Depuis Montparnasse, nous avons vu défiler toutes les gares jusqu’à Trappes. Ayant perdu l’habitude de la banlieue, je regardais avec des yeux ronds les immeubles à ras des voies ferrées, les pavillons dispersés sur de minuscules jardins, les routes traversées. Cette banlieue ouest plutôt favorisée m’est apparue, je ne sais trop pourquoi, peut-être en contraste avec le centre de Paris, un peu morne et déserte. Il est vrai que l’automne a vidé les jardins et que je n’étais pas dans le secret des intérieurs.

Dans le train qui allait à Rambouillet, nous étions à peu près les seuls à la peau blanche. Il s’est vidé à Trappes. Trappes fait partie de la ville nouvelle de Saint Quentin en Yvelines. Depuis qu’elle a fourni le plus lourd contingent de combattants en Syrie, elle est regardée de travers par la presse qui la compare plus ou moins à Molenbeek en Belgique. Sa population plus jeune que la moyenne nationale, bourrée d’énergie a produit un footballeur et un acteur de taille internationale, Anelka et Omar Sy, un humoriste célèbre, Jamel Debbouze, ce qui prouve la vitalité de ses institutions sportives et culturelles. Nous allions justement au conservatoire de musique écouter un concert de la PMSQ, association pour la promotion de la musique à Saint Quentin en Yvelines. Cette association monte chaque année un opéra pour et par les enfants, 250 enfants dans le chœur, manécanterie et orchestre, joué devant 1300 personnes dans la salle du théâtre national de l’agglomération.  Je vous ai raconté dans une précédente chronique un mémorable Hans et Gretel.

Le concert que nous allions écouter était davantage destiné à un public familier de la musique classique, et sa qualité n’avait rien à envier aux salles parisiennes. Mozart, Mahler, Brahms joués par un quatuor prestigieux. Ce qui faisait le piquant de cet événement était d’une part qu’il était le premier depuis la survenue de la pandémie et que d’autre part, la partie de piano était tenue par le fils de la violoniste, Marianne Piketty, que nous avions connu tout petit. Le programme était difficile, comment allait-il s’en tirer ?

Le Mozart fut délicieux, un quatuor qui préfigurait les futurs concertos du compositeur. Sa jeunesse vibrait sous les doigts de Guillaume. Les aînés l’ont laissé s’affirmer, le soutenant, répondant ou lançant les phrases musicales avec une générosité attendrissante. Mais à la fin, dans le quatuor de Brahms, ils ne lui firent plus de cadeau. Le concert se termina par de frénétiques danses hongroises. Allait-il perdre pied ? Il n’en fut rien. On peut même dire que sa jeunesse bouillonnait d’une énergie provocatrice. On les voyait s’agiter le sourire aux lèvres, se jeter des regards qui en disaient long sur leur complicité.

D’ordinaire, je n’aime pas trop la virtuosité, mais cette fois-ci, c’était comme un pied de nez au confinement, un hymne à la vie. Leur dynamisme nous requinquait, nous projetait vers l’avenir. Après les applaudissements fournis, nous les avons attendus dans le hall. Guillaume était heureux comme un roi.  Sa mère nous a confié, comme si cette soirée avait été décisive : « Il est entré dans la cour des grands ! »

Nous sommes revenus en voiture avec des amis des Piketty, tous deux médecins d’hôpitaux. Ils nous ont évoqué leur quotidien, difficile en raison de la pénurie d’infirmières et de la bureaucratie pléthorique. Nous sommes passés devant la tour Eiffel qui scintillait, ponctuée sur la gauche par une lune presque pleine. La Seine brillait dans l’obscurité. Ah, la beauté de Paris !

Le lendemain, une foule se pressait dans le jardin du Palais-Royal. Le jet d’eau scintillait, les derniers dahlias s’épanouissaient d’aise, on prenait le soleil. En rentrant, je me suis heurtée à des rubans de périmètres interdits. Une gardienne m’expliqua : « Une couette abandonnée devant un magasin dans la galerie. »

– Avec ce monde ! Elle peut cacher une bombe et vous voyez que tout un pan de la galerie et des immeubles s’effondre !

C’est alors qu’au téléphone, on a entendu la police annoncer que les propriétaires de la couette, des riverains du jardin s’étaient manifestés. Elle s’écria soulagée :

– Les gens sont fous ! Tout de même ! Abandonner une couette par terre !