• Le Carmel du reposoir (suite1)

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    mdr-carmel_du_reposoir-2Nous nous sommes donc dirigés vers le Mont Blanc. Son prisme grandiose semblait nous montrer le chemin. Après un café au soleil dans le village du Reposoir, et quelques virages dans la forêt, nous avons découvert le Carmel, solidement implanté au pied de la muraille des Aravis. Comme aspirés par l’étrangeté du lieu, nous avons commencé la visite du monastère, du moins celle du cloitre et de la chapelle, lieux austères sublimés par la prière et la méditation. Sur le côté du chœur, une grille séparait les laïcs des nonnes.  En sortant, nous nous sommes arrêtés dans la boutique tenue par une sœur tourière.
    Je me suis jetée à l’eau et j’ai demandé à voir ma cousine. J’ignorais son nom de religieuse. Grâce à un talky  walky des plus modernes, la tourière prit contact avec la communauté, laquelle mit un certain temps avant de comprendre de qui il s’agissait. Elle m’informa avec un large sourire « que la sœur était encore en vie » comme si le contraire eut été plus vraisemblable. On allait lui annoncer ma présence.
    Durant l’attente, Bernard a demandé des nouvelles d’une jeune novice dont il avait apprécié la vivacité et la jeunesse quelques années auparavant. Elle était retournée à l’état laïc. Toujours souriante, de ce sourire si particulier des monastiques, la tourière nous dit que les jeunes avaient du mal à se faire à la vie du Carmel. Il ne restait au Reposoir qu’une dizaine de religieuses, pour la plupart âgées.
    Une sonnerie. La tourière m’informa comme une insigne faveur que ma cousine m’attendait au parloir.
    – Si ces messieurs veulent rester ici ! Je vais vous accompagner.
    (à suivre)

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  • Le carmel du Reposoir

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    mdr-carmel_reposoir-1Bernard et Nelly nous avaient proposé une visite du Carmel du Reposoir, à deux pas du col de la Colombière étape incontournable du Tour de France. Ils ne pouvaient pas savoir qu’une de mes cousines en avait définitivement franchi la porte plus de cinquante ans auparavant. A l’époque, nous étions assez proches. Je ne l’avais pas revue depuis. Elle vivait donc à 1500 m d’altitude, cloîtrée, à peu près sans contact avec le monde. Il y a longtemps déjà, sa sœur jumelle, m’avait raconté qu’elle avait frappé à la porte du Carmel, mais que la religieuse avait refusé de la voir du fait qu’elles s’étaient déjà rencontrées l’année précédente.

    Bernard est un passionné de chartreuses. Ces monastères fondés par Saint Bruno vers 1200, ont essaimé dans toute l’Europe. La plupart sont devenues des propriétés privées, suspendues en terrasse ou blotties dans des vallons encore sauvages. Les moines n’en sortaient que pour aller prier à la chapelle et pour se promener une fois par semaine dans la nature en compagnie d’un ou deux autres moines, seul moment où la parole était autorisée. Chacun d’eux disposait d’un jardinet entouré de murs pour faire pousser des légumes. Ils finissaient leurs jours enterrés au centre du cloître.

    Celle du Reposoir fut pillée à la Révolution, les moines chassés. De retour à trois reprises, ils en partirent définitivement à la Séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905. Des carmélites s’y installèrent en 1932. Elles y sont restées. Cloitrées, elles occupent ce splendide bâtiment dans des conditions climatiques difficiles, à peine chauffées et de moins en moins nombreuses.

    (à suivre)

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  • Chaleur

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    Ce dimanche, vers 18 heures, la température avoisinait encore les 30 degrés, mais lassée d’être enfermée, j’ai quitté la fraîcheur de la maison pour faire une petite promenade vers les hauteurs de Méribel.

    Le village était désert. Après avoir traversé la route nationale, j’ai commencé à grimper vers le Jura par le chemin de l’Emboussoir. Autrefois champêtre, il est aujourd’hui bordé de lotissements et les anciens bâtiments de la ferme sont occupés par une pension pour chevaux.

    On trouve beaucoup d’écuries pour chevaux retraités au pied du Jura, beaucoup plus que de maisons pour personnes âgées dans tout le pays de Gex. Elles se ressemblent un peu, même absence de mouvement, mêmes solitudes immobiles dans des aires fermées. Par cette chaleur, trois chevaux avaient trouvé refuge sous le grand chêne au bord de la route, près d’un bloc de sel attaché à la clôture.

