• Dernière semaine à Tougin.

    La dernière rose de l’année.

    Temps de novembre, nuages et impasse déserte. Nous avons été suspendus état par état aux résultats de l’élection américaine. Joé Biden avait été donné gagnant dans les sondages, mais le résultat demeura incertain jusqu’au bout. Aujourd’hui encore, Donald Trump continue de nier la victoire du démocrate et se propose de mettre une armée d’avocats au travail pour le prouver.

    Ce fut un déferlement de mensonges de la part de Trump et un déversement de haine pour beaucoup de ses partisans. Naturellement, nous retenions notre respiration en faveur de Biden et lorsque la Pennsylvanie a fait pencher la balance à son profit, nous avons pris un bon bol d’air.

    À 80 ans, Joé Biden n’avait rien à prouver. Il s’est farouchement attelé à la tâche de sauver la paix et la démocratie aux États-Unis, comme il l’avait promis sur la tombe de son fils, politicien plein d’avenir, décédé il y a trois ans. Chapeau bas ! Maintenant qu’au fin fond des campagnes, l’Amérique a pris goût aux twits quotidiens et plus qu’épicés de Trump, comment va-t-elle accepter un président moins excitant ? J’ai été élevée dans le souvenir qu’en 1914 les jeunes Français sont partis faire la guerre, la fleur au fusil, avec le seul désir de tromper leur ennui.

    Par quel miracle, ce sinistre crétin issu de la téléréalité n’a-t-il pas fait sombrer le parti républicain dans l’indignité et entraîné le pays dans le chaos et la guerre civile ? En ce sens, ce résultat équilibré est une bonne chose ; le parti républicain possède des qualités d’optimisme et de dynamisme qui font parfois défaut à la politique d’aide des démocrates (même si l’avancée économique dont s’est flattée Trump avait démarré sous Obama… )

    Ce fut une semaine pesante, sous un ciel gris. Un courrier de l’hôpital Cochin précisant la date de mon rendez-vous ophtalmo a accéléré notre retour. Nous avons fermé la maison pour l’hiver, sans savoir combien de temps durera le confinement. Pour le moment, la pandémie a tendance à s’amplifier, même si quelques signaux sont favorables. On entend des propos optimistes concernant la recherche du vaccin, mais toujours assortis de prudence.

    Gilles a ratissé les feuilles de vigne vierge, coupé l’herbe, déposé du chanvre autour des héliotropes, de la cendre au pied des rosiers , taillé la haie.

    Il a cueilli cette dernière rose. D’une longévité exceptionnelle, elle nous a enchantés jusqu’au départ. À croire qu’elle voulait délibérément nous inciter à l’espoir.


  • Reconfinement à Tougin

    Sécurité dans le TGV, mais dans le car des jeunes avaient baissé leur masque sur le menton. Le chauffeur dont c’était le premier voyage se battait trop avec ses boutons pour faire respecter les consignes sanitaires. Trois quarts d’heure dans cet espace clos peu ventilé pouvaient s’avérer redoutables, j’ai fait un signe aux plus proches. Ils ont aussitôt replacé leur masque sur le nez. Dans le métro la veille, un jeune l’avait gardé autour du cou avec un sourire narquois, fuyant les regards pour éviter de voir les gestes de protestation.

    Nous avons retrouvé Tougin comme si nous venions de le quitter, mais le temps avait passé et la vigne vierge recouvrait la façade du jardin d’une toison dorée. Ses feuilles dessinaient sur le gravier et les platebandes des taches colorées. Les oiseaux dérangés se sont éparpillés lorsque nous avons poussé le portail.

    Mercredi, un discours télévisé du président Macron nous a annoncé un reconfinement, assorti de tolérance jusqu’au retour des vacances de la Toussaint. Nous avions réservé deux places pour le lundi. Mais les journées qui ont suivi nous ont fait hésiter. Lire au soleil dans le jardin, se promener au pied des montagnes, discuter avec les voisins en gardant ses distances sont des plaisirs qui manquent à Paris. J’avais transporté mes couleurs et mes pinceaux pour une retouche sur le tableau de Rosemary R., je peux donc terminer la Déambulation autour du lac de Divonne restée à Tougin. Par la suite, si nécessaire, je dispose d’ un panneau vierge pour démarrer une autre version du Lac vert en route à Paris.

