• Cafés parisiens.

    Jeudi, à la galerie Nichido, à côté de l’Élysée, vernissage de l’exposition de mon ami Pierre Christin  : Cafés parisiens.

    Il m’avait dit qu’il travaillait sur les cafés et je savais qu’il peignait une toile de grand format. Il m’en avait décrit les grandes lignes, mais je n’avais pas bien compris de quoi il s’agissait.

    Quel plaisir ! De toile en toile, de bistro en bistro, une foule de gens vivaient en heureuse compagnie appuyés au zinc, attablés devant un repas, discutant, riant ou soucieux, dans des attitudes diverses, fatigués ou dynamiques, des vieux, des jeunes, de groupes, des consommateurs solitaires, tout un monde dont on a perdu l’habitude depuis un an. Ce n’était pas les terrasses restées ouvertes durant l’été, mais le café, le vrai de vrai, celui qui vous accueille à l’intérieur. Je croyais entendre la sonorité des conversations, je ressentais sa chaude et vivante convivialité. Les globes lumineux du plafond caressaient les visages et les mains en mouvement. Des verrières éclairées de l’extérieur accompagnaient d’une lueur opalescente la danse des serveurs en chemise blanche et tabliers noirs. Les bouteilles alignées derrière le bar chantaient en polychromie délicate. Piliers ou voûtes, miroirs ou fresques, affiches ou tableaux, tout portait vers le haut, au-delà des luminaires suspendus, vers la poésie de l’instant, une liberté éphémère offerte par intermittence. Monde pour le moment interdit par la pandémie, retrouvés en tableaux sur les murs de la galerie, témoins d’« une époque lointaine et fabuleuse » m’écrit Jean-Marc avec lequel, comme avec d’autres, j’ai bavardé, évoqué des lectures, des travaux, des souvenirs sur la banquette du Picquet, ce no mans land qui n’est ni chez l’un, ni chez l’autre, mais un domaine commun et confiant.

    Soutenue par des structures fortes, la peinture de Pierre vibre de multiples observations, en couleurs à la fois vives et retenues. La puissance des blancs le caractérise, à l’égal des Flamands. Enfant, Pierre a vécu dans l’ombre de sa grand-mère qui tenait un café restaurant à Evian, il en connait un rayon. J’ai été impressionnée par le grand format dont il m’avait parlé : la terrasse du café Florian entourée de vues de Venise. Il y passe plusieurs semaines par an depuis des décennies et en perçoit le moindre frémissement. On y retrouvait Carpaccio et Le Tintoret.

    Les cafés parisiens font partie de ma vie. Pendant plusieurs années, alors que je n’étais pas bien, j’ai marché tous les matins dans la ville, un arrêt dans un café à mi-chemin. Le long de la Seine, c’était les bistros du quai autour de la Samaritaine. Rive gauche par la passerelle des arts, c’était La Palette, rue Jacques Callot. Je les tous aimés, ceux de la rue de Rivoli, les buvettes du jardin des Tuileries, Le Nemours sur la place Colette où j’observais l’entrée et la sortie des décors de la Comédie française. Combien de conversations passionnantes ai-je surprises ? Entre autres, au Zimmer, place du Châtelet, Peter Brook discutant avec sa troupe. Combien de détresses ai-je devinées ? Un havre particulièrement touchant fut le café des Initiés, où le patron me saluait d’un « Bonjour jeune fille ! ». Le berger allemand Timmy venait s’allonger à mes côtés soulevant de temps en temps les paupières pour voir si tout allait bien.

    Les cafés ont toujours été pour moi un lieu de liberté et de convivialité. Ils ont fermé à cause de la Covid. Vivement qu’ils rouvrent en espérant qu’ils puissent sans tarder retrouver leur clientèle !


  • Dernière semaine de janvier.

    L’investiture de Joe Biden s’est déroulée sans incident. Ouf !

    Des dizaines de milliers de policiers et de militaires avaient réduit Washington à l’état de camp retranché. Sur le Mall, la foule traditionnelle avait été remplacée par des centaines de milliers de drapeaux américains en raison de la Covid.

