions oublié en achetant les billets que c’était dimanche. Il nous fallait poireauter deux heures ! Nous avons cherché à déjeuner dans une ville désertée par le repos dominical. Au complet, une pizzeria nous a envoyés avec notre valise à roulettes vers des collègues un peu plus bas dans la pente. Nous avons poussé la porte d’Il Destino, tout un programme !

— Vous aviez réservé ?

Nous nous étions déjà résolus à patienter le ventre vide dans la salle d’attente de la gare, lorsque le patron débarrassa une grande table ronde de ses couverts en excès. Le lieu fleurait bon l’Italie, accent, photos de la tour de Pise et du Colisée. Écartant la rubrique pizza à la vue d’une croûte un peu trop abondante sur le plateau d’un serveur, nous avons machinalement commandé des pâtes. Aux ceps pour Gilles, aux morilles pour moi, tout de même ! Quand nous avons vu arriver dans l’assiette de nos voisins des écrevisses à la sauce Nantua, c’était trop tard…

C’est ainsi que les deux heures à poireauter filèrent agréablement. Autour de nous, des tablées de trois générations, des couples de retraités, des jeunes ménages réunis après avoir laissé les enfants aux grands-parents, un chiot qui mâchouillait l’écharpe de sa maîtresse à son insu, la famille des gérants du restaurant attablée après le coup de feu. Les coiffures n’étaient pas celles de Paris, les conversations non plus, il y aurait tellement à raconter !

Mais j’ai dépassé la longueur habituelle de ces chroniques et je ne peux pas m’attarder davantage. Je veux juste ajouter qu’une végétation rousse recouvrait le bas de la montagne lorsque nous avons enfin pu rouler vers Tougin.

Familles : Pas de Calais, Pontoise, Paris.

Il est des jours qui défilent, plutôt tranquilles. Sous le signe des familles, la semaine dernière fut plutôt variée et agitée.

Gilles, Ève et Julien m’attendaient à la gare de Calais-Frethun. Le TGV, à peu près vide à Paris s’est rempli à Lille de travailleurs de retour chez eux. Un coucher de soleil sur les plaines du nord qui jouait avec les nuages et les arbres flamboyants de l’automne, puis l’obscurité totale m’ont rendue méditative. Citadine depuis deux mois, je redécouvrais la rotondité de la terre, sa rotation. Impression puissante surtout dans un train qui roule à près de trois cents kilomètre-heure, une broutille à l’échelle de l’univers.

Après l’autoroute et une zone industrielle, s’enfoncer dans l’obscurité sur un chemin de terre chaotique au milieu des champs, se glisser sous les arbres, découvrir la maison basse et ses fenêtres éclairées, c’était s’introduire dans un conte de Perrault. Nous avons savouré l’accueil et le dîner de Philippe et Catherine, la soirée au coin du feu, le sommeil dans le silence de la nuit, le réveil au-dessus des marais, des mouettes et des cygnes, le petit déjeuner abondant. Le lendemain, nous avons fait un tour sur la plage de Wimereux. La mer… Je ne l’avais pas vue depuis la pandémie. Ses bleus, ses mauves, ses lueurs dorées m’ont sauté au visage. Son immensité, la mouvance qui s’approchait et reculait en sonorités fines sur les rochers de la digue m’a émue, comme un animal sauvage qui aurait cherché à se frotter à mes jambes. Je sais qu’elle peut être terrible, mais ce matin-là, elle n’était qu’harmonie. On voyait pourtant au loin des porte-containers hauts comme des immeubles. Et j’ai pensé au film de Visconti, Mort à Venise, revu il y a peu. J’ai vu la même lumière, les enfants blonds et leurs mamans, les cabines. Les hommes souples et musclés aux pulls et pantalons de qualité. Une bourgeoisie de bon aloi. Comment ne pas penser aux corps des migrants retrouvés sur la plage, le matin même?

Visites de famille, retour au coucher du soleil dans une symphonie de jaunes et d’oranges laissant peu à peu la place au crépuscule et à la nuit. A l’approche de Paris, des embouteillages auraient pu nous faire croire que ce n’était qu’un rêve.