    Une myriade de mouches leur tournait autour. Sûr qu’il faisait chaud, mais on voyait à leur pelage granuleux et terreux qu’ils n’avaient pas été étrillés depuis longtemps. Au pied de l’arbre sur une terre bourbeuse mêlée de crottin, un cheval secouait la tête cherchant à échapper au nuage qui collait à ses paupières, à ses naseaux, à ses oreilles. M’apercevant, il s’approcha en quête de secours. Devant mon impuissance, il poursuivit d’un geste las la danse de sa queue, le balancement de sa tête tout en me lançant un regard de souffrance

    C’est alors qu’un peu plus loin, je surpris dans l’ombre du grand chêne un spectacle étrange, une sorte de chimère à deux têtes et à deux queues. Têtes bêches, deux chevaux plus sombres, la laine encore plus croûteuse, peau contre peau formaient comme un seul corps. La queue de l’un chassait les mouches de la tête de l’autre. A l’évidence, les queues ne se balançaient pas au hasard. Avec adresse et souplesse, yeux humides et lèvres frémissantes contre l’arrière train de l’autre, ils se soulageaient mutuellement du fléau qui les pourchassait.

    Nous avons tous vu des singes s’épouiller, des abeilles se transmettre des informations, mais ce dimanche, alors que les médias nous abreuvaient d’horreurs à la suite de l’attentat de Nice, la vue de ces deux chevaux solidaires me laissa songeuse.

    A l’écoute des attentats, des horreurs de la guerre de 14 commémorées ces derniers temps, on pourrait croire inscrit dans la vie le combat sans pitié des espèces pour gagner le bien de l’autre, un morceau de viande, un bout de territoire ou de pain, de l’argent, la femelle ou la femme de l’autre, le pouvoir. Ne pas se leurrer, tuer ou être tuer serait le sens de l’histoire. Les religions et les idéologies en dépit de leurs prétentions à domestiquer cette violence fondamentale finissent toujours par lui céder et trouvent d’excellentes raisons pour trucider dans des conditions aussi effroyables que possible ceux qui ne partagent pas les mêmes idées ou le même dieu qu’eux, dans la crainte souvent justifiée d’être eux-mêmes trucidés de manière au moins aussi atroce.

    Et voilà que je me trouvais devant deux animaux en détresse. Ils avaient trouvé dans la solidarité un moyen de se tirer d’un mauvais pas! Difficile d’y voir l’instinct grégaire contre le froid des pingouins dans la banquise, ou l’auto protection des bancs de poissons ! Une réaction pragmatique et efficace semblait les associer, peut-être séculaire mais probablement réinventée dans l’urgence.

    Songeuse, J’ai continué ma promenade. Arrivée à Méribel, j’ai observé la ferme de la famille Ducimetière, un nom de par chez nous, reconvertie elle-aussi en pension pour chevaux. Les boxes y sont aménagés de sorte que les pensionnaires peuvent voir la route. Les enclos dans la pente respectent l’espace vital de chacun grâce à des clôtures mobiles qui leurs réservent des petits coins d’herbe d’une propreté irréprochable. Mais surtout, en dépit d’une quasi absence de mouches par rapport à l’autre pension,  chaque cheval bénéficiait d’une sorte de bonnet ajouré qui lui enveloppait la tête sans l’aveugler. Et je pensais à cette famille de fermiers que j’avais toujours connue attentive à ses vaches. Elle avait changé d’activité mais conservé son goût des bêtes. Mon cœur en fut en quelque sorte réchauffé.

    Plus tard, j’ai raconté cette histoire à un ami qui a toujours élevé des chevaux dans son pré. Il fut scandalisé ajoutant qu’ils prenaient également cette position tête bêche pour se protéger mutuellement du soleil. Il partageait mes conclusions du moment à l’avantage de la gente animale.

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  • Voyage en République Démocratique Allemande, 1970

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    Je viens d’apprendre qu’au-delà de deux générations, tout être humain sombre dans l’oubli à l’exception de son état civil et de son nom gravé sur une stèle. Pourquoi y avoir vu une raison de raconter ce voyage effectué il y a bien longtemps en Allemagne de l’Est ? Peut-être pour transmettre une histoire à mes arrière-petits-enfants, qui ne m’auront pas connue et que je ne connaîtrais pas.