    Joe Biden a prêté serment derrière des vitres blindées. Cérémonie destinée à la télévision. Lady Gaga en tenue extravagante a chanté l’hymne américain avec puissance et conviction, mais ce fut à peu près tout. Rien à voir avec la foule en liesse qui a accompagné l’investiture de Barack Obama. J’ai trouvé émouvant d’entendre ce vieil homme prononcer des mots dont on n’avait plus l’habitude, les mots de paix, de concorde, de vérité, de tendresse, de compassion et de courage. Ils remplaçaient les discours de haine, les mensonges, l’apologie de l’argent et de la compétition comme seul objectifs, du repli sur soi-même dont on était abreuvés depuis quatre ans. Mais retrouverai-je cette admiration pour une Amérique qui a traversé l’océan et débarqué sur les plages de Normandie afin de débarrasser le monde de la pourriture nazie, l’Amérique dynamique qui permit à tant d’émigrants de sortir de leurs bateaux de misère pour s’inventer de nouvelles vies.

    Mes amis américains se sont félicités de l’événement avec prudence. Impossible de faire comme si les électeurs de Donald Trump n’existaient pas ! Quelle insatisfaction mine le pays au point de piétiner ce qui fait le socle de notre humanité : dialogue et solidarité ?

    L’hiver se poursuit, pas trop froid, mais pluvieux, ce qui est bon pour les nappes phréatiques…

    Dernier rendez-vous à l’hôpital Cochin. Je vois clair ! Le professeur Monnet est parvenu à me rassurer avec une remarquable compréhension. Il est de bon ton aujourd’hui de vanter le passé. On a oublié combien la vie était dure autrefois, qu’on était vieux à cinquante ans, sourds et aveugles à soixante-dix  !

    Nous sommes sous la menace d’un reconfinement dur, mais le gouvernement hésite. La révolte gronde un peu partout, en Espagne, aux Pays-Bas. Emmanuel Macron se souvient probablement des Gilets Jaunes et craint de nouveaux débordements. Les variants anglais, sud-africains, brésiliens beaucoup plus contagieux accélèrent la circulation du Coronavirus et seul un confinement strict, selon les experts, pourraient le ralentir. Mais beaucoup de gens semblent ne plus vouloir se sacrifier pour les hôpitaux, pour les personnes fragiles et âgées.


  • Les obsèques de Jean.

    Cathédrale Saint-Maclou (Pontoise) | Structurae

    Les obsèques de mon frère Jean ont eu lieu à Pontoise dans la cathédrale Saint-Maclou, église qui a vu quantités d’événements familiaux, baptêmes, mariages, et désormais hélas trop d’enterrements. Nous avions retrouvé Yves, gare Saint-Lazare. Par la vitre du train, j’ai vu défiler les paysages et les gares qui ont accompagné les allers et retours de ma vie d’étudiante. À la sortie, place de la Gare, la ville et son église perchée au bout de la rue Thiers nous ont accueillis comme de vieilles connaissances. Chaque maison m’évoquait une famille, une personne, une anecdote. Nous avons traversé la rue Pierre Butin qui longeait notre maison. Elle me paraît aujourd’hui bien étroite ! Dans mon enfance, elle absorbait dans un vacarme que nous n’entendions plus le trafic de Paris à Rouen, voitures et camions pétaradants. Par cette rue désormais calme sont passés les énormes chars américains Sherman en 45. Les trottoirs en sont restés longtemps défoncés une fois la guerre terminée. Une rue vivante où tout le monde se connaissait.

    Nous sommes arrivés avant le fourgon mortuaire. Le cercueil est entré dans la cathédrale suivi d’une dizaine de porte-drapeaux. Les étendards aux couleurs vives bordés de franges dorées éclairaient l’obscurité de ce jour pluvieux et maussade. Le cercueil sur les tréteaux fut recouvert d’un grand drap bleu, blanc, rouge. Mon frère Jean avait droit aux honneurs militaires. Sa décoration était posée sur un coussin de velours. Qu’en aurait-il pensé lui qui ne parlait jamais de cette période de sa vie, lui qui n’utilisait jamais l’euphémisme des « événements » d’Algérie, mais le mot de guerre, et qui comme beaucoup d’autres n’a jamais pu en décrire les horreurs ? Il fut de ceux qui n’en revinrent pas intacts.

    Les frères évoquèrent son caractère parfois volcanique, leur enfance, des épisodes partagés de leur vie professionnelle en termes affectueux et souvent drôles, Christine parla de son père avec une justesse émouvante. Le prêtre mena la cérémonie avec une humanité exceptionnelle. Il avait compris la douleur d’une existence secouée par un effroi jamais tout à fait dépassé. Il sut aussi rassembler dans cette vaste et antique nef les croyants et les incroyants par des gestes simples et fraternels. Le dernier adieu se fit sans goupillon, à cause de la Covid. Chacun lança un petit signe à sa façon, sans toucher le cercueil.

