Du 25 août au 1er septembre 2020

Une si jolie petite plage.

Ayant laissé nos enfants partir devant, nous les avons rejoints à Céligny sur la rive suisse du Léman. Cette charmante petite plage à l’abri des regards et de la route est connue des seuls initiés, le plus souvent anglais et allemands venus des organisations internationales environnantes : ONU, BIT, CERN, OMC etc. Les enfants n’ayant pas pu y pénétrer, avaient envoyé un message pour nous informer qu’ils se baignaient sur les rochers du port.
En effet, une jeune fille revêtue d’un gilet aux couleurs de la commune nous annonça avec un large sourire qu’en raison du Covid la plage ne pouvait pas accueillir plus de « septante personnes ». Heureusement les baigneurs rentraient chez eux. Après seulement cinq minutes d’attente, nous avons pu entrer et profiter des installations qui ont remplacé cette année les anciennes baraques vétustes. Luxe suisse : sanitaires en acier frotté, carrelage gris perle, bouteille de gel hydroalcoolique devant chaque porte.
Le bain fut délicieux, l’eau un peu trop chaude après un été presque caniculaire, mais tout de même revigorante. Les vagues d’une petite bise nous obligeaient à lever la tête. Nous sommes remontés vers la pelouse en boitillant sur les graviers, les enfants à l’entrée de la jetée nous faisaient des signes pour nous inciter à les retrouver à la buvette.
Alors que je me dirigeai vers le banc un peu caché le long du mur afin de me changer, un homme d’une trentaine d’années à la taille débordante de bourrelets me prit de vitesse. Il y posa discrètement un narguilé et ses accessoires avant de s’y asseoir avec la certitude de sa priorité masculine. Notre région attire les ressortissants des Émirats arabes et de l’Arabie saoudite. J’aurai pu continuer vers les sanitaires, mais après un instant d’hésitation je me suis installée à l’autre bout du banc et je me suis rhabillée sans complexe. Imaginez le tableau !
Nous avons retrouvé les enfants devant la buvette. Alors qu’ils passaient commande au bar, une place à l’ombre se libérait. Je demeurai debout pour la réserver quand j’eus la surprise de sentir une certaine hostilité provenant du groupe qui se levait. Une femme tout en rangeant ses affaires s’écria sans me regarder avec un fort accent suisse :
— Vous êtes amendable ! Allez-vous-en !
Comme je ne comprenais pas, son compagnon m’incita à me replier sur la digue. Un peu plus loin, le gérant de la buvette pointait vers moi un doigt accusateur :
— Je vous ai à l’œil !
Constatant ma surprise, il s’approcha. Croyant que je ne parlais pas français, il m’expliqua avec des gestes que je devais porter un masque. Il ajouta, plaçant la main à bonne hauteur :
— Vous pouvez le retirer une fois assise ! Il y va de ma patente
Je me suis excusée platement. Le panneau de mise en garde avait été caché par la queue devant le bar.
Sitôt les tables libérées nous nous sommes installés sur la terrasse au-dessus de l’eau, heureux de savourer ensemble cette belle fin d’après-midi, de nous repaître des Alpes ensoleillées. Mais, je suis restée un peu perplexe. Je me souvenais qu’en février les Suisses s’étaient confinés d’eux-mêmes sans la moindre coercition. Ils avaient suscité en Europe une certaine admiration pour leur sens civique et pour leur faible taux de contamination. Était-ce une erreur ou avaient-ils changé de politique sanitaire ?

Semaine du 18 au 25 août 2020

 

L’été se poursuit. La canicule a épargné Tougin grâce au Jura qui nous a offert sa fraîcheur du soir. Comme le temps passe ! Septembre arrive à grands pas. En principe, nous ne rentrerons pas à Paris avant octobre, les nouvelles du Covid n’y sont pas très bonnes et la vie est plus tranquille ici.

Nous avons traversé le Léman sur un bateau de la CGN, invités à déjeuner à Nernier chez Véro et Hervé en compagnie de leurs amis d’Élancourt. Nombreux propos politiques, contradictoires, mais courtois. Un monde fou sur la jetée et sur la plage en raison de la chaleur.  L’arrière-pays, côté français, comme côté suisse s’était rué sur les rives.

Caroline et Jean-Michel sont venus passer quelques jours à Tougin. Baignades, belotes, scrabble, des nouvelles des uns et des autres. Bien peu de travail pour ma part.

