• Divers.

    Que fait Evgueni Prigojine en Russie ? S'agit-il d'un coup d'État du patron  de Wagner ? - BBC News Afrique

    Il y a trois jours, on a appris que Prigogine, le chef et commanditaire du groupe Wagner, une milice de mercenaires travaillant dans l’ombre pour Poutine avait pris en son seul nom possession de la ville de Rostov à l’est de l’Ukraine. Le groupe Wagner se fait connaître depuis déjà de nombreuses années dans des opérations militaires, tuant, pillant, violant et détruisant tout sur son passage, en Afrique en particulier. A côté de l’armée russe désorganisée, rongée par la corruption, il était le seul véritable combattant efficace dans la guerre lancée par Poutine contre l’Ukraine avec des soldats recrutés à prix d’or parmi des prisonniers de droit commun.

    Après la prise de Rostov, il s’est dirigé avec ses chars et 15 000 miliciens vers Moscou dans l’intention d’envahir le Kremlin. Le monde entier a vu cette armée avancer jusqu’à 150 km de Moscou. L’armée russe a bouclé le Kremlin, les pelleteuses ont creusé des fossés sur les routes d’accès à la ville au milieu des touristes et des habitants vaquant à leurs occupations.

    Prigogine, soudain défenseur des soldats de l’armée russe, s’est mis à diffuser dans les medias des propos de propagande humanitaire.

    Poutine a répondu par un discours à la télévision annonçant les pires châtiments aux insurgés.

    Le soir même, la nouvelle est tombée. Prigogine avait fait demi-tour, lui, ses chars et ses hommes allaient en Biélorussie. Des négociations avaient eu lieu par l’entremise de son dictateur, Loukachenko. Les trois fous de pouvoir et d’argent s’étaient mis d’accord. Prigogine retirait ses troupes et Poutine lui promettait une amnistie.

    On apprend aujourd’hui que les hommes de Wagner doivent choisir entre l’armée russe et le retour chez eux. C’est la version qui nous arrive par les médias. En fait, on ne sait pas grand-chose, les commentaires vont bon train, invérifiables. On s’attend à des purges massives jusquau fin fond de la Russie. Par quel tour de passe-passe Prigogine est-il encore vivant ?

    Autrement, nous avons encore vécu des journées agitées dans une chaleur qui n’a heureusement pas duré.

    Nous sommes allés à la Sorbonne voir Andromaque avec l’accent, les costumes d’époque et la fin d’origine laquelle n’a plus été jouée depuis 1673.

    Une alerte. Lors d’une visite médicale de contrôle, une douleur thoracique a inquiété mon médecin. Analyse en urgence. Le laboratoire me renvoie à mon médecin, qui se met en rapport avec ma cardiologue laquelle m’envoie à l’hôpital Saint-Joseph. Taxi, dans un Paris embouteillé. Après un électrocardiogramme et deux heures d’attente, l’interne me renvoie chez moi. Les résultats de l’analyse sont jugés normaux pour mon âge, en accord avec le service de cardiologie. Nous sommes revenus en métro.

    Notre troupe a joué le spectacle de fin d’année : L’Occident Express. Réussite mitigée. Un certain succès, mais nous aurions pu faire mieux. Nous avons manqué de temps, trois mois troués par les lundis fériés et les vacances de Pâques. Nous espérons pouvoir le reprendre en septembre. Ce fut tout de même une belle aventure qui s’est terminée hier par une soirée animée et arrosée. Je n’en dis pas plus.

    Dimanche, nous sommes allés voir Thomas jouer au théâtre de la Ville de Nogent-sur-Marne. Spectacle de fin d’année. Les petits évoquaient avec fantaisie la résistance aux idées toutes faites, à la tyrannie quotidienne, texte probablement tiré d’un grand écrivain. Le groupe des moyens s’est beaucoup amusé dans un Barbe Bleue terrifiant.

    Thomas et sa troupe de préadolescents se sont bien débrouillés dans Knoch de Jules Romain un rôle long et pas commode du tout. Thomas a tenu bon dans le rôle principal. Ils sont parvenus à dépasser l’aspect sordide du charlatan, leur jeunesse s’étant moquée du fameux docteur Knock interprété au cinéma avant la guerre de 40 par Louis Jouvet.

    Paris en liesse tous les soirs,


  • Roland Garros

    Classement ATP : Djokovic retrouve son trône, Nadal hors du top 100

    Dimanche, finale de Roland Garros. Novak Djokovic à 36 ans a gagné son 23e match de grands chelems. Les grands sportifs m’étonnent. Leur rage de vaincre m’épate. L’âge de son adversaire, 23 ans, pouvait être sa seule crainte. Il en a fait une bouchée.

    Les images de la télévision en plans rapprochés semblent nous introduire dans le cerveau, les muscles, l’affectivité des joueurs. Volonté, intelligence, intuition. À ce niveau-là, comment ne pas y voir des capacités surhumaines ? Surtout chez Djokovic, lequel plus que tout autre, sauf peut-être Roger Federer, reste imperturbable devant 15 000 personnes, montrant juste quelque mécontentement à certaines et rares balles perdues, concentré, indifférent à tout autre but que celui de gagner.

    On dit de lui qu’il est dur avec son équipe, mais charmant dans la vie. Il a appris cinq langues par courtoisie à l’égard des pays hôtes. Têtu, il l’est certainement, puisqu’il a préféré renoncer à l’Open d’Australie plutôt que de se faire vacciner contre le Covid. Comment peut-on survivre à de telles poussées d’adrénaline ? Comment vivre ensuite le quotidien ? Quels rapports peut-il avoir avec sa famille, sa femme, ses enfants ? Est-il encore sensible à la beauté d’une simple fleur des champs, au pépiement d’un oiseau ?

    De tout temps les grands sportifs et leur rage de vaincre m’ont étonnée. Je me souviens de la conquête de l’Annapurna, un des premiers exploits largement divulgué dans un livre écrit par Maurice Herzog, le chef de l’expédition. J’avais dix ans. J’ai lu et relu le livre, à chaque fois intriguée par les réactions des sherpas népalais.