D’autant plus que le lendemain, nous nous sommes retrouvés en famille au funérarium pour un hommage à Magalie. L’émotion m’a submergée lorsqu’après les évocations ont défilé des images d’enfant, d’adolescence, des repas de famille et d’anniversaires. Charlotte, sa contemporaine, s’est penchée à mon oreille : « Le masque est bien commode pour pleurer ». Nous l’avons encore évoquée au cimetière parmi les fleurs de la Toussaint, puis chez Dominique, sa sœur. Autour d’un buffet, nous nous sommes autant que possible réconfortés les uns les autres. Nous savions qu’elle aurait été heureuse d’être avec nous. Nous sentions sa présence et nous aurions voulu la serrer dans nos bras ! Que de questions sans réponse !

Le soir, nous avons retrouvé les enfants à l’appartement, leur jeunesse, d’interminables discussions, leurs certitudes. Un plongeon dans le monde Internet. Ils m’ont raconté les montagnes de copains qu’ils y rencontrent à toute heure du jour et de la nuit. Alors que je trouvais tout cela bien virtuel, Marius m’a dit que profitant de son séjour chez ses grands-parents à Rouen, il avait pu donner rendez-vous à un ami avec lequel il correspondait depuis plus d’un an. J’essayais de leur expliquer que la rencontre « dans le monde réel », comme ils disent, est beaucoup plus aventureuse, risquée et donc plus enrichissante. Ils n’ont pas voulu opposer les deux mondes, les jugeant complémentaires. Peut-être !…

Vendredi, Le Bourgeois gentilhomme au Ranelagh, dans une mise en scène vive et claire. Quel plaisir d’observer à travers les siècles les mêmes motivations et les mêmes sentiments humains ! On était loin du virtuel, mais j’ai constaté que la vanité de monsieur Jourdain avait des points communs avec celle des usagers d’internet qui prétendent tout comprendre et tout savoir en quelques clics sur un clavier. J’y ai vu le même aveuglement, la même absence de bon sens et surtout, cet entêtement qui conduit la société actuelle à des comportements compulsifs et dangereux.

Deuil et Espoir.

Je déteste le mois de novembre. C’est le mois durant lequel beaucoup de ceux que j’aimais ont baissé les bras, comme s’ils avaient refusé de subir l’hiver, comme s’ils n’avaient pas jugé bon d’attendre le printemps.

Nous sommes à nouveau frappés. Magalie s’est donné la mort ! Elle arrivait sur cinquante ans, célibataire, une belle carrière dans la banque au Luxembourg, dynamique et volontaire, une masse d’amis, bourrée d’humour. Ce fut un coup de tonnerre, une incompréhension généralisée. Pas un mot, pas une explication. Le Covid ? Usée par la solitude, par le télétravail ? Nous n’avons pas de réponse. Deux jours auparavant, elle envoyait des messages et communiquait sur Facebook. Elle avait le projet de descendre dans le midi en famille. Nous allons nous réunir autour de ses cendres et pleurer ensemble son absence, chacun seul devant le mystère de la vie et de la mort.

Je n’aime pas le mois de novembre. Les arbres se dénudent pour presque six mois, imposant la vue de leurs troncs noirâtres, de leurs silhouettes décharnées. Le vent, la pluie vident les rues. Les premières gelées surviennent, on reste chez soi. Le jour tombe tôt à cause du changement d’heure. Et les soirées s’étirent. On attend le solstice d’hiver, la nouvelle année pour redémarrer. Et c’est long ! Janvier et février sont souvent plus froids, mais au moins les jours rallongent. En mars, on attend avril. Arrive enfin le joli mai ! Les fleurs, les feuilles sur les arbres !

Pourtant, je ne suis pas certaine que j’aimerais vivre sans saisons. Leur alternance ressemble à la vie, à ses hauts et à ses bas, à ses variations. Elle m’évoque la lutte contre l’adversité, nos victoires et nos chagrins, les bonheurs qui surgissent quand on n’y croit plus, la renaissance après un deuil ou une maladie. L’hiver contraint à des efforts pour sortir de chez soi, scelle des amitiés, abrite des fêtes chaleureuses, concentre des réflexions et des projets.

Il pleut, il rit sur Paris. Les parapluies s’ouvrent, les terrasses se remplissent au moindre rayon de soleil. Les sourires fleurissent. Et c’est toujours bon à prendre !