    Malgré les circonstances et son âge, notre ami organiste Lionel Rogg n’a pas flanché pour l’anniversaire de son intégrale de Bach à la cathédrale de Zurich. Il a offert à son public, hélas un peu clairsemé pour cause de Covid, des improvisations que nous avons devinées fortes et émouvantes. Nous avions reculé devant les risques d’un tel voyage avec restaurant et hôtel. Le virus galope en Suisse et particulièrement à Zurich. Mais rien ne l’a arrêté. « Diable d’homme ! », comme dit Henriette, sa compagne.

    Nous devions retrouver enfants et petits-enfants à Chambéry le vendredi, mais nous avons préféré annuler. C’est fou ce qu’on a pu annuler depuis le début de la pandémie ! Nous vivons désormais dans l’incertitude. En principe, le reconfinement est prévu pour un mois, mais tout laisse à penser qu’il va s’éterniser comme au printemps. Vivement la mise au point d’un vaccin !

    Cette fois-ci, les écoles et les services publics restent ouverts. On doit privilégier le distanciel à la maison, mais on peut se rendre au travail. Je pourrais donc aller à l’atelier si nous rentrons à Paris. Bonne nouvelle ! Seuls les commerces de première nécessité sont ouverts. Les bars, les restaurants, les cinémas et les théâtres sont fermés. De nouveau, il faut une attestation pour se promener et ne pas dépasser le périmètre d’un kilomètre autour de son lieu de résidence. Les réunions de famille sont interdites.

    Pour le moment les hôpitaux sont saturés, ils recommencent à déprogrammer des opérations. Si l’on en croit l’expérience du mois de mars, il est peu probable que nous pourrons passer les fêtes de Noël en famille.


  • Covid et campagne électorale US.

    Les courbes de l’épidémie montrent une deuxième vague de même ampleur que la première. Si des mesures ne sont pas prises, elle pourrait largement dépasser la première, un couvre-feu a été instauré le 17 octobre.

    Mercredi dernier de 18 à 20 heures, nous avons reçu Pierre et Nicolle pour un apéritif avant le couvre-feu. Ils habitent à côté du Pont Neuf et sont venus à pied. Pierre Christin est un peintre reconnu, célèbre au Japon : on peut voir ses toiles à la galerie Nichido, rue du Faubourg Saint Honoré, à côté de l’Élysée. Ils nous ont dit que les terrasses des bistrots étaient bourrées de jeunes, collés les uns contre les autres et sans masques. Nos amis revenaient d’un de leurs nombreux séjours à Venise. La cité des doges était déserte. Ils nous ont évoqué le bonheur de savourer les Carpaccio, les Bellini, les Jérôme Bosh sans la foule des touristes. Sortant plus que jamais son carnet de croquis, Pierre a déambulé le long des canaux. Il a même pu dessiner à la terrasse vide du café Florian.

    Pour leurs cinquante ans de mariage, un vieil ami gondolier, bel homme comme il se doit, les a embarqués pour une navigation personalisée. Nicolle en était encore toute émue : « Il a chanté spécialement pour nous ! »

    La vie se recroqueville de nouveau, désormais dans la France entière. On perd l’habitude de se parler et l’avenir semble bouché. On nous évoque un vaccin à la télévision, mais sans rien de concret pour le moment. Cette crainte perpétuelle de la contamination est néfaste pour les jeunes. Ils ne sont pas en danger, mais ils accumulent les culpabilités. Gilles et moi serions pour un confinement des gens à risque comme les obèses, les diabétiques, les hypertendus et les personnes âgées, dont nous-même, naturellement. Le virus pourrait circuler avec un minimum de danger vital sans encombrer les hôpitaux en attendant une solution. Mais il parait que le sujet est tabou, je me demande pourquoi.

