• Paris

    Merci à David, Bory et Maria…

    Un confinement un peu assoupli va durer jusqu’au 15 décembre. Tous les commerces peuvent rouvrir sous conditions sanitaires. La promenade passe à trois heures, son périmètre à vingt kilomètres. Les lieux de cultes ne peuvent toujours pas recevoir plus de trente personnes, mais une décision du Conseil d’État ordonne d’en augmenter le nombre. Hier, foule sur les trottoirs des rues commerçantes, mais pas grand monde dans les magasins. Les gens ont-ils provisoirement perdu le goût de la dépense? Seraient-ils devenus plus sages ?

    Ce deuxième confinement traîne en longueur et le moral s’en ressent. Une sorte d’atteinte à nos forces vitales. Les plus mal logés n’en peuvent plus. Des étudiants en visio décrochent. Vivement le vaccin annoncé pour le début de l’année prochaine !

    Un micmac législatif au sujet du droit de filmer les policiers et de diffuser les vidéos sur les réseaux sociaux a enflammé une nouvelle fois la toile, puis la rue. On n’avait plus connu ça depuis le commencement de la pandémie. Voilà maintenant des années que chaque samedi nous avons droit à des manifestations avec leur cortège de casseurs compulsifs, le plus souvent étrangers aux revendications. Gilets jaunes, retraités, ou autres — on finit par oublier qui — se relaient dans un festival hebdomadaire de sirènes de police, de compte rendu d’incendies, de pillage de magasins, de destruction de matériel public, une sorte de feuilleton qui semble passionner acteurs et spectateurs.

    Naturellement, la violence fait partie intégrante de l’histoire de Paris. La misère y est présente, concentrée ces derniers temps dans les centaines de tentes de migrants sous le métro aérien. Mais Paris est aussi la ville de la liberté. Je savoure ses petites aventures, le plaisir d’y déambuler dans l’anonymat. On y rencontre toujours une ou plusieurs personnes à qui dire trois mots, bonjour, au revoir. On peut arpenter ses rues, dans ses pensées, à la fois seuls et entourés. On peut rire ou pleurer, sans susciter l’envie ou provoquer mépris et commisération. Extravagance ou discrétion, tout y est naturel. L’humour n’est jamais loin. Son centre offre à chacun l’asile de sa beauté. Quel plaisir de participer à son histoire ! Paris, cette ville où se croise depuis toujours une multitude venue de tant de provinces, de tant de pays qu’on y respire l’air du grand large, quoiqu’on en dise et en dépit de sa pollution. Pourvu que cela dure !

    Hier, dans le métro dépeuplé par le Covid, un mendiant a troué le silence. On s’attendait à entendre le discours habituel qui sème dans les rames un relent d’angoisse. Mais après la traditionnelle entrée en matière « Excusez-moi de vous déranger… », il a continué : « Je suis un intermittent du spectacle… ». Cette formule recouvre un monde dont on ne sait trop de quoi il est constitué et qui revendique souvent des aides de l’État. Il explique « Je suis magicien, prestidigitateur et je ne peux plus travailler à cause du Covid. J’ai parcouru le monde entier. » Il cite des pays sur les cinq continents « mais si vous voulez m’aidez, je peux vous faire un tour ! ». J’ai sorti des pièces de mon porte-monnaie et je les lui ai tendues. Il m’a remerciée. Puis il a fait disparaître l’une d’elle à cinquante centimètres de mon visage. Un peu trop prés, car je l’ai aperçue coincée entre son pouce et sa paume. Il a recommencé comme on remonte sur son cheval. Et là, vraiment impossible de savoir où elle était passée ! La pièce a disparu une troisième fois. Alors qu’il se penchait vers moi, elle a failli tomber de son crâne qu’il avait chauve. Il l’a rattrapée in extrémis, comme si de rien n’était, et a repris sa route.

    Un peu plus loin, un homme à cheveux blancs et casquette lui a donné un billet en refusant le tour de magie. Il a protesté « Je ne mendie pas… ». L’homme d’un signe lui a fait savoir qu’il comprenait, mais qu’il n’avait pas le temps. Alors le prestidigitateur a continué vers des femmes au fond du métro, bruyantes, habillées de bric et de broc avec un bébé dans une poussette poussiéreuse et il leur a fait ses tours. Il a sorti des mouchoirs de soie d’un dé à coudre et trouvé des fleurs dans leurs cheveux. Je ne suis pas certaine qu’elles aient vraiment apprécié, mais lui de toute évidence était ravi. J’ai entendu dire que comme les musiciens, eux aussi sinistrés, ils ont besoin de s’exercer et de pratiquer devant un public. J’aurais tellement voulu retirer ce foutu masque devant ma bouche pour qu’il puisse voir le sourire qu’il avait fait éclore…


  • Des petits moments au soleil

    Comme le temps passe vite ! Les semaines défilent les unes après les autres, aussitôt vécues, aussitôt disparues. J’en laisse quelques traces dans ces lignes.