Passage de Cécile et de sa petite fille Léocadie, 11 ans, de retour de Rome. Quel plaisir de tourner les pages de son carnet de voyage, de déchiffrer l’écriture enfantine, de la suivre dans l’évocation d’une semaine de découvertes, d’étonnements en compagnie d’une cousine ! Je revoyais avec elle comme si j’y étais la chapelle Sixtine, le Colisée, la place Navone. La petite fille revivifiait le passé avec l’insatiable curiosité des générations qui se succèdent. Elles avaient beaucoup marché dans une ville plus ou moins encombrée par le G20 réunissant les chefs d’État des grandes économies de la planète. Les hélicoptères tournoyaient. « Contrôles sécuritaires et sanitaires continuels ! ». J’imaginais un raccourci entre un passé enfui et un avenir incertain. L’énergie de Léocadie y glissait un message d’espoir.

Je les ai accompagnées à l’arrêt de l’autobus 39 qui passe à la gare Montparnasse. Elles ont pu voir le Louvre et sa Pyramide, elles ont franchi la Seine au Pont-Royal, l’île de la Cité à l’est, Orsay, les Invalides et la Tour Eiffel à l’ouest, avant de regagner Bordeaux. La petite fille et sa grand-mère auront fait un beau voyage !

Trappes et le Palais-Royal.

Depuis Montparnasse, nous avons vu défiler toutes les gares jusqu’à Trappes. Ayant perdu l’habitude de la banlieue, je regardais avec des yeux ronds les immeubles à ras des voies ferrées, les pavillons dispersés sur de minuscules jardins, les routes traversées. Cette banlieue ouest plutôt favorisée m’est apparue, je ne sais trop pourquoi, peut-être en contraste avec le centre de Paris, un peu morne et déserte. Il est vrai que l’automne a vidé les jardins et que je n’étais pas dans le secret des intérieurs.

Dans le train qui allait à Rambouillet, nous étions à peu près les seuls à la peau blanche. Il s’est vidé à Trappes. Trappes fait partie de la ville nouvelle de Saint Quentin en Yvelines. Depuis qu’elle a fourni le plus lourd contingent de combattants en Syrie, elle est regardée de travers par la presse qui la compare plus ou moins à Molenbeek en Belgique. Sa population plus jeune que la moyenne nationale, bourrée d’énergie a produit un footballeur et un acteur de taille internationale, Anelka et Omar Sy, un humoriste célèbre, Jamel Debbouze, ce qui prouve la vitalité de ses institutions sportives et culturelles. Nous allions justement au conservatoire de musique écouter un concert de la PMSQ, association pour la promotion de la musique à Saint Quentin en Yvelines. Cette association monte chaque année un opéra pour et par les enfants, 250 enfants dans le chœur, manécanterie et orchestre, joué devant 1300 personnes dans la salle du théâtre national de l’agglomération.  Je vous ai raconté dans une précédente chronique un mémorable Hans et Gretel.

Le concert que nous allions écouter était davantage destiné à un public familier de la musique classique, et sa qualité n’avait rien à envier aux salles parisiennes. Mozart, Mahler, Brahms joués par un quatuor prestigieux. Ce qui faisait le piquant de cet événement était d’une part qu’il était le premier depuis la survenue de la pandémie et que d’autre part, la partie de piano était tenue par le fils de la violoniste, Marianne Piketty, que nous avions connu tout petit. Le programme était difficile, comment allait-il s’en tirer ?

Le Mozart fut délicieux, un quatuor qui préfigurait les futurs concertos du compositeur. Sa jeunesse vibrait sous les doigts de Guillaume. Les aînés l’ont laissé s’affirmer, le soutenant, répondant ou lançant les phrases musicales avec une générosité attendrissante. Mais à la fin, dans le quatuor de Brahms, ils ne lui firent plus de cadeau. Le concert se termina par de frénétiques danses hongroises. Allait-il perdre pied ? Il n’en fut rien. On peut même dire que sa jeunesse bouillonnait d’une énergie provocatrice. On les voyait s’agiter le sourire aux lèvres, se jeter des regards qui en disaient long sur leur complicité.