    C’est bouleversée que je me suis trouvée devant la dépouille de mon frère. Je l’imaginais souriant, ému, un peu ironique. La forme de la boite me laissait pour un dernier instant l’imaginer vivant.

    Après les congratulations au fond de l’église, et pendant que les plus proches allaient au crématorium, petit comité oblige, nous nous sommes retrouvés autour d’un buffet dans la maison familiale, désormais occupée par Marc et plusieurs cabinets d’avocats. Ce furent des moments confiants, bien que contraints par les gestes barrière du Covid. Nous avons dégusté les délicieux petits cannelés de Dominique, le traditionnel gâteau au chocolat de Catherine, en demandant des nouvelles des uns et des autres.

    Nous avons savouré le plaisir de voir les enfants, les petits-enfants de Jean, de l’évoquer avec humour, de se souvenir des moments aujourd’hui enfuis qui nous réunissaient si nombreux dans cette grande maison. Nous avons attendu ceux qui étaient allés au funérarium pour sabrer le champagne. Bonheur de se retrouver, tristesse à la pensée de ceux qui n’étaient plus là.

    Mais il fallut partir assez vite pour ne pas se heurter aux foules qui rentraient avant le couvre-feu de 20 heures et nous avons sauté dans le train. La gare Saint-Lazare vibrait comme d’habitude de ses voyageurs pressés. La vie continuait. Nous sommes bien peu de chose !


  • USA. Attaque du Capitole

    Qui est Jake Angeli, l'homme aux cornes, photographié au Capitole ?

    Opération de la cataracte à l’hôpital Cochin. Après vous être douché la veille au coucher, redouché à la Bétadine au petit matin, entièrement revêtu de matière jetable, vous êtes transporté sur un brancard et vous vous retrouvez allongé sur la table d’opération, le crâne bloqué dans des sangles, le visage du chirurgien au-dessus de la tête. Soudain, la lumière vous éblouit et vous n’avez plus le choix : il faut faire confiance à l’équipe soignante. Une belle leçon de solidarité humaine !

    Quel contraste avec la folie des derniers jours de Donald Trump à la Maison Blanche ! Il continue de nier sa défaite, pourtant homologuée par les pouvoirs locaux et fédéraux. Des appels à la sédition sur son compte Twitter ont lancé sur Washington des milliers d’illuminés décidés à empêcher l’enregistrement de la victoire de Joe Biden par le Congrès.

    Une centaine d’entre eux a envahi le Capitole et saccagé les lieux. Il y a eu quatre morts avant le retour au calme par l’intervention de la police et de la garde nationale. Trump du bout des lèvres a fini par exhorter son camp à plus de modération. Il continue de distiller le chaud et le froid, obsédé par l’espoir de retourner la situation. L’Amérique, le pays le plus puissant du monde, n’est plus gouvernée. Certains hauts responsables cherchent à le destituer pour irresponsabilité. Durant la dizaine de jours qui reste avant l’investiture de Joe Biden, les USA sont dans un état d’extrême vulnérabilité, surtout en cas d’attaque terroriste intérieure ou extérieure. La question se pose de l’arme nucléaire dans les mains d’un fou. Trump a déjà fait savoir qu’il n’avait pas l’intention d’assister à l’investiture de son successeur laissant ainsi la porte ouverte à des violences, le 20 janvier.

    Le plus ennuyeux dans l’affaire, c’est que la moitié des Républicains continuent de le soutenir en dépit des lois qu’il n’a cessé de bafouer durant son mandat. Il a pourri en profondeur la morale et la logique du pays. L’Amérique provinciale et rurale se sent déstabilisée, dévalorisée dans ses valeurs par l’importance accrue des métropoles, par la mondialisation et par le métissage de la population, Joe Biden parviendra-t-il à recoller les morceaux d’un pays gravement divisé ? On peut l’espérer, il en a l’intention, mais la tâche sera difficile.

    Je vois beaucoup de points communs avec les gilets jaunes de chez nous. Mais aux États-Unis tout prend une dimension exceptionnelle.

    Pendant ce temps, le variant du Coronavirus galope dans une Angleterre reconfinée, ainsi qu’aux USA. Chez nous, les gens de plus de 75 ans vont pouvoir se faire vacciner à partir du 18 janvier prochain. Nous sommes sous le régime d’un couvre-feu à 18 ou 20 heures selon les départements. Nous devrons conserver les gestes barrière, même après avoir été vaccinés, il reste trop d’inconnu sur l’efficacité du vaccin.