    Le nouveau confinement ne me gène pas, au contraire, je peux aller travailler dans des métros presque vides. Avant la pandémie, le retour de l’atelier devenait de plus en plus pénible. L’installation du ministère des armées à Balard avait entraîné à la sortie des bureaux une affluence grandissante. De plus en plus de monde, de moins en moins de rames.

    L’autorisation de sortie pour achat offre une certaine liberté. Je suis allée quai Voltaire acheter de l’essence de térébenthine. Comme convenu quelques jours plus tôt, j’ai donné rendez-vous à Nicolle. Elle-même à deux pas du Pont Neuf et de l’ancienne Samaritaine restait dans son périmètre autorisé. Nous nous sommes retrouvées en haut de la rampe au bout de la colonnade du Louvre. Le soleil illuminait les peupliers trembles du quai. Quel plaisir de déambuler le long de la Seine scintillante de vaguelettes, de passer sous la passerelle des Arts, d’entendre le piaillement des mouettes, de remonter vers le Louvre, de s’engager sur le Pont du Carrousel comme un envol au-dessus du fleuve ! Plaisir partagé. Nicolle habite le quartier depuis des décennies, elle m’a raconté des souvenirs liés au travail de son père à l’hôtel de la Monnaie. Elle venait le voir avec sa mère. C’est son chez elle depuis toujours. Pas n’importe quoi !

    Elle m’a dit de me méfier. La veille, son mari Pierre, lui aussi peintre, avait été contraint de téléphoner sur le trottoir pour pouvoir entrer dans le magasin du Boulevard Saint-Germain. Sur le quai, je me suis battue avec le clavier de mon smartphone (illisible au soleil !), puis j’ai pu frapper à la porte. Je me suis vue autorisée à entrer dans un minuscule sas aménagé devant la caisse. J’ai pris la commande dûment enregistrée et nous sommes revenues par la passerelle des Arts.

    Nous nous sommes assises sur un banc à un mètre l’une de l’autre et nous avons regardé les péniches se glisser entre les arches du Pont Neuf tout en bavardant. Quand elle a regardé sa montre, son heure était dépassée, nous nous sommes levées d’un bond et nous nous sommes quittées en haut de la rampe en nous promettant de recommencer.

    C’est avec Sara que j’ai de nouveau eu le plaisir de rencontrer une amie en chair et en os, et non pas au téléphone ou en visio. Nous avons toutes les deux en général quelques difficultés à nous entendre sur l’heure et le lieu de nos rendez-vous. Nous avions décidé de nous retrouver devant la porte du Monoprix. Elle travaille sur une thèse à l’ENS, rue d’Ulm ou boulevard Jourdan, et vient de banlieue avec une attestation de la bibliothécaire. Elle peut éventuellement sortir à Châtelet, station sur son trajet, mais en prenant un risque. Avant de partir, j’ai coché sur mon attestation la case « achat », pour bénéficier d’un temps illimité. Alors que je passais devant le Pied de Cochon, elle m’a téléphoné pour me dire qu’elle était dans le sous-sol du Monoprix. Après l’avoir retrouvée et fait quelques achats, nous sommes sorties par la rue Rambuteau. Elle m’a raconté en marchant qu’ayant vu la police en haut du grand escalator, elle était entrée dans le magasin par la porte du bas. Nous avons commencé par déambuler le long de l’allée, mais l’absence de la bande des blacks qui squattent habituellement les bancs nous a alertés. Sara a proposé un petit coin sec, à l’abri des regards. Nous avons parlé tranquillement de choses et d’autres en observant les promeneurs, une légère brume éteignait peu à peu les rayons du soleil. Elle a fait un selfie, puis photographié nos chaussures (voir ci-dessus). Nous grignotions les galettes Saint-Michel achetées dans le Monoprix par précaution, lorsqu’elle m’a dit, impassible et sans bouger « La police ! ».