    Les élections aux USA inquiètent le monde entier. Trump, candidat sortant, populiste républicain promet la lune et ment comme jamais. Biden, démocrate, essaie de pacifier un pays où la pandémie fait rage, mais il a 77 ans. De nombreux pro-Trump parlent de sortir les armes en cas de victoire de Biden. Donald Trump laisse entendre qu’en cas d’échec, il n’acceptera pas le verdict d’un scrutin qu’il estime truqué. Pendant ce temps, le monde s’étripe au nom des religions et la Chine voit s’ouvrir un boulevard pour imposer ses volontés.

    Mathilde qui travaille à l’hôpital de la Pitié-Salpétrière nous annonce un très probable reconfinement. L’impact sera désastreux. Ralentissement économique et chômage en progression. Déjà les contrats précaires sont touchés. Beaucoup ne mangent plus à leur faim, l’hiver arrive, ils ne pourront pas se chauffer. En général les crises atteignent les plus démunis, on leur accorde des miettes sans réaliser qu’on sème une haine qui couvera plus ou moins longtemps avant d’éclater en violence incontrôlable.

    JMH m’a invitée à prendre un café avec un de ses amis spécialiste des manuscrits littéraires. Nous avons blagué, fenêtre ouverte. Nous avons évoqué les amours de M., l’incompétence en mécanique de JMH, le peintre Vegetti. Toute autre chose que la Covid. Quel plaisir !


  • Covid et attentat.

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    Manifestation anti couvre-feu.

    Avant-hier, une conférence de presse du président de la République nous annonce un couvre-feu à partir de samedi, en raison de la recrudescence de la pandémie. 21 h – 6 h. Mouvement dans l’opinion, surtout du côté des métiers concernés. Cafés, restaurants, théâtres, cinémas, concerts. Ils sont durement touchés. Les séances devront être décalées pour sauver les meubles, du moins ce qui peut l’être.

    Il est vrai que les statistiques du ministère de la Santé ne sont pas bonnes et que les hôpitaux recommencent à déprogrammer des opérations pour soulager les urgences, au risque d’intervenir trop tard dans certains cas, de cancer par exemple. Le personnel est sur les dents, déjà épuisés par la flambée du printemps, beaucoup font des burnout et beaucoup démissionnent. Les hôpitaux sont fragilisés par rapport à mars. Heureusement, des progrès dans les soins ont permis d’éviter un grand nombre d’intubations avec mise en coma artificiel et rééducation interminable. Tout ceci n’empêche pas une partie de la population parfois inconsciente de s’opposer aux directives restrictives de l’État.

    Le week-end dernier, alors que les bars étaient fermés par ordre de la préfecture de police, une « tefeu », fête en verlan, a eu lieu dans un bureau de l’immeuble Kenzo mitoyen de notre appartement. Bruit de discothèque de l’autre côté du mur et cris en continu. Ce qui m’a le plus frappée était l’absence de rires. Ces jeunes gens, plus d’hommes que de femmes parlaient comme s’ils assénaient des convictions, hurlant pour se faire comprendre malgré la musique et ses martèlements. Le ton montait avec l’alcool et les heures qui s’accumulaient. À 3h3O du matin, j’ai fini par m’endormir sur le divan du salon, côté rue, un peu à l’abri du vacarme. Nous avons mené notre enquête la semaine suivante, sans succès. Probablement une réunion improvisée dans des locaux vides, en toute légalité d’ailleurs. Par contraste, les rues et la place des Victoires désertes et silencieuses avaient quelque chose de surréaliste.