    Mon frère Jean est décédé de la Covid en début de semaine. Personne n’a eu le droit de le voir, pas même ses enfants. Il est mort dans la solitude. Nous nous réunirons en petit comité après la cérémonie à l’église, avec masques et gestes barrière. Nous ne pourrons pas nous serrer dans les bras. Quelle tristesse !


  • Début janvier 2021

    Nous voici en 2021 ! Qui aurait cru, il y a un an, à la survenue de l’épidémie de la Covid 19 et à ses conséquences : confinement, déconfinement, reconfinement, commerces à l’arrêt, secteurs touristique et culturel anéantis, à une crise mondiale d’une telle ampleur ?

    Pour autant, l’année 2020, contrairement à beaucoup d’autres, ne m’a pas paru aussi interminable que ça. J’ose à peine écrire que malgré la crainte de la contamination et le désastre économique annoncé, j’y ai trouvé des avantages. J’ai savouré le calme de Paris dans un printemps ensoleillé, l’occupation clairsemée du métro vers l’atelier, l’accueil paisible des terrasses de cafés débordant largement sur les trottoirs avant la deuxième vague. Nous avons apprécié le retour à Tougin en octobre et novembre, le flamboiement des hêtres sur le Jura et les feux dans la cheminée, même si le reconfinement nous a empêchés de pousser jusqu’au Léman.

    Nous avons continué de voir nos amis tout en obéissant aux gestes barrière. On peut même dire que ces rencontres en petit comité nous ont réappris des liens amicaux et tranquilles. Les fêtes de fin d’année se sont plutôt bien passées.

    Naturellement, nous avons eu peur pour les êtres chers qui se sont battus des semaines contre la maladie, nous avons pleuré ceux qui ont succombé, et ce n’est pas terminé ! Le vaccin se met difficilement en route ; la bureaucratie française retarde sa distribution. Les effets des fêtes ne sont pas encore connus et risquent d’être importants si l’on en juge par les conséquences du Thanksgivingday aux USA. Une souche beaucoup plus contagieuse se répand en Angleterre. Les funérariums sont débordés, les hôpitaux à la limite de leurs possibilités. On ne doit pas baisser la garde.

    Le vaccin commence ses effets seulement après une quinzaine de jours et nécessite une seconde injection après la troisième semaine. Les doses doivent être conservées à – 80 degrés, ce qui rend leur approvisionnement particulièrement difficile à gérer.

    Mais nous avons survécu et c’est toujours bon à prendre.

    En revenant de déjeuner chez Florence, nous sommes passés par le jardin des Halles. Une foule de jeunes venus de banlieue s’y pressait. On aurait dit que Paris symbolisait la liberté. Beaucoup piqueniquaient joyeusement sans leurs masques sur les banquettes en ciment, dans le vent et le froid.

    Le contraste entre ces jeunes et la coupole du nouveau musée d’art contemporain financé par la fondation Pinault (celle de la Dogana à Venise) m’a frappée. Son ouverture est prévue pour la fin du mois. Qui a-t-il de commun entre ces jeunes souvent originaires d’Afrique et d’Asie, vivant la plupart du temps dans des banlieues déshéritées, et cet art commercial à la fois sophistiqué par la technique et sommaire dans ses concepts ? On peut espérer que ce n’est pas une déculturation galopante, une déshumanisation destructrice et la seule fascination de l’argent.

    Mais en réalité, il se dégageait de la plupart d’entre eux une vitalité revigorante ! Il faudra bien qu’on se réinvente, qu’on apprenne à vivre en tenant compte des leçons du coronavirus, la main dans la main, et J’ose espérer qu’on pourra compter sur leur relève.

    Vive la nouvelle année !


  • Noël masqué

    Noël s’est plutôt bien passé. Ève et Emmanuel ont investi le bureau de Gilles. Les enfants ont dormi sur des matelas à l’atelier. Les 23 et 24, ils nous ont rejoints rue Étienne Marcel ; gestes barrières, deux tables, fenêtres entrouvertes. Il ne faisait pas trop froid et nous avons pu savourer ces étranges retrouvailles. Nous avons fêté Noël le 24 à midi. Dans l’après-midi, ils ont rejoint Julien et sa famille au Palais-Royal et se sont promenés dans le jardin de Tuileries. Le soir, ils sont partis vers Rouen dans la famille d’Emmanuel. Le 25, Julien, Laure et Thomas sont venus goûter avec nous. Rien à voir avec la fête habituelle, mais des instants décalés, inventés, et appréciables.