    Je n’ai pas eu le temps de voir la patrouille qu’elle avait ramassé sacs, écharpes. Levée en un clin d’œil, elle s’est dirigée vers Saint Eustache. Elle pensait que nous allions nous quitter là. Mais sans vergogne, certaine peut-être à tort de pouvoir m’expliquer avec les policiers, je l’ai accompagnée jusqu’au métro « Ça me fait penser à quand j’étais petite. Nous nous raccompagnions indéfiniment à la sortie de l’école, d’abord chez l’une, ensuite chez l’autre ». Elle n’a pas compris tout de suite, ce n’est peut-être pas la coutume dans son pays, en Iran. Puis elle a ri « Nous, nous restions indéfiniment devant chez moi et mon père se demandait ce que nous pouvions bien nous raconter. »

    Voilà ! Bien peu de chose dans le monde bousculé par la pandémie, les faillites et ses misères. Mais ces petites aventures me semblent « essentielles », comme on dit des commerces encore ouverts durant le reconfinement.


  • Poursuite du reconfinement.

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    Les cloches de Notre-Dame des Victoires sonnent à perdre haleine, elles succèdent à celles de Saint-Eustache. Une façon de protester contre les directives du gouvernement. Les catholiques réclament la possibilité de célébrer la messe sur le parvis des églises, ils affirment respecter les distances de sécurité.

    Le Premier ministre Jean Castex a annoncé mercredi dernier la poursuite du reconfinement, en y ajoutant l’interdiction des cérémonies cultuelles. Certains catholiques argumentent sur la messe, essentielle à leurs yeux. Mais leurs opposants refusent de les distinguer des autres cultes ou mettent l’accent sur la propagation du virus par les chants, d’autres encore rappellent qu’on peut suivre la messe tous les dimanches à la télévision et que nombre de personnes fragiles ou handicapées s’en contentent durant de longues années. Ils sont accusés d’irresponsabilité. Problématique qui tourne à la polémique politique, les cathos étant assimilés à la droite. De fait, s’il n’y a pas d’exception préfectorale en leur faveur, on note une certaine indulgence de la part de la police. Pour ma part, j’aimais retrouver Pierre et Antoine à Saint-Eustache. Nous allions ensuite boire un café au bistro d’à côté, ces petites rencontres à parler de tout et de rien me manquent. Antoine est reconfiné chez lui, en Corse.

    Le Covid à la campagne, c’est le repli sur la maison, le jardin et les relations avec ses voisins, bonnes en général mais parfois détestables, un univers clos aujourd’hui un peu oppressant. Le Covid à Paris : moins de monde dans les rues. Les cafés, les terrasses, les magasins sont fermés, mais une poursuite de l’activité dans les bureaux maintient des dialogues éphémères. Quelques mots dans l’autobus ou dans le métro sont des petits instants de vie toujours bons à prendre. Les écoles et les universités fonctionnent vaille que vaille. Désormais, nous connaissons tous quelqu’un de contaminé et la variété des symptômes occupe le centre des conversations. On s’est remis au téléphone et au Zoum, cependant les contacts physiques manquent. La frustration se ressent lorsque l’écran s’éteint.

    La misère gagne du terrain, on voit des jeunes mendier dans les rames à peu près vides du métro. Les étudiants qui travaillaient dans les MacDo ou comme serveurs dans les cafés ne mangent pas toujours à leur faim. Les loyers ne sont plus payés, la chaîne de l’économie est rompue. Il est à craindre que ce sentiment d’impuissance marque une génération. Pourtant, l’espoir est permis. Plusieurs vaccins commencent à voir le jour et il semble réaliste de penser qu’ils seront opérationnels au printemps, assortis d’une reprise économique rapide.

    Aux États-Unis, Donald Trump ne reconnait toujours pas sa défaite. La majorité des Républicains se déshonorent en soutenant des déclarations de fraude pourtant récusées par la totalité des agences de surveillance et rejetées par la justice, état après état. Ils mettent ainsi gravement en péril les institutions et la démocratie. À Washington, une manifestation a réuni des milliers de ses supporters venus de toute l’Amérique. Des journalistes parlent d’un baroud d’honneur, espérons qu’ils ne se trompent pas. Joé Biden constitue un gouvernement de personnes expérimentées avec l’intention de rassembler un pays gravement divisé. On attend les résultats des élections du début janvier pour savoir s’il pourra réellement prendre des décisions importantes, et ne sera pas paralysé comme l’avait été Obama, sans majorité au Sénat. Je n’y connais rien, mais il semble que les États-Unis seraient avisés de faire évoluer leur constitution pour s’adapter à un monde qui a changé depuis 1787.

    Je termine des statuettes modelées durant le premier confinement, cuisson et émaillage. Elles ont largement eu le temps de sécher. Et je reprends à l’atelier les Lacs verts. Le métro est quasiment désert, il semble que les entreprises aient privilégié le télétravail. La courbe de contamination s’infléchit enfin. Le but de ce reconfinement est de rouvrir les commerces et de permettre les déplacements pour Noël. Mais on a du mal à y croire.