D’ordinaire, je n’aime pas trop la virtuosité, mais cette fois-ci, c’était comme un pied de nez au confinement, un hymne à la vie. Leur dynamisme nous requinquait, nous projetait vers l’avenir. Après les applaudissements fournis, nous les avons attendus dans le hall. Guillaume était heureux comme un roi.  Sa mère nous a confié, comme si cette soirée avait été décisive : « Il est entré dans la cour des grands ! »

Nous sommes revenus en voiture avec des amis des Piketty, tous deux médecins d’hôpitaux. Ils nous ont évoqué leur quotidien, difficile en raison de la pénurie d’infirmières et de la bureaucratie pléthorique. Nous sommes passés devant la tour Eiffel qui scintillait, ponctuée sur la gauche par une lune presque pleine. La Seine brillait dans l’obscurité. Ah, la beauté de Paris !

Le lendemain, une foule se pressait dans le jardin du Palais-Royal. Le jet d’eau scintillait, les derniers dahlias s’épanouissaient d’aise, on prenait le soleil. En rentrant, je me suis heurtée à des rubans de périmètres interdits. Une gardienne m’expliqua : « Une couette abandonnée devant un magasin dans la galerie. »

– Avec ce monde ! Elle peut cacher une bombe et vous voyez que tout un pan de la galerie et des immeubles s’effondre !

C’est alors qu’au téléphone, on a entendu la police annoncer que les propriétaires de la couette, des riverains du jardin s’étaient manifestés. Elle s’écria soulagée :

– Les gens sont fous ! Tout de même ! Abandonner une couette par terre !

Gastronomie et publicité.

5 plats qui symbolisent à merveille la gastronomie française | À la Cloche  d'Or - Blog

Nicky a connu Gilles en classe préparatoire des concours scientifiques. Ils avaient dix-huit ans et déjà Nicky montrait un penchant pour la gastronomie, économisant pour aller dîner au Chapeau gris à Versailles. Il est vrai qu’il avait de qui tenir, son père étant « nez », expert en parfumerie. Par la suite, il entra à l’INSEE, institut national des statistiques, où il rencontra son épouse Noëlle. Ils y firent de belles carrières, mais leur principal intérêt tourna autour de la cuisine. C’est avec la cuisine qu’ils s’exprimaient, invitait leurs amis, ce fut leur façon de converser avec le monde, pour ne pas dire leur façon d’aimer.

Je me souviens que nous roulions le long d’un petit bois près de Saint-Jean de Luz lorsque sans un mot, Nicky a freiné brutalement pour se ranger sur le bord de la route. Noëlle est sortie de la voiture comme un diable de sa boite pour aller cueillir des fleurs d’acacia, avec lesquelles, le soir même, elle nous confectionna de délicieux beignets. À sa mort, nous avons beaucoup craint pour Nicky. Quelques mois plus tard, nous avons reçu une invitation par mail. Il s’engageait à recevoir de nouveau à dîner. Il enverrait le menu à la liste de ses amis. Il suffisait de réserver, il nous accueillerait chaque mardi dans la limite des places disponibles. Il se substitua à Noëlle, nous demandant simplement d’assurer la conversation pendant qu’il serait à ses fourneaux.

Je me souviens d’un mémorable poulet de Bresse aux morilles. Un des plaisirs de ces dîners était la surprise de voir des gens que nous n’aurions pas rencontrés autrement. Puis le Covid a tout arrêté, jusqu’à la semaine passée où nous nous sommes retrouvés à dix retraités autour de sa table : des voisins, un cousin très âgé, un général à cinq étoiles, une ancienne responsable nationale de l’énergie…, comme les ratons laveurs de Prévert. Nous avons passé en revue les préoccupations et les joies de l’époque, en dégustant de bons vins et en savourant un poulet aux topinambours. Carpe diem !

Une civilité en contraste avec le vacarme qui a retenti sous nos fenêtres le vendredi suivant. Nous regardions tranquillement un film lorsque vers 22 heures, un bruit de tambour a littéralement arraché les doubles vitrages de nos fenêtres sur la rue. Les « artistes en exil » ? Ils ne nous posent plus de problèmes depuis les interventions du mois dernier. Pour en avoir le cœur net, j’ai enfilé un manteau. Dans l’ascenseur, j’ai rencontré le psychiatre du quatrième, toujours aussi élégant, cheveux de neige :

— Je descends pour me renseigner sur ce bruit.

— C’est insupportable ! s’indigna cet homme particulièrement discret et paisible.