    Effectivement, nous entendons parler ces temps-ci de cas de Covid, parfois très lourds, Christophe après avoir travaillé pour la fashion week est resté quinze jours alité avec une fièvre de cheval, il s’en remet à peine, ses enfants sont atteints, Miguel s’est trouvé à convoyer un bateau de Corse vers Marseille avec un ami pendant la fameuse tempête qui a ravagé la Côte d’Azur fin septembre, tous deux malades à en mourir. De retour chez lui, il a contaminé sa femme et ses enfants. Un neveu a été atteint après avoir assisté à un mariage. Et j’en passe… On ne peut pas comparer cette situation aux pestes du Moyen-Age, naturellement, mais ça sent le roussi. Il faut faire très attention. Je continue d’aller à l’atelier, mais je sors des rames lorsqu’elles se remplissent et j’attends sur le quai le passage d’un métro au public plus clairsemé.

    Nous avons pu recevoir Tim et Xiaoli dimanche après-midi en respectant les distanciations et en aérant l’appartement. Quel plaisir ! Soucieuse, j’avais donné un mauvais rendez-vous à Sara et Pablo. Nous avons bien l’intention de remettre ça avec eux. Pas question de se laisser dominer par ce sacré microbe !

    Je n’ai pas eu le temps d’aller du côté des Halles et de la Soupe Saint-Eustache. Je crains le pire. La misère guette. Les aides d’état ne pourront pas durer indéfiniment. Comment vont survivre les travailleurs du tourisme et de la culture ? Paris est en panne.

    La décapitation d’un professeur de géographie pour avoir montré à ses élèves des caricatures de Mahomet par un jeune radicalisé de 18 ans a bouleversé la France entière. Le résultat d’une incitation à la haine sur internet. Manifestations dans tout le pays, questions autour de l’encadrement juridique des messages du web. Samuel Paty, professeur estimé de tous, avait obéi au programme sur la liberté d’expression et demandé aux élèves pouvant être choqués de sortir dans le couloir. Un parent musulman relayé par un imam radicalisé avait lancé contre lui une sorte de fatwa sur la toile et ainsi poussé à l’action un jeune d’Évreux en Normandie, inconnu des services de renseignements.


  • Semaine du 6 au 13 octobre 2020.

    Juste avant de partir.

    Triste début d’octobre. Une tempête dévastatrice a soufflé sur la Bretagne, mais surtout un phénomène cévenol a ravagé la vallée de la Vésubie sur la route du col de Tende. Des centaines de maisons emportées par la rivière, des dizaines de disparus, presque toutes les routes détruites ou endommagées, villages isolés sans eau et sans électricité, l’arrière-pays niçois est à la peine.

    Il y a deux jours, le président Trump annonce son hospitalisation après avoir été testé positif. Il tweete que tout va bien et lance une vidéo qui se veut rassurante. Juste par mesure de précaution. Aujourd’hui, on le voit de nouveau durant quatre minutes assurer qu’il va de mieux en mieux. Il parle mécaniquement et respire avec un peu de difficulté. Les informations médicales sont contradictoires ; officiellement tout va bien, des fuites anonymes prétendent que son pronostic vital n’était pas fameux à l’arrivée à l’hôpital et son taux d’oxygène préoccupant. À un mois des élections, la campagne électorale dérape plus que jamais. Trump est un as de l’embrouille. D’ici à ce qu’il refuse le résultat des élections et délégitimise Joé Biden, si celui-ci est vainqueur, il n’y a pas loin. Les institutions sont en péril et les autocrates pullulent dans le monde entier.

    Un bref passage à Coppet, au château de madame de Stael, m’a fait chaud au cœur. En voilà une qui avait le sens de la liberté !

    Nous rangeons la maison sans savoir quand nous reviendrons. Fonds de placards, vieux trucs à la poubelle ou à la décharge, la table de jardin dans la remise. De temps en temps un rayon de soleil nous rappelle qu’il a fait beau, mais le Jura se couvre de neige, les Alpes blanchissent, le lac a pris cette couleur grise qui donne envie de partir.

    Cependant, tout le monde nous dit que Paris est devenu bien morose. Le risque Covid y est maximum et les rues sont encombrées en raison de la fermeture des grands axes pour laisser la place aux vélos. Malgré les embouteillages, les travailleurs venus de banlieue préfèrent prendre leur voiture par peur d’attraper le Covid dans le métro. Les restrictions d’ouverture de restaurants se multiplient. Comment l’économie parisienne pourra-t-elle tenir ?