  • Dernière semaine à Tougin.

    Ce fut un déferlement de mensonges de la part de Trump, ainsi qu’un torrent de haine pour beaucoup de ses partisans. Naturellement, nous retenions notre respiration en faveur de Biden, et lorsque la Pennsylvanie a fait pencher la balance à son profit, nous avons pris un bon bol d’air.

    À bientôt 78 ans, Joé Biden n’avait plus rien à prouver. Il s’est farouchement attelé à la tâche de sauver la paix et la démocratie aux États-Unis, comme il l’avait promis sur la tombe de son fils, politicien plein d’avenir, décédé il y a trois ans. Chapeau bas ! Mais il est encore à craindre qu’au fin fond des campagnes, l’Amérique ait pris goût aux tweets quotidiens et plus qu’épicés de Trump. Comment va-t-elle accepter un président moins excitant et qui ne vous promet pas la lune ? J’ai été élevée dans le souvenir des jeunes Français partis faire la guerre en 14, la fleur au fusil, avec pour seul désir de tromper leur ennui.

    Par quel miracle, ce sinistre crétin issu de la téléréalité n’a-t-il pas fait sombrer le parti républicain et entraîné le pays dans le chaos et la guerre civile ? En ce sens, le résultat équilibré de ce dernier scrutin est une bonne chose ; le parti républicain possède des qualités d’optimisme et de dynamisme qui font parfois défaut à la politique d’aide des démocrates (même si l’avancée économique dont s’est flatté Trump avait démarré sous Obama … )

    Ce fut une semaine pesante, sous un ciel gris. Un courrier de l’hôpital Cochin précisant la date de mon rendez-vous ophtalmo a accéléré notre retour. Nous avons fermé la maison pour l’hiver, sans savoir combien de temps va durer le confinement. Pour le moment, la pandémie a tendance à progresser, même si quelques signaux sont favorables. On entend des propos optimistes concernant la recherche du vaccin, mais toujours assortis de prudence.

    Gilles a ratissé les feuilles de vigne vierge, coupé l’herbe, déposé du chanvre autour des héliotropes, de la cendre au pied des rosiers , taillé la haie.

    Il a cueilli cette dernière rose. D’une longévité exceptionnelle, elle nous a enchantés jusqu’à notre départ. À croire qu’elle voulait nous inciter à espérer.


  • Dernière semaine à Tougin.

    La dernière rose de l’année.

    Temps de novembre, nuages et impasse déserte. Nous avons été suspendus état par état aux résultats de l’élection américaine. Joé Biden avait été donné gagnant dans les sondages, mais le résultat demeura incertain jusqu’au bout. Aujourd’hui encore, Donald Trump continue de nier la victoire du démocrate et se propose de mettre une armée d’avocats au travail pour le prouver.

    Ce fut un déferlement de mensonges de la part de Trump et un déversement de haine pour beaucoup de ses partisans. Naturellement, nous retenions notre respiration en faveur de Biden et lorsque la Pennsylvanie a fait pencher la balance à son profit, nous avons pris un bon bol d’air.

    À 80 ans, Joé Biden n’avait rien à prouver. Il s’est farouchement attelé à la tâche de sauver la paix et la démocratie aux États-Unis, comme il l’avait promis sur la tombe de son fils, politicien plein d’avenir, décédé il y a trois ans. Chapeau bas ! Maintenant qu’au fin fond des campagnes, l’Amérique a pris goût aux twits quotidiens et plus qu’épicés de Trump, comment va-t-elle accepter un président moins excitant ? J’ai été élevée dans le souvenir qu’en 1914 les jeunes Français sont partis faire la guerre, la fleur au fusil, avec le seul désir de tromper leur ennui.

    Par quel miracle, ce sinistre crétin issu de la téléréalité n’a-t-il pas fait sombrer le parti républicain dans l’indignité et entraîné le pays dans le chaos et la guerre civile ? En ce sens, ce résultat équilibré est une bonne chose ; le parti républicain possède des qualités d’optimisme et de dynamisme qui font parfois défaut à la politique d’aide des démocrates (même si l’avancée économique dont s’est flattée Trump avait démarré sous Obama… )

    Ce fut une semaine pesante, sous un ciel gris. Un courrier de l’hôpital Cochin précisant la date de mon rendez-vous ophtalmo a accéléré notre retour. Nous avons fermé la maison pour l’hiver, sans savoir combien de temps durera le confinement. Pour le moment, la pandémie a tendance à s’amplifier, même si quelques signaux sont favorables. On entend des propos optimistes concernant la recherche du vaccin, mais toujours assortis de prudence.