    À cette époque, en 1970, l’Allemagne était coupée en deux, conséquence de la guerre de 40. D’un côté, l’Allemagne de l’ouest ou République Fédérale Allemande, démocratie à l’occidentale. De l’autre, l’Allemagne de l’est ou République Démocratique Allemande, dictature marxiste, inféodée à l’URSS (Union des Républiques Soviétiques Socialistes). L’Allemagne fut contrainte bon gré, mal gré par Staline de rejoindre « le bloc de l’est » dont les frontières s’étiraient du nord au sud de l’Europe et qu’on nomma « le rideau de fer »

    La RDA avait été créée en 1949, à partir de la zone occupée par l’Armée rouge, en réponse à la transformation de la zone d’occupation américaine, britannique et française en République Fédérale Allemande. La ville de Berlin isolée au milieu de la RDA était donc partagée entre Berlin est et Berlin ouest. La fuite des Allemands de l’est vers l’ouest avait motivé en 1961 la construction d’un mur infranchissable entre les deux Berlin. Seul l’avion permettait aux occidentaux d’accéder à la partie ouest.

    La RDA n’avait aucune légitimité du point de vue international. Trou noir géopolitique, rares étaient les occidentaux à y avoir mis les pieds. Ceux qui cherchaient à en sortir étaient tirés à vue et ceux qui y entraient risquaient de n’en pas revenir.

    C’est dans ce contexte, que je fis la connaissance à la MJC de la porte de Vanves d’un jeune et sympathique metteur en scène de théâtre qui s’apprêtait, ô surprise, à partir pour un séjour en RDA. Il se joignait à un groupe d’artistes invité par son gouvernement dans le but d’appuyer une demande de reconnaissance diplomatique auprès de l’Occident.

    À l’époque, je ne me suis pas posé de question. Le groupe se composait d’artistes communistes français et de personnalités sympathisantes, mais critiques. J’ai rempli et signé les papiers nécessaires avec l’insouciance de mon âge. On pourrait y voir aujourd’hui une sorte d’anticipation sur ce qui allait des années plus tard permettre la chute du mur de Berlin. J’en suis rétrospectivement assez fière.

    Comme j’allais passer des vacances de ski en Suisse, il me parut plus simple de partir de Genève. J’obtins de la MJC que mon visa soit déposé à la frontière afin de rejoindre la délégation à Dresde. Je fis tout naturellement appel au service des voyages du CERN, le Centre Européen de Recherche Nucléaire où avait travaillé Gilles. On y poussa des hauts cris ! On pouvait me fournir un vol d’avion pour Munich et c’était tout. De là, un train à destination de Lübeck franchissait le rideau de fer. On me donna son heure de départ comme s’il s’agissait d’un convoi pour l’enfer.

    (À suivre)

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  • Attentats (suite)

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    Comme il est difficile de transcrire a postériori des impressions qui ont évolué au fil des jours, allant de la stupeur, à l’effroi, puis à la fatalité ou à la révolte !

    Ce fut la stupeur qui domina se soir-là. Une sorte de sidération qui laissa peu de place à l’empathie ou à la pitié. Il fallut du temps pour que la compassion s’y glisse, que les questions surgissent. Sur le moment, ce fut comme si la foudre était tombée à deux pas de nous, qu’un destin imprévisible, et implacable avait frappé Paris, sans autre réalité que la voix du journaliste et le bruit des secours..

    Les journalistes, sur ce ton que rien n’altère sauf la volonté de capter l’attention, nous apprirent qu’une prise d’otage était en cours au Bataclan, un peu plus loin sur le boulevard Richard Lenoir. Ce nom nous disait vaguement quelque chose. Boite de nuit ? Modeste salle de spectacle comme il y en a beaucoup dans le quartier ? Nous finîmes par savoir qu’elle contenait plus de mille amateurs de rock.

    Habitués au schéma classique des attentats précédents, nous n’avons pas pensé que les agresseurs pouvaient se faire sauter. Les forces de police allaient intervenir. Fallait-il simplement attendre chez Stéphane la fin de la prise d’otage ? Des explosions avaient été entendues au Stade de France, une information circulait que les Halles avaient également été attaquées. Opérations concertées ! Gilles préféra rentrer au plus vite.