    La misère converge vers les Halles par les RER. Il est probable que Paris va vite devenir le rendez-vous des contestataires venus de la France entière lorsqu’il faudra se serrer la ceinture et rembourser la dette consécutive à la pandémie. On connait : casseurs, voitures incendiées, présence policière, métro et bus perturbés, et j’en passe.

    Mais, ici, dans cette région frontalière plutôt préservée, on se sent trop à l’écart, trop à l’abri. Le froid et la pluie ont vidé l’impasse, nous avons décidé de partir, avec l’impression désagréable de trahir un peu nos amis.

    Nous reviendrons fin octobre, si le Covid ne nous rattrape pas.


  • Semaine du 29 septembre au 6 octobre 2020

    Dernier bain.

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    Le temps est devenu exécrable. Froid et pluie continue, neige sur le Jura. Nous avons allumé le chauffage. Le soir la danse délicate des flammes, le pétillement du bois, l’odeur et la chaleur du feu de hêtre nous réchauffent le corps et l’âme. Nous savourons le silence et la chanson de la pluie sur les velux, le souffle du vent dans la toiture et la cheminée.

    Pendant que mes souvenirs sont encore frais, je voudrais revenir un peu en arrière, vous évoquer nos compagnons de baignade et les relations étranges qui ont entouré des rencontres presque quotidiennes. Souvenirs d’autant plus frais que notre dernier bain date seulement de quelques jours. Il pleuvait déjà, mais un mail d’Ariane de l’autre côté du lac nous a encouragés à nous y risquer. Quel plaisir ! 21°, un rayon de soleil sur une eau argentée. Un moment à se remémorer durant l’hiver. Cependant, ce dernier jour nous étions seuls à descendre la glissière de Versoix, seuls à nager vers le large, à nous fondre dans le paysage des Alpes et détailler le dessin de ses aiguilles sur un fond de nuages clairs.

    Chaque matin, un monsieur d’un âge certain nous avait précédés. Des muscles à faire pâlir les adolescents, lunettes étanches. Après s’être invariablement aspergé d’eau sur les épaules et le torse, palmes aux pieds, il démarrait tel un grèbe par une interminable plongée. On le voyait ressortir vingt mètres plus loin et s’élancer vers le large jusqu’à plus d’un kilomètre de la rive. Son dos crawlé, son crawl ventral impeccables nous laissaient perplexes sur son âge, probablement plus de 70 ans. Il ne parut jamais s’apercevoir de notre présence. Jusqu’au dernier jour. Tout d’un coup, alors qu’il remontait la glissière,  il descendit ses lunettes sur son cou et me fit un immense sourire. Je pensai à une erreur de personne, mais il recommença sur le parking où nos voitures étaient garées côte à côte et me salua d’un chaleureux « Au revoir ! ». Pourquoi cette soudaine amabilité ? Mystère ! La psychologie du nageur de fond est très particulière, c’est bien connu.

    Rien à voir avec les deux femmes qui tous les jours de ces trois mois ont nagé à un mètre l’une de l’autre sans cesser un instant de papoter. Que se racontaient-elles ? Des bribes me parvenaient, des histoires d’achats, de copines. Elles parlaient pour parler, comme insensibles à la beauté du lac, à la fluidité de l’eau. Mais on devinait que ce rendez-vous quotidien leur était indispensable à elles aussi.

    J’allai oublier ! Le vieux monsieur et son kayak. Il longeait la rive à un rythme lent. Quand il arrivait devant la plage, plutôt que de faire demi-tour à la pagaie, il sortait son kayak de l’eau, le soulevait, le montait sur l’herbe et le faisait pivoter. Il redescendait à petits pas, embarquait de nouveau et repartait le long de la rive sur plusieurs centaines de mètres le long des noisetiers et des aulnes, jusqu’à une autre petite plage où il recommençait son manège. Combien de fois ? Je n’ai pas compté.