Maintenant, enfants et petits-enfants (18, 16, 14 ans) de retour de Bretagne ont apporté de l’animation dans la maison !  Il n’est pas mauvais de nous retrouver bousculés (pour un temps !) par leur vitalité. Leurs préoccupations sont tellement  éloignées de celles de notre âge ! Malgré quelques constantes, les générations se suivent et ne se ressemblent pas. Difficile de nous projeter dans notre propre jeunesse !

Ils passent beaucoup de temps sur les réseaux sociaux, gardent un contact permanent avec leurs amis. Noé mijote un bivouac dans la montagne aussitôt revenu à Grenoble. Romain est plus secret ; il s’apprête à rentrer dans la vie étudiante, un saut dans l’inconnu

Je prépare support et sous-couches pour ma prochaine peinture. Bleu sur bleu, une gageure. Qui ne risque rien… Et je dénoyaute des mirabelles pour le clafoutis de Marius.  C’est la vie !

Ce matin à Versoix, une suite de Bach au violoncelle nous a accueillis alors que nous sortions de l’eau. Le musicien répétait devant le lac sur la terrasse du club de voile. Le quai était désert. La veille, une centaine de petits Optimistes s’y entassait pour les championnats de Suisse. Les enfants parlaient français, allemand et italien, nous rappelant qu’un pays peut se partager entre différentes langues, différentes religions et cultures sans se taper dessus. Bien agréable !

Paris, Les Hautes Bruyères, Tougin.

 

Bref passage à Paris dans une étrange atmosphère. Un peu comme si nous n’étions plus tout à fait chez nous, en quelque sorte un peu poussés dehors par le Covid. Tout semble comme avant, mais rien n’est comme avant. Une sorte d’inquiétude retient les gestes. On prend des nouvelles chez les commerçants, mais les réponses sont évasives. Ils ne savent pas à quelle sauce ils vont être mangés, quelle faillite les attend. Scènes de la vie quotidienne, livreurs, exercice de pompiers. Les masques sont obligatoires dans les espaces publics, mais certains clients font de la résistance, ce qui agace les autres. Un jeune homme devant la caisse du Franprix a fait le sourd quand je lui ai dit que je risquais plus que lui de me trouver sous respirateur.

Des touristes plutôt jeunes, mais pas de Chinois. De nouveau la queue devant la pyramide à l’entrée du Musée du Louvre. Ils ont du courage car les transports publics fonctionnent mal et les pickpockets rattrapent le temps perdu. Dans le métro en rentrant chez elle, mon amie Sara s’est fait subtiliser son sac à dos avec son ordinateur. Nous avions été si contentes de  nous retrouver le matin au café de la place des Petits Pères ! On s’attend désormais toujours à quelque ennui. Réalité ? Impression ? Pressentiment ? Cueillons d’autant plus le jour !

Puis la canicule s’est installée sur l’asphalte surchauffé. Je me suis dépêchée d’aller à l’atelier trier les pastels à emporter à Tougin et d’aller acheter du matériel de peinture  chez Sennelier, avant que les trajets ne deviennent tout à fait insupportables. Depuis le Pont Royal, j’ai salué la Seine, toujours désertée par les bateaux-mouches. Elle embrassait de ses deux bras l’île de la Cité, indifférente au Covid.

Nous avons étrenné la climatisation de l’appartement. Elle suffisait à peine et faisait un bruit d’enfer. Et nous avons failli annuler notre déjeuner chez Brigitte et Régis à côté de Rambouillet, la météo annonçait 38 degrés. En fait, la maison, une longère, ancienne ferme isolée au milieu des champs dans un bosquet de chênes était restée fraîche. Ce fut un cadeau de la vie de nous retrouver, un peu inquiets de rester à l’intérieur, mais fidèles à une amitié de quarante ans.

Alors qu’après le repas nous devisions agréablement dans la brise, à l’ombre des grands arbres, que nous évoquions amis, petits et grands événements, la jeune génération, enfants et petits-enfants avait disparu, les uns probablement affalés sur leur lit, les autres scotchés devant leurs écrans.

La nuit qui suivit fut un peu difficile. Depuis le déconfinement Paris semble envahi de noctambules. On doit hurler, faire vrombir son moteur, manifester un contentement qui cache mal l’incertitude de l’avenir. Mais il faut que jeunesse se passe. On se réunit par internet aux Halles ou sur les quais. On mange, on boit, laissant le lendemain des traces beaucoup moins drôles. Des affichettes mettent en garde contre des invasions de rats.

Vous dire que nous avons été heureux de retourner à Tougin est un euphémisme. Le Jura nous est apparu comme un havre de fraîcheur, l’impasse comme une oasis de tranquillité. Nous avons dormi fenêtres grandes ouvertes. Une couverture n’a pas été de trop au milieu de la nuit.

