Je viens d’apprendre qu’au-delà de deux générations, tout être humain sombre dans l’oubli à l’exception de son état civil et de son nom gravé sur une stèle. Pourquoi y avoir vu une raison de raconter ce voyage effectué il y a bien longtemps en Allemagne de l’Est ? Peut-être pour transmettre une histoire à mes arrière-petits-enfants, qui ne m’auront pas connue et que je ne connaîtrais pas.

À cette époque, en 1970, l’Allemagne était coupée en deux, conséquence de la guerre de 40. D’un côté, l’Allemagne de l’ouest ou République Fédérale Allemande, démocratie à l’occidentale. De l’autre, l’Allemagne de l’est ou République Démocratique Allemande, dictature marxiste, inféodée à l’URSS (Union des Républiques Soviétiques Socialistes). L’Allemagne fut contrainte bon gré, mal gré par Staline de rejoindre « le bloc de l’est » dont les frontières s’étiraient du nord au sud de l’Europe et qu’on nomma « le rideau de fer »

La RDA avait été créée en 1949, à partir de la zone occupée par l’Armée rouge, en réponse à la transformation de la zone d’occupation américaine, britannique et française en République Fédérale Allemande. La ville de Berlin isolée au milieu de la RDA était donc partagée entre Berlin est et Berlin ouest. La fuite des Allemands de l’est vers l’ouest avait motivé en 1961 la construction d’un mur infranchissable entre les deux Berlin. Seul l’avion permettait aux occidentaux d’accéder à la partie ouest.

La RDA n’avait aucune légitimité du point de vue international. Trou noir géopolitique, rares étaient les occidentaux à y avoir mis les pieds. Ceux qui cherchaient à en sortir étaient tirés à vue et ceux qui y entraient risquaient de n’en pas revenir.

C’est dans ce contexte, que je fis la connaissance à la MJC de la porte de Vanves d’un jeune et sympathique metteur en scène de théâtre qui s’apprêtait, ô surprise, à partir pour un séjour en RDA. Il se joignait à un groupe d’artistes invité par son gouvernement dans le but d’appuyer une demande de reconnaissance diplomatique auprès de l’Occident.

À l’époque, je ne me suis pas posé de question. Le groupe se composait d’artistes communistes français et de personnalités sympathisantes, mais critiques. J’ai rempli et signé les papiers nécessaires avec l’insouciance de mon âge. On pourrait y voir aujourd’hui une sorte d’anticipation sur ce qui allait des années plus tard permettre la chute du mur de Berlin. J’en suis rétrospectivement assez fière.

Comme j’allais passer des vacances de ski en Suisse, il me parut plus simple de partir de Genève. J’obtins de la MJC que mon visa soit déposé à la frontière afin de rejoindre la délégation à Dresde. Je fis tout naturellement appel au service des voyages du CERN, le Centre Européen de Recherche Nucléaire où avait travaillé Gilles. On y poussa des hauts cris ! On pouvait me fournir un vol d’avion pour Munich et c’était tout. De là, un train à destination de Lübeck franchissait le rideau de fer. On me donna son heure de départ comme s’il s’agissait d’un convoi pour l’enfer.

(À suivre)