De retour vers Paris, j’écris dans le TGV. Il a pris l’ancien trajet. J’avais oublié la beauté sauvage et encaissée du Rhône après Bellegarde, la grâce de la retenue de Seyssel. Il s’y étale lumineux et romantique pour une courte pose avant de reprendre sa course vers la Méditerranée. Les cygnes, les roseaux, les reflets des montagnes m’ont évoqué Lamartine, un habitué de cette région dans sa jeunesse, et la commémoration du bicentenaire de la publication de ses Méditations à laquelle nous avions participé jeudi dernier.

Le salon dans le bel hôtel du XVIIIe siècle de l’Académie de Mâcon avait accueilli une cinquantaine d’amoureux du poète. Après l’historique de la publication, des interventions ont rappelé leur fulgurant succès, impossible à imaginer aujourd’hui pour un éditeur du genre. Il s’ensuivit des questions sociétales, religieuses, philosophiques selon les exposés successifs. Une jeune thésarde italienne le compara avec Leopardi, parla d’une langue simple et universelle. Puis quatre poèmes furent lus, ponctués par des intermèdes musicaux au piano. Le lac, L’isolement, le Vallon, L’automne.

On m’avait demandé de lire Le Vallon. Je me suis lancée :

Mon cœur lassé de tout, même de l’espérance,

N’ira plus de ses vœux importuner le sort ;

Prêtez-moi seulement vallon de mon enfance,

Un asile d’un jour pour attendre la mort.

À ma grande surprise, alors que je suis plutôt une habituée de ce genre d’exercice, mes mains se sont mises à trembler, les jambes à me manquer. Trop d’émotion ? Trop d’explications préalables ? Dans ces cas-là, on fait ce qu’on peut ! J’ai posé mon texte et je me suis appuyée contre le bureau, dans l’attitude du malheureux poète, exténué par une existence sans espoir.

Repose-toi, mon âme, en ce dernier asile,

Ainsi qu’un voyageur qui, le cœur plein d’espoir,

S’assied, avant d’entrer, aux portes de la ville,

Et respire un moment l’air embaumé du soir.

Tes jours sombres et courts comme les jours d’automne

Déclinent comme l’ombre aux penchants des coteaux 

L’amitié te trahit, la pitié t’abandonne,

Et seule, tu descends le sentier des tombeaux.

Après avoir retrouvé un semblant de calme, je me suis redressée : 

Mais la nature est là qui t’invite et qui t’aime,

Plonge-toi dans son sein qu’elle t’ouvre toujours

Quand tout change pour toi, la nature est la même,

Et le même soleil se lève sur tes jours.

Suis le jour dans le ciel, suis l’ombre sur la terre ;

Dans les plaines de l’air vole avec l’aquilon ;

Avec le doux rayon de l’astre du mystère

Glisse à travers les bois dans l’ombre du vallon

Et c’est presque avec assurance que j’ai pu terminer, en balayant la salle du regard :

Une voix à l’esprit parle dans son silence :

Qui n’a pas entendu cette voix dans son cœur ?

En regagnant ma place, j’ai confié à ma voisine, Joëlle Pogé, une des organisatrices :

— Je ne sais pas ce qui m’a pris, j’étais morte de trouille ! 

Aurais-je dû me taire ? Le mystère de la poésie avait peut-être fait son travail…

Quelques jours plus tard, nous sommes montés sur la route de la Faucille pour échapper au froid et à la brume qui noyait la plaine. Nous nous sommes garés devant le Florimont pour boire un café. Il fermait ; avec un sourire, la serveuse nous a offert les bancs en bois de sa terrasse. Il faisait bon. Le soleil illuminait la rousseur des hêtres, le mont Blanc luisait doucement au-dessus d’une mer de nuages. Quel réconfort ! J’ai pensé à Lamartine…