Tougin, Boulogne sur mer, Paris

 

La digue de Wimereux.

 

Partira ? Partira pas ? Gilles avait répété durant des mois le Chant III de l’Odyssée pour le festival d’Argenton-sur-Creuse. Mais il y a quelques semaines, Julien très inquiet lui a téléphoné estimant que ce n’était pas raisonnable. En effet, aucune précaution n’avait été prise pour la sécurité de la troupe et il considérait le risque trop important, compte tenu de l’âge de son père. Gilles après moult réflexions avait donc annulé sa participation. À la suite de quoi, Philippe Brunet le metteur en scène avait mis en place une longue série de directives, rassurant ainsi Gilles qui avait demandé s’il « pouvait retirer sa démission. » Proposition acceptée avec humour et sérieux. Véronique la directrice du festival, confirmant qu’il n’avait pas à mettre sa vie (et la mienne) en danger décida qu’il dormirait une seule nuit à Argenton isolé de la troupe, et voyagerai avec Violette après tests de laboratoire.

Malgré les réticences de Julien qui aurait bien voulu nous savoir tranquillement à Tougin, nous sommes partis et nous en avons profité pour monter dans le Pas de Calais voir la famille de Gilles avant d’aller à Paris.

Sept cents kilomètres d’une traite ! Le Jura, puis l’autoroute, Reims, Amiens, Arras, et enfin Boulogne, après beaucoup d’arrêts, pas trop de circulation et beaucoup de Nordiques. Ah, la splendeur de l’arrivée, la mer au loin, la lande, les arbres ployés par le vent ! Nous nous sommes glissés sous la voûte des saules pour nous immobiliser devant la ferme aménagée de Philippe et Catherine, isolée dans les marais, chaulée de blanc, encadrements de fenêtres verts, toitures orangées, éclairée par le soleil du soir. Un univers si différent de notre Pays de Gex ! Ce fut deux jours de balades, de visites au cap Gris nez, dans la vieille ville de Boulogne, pays natal de Gilles.

Mais surtout Wimereux, la digue et la mer ! Nous y avons retrouvé sa sœur Nicole et Serge qui venaient de fêter leur « soixante-dix ans » de mariage, leur fils Régis et sa famille, dans leurs maisons en bord de mer. Nous avons pris l’apéritif au soleil déclinant à l’abri du vent. Énormément de monde sur la digue, comme si le coronavirus n’existait pas.

Le matin du départ, nous nous sommes baignés dans les rouleaux éclaboussés de lumière. Superbement dynamique ! Cette côte autrefois plutôt froide et pluvieuse bénéficie aujourd’hui du changement climatique. Nous avons quitté Philippe et Catherine, leur accueil généreux, la cuisine savoureuse de Catherine pour nous enfourner dans l’autoroute jusqu’à Paris et ses embouteillages. Contraste impressionnant ! Travaux, poussière, flottement dû au Covid. On peut seulement espérer que Paris, sans la culture qui la définit, les théâtres, les musées ne basculera pas dans un laisser-aller triste et sans grâce, une paralysie mortifère. Elle risque de drainer les mécontentements de la France entière en manifestations incessantes, de devenir un cul-de-sac, un refuge illusoire pour les sans espoir et les laisser-pour-compte de l’effondrement économique. Paris est très fragile dans le contexte actuel. Saura-t-elle résister à l’adversité ?

Albertville.

Place de l’Europe, Albertville.

 

Le test de Jean-Claude s’étant révélé négatif, nous avons pu partir lui rendre visite. Missionnaire pendant soixante ans au sud de Madagascar, à Tuléar et dans la brousse, le frère de Gilles vit désormais dans un Ehpad à Albertville. Infecté par le Covid en mars, il n’a pas eu trop de symptômes, juste une grosse fatigue, mais dans la chambre d’à côté, son voisin et ami n’a pas eu cette chance, il est mort sans un bruit durant la nuit.

Gilles lui a téléphoné presque tous les jours pour lui soutenir le moral,  d’autant plus que Jean-Claude souffrait au même moment d’une rétention urinaire. Urgences, sonde pendant trois mois en attendant que l’hôpital de Chambéry se réorganise après la flambée épidémique, opération, hémorragie au retour, de nouveau opération. Il en sortait tout juste.

Il n’était pas question d’entrer à l’intérieur de l’Ehpad. Nous l’avons embarqué au pied de l’immeuble et nous nous sommes aussitôt dirigés vers la terrasse de notre restaurant habituel au centre-ville. Maria, la serveuse, une jeune roumaine, nous a trouvé une place à l’écart et à l’ombre. Malgré la chaleur, nous étions rafraîchis par un petit courant d’air.