Aussitôt passés la porte, nous avons été sonnés. Cela provenait d’une grosse voiture utilitaire noire garée dans la pénombre devant chez nous. Elle était surmontée de deux baffles et d’un volumineux système de projecteur accrochés à une structure métallique. Trois jeunes gens tournaient autour avec des mines de conspirateurs. Je mis du temps à comprendre qu’ils projetaient une image sur le mur aveugle de l’immeuble à l’angle de la rue du Louvre. Sur une surface de trente mètres de haut et de dix mètres de large, on discernait des objets qui ressemblaient à des piles électriques. Incrédule, je restais figée, lorsque je vis mon paisible voisin se jeter sur les jeunes gens en hurlant et en gesticulant :

— Vous allez arrêter ça tout de suite !

Constatant qu’ils ne se troublaient pas le moins du monde, le médecin continua plus énervé encore :

— Je parie que vous êtes des artistes !

Et les jeunes gens arborèrent un sourire de satisfaction qui en disait long sur leur fierté d’appartenir à cette honorable corporation.

— Vous vous « croyez » des artistes ! hurla le psychiatre avant de s’éloigner.

Comme je m’approchais pour protester à mon tour, la femme qui semblait la responsable, sa commande à la main, me déclara, le visage serein, sûre de son fait :

— Si ça ne vous plaît pas, ça plaît à d’autres !

J’ai fini par comprendre qu’il s’agissait d’une publicité sauvage. Quand je suis remontée après quelques échanges bien sentis, ils avaient baissé la sono.

Eric Heidsieck et Quing Li.

 

Pleurez avec moi, si vous le pouvez. Armelle est morte. Armelle est morte après trois ans de lutte et trois mois d’hôpital. Armelle que j’ai connue enfant, adolescente, à qui j’avais donné des cours de dessin et de peinture, que j’avais perdue de vue et que j’avais retrouvée il y a quelques années, pareille à elle-même, droite et poétique, sensible, un peu farouche, curieuse et lucide sur la vie. Elle a été inhumée au cimetière Saint Georges à Genève.

Redémarrage de Philomuses après Covid. Un rodage. J’aime les rodages avant concert, le délicat passage du privé au public. Nous étions une trentaine, invités par Chantal Stigliani pour écouter Qing Li, un jeune pianiste recommandé par le grand Eric Heidsieck, spécialiste mondial de Beethoven, dont je vous avais détaillé dans une précédente chronique une extraordinaire master class. J’aime la précision d’Eric Heidsieck, sa finesse, son sens de la nuance, son exigence, sa rigueur sensible. Son jeu, son doigté se nourrissent de la vie. À l’atelier, quand je n’ai pas le moral, j’écoute ses suites de Haendel, elles me remettent le cœur et l’esprit en place. Cette recommandation m’était comme une injonction. Et pourtant, j’éprouve une certaine réticence vis-à-vis de la prolifération des pianistes chinois. Formés par milliers en Chine, ils semblent destinés à ratisser le monde entier grâce à leur perfection technique. Certains conservatoires occidentaux en seraient même venus à établir des quotas pour laisser la place aux artistes des autres nationalités.

Eric Heidsieck, 85 ans, vieillard de haute taille et de grande allure se leva. Il refusa de le présenter comme son élève. Après Shanghaï, Qing Li avait étudié aux États-Unis, en Europe, il n’avait rien à lui apprendre, il l’avait juste un peu repris sur la main gauche. En quelques mots, il raconta que le jeune Chinois était venu chez lui pour quelques conseils, détailla ses qualités, précision, sonorité… Soudain sa voix se brisa et nous avons compris qu’il s’était lié d’une amitié profonde avec le jeune Chinois. Il l’avait suivi dans la préparation du concours Cortot et Quing Li avait gagné.

Émerveillés par la souplesse, le sens des plans sonores, une simplicité associée à une virtuosité inouie, nous avons entendu deux sonates de Beethoven. Quand il se lança dans Images de Debussy, puis dans Rameau ce fut une succession d’impressions fines, de notes délicates et nous avons su qu’il n’avait pas de limite à son répertoire, il se promenait avec délectation dans les sons les plus différents avec une totale indépendance. À la pose, Eric Heidsieck se leva de sa chaise et lui dit seulement :

— Dans Rameau, tu m’as fait pleurer !