    Dans leurs traditions, l’Annapurna était sacré, interdit à l’homme et j’aimais cette idée, l’idée d’un endroit inviolable qu’on devait laisser à son mystère, un peu comme le noyau de la poésie. Je me souviens que dans la civière qui le redescendait semi-comateux pour soigner ses membres gelés, les oreilles d’Herzog avaient été assaillies par des bruits de cloches. J’y avait vu le signe qu’il avait été cloche. Les mêmes sherpas avaient entouré ses blessures d’un cataplasme d’asticots qui en mangeaient les parties putréfiées et l’avaient ainsi sauvé de la gangrène. Ils n’étaient pas rancuniers !

    Récemment, j’ai lu au sujet de « sir » Edmund Hillary, le vainqueur de l’Everest.

    — Je l’ai eu, ce salaud ! aurait-il dit en redescendant.

    Si l’on peut y entendre une certaine admiration et même de l’affection, je n’aime pas cet adjectif qui qualifie d’ordinaire un ennemi. Quel besoin éprouve l’homme de toujours devoir vaincre ? De toujours devoir être le plus grand, le plus fort, quand on finit toujours par trouver plus grand et plus fort que soi ?

    Pourquoi s’acharner avec une raquette sur une balle de 10 cm de diamètre pour en faire un projectile ? Ce serait dans la nature de l’homme qui doit la vie à une course de spermatozoïdes.

    De là à risquer sa vie et celle de son équipe afin d’atteindre un sommet, le toit du monde, quand soixante-dix ans plus tard le trajet est devenu un boulevard borné par les nombreux cadavres gelés de ceux qui n’y sont pas parvenus ou qui n’ont pas pu en redescendre ? Aujourd’hui, un sherpa fête sa vingt-cinquième montée.

    Comment relier cet appétit de victoire au petit épisode que j’ai vécu vendredi dernier au retour de l’atelier ?

    Je suis sortie du métro pour prendre l’autobus à Richelieu Drouot. Dix minutes à attendre. J’allais m’asseoir sous l’abri à deux bancs séparés par une vitre quand j’ai entendu crier. Je n’ai pas tout de suite vu l’homme penché vers la vitrine de la boutique Héma.

    Entre trente et quarante ans, bel homme, brun et bronzé, grand, mince, musclé, les cheveux poussiéreux en bataille, les vêtements en loques, les chaussures grises et défoncées, il s’adressait à quelqu’un à l’intérieur de la boutique en criant :

    — Salope !

    Encore un pauvre fou, à la dérive sur le pavé de la ville ! Par mesure de précaution, je suis allée m’asseoir de l’autre côté de la paroi de verre.

    Il ne s’était pas passé cinq minutes avant qu’il s’affale à mon côté et se tourne vers moi avec brusquerie. Je n’ai fait ni une, ni deux, je me suis levée en criant :

    — Non, mais ça va pas !

    Il a sursauté :

    — Ça c’est pas gentil ! a-t-il dit.

    J’ai répondu en montrant l’abri désert :

    — Vous pouvez vous asseoir ailleurs !

    Et j’ai contourné la paroi pour aller de l’autre côté.

    Je l’ai entendu répéter doucement, comme un enfant déconfit :

    — Ça c’est pas gentil !

    Comme on était loin de Novak Djokovic, auquel il ressemblait un peu ! J’ai eu une légère honte de l’avoir rembarré, mais fou ou pas fou, il n’avait aucune raison de m’embêter. En aurai-je fait autant avec le tennisman ? Celui-ci ne risquait pas de s’intéresser à ma petite personne !


  • Paris, Tougin, Paris.

    Oui, mercredi dernier, nous avons filé à Tougin pour débroussailler le jardin. Il en avait bien besoin ! Nous avons eu de la chance, les quelques gouttes d’orages de fin de journée n’ont pas empêché Gilles de passer le fil. Il faut se rendre à l’évidence le jardin n’est pas en forme ! Le changement climatique ne lui vaut rien.

    Le massif de pivoines est pratiquement mort. Il était là quand nous avons acheté la maison, il y a cinquante ans. Celui de nos voisins Marcel et Jacqueline résiste. J’aurai dû davantage l’arroser en août dernier. Je me le reproche, mais je crois qu’il est trop tard.

    Le rosier grimpant de Monique est attaqué par l’oïdium, une patasse blanchâtre qui asphyxie les bouquets de boutons. Gilles a désherbé tout autour, il a pulvérisé ce qu’il fallait, mais je doute que nous retrouvions la merveille de grâce qui enveloppait la serre. La succession de sécheresse et de pluies orageuses risque d’avoir raison d’un rosier qui a vu le jour dans le Pas de Calais. Il ressemble à sa donatrice, Monique, notre belle-sœur, luxuriant et délicat à la fois, généreux et rieur, comme elle. Je crois vous en avoir déjà parlé.

    Denis nous a donné des plans d’œillets d’Inde. Il en sème des graines d’année en année et nous les connaissons bien. Florifères et peu exigeants, ils repoussent les nuisibles, mais pourront-ils résister à notre absence ? On verra bien. C’est à chaque fois une surprise quand nous arrivons avec notre valise à roulettes d’observer le comportement d’un jardin planté de bric et de broc, et qui n’en fait qu’à sa tête. La plupart du temps, il s’en tire avec honneur et je dois même dire qu’il est charmant. Une année, venus d’on ne sait où, de magnifiques pavots avaient orné le pourtour de la serre, une autre année une incroyable floraison de cosmos, légères corolles aux tons pastels avait bordé la haie côté impasse.

    Cette année, des campanules bleues ont animé le parking avec une certaine élégance.

    Les corbeilles d’argent et les iris avaient fini de fleurir. Tout était beaucoup trop en avance. Les holtas auront du mal à résister au soleil de juillet. Il va falloir trouver des espèces plus adaptées au nouveau climat.

    Mais le clou de ces quatre jours fut notre cohabitation avec un couple de mésanges installé dans le nichoir qu’Ève nous a offert il y a deux ans. Nous n’avons tout d’abord pas su s’il était occupé. Les oiseaux dérangés par notre arrivée se méfiaient. Ce fut un soulagement d’en voir un se glisser subrepticement dans la petite ouverture ronde, un petit ver dans le bec. Proches de la table où nous prenons nos repas lorsqu’il fait beau, le risque était grand de les voir abandonner leur couvée.