    Il réserva une autolib et après des adieux déconnectés de la réalité, précipités par un événement trop difficile à concevoir, nous avons franchi la porte. Il ne s’agissait plus d’un journal visé pour outrage à Mahomet, mais d’une attaque aveugle contre des Parisiens qui s’amusaient en toute innocence. Nous nous sommes quittés, désorientés. J’ai appuyé de nouveau sur la sonnette. Stéphane a rouvert la porte !

    — Dommage, on aurait pu terminer la soirée au Bataclan !

    Plaisanterie qui les fit sourire, un peu jaune tout de même, comme une résistance au tragique de la situation.

    Et nous avons roulé vers le quai dans le silence du moteur électrique. La circulation se limitait à une noria d’ambulances s’engageant sur le pont d’Austerlitz. Rue de Rivoli, nous avons laissé le passage à des voitures de police. Avancée fantomatique durant laquelle tout pouvait arriver. Un calme étrange régnait sur la ville.

    Le quartier des Halles était désert. Nous avons pu regagner notre appartement sans encombre. Vous dire la suite relève de l’impossible. Nous avons ouvert la télévision, appris que le nombre des victimes évoluait de trente à une centaine. Des événements se déroulaient à l’intérieur du Bataclan. En direct, on voyait des gens cherchant à fuir, qui courraient et tombaient sur le sol d’une ruelle. Une personne suspendue à une fenêtre par les mains, prête à se fracasser sur le trottoir était miraculeusement saisie par d’autres mains et remontée dans ce qui semblait être un enfer.

    La télévision transporte avec elle un sentiment d’irréalité qui ôte jusqu’à la formulation des événements. La passivité du téléspectateur amplifie la paralysie qui peut vous envahir dans l’effroi. Elle s’accompagne d’une curiosité à laquelle il est difficile de résister, surtout lorsque les images en boucle flattent la perversité de nos regards.

    Le nombre de morts tombait comme un score de match et je pensais aux blessés négligés par cette macabre énumération. Ma compassion ou ma pitié ne trouvait pas d’ancrage dans les informations concernant une contre offensive des forces du raid. On aurait voulu savoir, on ne savait rien. Et je suis allée me coucher.

    C’est le lendemain que nous avons pris la mesure de l’horreur, des rafales de kalachnikov, des ceintures d’explosifs, des chairs déchiquetées, de l’attente de la mort à plat ventre sous les cadavres, du hurlement des blessés, du sang et des débris humains aux terrasses de café. Comment était-il possible que des jeunes tuent d’autres jeunes jusqu’à se détruire eux-mêmes en hurlant de joie. Fanatisme ? Drogue ? Celle-ci, souvent évoquée par les témoins, pupilles dilatées et rictus, ne fut pas retrouvée par la suite dans les restes des kamikazes.

    Le lendemain vers 14 h, je venais à pied du Pont-Neuf et je m’apprêtais à traverser le quai de la Monnaie à peu près désert, lorsque je vis foncer vers moi une petite voiture noire, toutes fenêtres fermées, d’où surgissait une musique arabe à toute puissance. Il émanait de cette petite voiture à l’immatriculation étrangère un sentiment de triomphe que j’aurai pu qualifier d’enfantin. On aurait pu penser à des cris de victoire après un match de foot ou de rugby, si de cette petite voiture, de ses fenêtres teintées et fermées n’avait suinté le rire de la mort.

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  • Attentats

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    Tout le monde, peut-être trop de monde, a une histoire à raconter sur les attentats du 13 novembre, je veux cependant apporter ma petite pierre à l’édifice contre l’oubli.

    Ce soir-là, nous étions invités à dîner chez Stéphane, au quatrième étage d’un immeuble qui donne sur le port de l’Arsenal. En sortant du métro Bastille, j’avais longé le quai, surprise par la foule qui se pressait aux terrasses de cafés. Pour un 13 novembre, la température était douce et les restaurants dégageaient un bonheur de vivre, sursis avant l’hiver. Une fois de plus, je me suis fait la réflexion qu’il y avait beaucoup de jeunes.

    À mon époque, on finissait ses études, on travaillait, puis on se mariait. La pilule n’existait pas et un enfant arrivait vite. Nous n’avions guère le loisir ni assez d’argent pour aller au restaurant. Aujourd’hui les jeunes se marient très tard, quand ils se marient, et disposent de nombreuses années de liberté, sans réels problèmes financiers. L’incertitude règne sur leur avenir, ils profitent du présent.

    — C’est bien parce que c’est vous. D’habitude, j’évite de prendre le métro dans la foule du vendredi soir ! n’ai-je pu me retenir de dire en entrant chez Stéphane.