    Le 24, nous avions joué avec les adolescents au jeu de l’éloquence, à savoir : défendre une cause ou son contraire. Par exemple, pour ou contre la majorité à seize ans, les animaux dans les cirques, le véganisme, etc. Ils ont l’esprit tellement plus vif que nous ! Intéressant de voir à quel point les mentalités changent au fil des décennies. Marius pourrait faire un bon avocat.

    Le 26, nous avons repris nos occupations habituelles. Pour moi le modelage de l’oiseau. Il ne fallait pas traîner, la terre ne doit pas trop sécher en cours de travail sous peine de craquer à la cuisson. Gilles a repris son grec. Mais ces fêtes sont un peu déstabilisantes. Plus le temps passe, plus il est triste de les voir partir, même si leur présence est fatigante et bouscule nos habitudes. On s’est donné rendez-vous en visio le plus tôt possible.

    Les jours vont rallonger, le moral s’améliorer. La vaccination a démarré aux USA sur une grande échelle. Chez nous, elle est prévue pour janvier en commençant par les Ehpad. L’espoir demeure que l’épidémie reculera durant le premier semestre 2021, malgré l’arrivée par l’Angleterre d’une nouvelle souche plus contagieuse. Mais rien n’est encore gagné. Personne ne connait la durée de l’immunité vaccinale.

    L’Europe et l’Angleterre se sont mises d’accord in extremis pour signer un Brexit à peu près acceptable pour les deux parties. Comme l’a dit Michel Barnier, le négociateur principal : « Désolant ! C’est du perdant-perdant. » Mais les Anglais ne voulaient décidément pas rester dans cette Europe dont ils ne se sont jamais vraiment sentis solidaires. Les voilà désormais seuls, avec l’espoir de devenir une importante place financière. Un embouteillage monstre de camions à Douvres, surtout dû à une protection sanitaire d’urgence, s’est résorbé peu à peu.

    Je pense à tous ces émigrés sans abri qui errent dans Paris après avoir fui leurs pays, loin de leur famille et de leurs amis, la plupart du temps à cause de la guerre. Les hommes sont fous !

    Des messages d’amitiés le jour de Noël nous ont fait chaud au cœur ! Maintenant nous attendons l’année 2021, avec le ferme espoir qu’elle nous permettra de prendre un nouveau départ. On en a bien besoin !


  • Noël

    Noël à Paris : illuminations, vitrines de Noël ou shopping ?

    Solstice d’hiver. Pour peu qu’il pleuve comme ces jours-ci, il fait nuit à 16 heures. Triste ! Cependant quelques éclaircies, et les rayons du soleil juste au-dessus des toits traversent l’appartement de part en part avec une générosité qui m’émeut chaque année. Je m’étonne de ne pas voir plus souvent évoquer les variations saisonnière de la lumière dans la littérature ! Ces jours-ci, les gens n’ont pas vraiment le moral et chacun lutte à sa façon pour sauver ce qui peut l’être des fêtes de fin d’année.

    Le risque de contamination est au maximum. Il eut été plus prudent de se confiner pour les deux fêtes, mais le gouvernement a jugé qu’il valait mieux laisser survenir une troisième vague et permettre aux Français de respirer, au moins pour la soirée de Noël. Pas plus de six à table, masques à l’intérieur. Chaque famille fait ses comptes. Certains, comme Marc, se confinent à deux préférant attendre le vaccin pour faire la fête, d’autres comme Hervé pulvérisent le quota recommandé de participants dans la mesure où la plupart ayant déjà eu la maladie ils n’en craignent plus les effets. Chacun réfléchit sur son comportement vis-à-vis des plus vulnérables. Ève va venir de Grenoble avec sa famille et la stratégie s’affine au fil du téléphone. Les enfants dormiront à l’atelier, ils ne prendront pas les repas avec nous. Julien et sa famille lui succéderont le jour de Noël. Pour le reste, on verra !

    Est-ce par réaction ? J’ai démarré un terrible mal de dos. Visite la nuit du médecin des urgences, il ne pouvait pas faire grand-chose pour moi, je suis allergique à la morphine. « Je vous laisse avec votre bouillotte. », me dit-il sur un ton désolé. Nous sommes tous un peu à cran, après dix mois de contraintes. Une sorte de menace pèse sur nos projets, trop souvent repoussés.