    Nous avons veillé à ne pas faire de gestes brutaux ni de bruits intempestifs et ils se sont habitués à nous. Quel plaisir ce fut de les voir vivre leur vie à quelques mètres sans faire d’histoire ! Gilles s’est pris de passion pour eux, méditant sur leurs allées et venues. Il est vrai que l’intense travail qui consiste à nourrir des petits affamés laisse perplexe ! Ils ne bénéficient pas de congés, ni d’assistance maternelle, ni de sécurité sociale. À eux de se débrouiller contre les chats !

    Quelques points communs avec le film que nous avons vu dans le petit cinéma de Gex, une sorte de fable sur la survie dans la campagne en Iran, près de Chiraz. L’Odeur du vent. Images magnifiques de montagnes, de torrents sur fond de fatalité et de solidarité.

    À propos de cette rage de vivre, le monde occidental a été stupéfait d’apprendre qu’on avait fini par retrouver les quatre enfants, âgés de 13, 9, 4 et un an, perdus dans la forêt amazonienne depuis quarante jours. Ils avaient survécu aux bêtes sauvages, aux serpents, aux moustiques, aux pluies diluviennes, à la faim.

    À l’origine, j’avais cru à une blague. Un petit avion s’était écrasé dans la forêt tuant le pilote et deux adultes, dont la mère des enfants. Ils avaient disparu du lieu du crash, mais les secours prétendaient qu’il restait encore un espoir de les retrouver. Élevés dans une tribu autochtone, ils connaissaient la forêt et la fille de 13 ans avait l’habitude de s’occuper de ses frères et sœurs.

    Très amaigris, pris en charge par les secours, ils ont révélé que leur mère avait survécu au crash pendant quatre jours. Ils s’étaient ensuite éloignés avec de la farine de manioc, une moustiquaire, une lampe de poche et des couches. Ils avaient mangé des fruits de la forêt, des racines. Ils avaient entendu les appels et ne s’étaient pas découragés. Un bel hommage à rendre aux peuples autochtones et à leur mode de vie.

    Ces petits oiseaux-là garderont tout de même des séquelles de leur aventure. Espérons qu’ils préserveront leur liberté et ne se laisseront pas piéger par la vampirisation des médias occidentaux.


  • Saint Germain des Près, Bastille

    L’autre jour, j’ai hésité à faire un tour dans le quartier Saint-Germain des Prés. C’est toujours une épreuve et le temps passant de plus en plus fatigant. J’y ai gardé certaines fidélités comme Benoit Morand de la galerie Les Yeux fertiles. Il me fallait passer à celle de Marie-Hélène de La Forêt Divonne qui présentait un nouveau peintre.

     Gilles m’a accompagné un peu à son corps défendant, mais nous devions aller retrouver Daria à la Bastille et continuer ensuite vers le vernissage-concert d’Ada.

    Ce quartier de galeries qui fut autrefois celui de mes études aux Beaux-Arts a changé. Il est devenu un des quartiers les plus prisés et les plus chers de Paris. Les bistrots-restaurants de la place Jacques Callot sont aujourd’hui branchés. Des verrières ont recouvert les terrasses. La Palette ne ressemble plus guère à la lithographie que j’en ai tirée par le passé. Mais surtout, il m’est un peu difficile d’entrer dans les galeries. Le mélange d’art et de commerce gêne mon regard, freine ma démarche. À tort, puisqu’il faut bien que les artistes gagnent leur vie.

    Claude Bernard est mort cet hiver à 93 ans. Un marchand de tableaux à l’ancienne qui a beaucoup fait pour la promotion de ceux qu’il défendait. Cet après-midi-là, la galerie était de nouveau ouverte. Une équipe peaufinait une présentation de petits formats : Small is beautiful. J’appris par la suite que son neveu avait repris la galerie jumelée avec celle de New York. Small, certes, mais les prix de ces petits Giaccometti, Bonnard, etc… étaient faramineux et évoquaient davantage la spéculation que le meilleur de leurs auteurs. J’ai regretté de ne pas y apercevoir sa sœur et sa nièce, personnages simples et souriants, accueillants.

    Un tour aux Yeux fertiles qui finissait une installation pour le Jeudi des galeries. Trois mots à Benoit sur le trottoir. Il est tout content du retour des trains de nuit qui lui permettent à nouveau de passer des week-ends à Toulon. Il aime passionnément cette ville. Il nous avait préparé un voyage alors que je devais retrouver Gilles venant de Nice. Hélas, un lumbago m’avait retenue à Paris au dernier moment. Je m’étais contentée de lire des souvenirs de George Sand sur son séjour au cap Sicié. À eux deux, c’est presque comme si j’y étais allée.

    Le peintre de la galerie La Forêt-Divonne, un figuratif puissant et coloré (le thème de ce Jeudi) m’a laissé une vague impression d’amertume. Pourquoi ? Je n’en sais rien, mais j’ai été contente de filer vers la Bastille et de retrouver Daria devant le Café des Phares. Repos bien gagné autour d’une bière et de quelques mini-rouleaux de printemps. A la bonne franquette.

    La patronne m’a dit que les philosophes n’étaient pas revenus après le Covid.

    — Et pourtant, nous avons restauré les fresques des philosophes sur le plafond et nous avons gardé la mosaïque sur le sol de l’entrée, dit-elle en me les montrant avec une certaine fierté.

    — Aucune nouvelle ! dit-elle avec du regret dans la voix.

    Nous avons parlé avec Daria de son nouveau travail à l’Ens. Ses candidatures ne sont pas simples, elle ne peut pas avoir de poste pérenne. Comme elle nous disait qu’elle envisageait d’aller se ressourcer chez ses parents en Iran, au mois d’août, je lui ai dit :

    — Tu ne crains pas de ne pas pouvoir revenir ?

    Elle me répondit que depuis les manifestations de cet hiver, c’était plus calme. Elle aimerait faire venir ses parents à Paris, mais c’est trop dangereux.