    Gilles a ratissé les feuilles de vigne vierge, coupé l’herbe, déposé du chanvre autour des héliotropes, de la cendre au pied des rosiers , taillé la haie.

    Il a cueilli cette dernière rose. D’une longévité exceptionnelle, elle nous a enchantés jusqu’au départ. À croire qu’elle voulait délibérément nous inciter à l’espoir.


  • Reconfinement à Tougin

    Sécurité dans le TGV, mais dans le car des jeunes avaient baissé leur masque sur le menton. Le chauffeur dont c’était le premier voyage se battait trop avec ses boutons pour faire respecter les consignes sanitaires. Trois quarts d’heure dans cet espace clos peu ventilé pouvaient s’avérer redoutables, j’ai fait un signe aux plus proches. Ils ont aussitôt replacé leur masque sur le nez. Dans le métro la veille, un jeune l’avait gardé autour du cou avec un sourire narquois, fuyant les regards pour éviter de voir les gestes de protestation.

    Nous avons retrouvé Tougin comme si nous venions de le quitter, mais le temps avait passé et la vigne vierge recouvrait la façade du jardin d’une toison dorée. Ses feuilles dessinaient sur le gravier et les platebandes des taches colorées. Les oiseaux dérangés se sont éparpillés lorsque nous avons poussé le portail.

    Mercredi, un discours télévisé du président Macron nous a annoncé un reconfinement, assorti de tolérance jusqu’au retour des vacances de la Toussaint. Nous avions réservé deux places pour le lundi. Mais les journées qui ont suivi nous ont fait hésiter. Lire au soleil dans le jardin, se promener au pied des montagnes, discuter avec les voisins en gardant ses distances sont des plaisirs qui manquent à Paris. J’avais transporté mes couleurs et mes pinceaux pour une retouche sur le tableau de Rosemary R., je peux donc terminer la Déambulation autour du lac de Divonne restée à Tougin. Par la suite, si nécessaire, je dispose d’ un panneau vierge pour démarrer une autre version du Lac vert en route à Paris.

    Malgré les circonstances et son âge, notre ami organiste Lionel Rogg n’a pas flanché pour l’anniversaire de son intégrale de Bach à la cathédrale de Zurich. Il a offert à son public, hélas un peu clairsemé pour cause de Covid, des improvisations que nous avons devinées fortes et émouvantes. Nous avions reculé devant les risques d’un tel voyage avec restaurant et hôtel. Le virus galope en Suisse et particulièrement à Zurich. Mais rien ne l’a arrêté. « Diable d’homme ! », comme dit Henriette, sa compagne.

    Nous devions retrouver enfants et petits-enfants à Chambéry le vendredi, mais nous avons préféré annuler. C’est fou ce qu’on a pu annuler depuis le début de la pandémie ! Nous vivons désormais dans l’incertitude. En principe, le reconfinement est prévu pour un mois, mais tout laisse à penser qu’il va s’éterniser comme au printemps. Vivement la mise au point d’un vaccin !

    Cette fois-ci, les écoles et les services publics restent ouverts. On doit privilégier le distanciel à la maison, mais on peut se rendre au travail. Je pourrais donc aller à l’atelier si nous rentrons à Paris. Bonne nouvelle ! Seuls les commerces de première nécessité sont ouverts. Les bars, les restaurants, les cinémas et les théâtres sont fermés. De nouveau, il faut une attestation pour se promener et ne pas dépasser le périmètre d’un kilomètre autour de son lieu de résidence. Les réunions de famille sont interdites.

    Pour le moment les hôpitaux sont saturés, ils recommencent à déprogrammer des opérations. Si l’on en croit l’expérience du mois de mars, il est peu probable que nous pourrons passer les fêtes de Noël en famille.


  • Covid et campagne électorale US.

    Les courbes de l’épidémie montrent une deuxième vague de même ampleur que la première. Si des mesures ne sont pas prises, elle pourrait largement dépasser la première, un couvre-feu a été instauré le 17 octobre.