     La Mairie de Paris pour faire des économies a diminué l’intensité des lampadaires. On pourrait se croire pendant la guerre, d’autant plus que le couvre-feu vide les rues dès 20 heures. Mais on en est très loin ! Je me souviens de la chape de plomb, du froid et de la faim qui sévissaient alors. En fait, on relativise autant que possible. J’admire le dynamisme des jeunes dans ce Paris crépusculaire. On sent un potentiel prêt à redémarrer. Les petits magasins résistent à l’adversité, débrouillards, ils vendent sur le trottoir des gadgets comme à l’époque des camelots, des boissons chaudes, des sandwiches. Dans l’ensemble, les Parisiens conservent leur bonne humeur. La misère est circonscrite dans la sphère privée.

    Á nouveau, beaucoup de Parisiens sont partis en province, dans leur famille ou dans leurs résidences secondaires. Les gites au bord de la mer ont été pris d’assaut. On peut bouger, donc on bouge, juste pour relâcher les obligations qui enserrent. La campagne redevient à la mode. Le télétravail ayant pris de l’ampleur, certains vendent leur appartement de Paris pour acheter une maison avec jardin à moins de 200 km, tout en gardant un pied-à-terre en ville si possible. Nous avons déjà vu ce retour à la nature en 68. Pas toujours une réussite ! Solitude et désert médical. Mais sait-on jamais ? Peut-être réaliseront-ils l’éternel rêve de la ville à la campagne.

    En attendant, c’est Noël, une fête ambigüe qui mélange souvent peine et joie, et qui cette année est contrainte de se réinventer.


  • Sous la pluie

     

    Durant la semaine, le Premier ministre a annoncé un assouplissement des règles de confinement. Les attestations ne seront plus nécessaires dès le 15 décembre, remplacées par un couvre-feu de 20 heures à 6 heures du matin. Restaurants, salles de cinéma, de théâtre et de concerts resteront encore fermés jusqu’au début janvier, au grand dam de ces professions à quia pour ne pas dire à terre. Pas de couvre-feu le soir de Noël, mais il sera maintenu le premier janvier, la baisse des contaminations ayant été plus faible que prévue.

    En cette fin d’après-midi,  la tête un peu enchifrenée, j’ai rempli mon attestation (promenade), mis mon masque, saisi mes clés, mon parapluie, et je me suis retrouvée sur le trottoir avec l’intention d’aller à la galerie Couteron, dans le quartier de Saint-Germain des Prés de l’autre côté de la Seine. Je voulais prendre le 74 ou le 85, ils ne traversent pas, mais ont l’avantage de s’arrêter au Pont Neuf. Je n’avais pas le courage de faire tout le trajet à pied dans l’atmosphère humide et crépusculaire de ce mois de décembre très impacté par la pandémie.

    La rue Étienne Marcel était fermée par des camionnettes de police. J’avais bien entendu des sirènes, mais elles sont tellement habituelles dans notre quartier que je n’y avais guère prêté attention. On était samedi, jour de manifestations ! Les voitures immobilisées essayaient de reculer dans un micmac mouillé. Naturellement pas d’autobus, service interrompu. Un instant d’hésitation, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai descendu la rue du Louvre au milieu des klaxons et de l’énervement généralisé.

    Une femme s’est approchée de moi — on a perdu l’habitude de voir des visages de si près — et m’a demandé où se trouvait la Samaritaine. Surprise , je n’ai pu que répondre : « Elle est fermée depuis plus de dix ans ! » La provinciale n’en a pas démordu : « Elle a rouvert. On peut aller dans son restaurant au dernier étage. » Après tout, pourquoi pas ? Il arrive que les Parisiens soient les derniers au courant et je lui ai montré le chemin. De toute façon les restaurants sont fermés.

    Curieusement, la circulation était fluide sur le quai et je suis parvenue à l’entrée du Pont Neuf. Je me suis arrêtée pour regarder la Seine. Dieu, qu’elle était belle ! Frisotée par le vent, elle reflétait en lueurs argentées l’Institut, la passerelle des Arts, le Louvre. Une languette de bleu triomphait au-dessus d’une mer de nuages sombres et tourmentés. Sous mon parapluie, j’ai pensé une fois de plus à ma chance d’habiter Paris, en dépit de ses embouteillages et de ses manifestations.