    Nous sommes allés tous les trois au vernissage d’Ana. Entre les deux grandes terrasses de café bruyantes et bondées de la place de la Bastille, nous avons fini par trouver une grille. Ana est venue nous ouvrir et nous a introduits dans une oasis de verdure, une cour datant de 1780 ayant à l’origine abrité des artisans. Aujourd’hui rénovée, privée, havre secret et silencieux, elle est bordée d’anciennes boutiques. Une verrière s’ouvrait sur la cour pavée, éclairée de l’intérieur.

    La délicatesse un peu extraterrestre des collages d’Ana s’harmonisait avec les lieux. Ana Bonora sait tout faire. Littéraire, elle est aussi chanteuse à l’opéra de Tours. Elle dirige des chorales. J’ai évoqué ici un de ses concerts de mélodies françaises près de Saint Lazare. Grande et belle, beaucoup d’aisance sur scène. Ce jour-là, elle nous a offert un récital de ses propres chansons, accompagnée par un guitariste venu pour elle du Mans.

    — J’ai eu un coup de cœur et depuis cinq ans, je joue avec elle, m’a-t-il dit.

    Chansons rêveuses, un peu tristes, à l’image du temps. Il y avait quelque chose d’irréel dans ce public, pour certains grands voyageurs, pour d’autres ancrés sur une péniche du côté de Saint-Cloud, des amis de Gislain le neveu de Gilles. Ils semblaient pris entre le monde contemporain – l’un, ancien informaticien, un autre, coach –  et une certaine nostalgie des années hippies. Comme une résurgence de la complexité des trente glorieuses, essor économique et demande de libertés.


  • Grands week-ends de mai

    Cette année les premiers et huit mai tombaient un lundi. Ajoutés au grand pont de l’Ascension, au lundi de Pentecôte, le mois de mai fut un mois de grandes vacances. Ruée sur les bords de mer, dans les lieux touristiques. Imaginez les embouteillages de la rentrée.

    Paris aurait pu être désert. Mais l’Europe a déferlé sur les rives de la Seine, un tourisme assez inattendu. Peu de groupes, des quantités de petites familles venues parfois de très loin. Des touristes venus d’Inde et c’est plutôt nouveau, probablement la conséquence de son boom économique. Des Chinois sont de retour, mais ceux-là déambulent en famille et semblent appartenir à une classe plus aisée et cultivée. Des Russes ? Peut-être, mais moins bruyants qu’avant le Covid. Une tour de Babel en mouvement. Dans les quartiers du centre, on n’entend guère parler français.

    Dans le métro très encombré, la cohabitation est malaisée. Ils n’ont pas les automatismes des habitués. Leurs valises encombrantes menacent mes jambes fragiles, mais leur bonne humeur et leur plaisir font pardonner quelques maladresses. Ils me rappellent nos aventures avec les enfants dans New York ou Londres, il y a bien longtemps.

    Le tourisme devient problématique dans beaucoup de lieux que nous avions vus autrefois peu fréquentés. Il faut désormais plus ou moins réglementer la foule, comme au mont Saint Michel, au zoo de Beauval. Ces marées humaines deviennent dangereuses.

    Les temps changent. Le Covid a changé les mentalités. On veut profiter de la vie.

    Un reportage à la télévision sur Washington. Soixante pour cent des travailleurs ont déserté les bureaux. Des immeubles entiers sont désormais inoccupés. Chacun préfère rester à la maison en télétravail. Les directions cherchent par tous les moyens à les faire revenir avec des salles de sport, de jeux, des lieux de repos, mais pour le moment rien n’y fait.

    Il est vrai que lorsque nous avons été voir Ève à Bethesda, ou Julien à La Roya, j’ai le souvenir d’énormes bouchons quotidiens sur des autoroutes à huit ou dix voies convergeant vers Washington DC ou San Diego et je me disais que le bien être des belles maisons sur leurs yards tondus au brin d’herbe près se payait par des heures d’embouteillage. L’american life ne m’avait pas paru si merveilleuse que ça.

    Un mode de vie qui avait de plus en plus gagné les métropoles françaises, toutes proportions gardées. Le télétravail avait juste un peu changé les habitudes. Des open-offices avaient été emménagés dans les centres urbains. Des buildings entiers remplis d’ordinateurs disposés en rangées serrées. Depuis ma fenêtre, je me demandais pourquoi ces gens faisaient tous ces trajets, sur des routes embouteillées ou dans des RER bondés, juste pour brancher une clé USB et communiquer par Internet. Je ne les voyais pas parler à leur voisin et j’estimais la situation peu conviviale, en tous cas étrange.

    Le Covid a tout changé. Maintenant on travaille chez soi. Les prix de l’immobilier ayant chassé les familles de Paris, elles se sont installées en province dans de plus grands logements avec nature et jardins. Que leur réserve l’avenir ? Sauront-elles réinventer des relations locales ? Écoles, santé, tout s’y délabrait, il faudra remettre en route un tissu social qui coûtera cher. S’ennuieront-elles dans leurs belles maisons, loin de la vie agitée de Paris, surtout en hiver ? On ne sait pas.

    Aujourd’hui dans les immeubles en face de chez nous, les open-offices sont vides. On y fait des travaux, dans quel but ?

    Autre conséquence du Covid. On ne trouve plus personne pour travailler dans les métiers pénibles de la restauration, de la santé, de l’entretien. Où sont-ils passés ? De quoi vivent ceux qui les ont assurés jusque durant l’épidémie ? Le chômage est au plus bas. Les temps changent.

    On dirait que les Français ont goûté aux grandes vacances perpétuelles, en tous cas à une vie meilleure. Ils refusent de repousser l’âge de la retraite. Les plus réalistes sont de plus en plus inquiets pour l’avenir. On vit sur des montagnes de dettes. Historiquement, ce n’est pas fameux.

    Le grand week-end de la Pentecôte a rempli le jardin des Halles d’une foule de jeunes venus de banlieue. Pique-niques, cercles d’amis assis sur les pelouses, la bonne humeur régnait sous un soleil clément. On se serait cru sur une plage urbaine. Une sorte de parenthèse d’insouciance, de paix et de rires malgré les menaces qui planent au niveau mondial. Carpe diem.