    Il y avait très longtemps que nous n’avions pas rencontré les parents de Stéphane. Ils habitent en Savoie et des problèmes de santé les avaient empêchés de venir à Paris. Devant leur étonnement, je me sentis obligée de préciser :

    —… Paris est en état d’alerte maximum !

    Ses parents qui débarquaient de la gare de Lyon semblaient un peu perdus. Les rues de Paris les changeaient du calme de leur village. L’apéritif agrémenté de saucisson savoyard ne fut pas de trop pour les mettre en confiance. Coincé dans le labyrinthe des codes de porte, Gilles est arrivé un peu plus tard. Son portable ne captait pas celui de Stéphane. Les immeubles sont devenus des forteresses.

    La vue depuis l’appartement de Stéphane est magnifique, le regard coure librement sur le port et ses miroitements comme un appel aux vacances. Au loin, la tour Eiffel émerge de la ville. Le ciel s’illumine au coucher de soleil en larges reflets bleus et or. Mais ce 13 novembre, à 20 h 30, il faisait nuit. On pouvait suivre la ronde des voitures éclairées de l’autre côté du canal. La ville vibrait de la pause un peu euphorique des fins de semaine.

    Des nouvelles de chacun. Nous nous retrouvions avec plaisir. Humour ou sérieux, passé et projets. Marc avait travaillé toute sa vie dans le commerce des vins fins et celui qui provenait du coteau juste au-dessus de chez lui évoquait la pente ensoleillée, la rudesse du sol calcaire.

    Nous nous sommes assis autour de la table. Stéphane avait mitonné une daube de porc au citron et à la coriandre qui fondait dans nos bouches pendant que Christelle parlait de son métier. Elle est chercheuse dans le domaine agricole. Elle invente des capteurs intégrés aux tracteurs pour minimiser les apports d’eau et d’engrais déversés sur les cultures. Ses travaux l’amènent à participer à de nombreux congrès. Ils font partie de ces couples d’une quarantaine d’années qui vivent la plupart du temps séparés, elle à Dijon, lui à Paris. Stéphane également chercheur, étudie la déshydratation des feuilles.

    Pendant que nous évoquions le temps qui passe, les promenades au milieu des vignes, les escalades dans la montagne, la maison familiale sur la route qui monte à Val d’Isère, nous entendions des bruits de sirènes.

    — Le commissariat de police est situé en face, de l’autre côté du canal et le vendredi soir ça bouge beaucoup.

    Gilles et Stéphane sont scientifiques, il leur en fallait davantage pour tirer des conclusions sur un remue-ménage de police.

    Et nous avons continué à bavarder tout en savourant des fromages savoyards puis une glace à la mandarine confite. Lucette la mère de Stéphane avait été institutrice. Depuis sa retraite, elle accumule des problèmes de santé. Nos conversations glissaient insensiblement vers les difficultés de l’existence.

    D’instinct, je me suis dirigée vers la fenêtre. Un défilé de gyrophares montait et descendait le long du canal :

    — Vous ne trouvez pas que ça bizarre !

    — Comme tous les vendredis et samedi soir !

    Je suggérai sans succès à Stéphane d’écouter les informations. Marc s’étant joint à ma demande, en traînant les pieds Stéphane alluma la télévision.

    C’est ainsi que nous avons appris en direct l’attaque des terroristes. Ils avaient tiré sur des terrasses de café, non loin de là, du côté du boulevard Richard Lenoir. Il y avait des morts. De nombreux blessés étaient transférés en urgence vers les hôpitaux, en particulier vers la Pitié-Salpétrière, ce qui expliquait le va-et-vient sous nos fenêtres.

    (à suivre)

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  • Musiciens dans le métro

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    Lorsque le temps a passé, les petits événements parisiens se teintent d’autres aventures vécues par la suite. On pourrait dire que l’angle de vue se décale légèrement, la précision s’estompe, mais l’impression demeure forte. La nécessité de les consigner devient urgente tant il semble indispensable de ne pas laisser disparaître ces instants précieux et souvent délicats. Mais j’aime aussi leur offrir la liberté de s’envoler pour former la trame invisible de mes jours.

    Aujourd’hui, l’un d’eux, modeste, risque d’être occulté par le récent massacre du Bataclan, je veux cependant le citer comme une résistance à l’horreur.