    Et lui aussi participait à la beauté du lac, à la paix de nos matinées (lorsque les élèves de l’école de voile ne faisaient pas trop de raffut !). Ce furent des compagnons et même d’une certaine façon des amis qui me manquent confusément, maintenant qu’il nous faut retourner à Paris.


  • Net’Léman

    Genève: Le Covid laisse des traces parmi les déchets du Léman - Le Matin
    Nettoyage du Léman

    La maison est silencieuse, le quartier au travail, les enfants à l’école. Le temps devient variable, des orages en fins de journée. J’aime le bruit du vent qui tord les arbres, celui du tonnerre qui s’approche en grondant, qui claque et puis s’éloigne.

    Trop de masques, les visages me manquent. On garde ses distances, J’ai décidé de peindre une petite foule. Elle marche le long du fleuve au rythme du temps. Elle ne sait pas où elle va, mais elle avance indifférente au Covid, avec une insouciance oubliée depuis des mois. Bien sûr qu’au bout la fin est inéluctable, mais j’aime peindre ce corollaire de la vie et de la mort. Tant pis et même tant mieux si cette figuration n’a plus cours. J’aime retrouver le geste qui tourne autour d’un corps, se fond dans un mouvement et s’y attache, donner une existence moins précaire que l’instantané de la photographie, plus proche de la continuité qui me lie à mes personnages.

    A Versoix, avec Agnès F. Nous remontions du port sur le trottoir. Une femme descend vers nous et nous alpague d’un ton mécontent. Nous tombons des nues. Elle aurait voulu que nous la laissions passer en respectant la distance de sécurité. Pourtant les Suisses ne portent pas de masques et ne prêtent guère attention aux gestes barrières. La dame s’explique : « C’est insupportable, les Suisses sont absolument inconséquents ! je passe mon temps entre Genève et Paris et je peux vous assurer que les Français sont bien plus raisonnables ! ». Les bras m’en tombent. Je lui réponds : « Excusez-nous si nous avons eu un comportement inadapté, mais je dois dire que d’habitude, j’entends plutôt les Suisses accuser les Français d’inconséquence. » Elle réplique : « Oui, à Paris, il y a des zigotos qui font la fête tous les soirs, mais dans l’ensemble, tout le monde porte son masque. » Je lui apprends que nous sommes français. Elle ajoute : « j’accepte bien volontiers vos excuses, car vous m’êtes sympathiques » et elle s’éloigne en nous croisant à bonne distance.

    Je pensais à elle, lorsque le lendemain, nous sommes allés nous baigner dans ce même port de Versoix. On y chargeait des touristes entassés dans un petit bateau. Et cela riait et cela criait à vous envoyer tous les postillons de la Confédération helvétique. Pendant ce temps, une armada de bénévoles masqués, perche à crochets dans une main, sac en plastique dans l’autre s’est répandue en bataillons organisés sur la plage, dans les rochers, le long de la jetée. C’était la journée nettoyage, Net’Léman. Il n’y avait pratiquement que des filles dirigées par des hommes munis d’étendards de couleurs. Un zodiac a déversé six plongeurs qui ont ratissé le fond du lac. On pouvait suivre leurs mouvements grâce à de longues bouées colorées se dressant à la verticale lorsqu’ils s’enfonçaient dans l’eau.

    Nous étions assis sur le parapet du port et nous leur avons signalé les innombrables mégots entassés dans les fentes entre les pierres. Ils nous ont remerciés, ils n’y auraient pas pensé : « Il n’y a pas idée de faire des choses pareilles ! » Et j’ai songé au temps de décomposition d’un philtre de cigarettes ; de l’ordre d’une centaine d’années si mes souvenirs sont bons. Oui, la planète est fragile même dans les plus petits détails.


  • Temps d’été.

    Baignades lumineuses dans un lac de rêve. Je voudrais m’étendre sur la chaise longue au fond du jardin, observer tranquillement le vol des oiseaux, le mouvement voluptueux des nuages sur les crêtes du Jura, me laisser bercer par le bourdonnement des guêpes, écouter le bruit du village, ses travaux et ses jours.