  • Chantier, Madame Marguerite, Le Menteur

    LE MENTEUR - Théâtre de Poche-Montparnasse | THEATREonline.com

    Cela fait maintenant sept mois que nous avons des échafaudages devant nos fenêtres. La plate forme de ravalement des toitures et de la façade à notre niveau, nous vivons à trente centimètres des menuisiers, des coupeurs zingueurs, des soudeurs, maintenant des plâtriers et des peintres. Nous partageons états d’âme, disputes, rires. Ils s’interpellent d’un bout à l’autre de l’immeuble. Au début, notre voisine de palier s’est plainte. Il est vrai qu’actrice et réalisatrice, elle tourne la nuit et dort durant la journée. Elle a dû s’en arranger, car on n’en entend plus parler.

    On s’est habitué. Je n’entends même plus les martèlements, les grattements sur les murs. Pourtant, le moindre bruit provoqué par de l’incivilité m’exaspère. Je supporte les fêtes de jeunes même si je me demande pourquoi ils mettent la sono à fond et crient si fort. Ils s’amusent et j’en ai fait presque autant dans ma jeunesse, mais quand cela se reproduit trop souvent, je file sonner à leur porte. J’ai acquis une certaine expérience en la matière qui pourrait faire le sujet d’une amusante et instructive chronique.

    À peu près aucun de ces ouvriers ne parle français, mais ils se comprennent entre eux. Je me suis demandé s’ils venaient de la même ville ou du même village. Ils travaillent dans la bonne humeur. De temps en temps, ils frappent à la fenêtre pour nous demander d’ouvrir les battants, nous les appelons lorsque leur musique nous empêche de travailler. Nos relations sont agréables et même plaisantes. J’irais jusqu’à dire qu’après le soulagement, ils vont peut-être nous manquer quand tout sera fini… Neuf mois en tout !

    Pendant le grand week-end de l’Ascension, le chantier était arrêté. Des cavalcades ont résonné sur les coursives de l’échafaudage accompagnées de conversations, d’appels. Gilles a ouvert la fenêtre et je l’ai entendu demander :

    — Vous êtes de quelle entreprise ?

    En effet, en cas de retard, le travail se poursuit souvent le samedi. Mais après quelques échanges en français, il s’est écrié :

    — Rentrez chez vous ! Vous vous mettez en danger !

    Comme je lui demandais par la suite des explications :

    — Ce sont des jeunes qui s’amusaient à escalader l’échafaudage ! Ils ne parvenaient pas à redescendre. Ils ne trouvaient plus la sortie.

    Oui, le chantier se déroule du mieux possible. Nous avons dans l’immeuble des retraités spécialistes, l’un dans l’intendance de l’armée, l’autre dans les chantiers internationaux. Mais, je pense que je serai contente lorsque devant la porte du bas les toilettes mobiles auront disparu.

    À propos de vitalité. Conviés par Émilie Chevrillon, nous sommes allés assister à la lecture de Madame Marguerite, au théâtre Essaïon, pièce seule en scène devenue célèbre par l’interprétation d’Annie Girardot dans les années soixante-dix. Un monument ! C’est l’histoire d’une institutrice à moitié folle qui parle à ses élèves, à mi-chemin entre la tendresse et la folie totalitaire, entre le comique et le tragique. Un sommet de difficultés. Émilie y fut vivante et passionnante, exubérante et réfléchie, une réussite. Le metteur en scène assis à une table sur le côté tournait les pages posées devant lui en lisant les didascalies.

    L’auteur brésilien Roberto Athayde était dans la salle et nous fut présenté à la fin. Alors qu’il se trouvait au Portugal pour une représentation de sa pièce, il avait sauté dans un avion pour y assister. L’auteur, le metteur en scène et l’actrice furent acclamés.

    En sortant, Émilie nous a dit :

    — Mettre de la vivacité et de la fraicheur dans une lecture est une chose, mais l’apprentissage du texte et le travail de scène en est une autre.

    En effet, elle s’attaque à du dur !

    Dimanche, Le Menteur au théâtre de Poche-Montparnasse, la seule pièce comique de Corneille. Je l’avais vu deux fois. La première fois au TNP de Jean Vilar, l’autre à la Comédie française sur de grandes scènes. Comment cette histoire d’un jeune homme prétentieux et hâbleur qui s’enferre dans des mensonges au milieu de tant de monde et de va-et-vients pouvait-elle être contenue dans un espace aussi restreint ? Nous avons failli renoncer. Heureusement qu’un coup de fil à notre ami Nicky nous en a dissuadés.

    Une merveille. Vitalité, ingéniosité scénique, éclairage astucieux, le rythme de l’alexandrin, les mimiques accusées, mouvements en ballets surjoués, la merveilleuse jeunesse des acteurs et leur plaisir de dire et de jouer, la mise en chanson de certains vers sur des musiques de tubes archiconnus, tout fut un régal. Devant nous, une petite fille d’une dizaine d’années riait à perdre haleine.

    Nous n’avons pas regretté d’être restés à Paris, loin des bords de mer surpeuplés !


  • La Bonne Franquette

    QUAND ON N'A RIEN À DIRE de Bernard Dimey – La bibliothécaire

    Une semaine chargée, rencontres diverses, en particulier un agréable et savoureux déjeuner avec Marie, Pierre et Nicolle au Bistro des Halles, un restaurant à l’ancienne, un des derniers et peut-être le dernier témoin des Halles avant leur déménagement à Rungis. Pierre l’a peint à plusieurs reprises. Menu varié. J’ai choisi un chou farci, les autres de l’épaule d’agneau à la polenta, Gilles des rognons. Marie était heureuse d’y retrouver le souvenir de Julian, son mari, mort prématurément et qui nous manque tant.

    Nous avions récité au Palais-Royal. Gilles, Jean qui rit et Jean qui pleure de Voltaire, moi, La tactique du gendarme de Bourvil. Ces récitations sont chapeautées par le conservateur du Jardin, conservateur également de la Colonne de Juillet et du mémorial de Louis XVI, Aymeric Péniguet de Stoutz. Récitant passionné de Bernard Dimey chanteur anarchique, truculent et alcoolique connu des amoureux de Montmartre, il nous avait conviés à un dîner spectacle commémoratif organisé justement le 10 mai par la fille du chanteur.