    Plus de huit jours auparavant, en début d’après-midi, un Rom ou un gitan – je ne sais pas les différencier – jouait de la trompette dans le métro. Sa musique déclinait les airs de nos chanteurs français avec une telle souplesse, une telle liberté que le wagon paraissait suspendu dans le temps et dans l’espace comme cela arrive quelquefois. À la station Opéra, une jeune femme est montée, grande, élancée, cheveux frisés, châtains clair. Elle portait une contrebasse dans un étui blanc dont l’usure témoignait d’une vie bien remplie. Elle sortait probablement d’une répétition de l’orchestre de l’opéra.

    Elle s’est appuyée avec son instrument contre la porte opposée, un peu lasse.

    Le son de la trompette se pliait, se dépliait, s’enflait ou s’éteignait comme un souffle de vent. Lorsqu’il a atteint ses oreilles, la jeune femme a levé la tête et s’est tournée vers le musicien. Un frémissement de surprise a parcouru ses lèvres. Elle a probablement   rencontré son regard car un franc sourire a illuminé son visage. Dans la rame régnait une sorte de paix et même de joie.

    Quand le moment est venu de faire la quête, comme souvent en pareille occasion, la manne fut plutôt rare. La qualité ne fait pas bon ménage avec le métro. Elle étonne. On pourrait dire d’une certaine façon qu’elle inquiète, comme une déchéance qui pourrait atteindre chacun d’entre nous. Le geste de déposer une pièce dans une main tendue a souvent quelque chose d’humiliant pour celui qui reçoit.

    Mais la jeune femme a extrait son porte-monnaie de son sac en bandoulière. J’entendis, puis je vis l’homme remonter le wagon, une petite cinquantaine d’années, pas très grand, mais charpenté, cheveux noirs et rares. Ses yeux vifs se posaient sur les voyageurs avec la certitude d’avoir participé à nos existences.

    La jeune femme versa son obole dans la sébile comme elle-même reçoit son cachet de musicienne, comme le spectateur paye sa place, avec une simplicité n’ayant d’égal que le sourire du gitan posé sur elle et sa contrebasse, effaçant la distance entre la musique classique et la musique de rue.

    Lorsque la porte s’est ouverte, il s’est immobilisé une seconde avant de sortir, il s’est retourné et a lancé dans un français hésitant :

    – Merci pour bonheur aujourd’hui !

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  • Dans le métro

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    Un épisode parmi les nombreuses petites aventures vécues dans le métro remonte à la surface de ma mémoire avec une constance qui m’oblige à le consigner. Il a la particularité de se transformer au fil du temps.

    Ce lundi-là, en début d’après-midi, j’allais à l’atelier. Le métro à cette heure est tranquille, sans la foule qui rend le retour parfois pénible. J’étais assise paisiblement sur un des quatre strapontins du centre de la voiture. Comme souvent dans ce genre de situation, mon esprit flottait, à la fois présente et déjà dans mes peintures.

    Je fus tirée de cette méditation par des phrases en anglais dont le contenu n’avait rien de paisible. En face de moi près de la porte, un homme d’une quarantaine d’années, de grande taille, en costume sombre et cravate, chaussé de lunettes d’écaille, cheveux blonds et teint clair, les coudes posés sur les genoux, invectivait par dessus un voyageur immobile sur son siège, une femme jeune, cheveux un peu frisés, dont le visage exprimait de l’indignation.

    L’Anglais ne manquait pas de séduction et je regardais un peu plus attentivement la scène qui se déroulait devant moi.

    Côté rails, l’homme assis au bord du couloir entre les deux protagonistes était de type africain, du sud Maghreb, Mauritanien ou Éthiopien, peut-être métis. Ses cheveux sans être crépus frisaient autour d’un visage dont je remarquai avec surprise qu’il était figé par l’effroi. Les pupilles qui ressortaient sur le blanc de la sclérotique semblaient paralysées par une peur le contraignant à une immobilité d’animal en danger, absent de lui-même comme pour ne laisser aucune prise à l’adversité.

    Côté porte, l’Anglais s’étirait sur les deux sièges pliants, jambes écartées. Il monologuait en grondant de colère. Il se pencha et apostropha la femme à plusieurs reprises, laquelle, faute de savoir l’anglais, répliquait par des gestes et des mimiques de protestation.

