Nous croisons notre voisin, un général à la retraite, il lance sous la voûte du porche d’entrée :

— Le Beaujolais nouveau est arrivé !

Je n’ai pas compris tout de suite, d’autant plus qu’il y a une quinzaine de jours, nous nous trouvions dans la fameuse Maison de bois à Mâcon un verre de Beaujolais à la main à attendre les cinq minutes fatidiques qui nous séparaient de son arrivée officielle. Beaujolais et Mâconnais sont proches parents. Tout juste sorti de son chai, il s’était révélé fruité, un peu râpeux, jeune et gaillard. Il m’avait réconcilié avec cette coutume à visée commerciale, devenue aujourd’hui internationale.

Le général avait voulu dire que le Covid nouveau était arrivé !

En effet, découvert en Afrique du Sud, un virus débarque depuis huit jours dans le monde entier à grand fracas, plus contagieux encore que le variant delta. A l’arrivée à Amsterdam, un tiers des passagers d’un avion en provenance de Johannesburg en était porteur. Toutes les liaisons aériennes avec six pays d’Afrique du Sud ont été suspendues. Aucun scientifique ne peut encore se prononcer sur sa dangerosité.

Pour le moment, en Europe, c’est encore la quatrième vague de l’épidémie qui inquiète. Le pic des contaminations ne cesse de grimper. Du fait de l’hiver, on se retrouve dans des lieux clos et non ventilés. Les antivax nous disent que la vaccination est inutile, qu’elle est dangereuse, que c’est une atteinte à l’intégrité du corps, que l’obligation vaccinale est liberticide, que les vaccinés continuent d’être contagieux et j’en passe… Les provaccins, eux, estiment que c’est la seule issue possible. La Suisse où le virus flambe, après une campagne surexcitée, une « votation » à 66 % de oui a permis au gouvernement d’enregistrer une loi en faveur des pass sanitaires.

C’est vous dire notre imprudence lorsque samedi dernier nous sommes allés au théâtre de la Huchette voir Les contes de Ionesco. Un spectacle enchanteur, vivant, coloré, une petite merveille.

Les passes sanitaires et les masques étaient obligatoires. Cependant, de toute évidence les cinq ou six rangées d’enfants aux premiers rangs, trop petits pour être vaccinés ou masqués, la tranche d’âge ces temps-ci la plus contaminée, devaient représenter un sacré réservoir de Covid 19 ! Ils riaient tellement de bon cœur qu’ils devaient propulser une sacrée quantité de charge virale… ! Nous n’avons pourtant pas boudé notre plaisir, d’autant plus qu’Émilie Chevrillon qui avait mis en scène ce délicieux spectacle se trouvait placée derrière nous. Nous la connaissons et nous avons pu la féliciter et la remercier de tout cœur.

Le lendemain, nous sommes allés au Théâtre de Poche pensant voir un spectacle de cabaret, nous nous sommes retrouvés devant un verre au fond d’une cave bondée. Personne ne portait de masque. La vie de Crazy bird, un gangster de Chicago a défilé sous nos yeux en épisodes drolatiques au son d’un orchestre de jazz. Et toute une bande de jeunes de vingt à trente ans s’est mise à swinguer au centre de la cave. C’était merveille de voir les couples virevolter, sauter en harmonie tantôt à distance, tantôt serrés l’un contre l’autre ! Voilà qui changeait des danses actuelles où chacun se trémousse tout seul.

Nous avons dansé quelques minutes, ce qui nous a rappelé notre jeunesse. Un spectacle de clown devait suivre, mais nous n’avons pas tardé. Malgré nos trois doses de vaccins, nous n’avons pas voulu tenter le diable !

Nous nous sommes retrouvés sur le trottoir de Montparnasse, ravis d’avoir affronté le destin pour autant de plaisir et de dynamisme.