    Sur le pont, peu de promeneurs, une impression de ferveur remplaçait l’ancienne foule des touristes du monde entier. Des familles, des amoureux se croisaient dans le crépuscule qui commençait à céder la place à la nuit. Arrivée rive gauche, j’ai pris à droite. Un seul bouquiniste avait ouvert, il se battait avec un grand plastique tressautant dans le vent. Toutes ces boites fermées le long du parapet, comment était-ce possible ? Quand rouvriront-elles ?

    J’ai traversé devant l’hôtel de la Monnaie et je suis parvenue à la galerie, heureusement ouverte. Il y avait bien longtemps que je n’avais pas vu Yves et Nad. C’est sur un ton un peu tristounet que nous nous sommes donné des nouvelles les uns des autres, avec le Covid comme leitmotiv, naturellement.

    Au retour, j’ai appris que pour la première fois depuis des années, la manifestation s’était terminée à peu près sans incident. La police aurait-elle mis au point une technique pour gèrer les blacks blocks ? Une bonne nouvelle. Pourvu que ça dure !

     


  • Réouverture des magasins, Anne Sylvestre.

    Hier, samedi, les rues étaient bondées, remplies surtout de jeunes heureux de déambuler en groupe. Leur bonne humeur un peu inquiète faisait plaisir à voir après tous ces jours moroses. On ne pouvait pas parler de liesse, mais derrière les masques soigneusement portés on devinait une certaine détente. Contrairement au samedi précédent, les magasins accueillaient des clients, disséminés dans l’espace imparti, mais déterminés. Devant le fameux magasin d’alimentation G. Detout (sic), une longue file d’attente laissait penser que l’espoir de fêter Noël en famille restait tenace. Il est vrai que les courbes de la pandémie continuent de baisser et que le seuil exigé par le gouvernement pour libérer les contraintes de déplacements semble péniblement se dessiner.

    Pourtant, le bilan des États-Unis et du Canada après le thanksgiving day est catastrophique. L’idée de supprimer le couvre-feu en France durant les deux nuits de Noël et de la Saint-Sylvestre n’est peut-être pas très judicieuse, même si l’on sent un besoin urgent de décompresser, de retrouver le sens de l’autre, de lutter contre une perte de dynamisme que le télétravail ne compense pas.

    Hier, une manifestation pour les libertés de la presse a encore dégénéré en violence à Paris comme en province. À Paris, cinq cents jeunes vêtus de noir et cagoulés ont brulé des voitures, cassé des vitrines sur son passage en raids éclair. Ils maîtrisent trop la technique de la guérilla urbaine et de l’esquive pour ne pas avoir été entraînés par des professionnels. La police arrête des agités qui font les malins, mais pas le noyau dur et peut-être international de ces entreprises de déstabilisation. La police est coincée entre la dénonciation de ses propres violences et la violence des black blocs. On dirait qu’elle n’a pas mis en place de réelles stratégies contre ces débordements. Policier, un métier difficile et pourtant garant de la démocratie et du respect de ses lois.

    Anne Sylvestre est morte, quelle tristesse ! Elle avait accompagné de sa poésie l’enfance d’Ève avec ses Fabulettes. Nous l’avions entendu à l’Olympia dans son répertoire pour adulte. Elle chantait avec des mots simples la difficulté de vieillir, d’être une femme libre. Elle chantait le bonheur d’un instant, l’amour partagé ou non, toutes les formes d’humanité et de rencontres qui font la vie. Jamais aigre, elle nous prenait dans ses bras, comme autrefois sa guitare, elle chantait sans courir après la notoriété, juste par fidélité pour elle-même et pour son public.

    Les hommages qui ont entouré sa mort m’ont un peu gênée. Pour ma part je la voyais et l’entendais plutôt comme une amie qui vivait et souffrait comme nous tous. Je l’imaginais dans sa famille, parmi ses proches, allant faire ses courses, s’activant dans sa cuisine et son jardin. « Une grande dame », a-t-on dit à la télévision. Peut-être… Serait-ce cela une grande dame ? Elle a défendu l’avortement, les homosexuels, les femmes, avec des mots durs lorsqu’elle sentait la liberté attaquée, et en même temps avec une douceur et une mélodie qui anéantissait toute haine.

    Pour moi, elle n’est pas tout à fait morte et je vais réécouter ses disques pour rattraper les périodes où je m’en suis privée.