    Mercredi dernier de 18 à 20 heures, nous avons reçu Pierre et Nicolle pour un apéritif avant le couvre-feu. Ils habitent à côté du Pont Neuf et sont venus à pied. Pierre Christin est un peintre reconnu, célèbre au Japon : on peut voir ses toiles à la galerie Nichido, rue du Faubourg Saint Honoré, à côté de l’Élysée. Ils nous ont dit que les terrasses des bistrots étaient bourrées de jeunes, collés les uns contre les autres et sans masques. Nos amis revenaient d’un de leurs nombreux séjours à Venise. La cité des doges était déserte. Ils nous ont évoqué le bonheur de savourer les Carpaccio, les Bellini, les Jérôme Bosh sans la foule des touristes. Sortant plus que jamais son carnet de croquis, Pierre a déambulé le long des canaux. Il a même pu dessiner à la terrasse vide du café Florian.

    Pour leurs cinquante ans de mariage, un vieil ami gondolier, bel homme comme il se doit, les a embarqués pour une navigation personalisée. Nicolle en était encore toute émue : « Il a chanté spécialement pour nous ! »

    La vie se recroqueville de nouveau, désormais dans la France entière. On perd l’habitude de se parler et l’avenir semble bouché. On nous évoque un vaccin à la télévision, mais sans rien de concret pour le moment. Cette crainte perpétuelle de la contamination est néfaste pour les jeunes. Ils ne sont pas en danger, mais ils accumulent les culpabilités. Gilles et moi serions pour un confinement des gens à risque comme les obèses, les diabétiques, les hypertendus et les personnes âgées, dont nous-même, naturellement. Le virus pourrait circuler avec un minimum de danger vital sans encombrer les hôpitaux en attendant une solution. Mais il parait que le sujet est tabou, je me demande pourquoi.

    Les élections aux USA inquiètent le monde entier. Trump, candidat sortant, populiste républicain promet la lune et ment comme jamais. Biden, démocrate, essaie de pacifier un pays où la pandémie fait rage, mais il a 77 ans. De nombreux pro-Trump parlent de sortir les armes en cas de victoire de Biden. Donald Trump laisse entendre qu’en cas d’échec, il n’acceptera pas le verdict d’un scrutin qu’il estime truqué. Pendant ce temps, le monde s’étripe au nom des religions et la Chine voit s’ouvrir un boulevard pour imposer ses volontés.

    Mathilde qui travaille à l’hôpital de la Pitié-Salpétrière nous annonce un très probable reconfinement. L’impact sera désastreux. Ralentissement économique et chômage en progression. Déjà les contrats précaires sont touchés. Beaucoup ne mangent plus à leur faim, l’hiver arrive, ils ne pourront pas se chauffer. En général les crises atteignent les plus démunis, on leur accorde des miettes sans réaliser qu’on sème une haine qui couvera plus ou moins longtemps avant d’éclater en violence incontrôlable.

    JMH m’a invitée à prendre un café avec un de ses amis spécialiste des manuscrits littéraires. Nous avons blagué, fenêtre ouverte. Nous avons évoqué les amours de M., l’incompétence en mécanique de JMH, le peintre Vegetti. Toute autre chose que la Covid. Quel plaisir !


  • Covid et attentat.

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    Manifestation anti couvre-feu.

    Avant-hier, une conférence de presse du président de la République nous annonce un couvre-feu à partir de samedi, en raison de la recrudescence de la pandémie. 21 h – 6 h. Mouvement dans l’opinion, surtout du côté des métiers concernés. Cafés, restaurants, théâtres, cinémas, concerts. Ils sont durement touchés. Les séances devront être décalées pour sauver les meubles, du moins ce qui peut l’être.

    Il est vrai que les statistiques du ministère de la Santé ne sont pas bonnes et que les hôpitaux recommencent à déprogrammer des opérations pour soulager les urgences, au risque d’intervenir trop tard dans certains cas, de cancer par exemple. Le personnel est sur les dents, déjà épuisés par la flambée du printemps, beaucoup font des burnout et beaucoup démissionnent. Les hôpitaux sont fragilisés par rapport à mars. Heureusement, des progrès dans les soins ont permis d’éviter un grand nombre d’intubations avec mise en coma artificiel et rééducation interminable. Tout ceci n’empêche pas une partie de la population parfois inconsciente de s’opposer aux directives restrictives de l’État.

    Le week-end dernier, alors que les bars étaient fermés par ordre de la préfecture de police, une « tefeu », fête en verlan, a eu lieu dans un bureau de l’immeuble Kenzo mitoyen de notre appartement. Bruit de discothèque de l’autre côté du mur et cris en continu. Ce qui m’a le plus frappée était l’absence de rires. Ces jeunes gens, plus d’hommes que de femmes parlaient comme s’ils assénaient des convictions, hurlant pour se faire comprendre malgré la musique et ses martèlements. Le ton montait avec l’alcool et les heures qui s’accumulaient. À 3h3O du matin, j’ai fini par m’endormir sur le divan du salon, côté rue, un peu à l’abri du vacarme. Nous avons mené notre enquête la semaine suivante, sans succès. Probablement une réunion improvisée dans des locaux vides, en toute légalité d’ailleurs. Par contraste, les rues et la place des Victoires désertes et silencieuses avaient quelque chose de surréaliste.