    Sortie du métro Caulaincourt par l’ascenseur, j’ai grimpé jusqu’en haut de la Butte par son versant nord, encore paisible et toujours charmant. Je ne me souvenais pas de tant d’escaliers ! En haut, la foule se pressait, mais le restaurant La Bonne Franquette paraissait désert. En fait, une cinquantaine de convives était déjà installée sur de longues tables disposées en parallèle. Je fus accueillie par le président de la Butte vêtu à la Aristide Bruant et sa petite équipe montmartroise, l’un costumé d’un étrange bicorne, un autre porteur d’un étendard d’époque, avant d’être dirigée vers la place laissée libre à côté de Gilles.

    Ce fut une soirée remplie des souvenirs des années d’après-guerre, organisée et présentée par Dominique Dimey, la fille du chanteur, poète et parolier. Élevée à la campagne, c’est à l’âge de 20 ans qu’elle fit la connaissance de son père qui avait jusque là ignoré son existence. Chanteuse et comédienne, elle entretient son souvenir avec une ferveur à laquelle se joignirent cette année les filles de Reggiani et Mouloudji, amis de son père. L’une après l’autre, elles évoquèrent l’admiration qu’elles portaient à leurs pères, leur absence durant leur enfance, leurs propres carrières de chanteuses. L’une d’elles avait composé une chanson : Je te pardonne.

    Elles chantèrent avec d’autres le répertoire de Dimey, dont Mon truc en plume interprété autrefois par Zizi Jeanmaire. Des comédiens récitèrent ses textes avec verdeur et truculence. Le conservateur du Palais-Royal ne laissa pas sa part aux chiens. Sa voix de stentor, sa haute taille, son côté marquis encanaillé, ses moqueries anarchistes firent un tabac.

    Le cuisinier au col tricolore, à la toque élevée, aux moustaches blanches tombantes annonça en alexandrins les plats les uns après les autres. Une cuisine du terroir succulente, au dessert un baba au rhum à la forme suggestive.

    Nos voisins d’une soixantaine d’années étaient venus spécialement du Canada pour l’occasion.

    Par la suite, j’ai pensé aux écrits que je vous livre, ces soirées, ces concerts, ces petits événements du quotidien. Pourquoi évoquer une soirée aussi futile et nostalgique, pourquoi même la vivre, lorsque le monde semble au bord du gouffre ?

    La guerre fait rage en Ukraine où l’on dénombre des centaines de milliers de morts et de blessés. Un séisme vient de détruire des villes entières en Turquie faisant deux cent mille morts. La drogue ronge les pays occidentaux, la main de Poutine est posée sur le bouton nucléaire. Les dettes d’état, et surtout celle des USA garants de la finance mondiale atteignent de sommes astronomiques au risque d’un crash apocalyptique généralisé. Le climat se détraque, les glaces des pôles fondent, les océans se réchauffent, les sécheresses et les inondations ravagent la planète. Les riches sont de plus en plus riches, les pauvres de plus en plus pauvres, ce qui provoque des guerres impitoyables. Les êtres humains désormais dominés par la technologie ont de plus en plus de difficulté à la contrôler, outil bienvenu, mais dangereux quand internet permet des propagandes, des mensonges, des incitations à la haine, quand les excès d’information et leur corollaire la possibilité de brouiller la vérité forment un boulevard pour les autocrates et risquent de détruire la démocratie.

    Ma façon de lutter est peut-être justement la vie, la vie de tous les jours, les efforts de création, les partages, ces petites aventures qui comblent les âmes et permettent de se coucher le sourire aux lèvres sans s’en prendre aux autres, sans en demander trop au risque de détruire la planète. Utopie ? Privilège ?


  • Tougin, couronnement de Charles III

    Séjour à Tougin un peu maussade, à part quelques belles journées.

    Déjeuner à la buvette de Versoix au bord d’un lac très calme. Ce n’était pas la quiche du couronnement, mais celle de la ferme d’à côté. Pas mauvaise non plus, plus tranquille certainement !

    La qualité de vie des Suisses saute aux yeux. Très peu d’avions au-dessus de la tête. Quelques travailleurs profitaient de la pause de midi sous un soleil un peu voilé. Un rêve !

    Et pourtant, lorsque nous ne restons que quelques jours, je m’ennuie un peu. Après avoir savouré le silence des premières nuits, m’être émerveillée du va-et-vient des mésanges dans le nichoir, avoir rencontré nos voisins autour d’un café ou dans la rue, mes activités commencent à me manquer. Je n’ai pas le temps de m’imprégner de la montagne, de préparer un travail à long terme. Heureuse de revoir des amis certes, mais c’est trop rapide pour retisser un lien après six mois d’absence.

    Gilles a déraciné autant de pissenlits que possible, coupé l’herbe. J’ai marché le long de l’ancienne voie ferrée. Il restait quelques traces de neige sur le Jura. Nous avons pu faire renouveler nos passeports en dix minutes, prises d’empreintes comprises, alors que les rendez-vous sont à plus de trois mois dans la région parisienne et impossibles à Paris. La souriante et jolie employée de la mairie n’avait pas grand-chose de commun avec le visage fermé des policiers barbus de la préfecture barricadée derrière ses doubles portes au bord de la Seine.

    Là-bas tout le monde nous plaint d’habiter Paris. J’évite de leur dire que pour ma part ce n’est pas indispensable. Naturellement quand les touristes sont trop nombreux et par temps de canicule, Tougin me paraît un havre de fraîcheur et de paix et j’adhère sans restriction au programme électoral de Pierre Dac qui proposait de déplacer Paris à la campagne.

    En fait, son vœu commence à se réaliser, puisque Paris se vide de plus en plus de ses habitants, lesquels s’installent dans les petites villes de province y faisant monter les prix de l’immobilier à une vitesse vertigineuse. L’épidémie de Covid et le confinement ont donné aux jeunes le goût du télétravail et du jardinage. On peut se demander d’ailleurs pourquoi ils n’y ont pas pensé plus tôt.

