Il est des jours qui défilent, plutôt tranquilles. Sous le signe des familles, la semaine dernière fut plutôt variée et agitée.

Gilles, Ève et Julien m’attendaient à la gare de Calais-Frethun. Le TGV, à peu près vide à Paris s’est rempli à Lille de travailleurs de retour chez eux. Un coucher de soleil sur les plaines du nord qui jouait avec les nuages et les arbres flamboyants de l’automne, puis l’obscurité totale m’ont rendue méditative. Citadine depuis deux mois, je redécouvrais la rotondité de la terre, sa rotation. Impression puissante surtout dans un train qui roule à près de trois cents kilomètre-heure, une broutille à l’échelle de l’univers.

Après l’autoroute et une zone industrielle, s’enfoncer dans l’obscurité sur un chemin de terre chaotique au milieu des champs, se glisser sous les arbres, découvrir la maison basse et ses fenêtres éclairées, c’était s’introduire dans un conte de Perrault. Nous avons savouré l’accueil et le dîner de Philippe et Catherine, la soirée au coin du feu, le sommeil dans le silence de la nuit, le réveil au-dessus des marais, des mouettes et des cygnes, le petit déjeuner abondant. Le lendemain, nous avons fait un tour sur la plage de Wimereux. La mer… Je ne l’avais pas vue depuis la pandémie. Ses bleus, ses mauves, ses lueurs dorées m’ont sauté au visage. Son immensité, la mouvance qui s’approchait et reculait en sonorités fines sur les rochers de la digue m’a émue, comme un animal sauvage qui aurait cherché à se frotter à mes jambes. Je sais qu’elle peut être terrible, mais ce matin-là, elle n’était qu’harmonie. On voyait pourtant au loin des porte-containers hauts comme des immeubles. Et j’ai pensé au film de Visconti, Mort à Venise, revu il y a peu. J’ai vu la même lumière, les enfants blonds et leurs mamans, les cabines. Les hommes souples et musclés aux pulls et pantalons de qualité. Une bourgeoisie de bon aloi. Comment ne pas penser aux corps des migrants retrouvés sur la plage, le matin même?

Visites de famille, retour au coucher du soleil dans une symphonie de jaunes et d’oranges laissant peu à peu la place au crépuscule et à la nuit. A l’approche de Paris, des embouteillages auraient pu nous faire croire que ce n’était qu’un rêve.

D’autant plus que le lendemain, nous nous sommes retrouvés en famille au funérarium pour un hommage à Magalie. L’émotion m’a submergée lorsqu’après les évocations ont défilé des images d’enfant, d’adolescence, des repas de famille et d’anniversaires. Charlotte, sa contemporaine, s’est penchée à mon oreille : « Le masque est bien commode pour pleurer ». Nous l’avons encore évoquée au cimetière parmi les fleurs de la Toussaint, puis chez Dominique, sa sœur. Autour d’un buffet, nous nous sommes autant que possible réconfortés les uns les autres. Nous savions qu’elle aurait été heureuse d’être avec nous. Nous sentions sa présence et nous aurions voulu la serrer dans nos bras ! Que de questions sans réponse !

Le soir, nous avons retrouvé les enfants à l’appartement, leur jeunesse, d’interminables discussions, leurs certitudes. Un plongeon dans le monde Internet. Ils m’ont raconté les montagnes de copains qu’ils y rencontrent à toute heure du jour et de la nuit. Alors que je trouvais tout cela bien virtuel, Marius m’a dit que profitant de son séjour chez ses grands-parents à Rouen, il avait pu donner rendez-vous à un ami avec lequel il correspondait depuis plus d’un an. J’essayais de leur expliquer que la rencontre « dans le monde réel », comme ils disent, est beaucoup plus aventureuse, risquée et donc plus enrichissante. Ils n’ont pas voulu opposer les deux mondes, les jugeant complémentaires. Peut-être !…

Vendredi, Le Bourgeois gentilhomme au Ranelagh, dans une mise en scène vive et claire. Quel plaisir d’observer à travers les siècles les mêmes motivations et les mêmes sentiments humains ! On était loin du virtuel, mais j’ai constaté que la vanité de monsieur Jourdain avait des points communs avec celle des usagers d’internet qui prétendent tout comprendre et tout savoir en quelques clics sur un clavier. J’y ai vu le même aveuglement, la même absence de bon sens et surtout, cet entêtement qui conduit la société actuelle à des comportements compulsifs et dangereux.