    Effectivement, nous entendons parler ces temps-ci de cas de Covid, parfois très lourds, Christophe après avoir travaillé pour la fashion week est resté quinze jours alité avec une fièvre de cheval, il s’en remet à peine, ses enfants sont atteints, Miguel s’est trouvé à convoyer un bateau de Corse vers Marseille avec un ami pendant la fameuse tempête qui a ravagé la Côte d’Azur fin septembre, tous deux malades à en mourir. De retour chez lui, il a contaminé sa femme et ses enfants. Un neveu a été atteint après avoir assisté à un mariage. Et j’en passe… On ne peut pas comparer cette situation aux pestes du Moyen-Age, naturellement, mais ça sent le roussi. Il faut faire très attention. Je continue d’aller à l’atelier, mais je sors des rames lorsqu’elles se remplissent et j’attends sur le quai le passage d’un métro au public plus clairsemé.

    Nous avons pu recevoir Tim et Xiaoli dimanche après-midi en respectant les distanciations et en aérant l’appartement. Quel plaisir ! Soucieuse, j’avais donné un mauvais rendez-vous à Sara et Pablo. Nous avons bien l’intention de remettre ça avec eux. Pas question de se laisser dominer par ce sacré microbe !

    Je n’ai pas eu le temps d’aller du côté des Halles et de la Soupe Saint-Eustache. Je crains le pire. La misère guette. Les aides d’état ne pourront pas durer indéfiniment. Comment vont survivre les travailleurs du tourisme et de la culture ? Paris est en panne.

    La décapitation d’un professeur de géographie pour avoir montré à ses élèves des caricatures de Mahomet par un jeune radicalisé de 18 ans a bouleversé la France entière. Le résultat d’une incitation à la haine sur internet. Manifestations dans tout le pays, questions autour de l’encadrement juridique des messages du web. Samuel Paty, professeur estimé de tous, avait obéi au programme sur la liberté d’expression et demandé aux élèves pouvant être choqués de sortir dans le couloir. Un parent musulman relayé par un imam radicalisé avait lancé contre lui une sorte de fatwa sur la toile et ainsi poussé à l’action un jeune d’Évreux en Normandie, inconnu des services de renseignements.


  • Semaine du 6 au 13 octobre 2020.

    Juste avant de partir.

    Triste début d’octobre. Une tempête dévastatrice a soufflé sur la Bretagne, mais surtout un phénomène cévenol a ravagé la vallée de la Vésubie sur la route du col de Tende. Des centaines de maisons emportées par la rivière, des dizaines de disparus, presque toutes les routes détruites ou endommagées, villages isolés sans eau et sans électricité, l’arrière-pays niçois est à la peine.

    Il y a deux jours, le président Trump annonce son hospitalisation après avoir été testé positif. Il tweete que tout va bien et lance une vidéo qui se veut rassurante. Juste par mesure de précaution. Aujourd’hui, on le voit de nouveau durant quatre minutes assurer qu’il va de mieux en mieux. Il parle mécaniquement et respire avec un peu de difficulté. Les informations médicales sont contradictoires ; officiellement tout va bien, des fuites anonymes prétendent que son pronostic vital n’était pas fameux à l’arrivée à l’hôpital et son taux d’oxygène préoccupant. À un mois des élections, la campagne électorale dérape plus que jamais. Trump est un as de l’embrouille. D’ici à ce qu’il refuse le résultat des élections et délégitimise Joé Biden, si celui-ci est vainqueur, il n’y a pas loin. Les institutions sont en péril et les autocrates pullulent dans le monde entier.

    Un bref passage à Coppet, au château de madame de Stael, m’a fait chaud au cœur. En voilà une qui avait le sens de la liberté !

    Nous rangeons la maison sans savoir quand nous reviendrons. Fonds de placards, vieux trucs à la poubelle ou à la décharge, la table de jardin dans la remise. De temps en temps un rayon de soleil nous rappelle qu’il a fait beau, mais le Jura se couvre de neige, les Alpes blanchissent, le lac a pris cette couleur grise qui donne envie de partir.

