La tension hospitalière s'accentue.

La température a chuté de 17° en quelques jours. Dans la rue, les chemises légères, les bras et les jambes nues ont cédé de nouveau la place aux doudounes de l’hiver. Pour le moment le soleil brille encore, mais la neige est annoncée même en plaine. « En avril, ne te découvre pas d’un fil. » En effet !

Nous avons appris avec tristesse l’hospitalisation d’un de nos proches dans un service de réanimation. Il était pourtant jeune, la cinquantaine débonnaire. Il y a quinze jours, son épouse s’était inquiétée de l’entendre tousser. Elle avait appelé leur médecin de famille qui l’avait envoyé aux urgences. Hospitalisé et mis sous oxygène, il allait de mieux en mieux quand au bout de six jours son taux d’oxygène a brutalement chuté. On l’a alors placé sous coma artificiel et intubé. Après deux jours d’angoisse, son état s’est heureusement stabilisé. Les poumons seuls sont atteints. Jeune et solide, il devrait s’en sortir, mais les médecins ne savent pas combien de temps ça va durer. Son épouse et ses parents sont désormais autorisés à venir le voir. L’infirmière leur a dit qu’il ne sentait rien, mais qu’il entendait. Elle les a encouragés à lui exprimer leur affection, à lui parler des uns et des autres pour l’aider à résister à la maladie. Son père nous a expliqué que les courbes du monitoring bougent quand on lui parle. L’équipe soignante est admirable d’efficacité et d’humanité.

Bourré d’humour, son caractère avait quelque peu changé depuis plus d’un an. Il manifestait une sorte d’amertume qui l’amenait à tenir des propos étranges, jugeant l’épidémie inventée de toute pièce par l’industrie pharmaceutique et le gouvernement. Pourtant intelligent et brillant dans son métier, il refusait de se protéger. Son entourage avait exprimé son inquiétude à plusieurs reprises. Ce fut un coup de tonnerre lorsque nous avons appris sa contamination, on ne croit jamais que le malheur puisse frapper près de chez soi. Une solidarité sans faille a aussitôt entouré sa famille, la réaction spontanée de l’un d’entre nous fut cependant une indignation, mal venue vu les circonstances, mais compréhensible : « Non seulement, il se mettait en danger, mais il mettait en danger les autres ! ».

Depuis plus d’un an, en raison de la pandémie et du télétravail, il travaillait dans des conditions difficiles, aggravées par un patron qui intervenait constamment sur internet dans ses relations avec les clients, l’obligeant à louvoyer et à en faire toujours davantage. Il semble qu’usé par le travail, il ait été victime d’un burn-out. Dépressif, affaibli dans ses facultés de jugement et de réaction, il aurait été amené à nier la réalité.

 Le télétravail, cette panacée contre le confinement, comporte des effets délétères dont on n’a pas encore mesuré l’importance. La difficulté de régler les degrés de communications efficaces, le manque d’humanité qu’entraîne la distance de l’image sont loin d’être négligeables. L’écran ne peut remplacer les odeurs environnantes, les bruits d’ambiance, la lumière du jour. Nos yeux, notre peau, nos oreilles ont besoin d’être concernés pour nous sentir véritablement en présence de l’autre. Nul doute que ceux qui ont tendance à abuser de leur pouvoir, le monde de compétition actuel de plus en plus exacerbé ne profitent de cette situation hors sol.

On peut espérer de tout cœur qu’il va se remettre aussi vite que possible et qu’il nous dira comme Bernard, le cousin de Gilles, plus âgé que lui, sorti indemne après des semaines de coma : « Je n’étais pas malheureux, je ne souffrais pas, mais j’ai l’impression d’avoir vécu durant ces moments une autre vie, une vie différente de la mienne ».

Nous avons fêté Pâques tous les deux, filet de bœuf aux girolles, petits œufs à la liqueur sur un nid de mousse au chocolat, café devant un bouquet de jonquille. Rendez-vous vidéo avec les enfants et petits-enfants, le lundi. Toujours bon à prendre !