Le pianiste avait changé la programmation et annonça qu’il allait jouer une sonate de Scriabine. Vous décrire l’exultation qui le saisit sur cette pièce d’une immense difficulté est tout à fait impossible. Il dansait sur les notes, nous offrait sa joie, nous faisait part de la difficulté de vivre, mais aussi de l’espoir qui entourait sa jeune existence, de sa gratitude vis-à-vis de son aîné. Il respirait à grandes goulées. Et j’ai reconnu la voix de la liberté. Ce jeune Chinois était en France pour goûter à la liberté. Il la savourait sans mélange et communiait avec le vieillard dans une respiration dont celui-ci connaissait le prix exorbitant et dont lui-même risquait de s’en voir barrer la route.

Mais ce soir-là, ils la savouraient sans retenue.

Tania, la femme d’Éric, elle-même pianiste me dit ensuite :

— Il vient souvent à la maison, je pleure à chaque fois que je l’entends jouer.

Elle ajouta :

— Il est amoureux ! Elle est aussi à l’école normale de musique, elle apprend le chant.

J’ai demandé :

— Elle est chinoise ?

— Oui, me répondit Tania, sans plus de commentaires.

Encore Paris

Vous allez peut-être me demander ce que sont devenus nos voisins, « artistes en exil ». Nous les avons oubliés durant une semaine et ce fut presque une surprise lorsque samedi dernier le tintamarre de leur musique a de nouveau surgi de la cour de l’immeuble de la Ville. Non pas le doux son de la guitare ou de la flûte du Moyen-Orient, de l’Afrique, les mélopées qui accompagnent le crépuscule et l’arrivée de la nuit mais la sono caractéristique des amplificateurs numériques urbains. Un peu moins tonitruant que le samedi précédent, mais tout de même suffisant pour fermer les fenêtres. Heureusement, il pleuvait et ils ont arrêté avant minuit.

Dans notre cour, une petite dizaine de jeunes adultes ont pris le relais, fenêtres ouvertes. Pas de musiques, mais des discussions passionnées, sautes de voix, fort sympathiques d’ailleurs, mais qui résonnaient entre les murs de la cour. Passé minuit, je me suis penchée pour lancer un appel. Une jeune fille a fini par se lever et je lui ai dit le plus gentiment possible :

— Vous seriez gentils de fermer la fenêtre !

— Bien sûr, excusez-nous, on n’y avait pas pensé ! me répondit-elle et c’est gentiment qu’elle a fermé la fenêtre.

J’allais m’endormir lorsque leurs voix ont de nouveau retenti. Il est probable qu’un des convives dans la chaleur de la conversation avait rouvert la fenêtre afin de leur éviter une contamination Covid ; les jeunes remplissent désormais majoritairement les hôpitaux. J’ai fini par sombrer dans le sommeil. Quand je me suis levée vers deux ou trois heures du matin pour un besoin naturel, ils discutaient encore. Ah, le silence qui régnait durant le grand confinement ! …

Retrouvé Pierre à Saint Eustache. Nous avons discuté au bistro. Il réfléchit beaucoup. En parallèle de son travail, il peint chaque jour un autoportrait sur de tout petits formats. C’est l’occasion pour lui de s’aventurer vers des recherches d’expression, de couleurs, vers des abstractions métaphysiques, une exploration de l’abstraction et de la figuration. Cette démarche lui est devenue indispensable. Il en remplit des dizaines de carnets qu’il confectionne lui-même.

Joël Bastard fait un peu la même chose dans sa montagne. Il a exposé récemment des dizaines parmi ses centaines d’autoportraits, sous le titre : A4.

 Moi qui ne suis jamais parvenue à faire le moindre autoportrait, d’abord parce qu’avec des lunettes, ce n’est pas facile, ensuite parce que je suis trop curieuse des autres pour me regarder longtemps !

La vie a repris à Paris. Il pleut. On bouge quand même, on oublie son parapluie, on glisse sur les feuilles d’arbres mouillées, le métro est bourré, les bus roulent avec difficulté, les vélos dérapent, les voitures nous giclent sur les jambes, mais c’est tant pis, on avance. Et ce n’est pas si mal !

Pléthore d’expositions, de spectacles sont proposés. Le monde de la culture met les bouchées doubles, on se rattrape des deux années de disette. Réjouissant et dynamique, mais nous ne savons pas trop que choisir. La machine a besoin d’être remise en route. Même les retrouvailles dans les restaurants ne sont plus tout à fait pareilles.

Pour ma part, je continue de travailler. Avant ou après, avec ou sans Covid. C’est la vie !