    Cependant, tout le monde nous dit que Paris est devenu bien morose. Le risque Covid y est maximum et les rues sont encombrées en raison de la fermeture des grands axes pour laisser la place aux vélos. Malgré les embouteillages, les travailleurs venus de banlieue préfèrent prendre leur voiture par peur d’attraper le Covid dans le métro. Les restrictions d’ouverture de restaurants se multiplient. Comment l’économie parisienne pourra-t-elle tenir ?

    La misère converge vers les Halles par les RER. Il est probable que Paris va vite devenir le rendez-vous des contestataires venus de la France entière lorsqu’il faudra se serrer la ceinture et rembourser la dette consécutive à la pandémie. On connait : casseurs, voitures incendiées, présence policière, métro et bus perturbés, et j’en passe.

    Mais, ici, dans cette région frontalière plutôt préservée, on se sent trop à l’écart, trop à l’abri. Le froid et la pluie ont vidé l’impasse, nous avons décidé de partir, avec l’impression désagréable de trahir un peu nos amis.

    Nous reviendrons fin octobre, si le Covid ne nous rattrape pas.


  • Semaine du 29 septembre au 6 octobre 2020

    Dernier bain.

    L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Versoix-dernier-bain-1024x710.jpg.

    Le temps est devenu exécrable. Froid et pluie continue, neige sur le Jura. Nous avons allumé le chauffage. Le soir la danse délicate des flammes, le pétillement du bois, l’odeur et la chaleur du feu de hêtre nous réchauffent le corps et l’âme. Nous savourons le silence et la chanson de la pluie sur les velux, le souffle du vent dans la toiture et la cheminée.

    Pendant que mes souvenirs sont encore frais, je voudrais revenir un peu en arrière, vous évoquer nos compagnons de baignade et les relations étranges qui ont entouré des rencontres presque quotidiennes. Souvenirs d’autant plus frais que notre dernier bain date seulement de quelques jours. Il pleuvait déjà, mais un mail d’Ariane de l’autre côté du lac nous a encouragés à nous y risquer. Quel plaisir ! 21°, un rayon de soleil sur une eau argentée. Un moment à se remémorer durant l’hiver. Cependant, ce dernier jour nous étions seuls à descendre la glissière de Versoix, seuls à nager vers le large, à nous fondre dans le paysage des Alpes et détailler le dessin de ses aiguilles sur un fond de nuages clairs.

    Chaque matin, un monsieur d’un âge certain nous avait précédés. Des muscles à faire pâlir les adolescents, lunettes étanches. Après s’être invariablement aspergé d’eau sur les épaules et le torse, palmes aux pieds, il démarrait tel un grèbe par une interminable plongée. On le voyait ressortir vingt mètres plus loin et s’élancer vers le large jusqu’à plus d’un kilomètre de la rive. Son dos crawlé, son crawl ventral impeccables nous laissaient perplexes sur son âge, probablement plus de 70 ans. Il ne parut jamais s’apercevoir de notre présence. Jusqu’au dernier jour. Tout d’un coup, alors qu’il remontait la glissière,  il descendit ses lunettes sur son cou et me fit un immense sourire. Je pensai à une erreur de personne, mais il recommença sur le parking où nos voitures étaient garées côte à côte et me salua d’un chaleureux « Au revoir ! ». Pourquoi cette soudaine amabilité ? Mystère ! La psychologie du nageur de fond est très particulière, c’est bien connu.

    Rien à voir avec les deux femmes qui tous les jours de ces trois mois ont nagé à un mètre l’une de l’autre sans cesser un instant de papoter. Que se racontaient-elles ? Des bribes me parvenaient, des histoires d’achats, de copines. Elles parlaient pour parler, comme insensibles à la beauté du lac, à la fluidité de l’eau. Mais on devinait que ce rendez-vous quotidien leur était indispensable à elles aussi.

    J’allai oublier ! Le vieux monsieur et son kayak. Il longeait la rive à un rythme lent. Quand il arrivait devant la plage, plutôt que de faire demi-tour à la pagaie, il sortait son kayak de l’eau, le soulevait, le montait sur l’herbe et le faisait pivoter. Il redescendait à petits pas, embarquait de nouveau et repartait le long de la rive sur plusieurs centaines de mètres le long des noisetiers et des aulnes, jusqu’à une autre petite plage où il recommençait son manège. Combien de fois ? Je n’ai pas compté.

    Et lui aussi participait à la beauté du lac, à la paix de nos matinées (lorsque les élèves de l’école de voile ne faisaient pas trop de raffut !). Ce furent des compagnons et même d’une certaine façon des amis qui me manquent confusément, maintenant qu’il nous faut retourner à Paris.