Café au soleil.

Un clochard, hirsute, rougeoyant, le nez en éponge, les vêtements sans couleur et sans âge saute à cloche-pied sur les dalles de la rue Montorgueil en évitant comme un enfant les jointures des pierres. Il chantonne, indifférent au flot qui s’écoule.

Bobos, commerçants, journalistes, nombreux dans ce quartier de presse, jeunes de toutes les couleurs débarqués de la banlieue défilent devant la terrasse de la Pointe Saint-Eustache. Un bruit de valises à roulettes accompagne les pas des touristes attirés par les chambres d’hôtes du 2e arrondissement. Je saisis des bribes de conversation. Je savoure la robustesse du café tout en participant avec légèreté à la vie qui m’entoure.

Des nounous noires poussent d’une démarche nonchalante des landaus à deux places où sommeillent des enfants au teint clair.

Un homme d’une quarantaine d’années, chemise hawaïenne et short quadrillé, chaussures noires cirées, chaussettes sombres tirées sur des mollets musclés pousse un fauteuil roulant. L’infirme ? Une femme d’une soixantaine d’années, emperlée, endiamantée, lèvres rouge vif, chevelure laquée. De toute sa personne émane une autorité implacable. Sourcils froncés, cramponné au fauteuil, l’homme fait de son mieux. On les dirait soudés l’un à l’autre par quelque lien mystérieux. Gigolo, infirmier ou tout simplement son fils ? Ils ont déjà disparu vers le jardin des Halles.

Comme le temps a passé ! Autrefois, à cette même terrasse, j’observais le manège des artisans aux mains burinées sortant des ateliers pour partager un verre au comptoir. J’aimais regarder le trottinement des petits vieux courbés sur leur canne, la course des enfants après l’école. Hors de sa boutique, à la lumière du jour, le boucher débonnaire et son ventre moulé dans un tablier sanguinolent m’évoquait quelque résurgence sacrificielle. Les blagues fusaient, les coups de gueule étaient fréquents et beaucoup se connaissaient. C’était l’époque où il y avait encore des marchandes des quatre saisons. Pauvres, pour ne pas dire misérables, elles vendaient des herbes fines, des salades et des fruits sur de petites charrettes. Matrones sans peur et sans reproche, elles haranguaient la foule avec verdeur et tenaient tête aux commerçants des étals avec un brio stupéfiant.

Lorsque nous nous sommes installés dans le quartier des Halles, un immense trou à l’air libre avait déjà remplacé les structures de Baltard. Des bulldozers, des scrapers et des grues aux couleurs vives, rouge et orange, s’y activaient en mouvements huilés. Les années ont passé. Aujourd’hui, les champignons métalliques surgis du gouffre ont cédé la place à une grande verrière, dite canopée, en cours de réalisation.

Immuable, l’église Saint-Eustache se dresse sur le bord du chantier. Le tintement de ses cloches me rappelle qu’il est temps de rentrer.