    Les yeux exorbités de l’homme noir restèrent fixés dans le vide lorsque l’Anglais se leva et descendit à la station Concorde. La haute taille, le costume du Britannique lui conférait une certaine prestance, malgré une démarche curieusement vacillante et je ne pus m’empêcher de le suivre du regard jusqu’au redémarrage de la rame.

    La femme se pencha vers son compagnon, se serra contre lui et lui pressa la main, cherchant à le sortir de sa léthargie. Elle n’y était pas encore parvenue lorsque je suis arrivée à destination.

    Le soir même, j’appris qu’un groupe d’Anglais ivres, supporters de je ne sais quel match avait pourchassé les couples mixtes durant la nuit précédente au centre de Paris, s’en prenant aux femmes blanches avec une telle violence que la police avait eu beaucoup de difficultés à les neutraliser.

    Par la suite, cette histoire me trotta dans la tête. Le souvenir de l’Anglais céda bientôt la place à celui de la femme. Son visage, son attitude, l’amour qu’elle portait à son compagnon se précisèrent. La mousse colorée de ses cheveux, la forme de son nez, sa bouche au dessin affirmé, son corps serré contre son compagnon se substituèrent par contraste à la raideur et à la lourdeur obtuse de l’Anglais. Et ce souvenir s’épanouit jour après jour comme une fleur précieuse, un encouragement à la résistance et à la liberté d’aimer.

    La beauté de l’homme noir m’est apparue un peu plus tard. Son immobilité avait eu, au-delà de la peur, quelque chose de puissant et d’hiératique, comme une prodigieuse interrogation sur la bêtise humaine.

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  • La Pointe Saint-Eustache

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    Café au soleil.

    Un clochard, hirsute, rougeoyant, le nez en éponge, les vêtements sans couleur et sans âge saute à cloche-pied sur les dalles de la rue Montorgueil en évitant comme un enfant les jointures des pierres. Il chantonne, indifférent au flot qui s’écoule.

    Bobos, commerçants, journalistes, nombreux dans ce quartier de presse, jeunes de toutes les couleurs débarqués de la banlieue défilent devant la terrasse de la Pointe Saint-Eustache. Un bruit de valises à roulettes accompagne les pas des touristes attirés par les chambres d’hôtes du 2e arrondissement. Je saisis des bribes de conversation. Je savoure la robustesse du café tout en participant avec légèreté à la vie qui m’entoure.

    Des nounous noires poussent d’une démarche nonchalante des landaus à deux places où sommeillent des enfants au teint clair.

    Un homme d’une quarantaine d’années, chemise hawaïenne et short quadrillé, chaussures noires cirées, chaussettes sombres tirées sur des mollets musclés pousse un fauteuil roulant. L’infirme ? Une femme d’une soixantaine d’années, emperlée, endiamantée, lèvres rouge vif, chevelure laquée. De toute sa personne émane une autorité implacable. Sourcils froncés, cramponné au fauteuil, l’homme fait de son mieux. On les dirait soudés l’un à l’autre par quelque lien mystérieux. Gigolo, infirmier ou tout simplement son fils ? Ils ont déjà disparu vers le jardin des Halles.

    Comme le temps a passé ! Autrefois, à cette même terrasse, j’observais le manège des artisans aux mains burinées sortant des ateliers pour partager un verre au comptoir. J’aimais regarder le trottinement des petits vieux courbés sur leur canne, la course des enfants après l’école. Hors de sa boutique, à la lumière du jour, le boucher débonnaire et son ventre moulé dans un tablier sanguinolent m’évoquait quelque résurgence sacrificielle. Les blagues fusaient, les coups de gueule étaient fréquents et beaucoup se connaissaient. C’était l’époque où il y avait encore des marchandes des quatre saisons. Pauvres, pour ne pas dire misérables, elles vendaient des herbes fines, des salades et des fruits sur de petites charrettes. Matrones sans peur et sans reproche, elles haranguaient la foule avec verdeur et tenaient tête aux commerçants des étals avec un brio stupéfiant.

    Lorsque nous nous sommes installés dans le quartier des Halles, un immense trou à l’air libre avait déjà remplacé les structures de Baltard. Des bulldozers, des scrapers et des grues aux couleurs vives, rouge et orange, s’y activaient en mouvements huilés. Les années ont passé. Aujourd’hui, les champignons métalliques surgis du gouffre ont cédé la place à une grande verrière, dite canopée, en cours de réalisation.

