Durant la semaine, le Premier ministre a annoncé un assouplissement des règles de confinement. Les attestations ne seront plus nécessaires dès le 15 décembre, remplacées par un couvre-feu de 20 heures à 6 heures du matin. Restaurants, salles de cinéma, de théâtre et de concerts resteront encore fermés jusqu’au début janvier, au grand dam de ces professions à quia pour ne pas dire à terre. Pas de couvre-feu le soir de Noël, mais il sera maintenu le premier janvier, la baisse des contaminations ayant été plus faible que prévue.

En cette fin d’après-midi,  la tête un peu enchifrenée, j’ai rempli mon attestation (promenade), mis mon masque, saisi mes clés, mon parapluie, et je me suis retrouvée sur le trottoir avec l’intention d’aller à la galerie Couteron, dans le quartier de Saint-Germain des Prés de l’autre côté de la Seine. Je voulais prendre le 74 ou le 85, ils ne traversent pas, mais ont l’avantage de s’arrêter au Pont Neuf. Je n’avais pas le courage de faire tout le trajet à pied dans l’atmosphère humide et crépusculaire de ce mois de décembre très impacté par la pandémie.

La rue Étienne Marcel était fermée par des camionnettes de police. J’avais bien entendu des sirènes, mais elles sont tellement habituelles dans notre quartier que je n’y avais guère prêté attention. On était samedi, jour de manifestations ! Les voitures immobilisées essayaient de reculer dans un micmac mouillé. Naturellement pas d’autobus, service interrompu. Un instant d’hésitation, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai descendu la rue du Louvre au milieu des klaxons et de l’énervement généralisé.

Une femme s’est approchée de moi — on a perdu l’habitude de voir des visages de si près — et m’a demandé où se trouvait la Samaritaine. Surprise , je n’ai pu que répondre : « Elle est fermée depuis plus de dix ans ! » La provinciale n’en a pas démordu : « Elle a rouvert. On peut aller dans son restaurant au dernier étage. » Après tout, pourquoi pas ? Il arrive que les Parisiens soient les derniers au courant et je lui ai montré le chemin. De toute façon les restaurants sont fermés.

Curieusement, la circulation était fluide sur le quai et je suis parvenue à l’entrée du Pont Neuf. Je me suis arrêtée pour regarder la Seine. Dieu, qu’elle était belle ! Frisotée par le vent, elle reflétait en lueurs argentées l’Institut, la passerelle des Arts, le Louvre. Une languette de bleu triomphait au-dessus d’une mer de nuages sombres et tourmentés. Sous mon parapluie, j’ai pensé une fois de plus à ma chance d’habiter Paris, en dépit de ses embouteillages et de ses manifestations.

Sur le pont, peu de promeneurs, une impression de ferveur remplaçait l’ancienne foule des touristes du monde entier. Des familles, des amoureux se croisaient dans le crépuscule qui commençait à céder la place à la nuit. Arrivée rive gauche, j’ai pris à droite. Un seul bouquiniste avait ouvert, il se battait avec un grand plastique tressautant dans le vent. Toutes ces boites fermées le long du parapet, comment était-ce possible ? Quand rouvriront-elles ?

J’ai traversé devant l’hôtel de la Monnaie et je suis parvenue à la galerie, heureusement ouverte. Il y avait bien longtemps que je n’avais pas vu Yves et Nad. C’est sur un ton un peu tristounet que nous nous sommes donné des nouvelles les uns des autres, avec le Covid comme leitmotiv, naturellement.

Au retour, j’ai appris que pour la première fois depuis des années, la manifestation s’était terminée à peu près sans incident. La police aurait-elle mis au point une technique pour gèrer les blacks blocks ? Une bonne nouvelle. Pourvu que ça dure !