  • Paris

    Merci à David, Bory et Maria…

    Un confinement un peu assoupli va durer jusqu’au 15 décembre. Tous les commerces peuvent rouvrir sous conditions sanitaires. La promenade passe à trois heures, son périmètre à vingt kilomètres. Les lieux de cultes ne peuvent toujours pas recevoir plus de trente personnes, mais une décision du Conseil d’État ordonne d’en augmenter le nombre. Hier, foule sur les trottoirs des rues commerçantes, mais pas grand monde dans les magasins. Les gens ont-ils provisoirement perdu le goût de la dépense? Seraient-ils devenus plus sages ?

    Ce deuxième confinement traîne en longueur et le moral s’en ressent. Une sorte d’atteinte à nos forces vitales. Les plus mal logés n’en peuvent plus. Des étudiants en visio décrochent. Vivement le vaccin annoncé pour le début de l’année prochaine !

    Un micmac législatif au sujet du droit de filmer les policiers et de diffuser les vidéos sur les réseaux sociaux a enflammé une nouvelle fois la toile, puis la rue. On n’avait plus connu ça depuis le commencement de la pandémie. Voilà maintenant des années que chaque samedi nous avons droit à des manifestations avec leur cortège de casseurs compulsifs, le plus souvent étrangers aux revendications. Gilets jaunes, retraités, ou autres — on finit par oublier qui — se relaient dans un festival hebdomadaire de sirènes de police, de compte rendu d’incendies, de pillage de magasins, de destruction de matériel public, une sorte de feuilleton qui semble passionner acteurs et spectateurs.

    Naturellement, la violence fait partie intégrante de l’histoire de Paris. La misère y est présente, concentrée ces derniers temps dans les centaines de tentes de migrants sous le métro aérien. Mais Paris est aussi la ville de la liberté. Je savoure ses petites aventures, le plaisir d’y déambuler dans l’anonymat. On y rencontre toujours une ou plusieurs personnes à qui dire trois mots, bonjour, au revoir. On peut arpenter ses rues, dans ses pensées, à la fois seuls et entourés. On peut rire ou pleurer, sans susciter l’envie ou provoquer mépris et commisération. Extravagance ou discrétion, tout y est naturel. L’humour n’est jamais loin. Son centre offre à chacun l’asile de sa beauté. Quel plaisir de participer à son histoire ! Paris, cette ville où se croise depuis toujours une multitude venue de tant de provinces, de tant de pays qu’on y respire l’air du grand large, quoiqu’on en dise et en dépit de sa pollution. Pourvu que cela dure !

    Hier, dans le métro dépeuplé par le Covid, un mendiant a troué le silence. On s’attendait à entendre le discours habituel qui sème dans les rames un relent d’angoisse. Mais après la traditionnelle entrée en matière « Excusez-moi de vous déranger… », il a continué : « Je suis un intermittent du spectacle… ». Cette formule recouvre un monde dont on ne sait trop de quoi il est constitué et qui revendique souvent des aides de l’État. Il explique « Je suis magicien, prestidigitateur et je ne peux plus travailler à cause du Covid. J’ai parcouru le monde entier. » Il cite des pays sur les cinq continents « mais si vous voulez m’aidez, je peux vous faire un tour ! ». J’ai sorti des pièces de mon porte-monnaie et je les lui ai tendues. Il m’a remerciée. Puis il a fait disparaître l’une d’elle à cinquante centimètres de mon visage. Un peu trop prés, car je l’ai aperçue coincée entre son pouce et sa paume. Il a recommencé comme on remonte sur son cheval. Et là, vraiment impossible de savoir où elle était passée ! La pièce a disparu une troisième fois. Alors qu’il se penchait vers moi, elle a failli tomber de son crâne qu’il avait chauve. Il l’a rattrapée in extrémis, comme si de rien n’était, et a repris sa route.

    Un peu plus loin, un homme à cheveux blancs et casquette lui a donné un billet en refusant le tour de magie. Il a protesté « Je ne mendie pas… ». L’homme d’un signe lui a fait savoir qu’il comprenait, mais qu’il n’avait pas le temps. Alors le prestidigitateur a continué vers des femmes au fond du métro, bruyantes, habillées de bric et de broc avec un bébé dans une poussette poussiéreuse et il leur a fait ses tours. Il a sorti des mouchoirs de soie d’un dé à coudre et trouvé des fleurs dans leurs cheveux. Je ne suis pas certaine qu’elles aient vraiment apprécié, mais lui de toute évidence était ravi. J’ai entendu dire que comme les musiciens, eux aussi sinistrés, ils ont besoin de s’exercer et de pratiquer devant un public. J’aurais tellement voulu retirer ce foutu masque devant ma bouche pour qu’il puisse voir le sourire qu’il avait fait éclore…