    Immuable, l’église Saint-Eustache se dresse sur le bord du chantier. Le tintement de ses cloches me rappelle qu’il est temps de rentrer.

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  • Rue du Chemin Vert (suite)

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    Dans l’autobus, le doute refit surface. D’habitude, j’essaie mes vêtements plutôt deux fois qu’une, exigeante pour un pli ou une tombée disgracieuse, comment avais-je pu penser une seconde que ce manteau pourrait m’aller ? J’entendais, comme s’il était là, Gilles répéter qu’on ne doit jamais rien acheter à un inconnu dans la rue. Mais j’écartais ces pensées déplaisantes. Le cuir était souple et la doublure glissait agréablement sous les doigts. L’Italien connaissait son métier. Je me voyais déjà déambulant avec cette élégance sublime et confortable qui signe la qualité d’un vêtement. Dans un moment d’infortune, le sort m’avait choisie entre toutes. À juste titre, cela va sans dire.

    À peine la porte poussée, je m’empressai de sortir le manteau de sa housse et de l’essayer devant le miroir de l’entrée. Ouf ! Il était à ma taille ! Avec juste ce qu’il fallait d’aisance pour les mouvements. Voilà qui était bon signe !

    À y regarder de plus près, si la coupe était simple, les épaules suffisamment amples pour recouvrir une veste, la longueur adéquate, je devais cependant admettre que le manteau manquait d’allure. Peut-être qu’entrouvert, agrémenté d’une écharpe de cachemire et les mains dans les poches, il trouverait cette classe tant espérée. J’en doutais confusément et décidais de chercher la marque sur le web.

    Elle y était présente, marque de luxe exclusivement vendue dans les magasins agréés. Des robes, des vestes, peu de manteaux, ce qu’avait expliqué le bel Italien. Élégance, qualité insoupçonnable. J’étais peut-être trop difficile et je retournais devant le miroir. J’examinais la texture du cuir, peut-être un peu trop fine, éventuellement un peu trop régulière. Avec un rien d’inquiétude, j’ouvris une couture et en explorai l’envers.

    Le tissage qui apparut ne laissait pas de place au doute. C’était du faux !

    De retour sur le site, je tombai sur un « forum » qui acheva de détruire mes illusions. De témoignage en témoignage revenait la même histoire. Un Italien, pas toujours le même, mais toujours séduisant. À chaque fois, le même étonnement : « Je ne me laisse jamais arnaquer, c’est la première fois ! », « moi qui suis tellement méfiante ! ». L’une d’elles continuait : « Je suis allée au commissariat, où l’on m’a répondu que c’était tant pis pour moi. »

    En effet, c’était tant pis pour moi ! Devant le miroir, l’illusion s’était évanouie, elle avait laissé la place à un vêtement moche, mal taillé et qui, plus est, sentait le produit à base de pétrole. J’examinais le sac avec un reste d’espoir. Vulgaire croûte de cuir, fond de carton, chaîne et œilletons clinquants. Importable !

    Pourquoi n’ai-je pas, ce jour-là, ressenti l’ulcération qui me tourmente d’habitude lorsque je suis arnaquée ? J’avais eu à faire à un prestidigitateur ! Quand je déroulais le film de l’aventure, je ne voyais qu’invention, adaptation à la situation, un sens aigu de la psychologie féminine et surtout une séduction jubilatoire. Du grand art ! Et une belle leçon !

    En entrant dans l’appartement, Gilles s’est écrié :

    — Qu’est-ce qui sent si mauvais ?

    C’était mon beau manteau. Mais là, j’exagère un peu…

    Il ne fut pas facile de s’en débarrasser. Emmaüs refusa tout net. « Il est neuf ! » ai-je protesté, « On ne prend plus de vêtements, trop difficile à trier » me répondit la dame au guichet. « Si je vous dis que c’est une grande marque. » ai-je tenté pour voir. « Pareil, mais vous pouvez le laisser sur le trottoir, quelqu’un le ramassera. ». Son regard s’était légèrement allumé.

    La Ville de Paris annonçait des boites à vêtements. Comme je tournais autour de celle de mon quartier, un homme me demanda sans ménagement de m’écarter afin de photographier les couches d’affiches colorées qui l’enveloppaient et en obstruaient l’accès. J’ai ensuite traîné mon sac sans plus de succès du côté de l’atelier. De guerre lasse, il a terminé dans le local à poubelle de notre immeuble.

    La fin d’un rêve ?…

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