    Pourtant non ! Je me mets au clavier, parce que le temps nous est compté, parce que ce serait trop simple de s’enfermer dans un petit jardin aussi agréable soit-il, alors que le Covid guette. Les nouvelles ne sont pas bonnes.

    Non pas qu’il soit tellement mortel. On a vu pire avec les grandes pestes du Moyen-âge qui ont décimé les deux tiers de la population de l’époque. Mais notre monde est devenu si fragile ! Tout y est lié depuis le paysan de chez nous, d’Afrique ou d’Amérique, jusqu’à l’ouvrier des cinq continents. Si l’un tousse, l’autre a la grippe, si l’un manque de graines, l’autre ne mangera pas, si l’un n’a plus d’outils, l’autre se trouvera sans toit. Et le Covid détraque tout. Le chômage se répand, bien que la récession s’annonce moins forte que prévue. On arrive dans l’inconnu. Durant l’été, on a pu se préserver grâce aux gestes barrière, on a pu se rencontrer à l’air libre en gardant les distances. Quand l’hiver surviendra, tout sera différent ! Il faudra se chauffer et fermer les fenêtres. Au travail et dans les magasins on continuera de porter des masques, mais à la maison, en famille ?… Bien sûr qu’on ne s’y pliera pas et comment recevoir nos amis ? Un reconfinement équivaudrait à un effondrement de l’économie mondiale. Il faudra donc accepter le risque de contagion. Les personnes de notre âge en seront les premières victimes. On peut seulement espérer que le virus va s’atténuer avec le temps et que nous seront assez solides pour résister. Pourquoi pas ?

    En attendant, nous profitons de ces derniers jours de beau temps. Nous passons nos journées dans le jardin et nous bavardons, nous faisons provision d’amitié. On évoque dans le détail comment chacun s’y prend. On peut encore se sourire, se parler sans élever la voix. On voudrait bien se serrer dans les bras, mais tant pis, ce sera pour plus tard !

     Le virus se propage de plus en plus vite. Le port du masque est désormais obligatoire dans les grandes villes, dans les écoles et les universités. Et pourtant des groupes s’y opposent, parfois violents, recouvrant des sentiments variés et contradictoires. La logique n’a plus cours.  Seul un vaccin restaurerait un semblant de confiance, mais il n’est pas programmé avant longtemps.

    Aujourd’hui, 30 degrés. nous cueillons le jour dans l’ombre fraîche des vieux murs de la maison avec nos amis Henriette et Lionel. Et c’est bon !


  • À Versoix.

    Torticolis persistant, très douloureux. Presque une semaine au lit. Dans ces cas-là, je songe avec admiration à ces hommes que la souffrance n’a pas vaincus : Montaigne et sa gravelle, Roosevelt, Pompidou, Mitterrand. Comment ont-ils pu ? La douleur m’ôte toute pensée cohérente. Vie suspendue, les heures passent indistinctes dans l’attente d’un mieux difficile à imaginer. Chaque seconde se dilate et fuit aussitôt, intensément vécue, mais inutile.

    Cependant hier, ça allait mieux, le soleil brillait et nous sommes allés nager à Versoix. Le mois de septembre est souvent délicieux dans nos régions.

    Hélas, à peine arrivés, un tamtam nous a cassé les oreilles. Il provenait du parc au-dessus de la plage. Je déteste tous les bruits répétitifs. Je me souviens de mon désespoir lorsque les tambours ont envahi le Pont des Arts, effaçant la beauté et le mystère des crépuscules sur Paris, blessant de leur brutale sottise la souplesse du fleuve.

    Voilà qu’ils s’installaient ce matin-là dans l’univers préservé du lac, couvrant la chanson des vagues. Ma tête n’avait pas besoin de cela ! Nous avions vu sur le parking des groupes en costumes et robes voyantes, embijoutés. Difficile de déterminer leur origine. Europe, Philippines, Afrique, Amérique du Nord, Madagascar ? Notre région est une tour de Babel et nous avons l’habitude d’éviter ces questions.