    Au retour, la grande affaire fut la retransmission du couronnement de Charles III d’Angleterre. Cet homme m’étonne. Une enfance pourrie de petit prince sensible, martyrisé dans une pension très dure, marié pour la bonne cause à une femme qui ne lui convenait pas, une mère inamovible, un divorce difficile, un nouveau couple avec une femme aussi haïe que la première était adulée, la mort brutale de la femme délaissée, un fils qui raconte des horreurs sur la famille, une belle-fille dont on ignore si elle tire les ficelles d’une bronca contre la monarchie britannique, un frère englué dans le scandale Weinstein et j’en passe…

    Et le voilà à 74 ans, couronné « en » l’abbaye de Westminster, saluant la foule immense depuis son balcon, entouré de son fils héritier et sa famille, accompagné de la femme qu’il aime, qui lui rend son amour avec un soutien sans faille. Elle a su à force de patience et de service à la royauté se faire admettre. Il a su l’imposer avec la même patience. Juste un peu tatillon et énervé sur des choses sans importance, il tient bon dans les tourmentes et la médiatisation de son existence.

    Son rôle est symbolique, les rois n’ayant aucun pouvoir en Angleterre, mais on sent qu’il s’attache à cette fonction, peut-être pas comme un guide, mais plutôt comme le représentant d’un monde qui a changé et qui doit composer avec les aléas de la vie actuelle tout en gardant le cap de valeurs essentielles comme l’amour et la famille, la terre et le plaisir de vivre. Drôle de bonhomme !

    Peut-on se fier aux images d’Epinal soigneusement triées et montrées à la télévision ? Qu’y a-t-il de vrai dans ce tralala doré ? Est-ce si nécessaire de faire rêver les gens ?


  • Tougin, Grenoble, Albertville.

    Après un début de semaine chargée, nous avons sauté dans le train.

    Bizarre de retrouver Tougin que nous avions quitté en novembre dernier ! Le printemps est un peu en retard. Les mauvaises herbes n’ont pas attendu les beaux jours pour envahir les allées. L’arbre de Judée et le lilas ne sont pas encore en fleurs.

    Des nonnettes ont pris possession du nichoir, des mésanges avec une petite coiffe noire sur la tête d’où leur nom. Au début, un peu inquiètes de nous voir arriver, elles semblent s’être habituées à notre présence Le couple va et vient toute la journée. ll est probable qu’elles couvent, car on ne les voit pas transporter de brindilles ou de vers dans leur bec.

    Temps très moyen et même un peu froid pour la saison.

    Le lendemain, nous avons réapprivoisé les lieux. Il y faut toujours quelque temps. Puis nous sommes partis pour Grenoble. Les enfants nous avaient invités à voir Othello dans la grande salle de la MC2. Nous ne savions pas à quelle sauce nous allions être mangés. Shakespeare n’est pas facile et surtout interminable. J’ai un souvenir douloureux du Marchand de Venise à la Comédie Française avant sa rénovation, quatre heures sur des fauteuils en noyaux de pêche.

    Interprétation originale, plus basée sur les problèmes de société que sur les personnages, comme toujours aujourd’hui, la tragédie virait souvent à la comédie de mœurs. Othello joué par un noir portait sur ses épaules les problèmes liés au racisme et à la colonisation bien plus que sur les affres de la jalousie et le malheur de se croire mal aimé. Tout était la faute à Iago, le perfide manipulateur n’ayant d’ailleurs pas trop de difficulté à pousser Othello vers un machisme congénital. Seule la servante de Desdémone, après avoir joué un rôle essentiel dans l’amas de cadavres qui clot le spectacle, semble quelque peu regretter la tournure prise par les évènements.

    Je caricature, car réalisé avec beaucoup de liberté, sonorisé avec de dynamiques musiques américaines, animé de décors efficaces, je ne me suis pas ennuyée une seconde. La pièce m’a ensuite tournée dans la tête avec mille impressions contradictoires, ce qui selon moi est un signe de réussite.

    Le public de cette ville universitaire était jeune, très différent des têtes blanches ou grises de Paris. La plupart beaux et sportifs, beaucoup de jeunes couples. Je n’eus qu’à m’en féliciter, le géant devant moi, penché vers sa compagne ayant amoureusement dégagé mon champ de vision

    Ce fut un triomphe. Au moins huit rappels et des sifflements enthousiastes. Par la suite, le Masque et la plume en fit une critique dithyrambique.

    Le lendemain, nous nous sommes reposés chez Ève. Comme il est agréable de ne rien faire chez sa fille ! Le soir, Marius nous a cuisiné avec amour des spätzles, des pâtes allemandes à l’aide d’une drôle de râpe qu’ils avaient ramenée de leur récent voyage à Munich. Délicieux !

    Et dimanche, nous sommes rentrés comme d’habitude par Albertville où nous avons déjeuné avec Jean-Claude au restaurant. Pour ma part, une vraie et savoureuse tartiflette savoyarde.

    Le frère de Gilles a refusé l’acharnement thérapeutique et arrêté ses traitements. Il prend des antidouleurs efficaces, l’immunothérapie semble avoir eu un effet bénéfique, car il se porte plutôt bien. Nul ne sait pour combien de temps.

    Naturellement la conversation a beaucoup porté sur la mort qui nous attend tous, ce qui ne nous a pas empêchés d’évoquer nos vies, passées et présentes. Il dit s’ennuyer parfois, mais bien que presque aveugle, il fait de longues promenades à pied. Des conversations réunissent souvent les pensionnaires chez l’un ou chez l’autre durant des heures. Une fois de plus, on s’est quitté sans savoir ce que l’avenir proche nous réserve, ce qui contrairement à ce qu’on pourrait penser donne à nos adieux une savoureuse légèreté mêlée de tendresse.

    Hier, nous avons retrouvé à Carouge en Suisse nos amis Henriette et Lionel. Henriette nous a offert un mousseux de la campagne genevoise qui n’avait rien à envier à certains champagnes. Comme je faisais part à Lionel, compositeur pour l’orgue et différents instruments de musique, de ma joie à écouter un adagio de Bach découvert à la tv en musique de film, il m’expliqua que sa structure correspondait en profondeur à la mienne, ce qui expliquait cette sorte de fusion ressentie. Ce serait cette structure que je cherche note après note à retrouver sur mon piano, quand je suis à Tougin. Il s’est lancé dans un décorticage savant et historique de sons, de tons, d’intervalles depuis les Grecs jusqu’à nous. Passionnant, savant, mais discours qui m’est un peu passé au-dessus de la tête.