    Très vite, l’assemblée descendit la pelouse et à grand renfort de chants et de tambour atteignit la plage. Les femmes étaient couvertes d’une longue tunique blanche , les hommes d’une large chemise également blanche. Un grand et volumineux personnage entièrement revêtu du même blanc vociférait en moulinant des bras. Ses propos étaient ponctués par des applaudissements et de bruyantes approbations. Les femmes chantaient en se balançant. Lorsque plusieurs hommes entrèrent dans l’eau, je compris qu’il s‘agissait d’un baptême évangélique. Les bruits s’amplifiaient au grand dam des usagers de la plage qui observaient la scène avec un mélange de curiosité et d’agacement. L’un d’eux traversa la cérémonie son paddle sous le bras, sans plus de façons.

    Pour ma part, je rouspétais intérieurement. Déjà que je n’aime pas ce genre d’embrigadement, mais je ne pouvais pas oublier que cette secte avait contribué à faire élire Trump et qu’elle avait été responsable de la pandémie à Mulhouse. Sur la plage, épaule contre épaule, on ne pouvait pas dire qu’ils respectaient les distances de sécurité !

    Nous sommes allés vers l’autre jetée pour nous en écarter. À notre retour, les derniers participants, le pasteur et sa famille, s’engouffraient dans un gros fourgon de luxe. Sous l’effet de mon agacement, j’ai craint une reprise de mon torticolis. Heureusement, il n’en a rien été!…


  • Semaine du 18 au 25 août 2020

     

    L’été se poursuit. La canicule a épargné Tougin grâce au Jura qui nous a offert sa fraîcheur du soir. Comme le temps passe ! Septembre arrive à grands pas. En principe, nous ne rentrerons pas à Paris avant octobre, les nouvelles du Covid n’y sont pas très bonnes et la vie est plus tranquille ici.

    Nous avons traversé le Léman sur un bateau de la CGN, invités à déjeuner à Nernier chez Véro et Hervé en compagnie de leurs amis d’Élancourt. Nombreux propos politiques, contradictoires, mais courtois. Un monde fou sur la jetée et sur la plage en raison de la chaleur.  L’arrière-pays, côté français, comme côté suisse s’était rué sur les rives.

    Caroline et Jean-Michel sont venus passer quelques jours à Tougin. Baignades, belotes, scrabble, des nouvelles des uns et des autres. Bien peu de travail pour ma part.

    Maintenant, enfants et petits-enfants (18, 16, 14 ans) de retour de Bretagne ont apporté de l’animation dans la maison !  Il n’est pas mauvais de nous retrouver bousculés (pour un temps !) par leur vitalité. Leurs préoccupations sont tellement  éloignées de celles de notre âge ! Malgré quelques constantes, les générations se suivent et ne se ressemblent pas. Difficile de nous projeter dans notre propre jeunesse !

    Ils passent beaucoup de temps sur les réseaux sociaux, gardent un contact permanent avec leurs amis. Noé mijote un bivouac dans la montagne aussitôt revenu à Grenoble. Romain est plus secret ; il s’apprête à rentrer dans la vie étudiante, un saut dans l’inconnu

    Je prépare support et sous-couches pour ma prochaine peinture. Bleu sur bleu, une gageure. Qui ne risque rien… Et je dénoyaute des mirabelles pour le clafoutis de Marius.  C’est la vie !

    Ce matin à Versoix, une suite de Bach au violoncelle nous a accueillis alors que nous sortions de l’eau. Le musicien répétait devant le lac sur la terrasse du club de voile. Le quai était désert. La veille, une centaine de petits Optimistes s’y entassait pour les championnats de Suisse. Les enfants parlaient français, allemand et italien, nous rappelant qu’un pays peut se partager entre différentes langues, différentes religions et cultures sans se taper dessus. Bien agréable !