    Nous nous sommes quittés en espérant nous revoir à Paris. Entre Henriette et moi, c’est une longue histoire.

    Ce matin, le soleil brille. Nous allons préparer le jardin pour notre départ.


  • Week-end en famille.

    Domaine national du Palais Royal - Office de tourisme Paris

    Quelle différence y a-t-il entre ces chroniques et des notes personnelles ? Vous, bien sûr ! La liberté et le mystère qui nous unissent de semaine en semaine m’enchantent.

    Il est parfois difficile de démarrer. Je pense n’avoir rien à écrire. Mais je sais que chaque mardi, certains d’entre vous comptent sur moi, une fidélité s’attache à nos rencontres et je ressens le besoin de ne pas la trahir. Je n’y peux rien, c’est comme ça !

    Aujourd’hui justement, je me demande s’il est judicieux de vous évoquer ces deux dernières journées. Des journées familiales. En quoi pourraient-elles vous concerner, vous qui avez vos propres événements familiaux ?

    Cependant ces évocations peuvent nous rapprocher un instant, nous y reconnaître ou nous en étonner, à la fois seuls et unis par le mystère de l’écriture et de la lecture.

    Et puis, laisser pour l’avenir des traces, même et peut-être plus encore si ce qui a été vécu n’a rien d’exceptionnel offre à chacun d’entre nous une importance à la fois illusoire et essentielle, celle de notre existence.

    Thomas (14 ans) est venu coucher chez nous. Quel plaisir de l’entendre raconter sa vie de collégien ! Il parle un peu vite comme tous les jeunes d’aujourd’hui, on dirait qu’ils craignent d’être interrompus. Mais avec des efforts de part et d’autre, ça finit par aller. Les livres qu’il aime, ses cours de théâtre, le bois de Vincennes, les bords de la Marne qu’il arpente avec ses copains en discutant du monde. Il nous offre un peu de sa vie. Merci Thomas.

    Il avait apporté Citizen Kane en DVD. Avec l’aide de Gilles, à plat ventre sur le tapis il est parvenu à installer le lecteur sur la télévision, puis à brancher les fils audio, enfin à rétablir le format ancien pour éviter que l’image soit aplatie. Une génération qui vous farfouille le smartphone, vous installe des applications comme s’ils étaient nés avec un ordinateur dans le ventre. On a commenté le film en notant combien la volonté de superpuissance des décideurs actuels, Elon Musk, Trump, Poutine, etc. ressemble à celle de Charles Foster Kane.

    Ce fut une belle soirée, à se remuer les neurones en toute affection. Par rapport à notre génération, la parole est beaucoup plus libre. On peut parler de tout. Autrefois, le sexe était banni, la politique très problématique.

    Le lendemain, il est reparti vers 11 heures pour un pique-nique avec ses amis de Nogent. Une heure après, Frédérique et sa petite fille Léonie (8 ans) sonnaient à la porte du bas. Nous avons discuté paisiblement trois quarts d’heure en attendant sa jumelle Caroline, son mari et leur petite fille Gabrielle (1 an). Comme le temps a passé ! J’ai l’impression que c’était hier quand les jumelles étaient bébés à Pontoise, puis enfants au bord du Léman à Nernier, jeunes filles skiant dans le Jura à Tougin. Les images sont restées intactes. Les voilà aujourd’hui grand-mères ! Heureuses grand-mères, émerveillées.  À juste titre !

    La petite Léonie, la fille de sa fille Laura qui fut mon modèle à l’atelier et dont j’ai peut-être parlé dans ces lignes (le lien entre un peintre et son modèle laisse des traces ineffaçables) s’est exprimée avec une facilité déconcertante. Frisée, le regard curieux, elle posait de jolies questions et répondait aux miennes sans réticences. Elle joue de la harpe avec passion.

    Jean-Michel et Caroline arrivaient de Saint-Valéry-sur-Somme. Leur fille Mathilde est venue leur confier Gabrielle pour aller déjeuner avec des amis à côté de chez nous dans un restaurant devant la Banque de France. La petite fille ne marche pas encore, mais galope à quatre pattes, elle fixe chacun l’un après l’autre de ses yeux bleus d’aigue-marine avec une attention grave avant d’accorder un généreux sourire. On s’attendait à des hurlements au départ de sa mère. Il n’en fut rien. Sa grand-mère parvint même à l’endormir pour une sieste d’une heure. Quel plaisir ce petit monde qui agrémenta le repas ! Les conversations portèrent beaucoup sur nos souvenirs et les nouvelles de chacun.

    Vers 4 heures, elles partirent se promener au Palais-Royal. Elles en revinrent enchantées avec des photos amusantes, toutes les quatre perchées sur les colonnes de Buren.

    Hélas, au retour, le doudou de Gabrielle avait disparu ! Caroline a sans succès refait le trajet. J’ai téléphoné à la permanence du Palais-Royal. La gardienne est allée voir à son tour. Rien !

    La petite a cherché son doudou avec un peu d’inquiétude jusqu’à ce que sa mère revienne et lui mette un doudou de réserve dans les bras, ce qu’elle semble avoir accepté avec philosophie.

    Mathilde est partie la première pour prendre son train pour Marseille. Heureusement, Frédérique et Léonie ont pu l’accompagner. Imaginez la poussette, la petite fille et le gros sac à dos dans les escaliers du métro ! Un spectacle fréquent les soirs de week-end !

    Après le dîner, Jean-Michel est parti dormir dans son hôtel à côté d’Orsay, pour être à pied d’œuvre le lendemain matin. Sa vie de cadre dans l’acheminement des colis est terriblement agitée et stressante.

    Caroline est restée dormir chez nous. On s’est affalés devant un film espagnol. Le lendemain matin, quand je me suis réveillée, elle était partie pour rentrer chez elle, à Grenoble.

    Le vide qui suit ce genre d’aventures est un peu comblé par les restes qui garnissent le frigidaire. Plus de repas à faire pendant un ou deux jours !