Cette Place de l’Europe, lieu étrange construit pour les Jeux Olympiques de 1992 dans un style néoclassique un peu lourd, à la Ricardo Bofill, possède l’avantage d’être à l’écart de la circulation. À peine installés, on entend :  « Père ! » Un instant de flottement : « Marie ! » Marie,  Maria, je ne comprends pas ! Jean-Claude nous présente une belle femme d’une cinquantaine d’années, blonde et souriante attablée avec son mari, « Marie, mon infirmière à l’Ehpad ! »

Nom d’un chien ! Les applaudissements ont fusé tous les soirs aux fenêtres de Paris en hommage au personnel soignant des hôpitaux et voilà que nous sortons des images de la télévision et que nous nous trouvons devant des protagonistes en chair et en os. Le mari en plus !

Nous commandons le repas et la conversation démarre de table à table. Naturellement, nous sommes tout ouïe sur les protections de cosmonautes qui ont accompagné les soins et les repas, sur la solitude des pensionnaires. « On ne se reconnaissait qu’à la voix. » L’angoisse du mari : « Tous les soirs, j’avais peur pour elle… et pour moi ! » ajouta-t-il un peu gêné. Elle : « Dans l’action, nous, nous n’avions pas peur ».

Nous l’avons abondamment remerciée, ce que ni elle, ni Jean-Claude n’ont semblé véritablement prendre en compte. Ils étaient encore trop déstabilisés. Ce virus mal connu ne lâche pas ses victimes si facilement et tout peut recommencer. Ils se lèvent et nous nous saluons chaleureusement.

Maria, la serveuse rapplique : « Je n’y crois pas ! » dit-elle d’un ton confidentiel. Elle continue en chuchotant : « C’est une invention des Américains. » Le frère de Gilles lui dit qu’il a été atteint, elle hoche la tête : « Vous avez eu autre chose ! » Il lui dit qu’il y a eu des morts et beaucoup de malades dans son Ehpad, elle insiste : « Ils étaient déjà malades, ils sont morts d’autre chose. Je vous jure, si j’avais le temps, je vous montrerai un article qui prouve point par point que ce sont les Américains qui ont lancé ce faux bruit pour déstabiliser le monde. ». Son visage respire la certitude.

Nous connaissons Maria depuis plusieurs années. Comment aurions-nous pu deviner un tel sens du complot derrière son charmant sourire ? Elle ajoute : « Je connais des gens du monde entier. Ils ont beaucoup voyagé et ils n’ont jamais rien attrapé. D’ailleurs, vous voyez, je ne porte pas de masque et mon patron non plus. Nous n’avons jamais rien eu ! Et pourtant beaucoup de gens viennent déjeuner ici. »

Nous n’avions pas remarqué l’absence de masque du personnel. De retour vers la voiture, Gilles n’était pas content : « La mairie ne fait pas son travail, le patron aurait dû être verbalisé ! »

Et nous avons ramené Jean-Claude chez lui, en nous donnant rendez-vous à la fin d’août. Il semblait très fatigué. Une saleté, ce Covid !

Jour après jour

 

Il a fallu remettre la maison en route. Avant l’arrivée des enfants, nous avions surtout désherbé le jardin. Gilles a réparé le volet de la chambre au Jura, j’ai lavé les draps qui ont séché au soleil en un moins d’un quart d’heure. J’ai enfin pu dépoussiérer la maison qui n’avait pas été ouverte depuis six mois à cause du Covid. Jacqueline nous a offert des haricots beurre de son potager, un délice,  et j’ai arrosé les géraniums de l’autre Jacqueline.

J’ai couru après un tube de blanc titane zinc, ayant cru bon de ne pas emporter celui de Paris, jugé trop lourd pour notre transhumance par le train. J’ai bien failli ne pas en trouver, les magasins ne sont pas approvisionnés comme avant l’épidémie. Je me voyais mal aller chez Périer à Genève, de l’autre côté du pont du Mont Blanc célèbre pour ses embouteillages.

L’impasse s’est vidée, période de vacances pour les habitants d’ici.  Il n’a pas fait très beau et même un peu froid, mais nous étions trop occupés pour le regretter. D’ailleurs la nature souffre de sécheresse et de chaleur même si jusqu’à présent nous n’avons pas eu de canicule comme ces dernières années. J’en ai profité pour lire. Depuis deux jours le soleil est revenu, cependant aujourd’hui quelques nuages d’orage traînent sur le Jura.

Une anecdote. J’ai pris un roman à la bibliothèque : Charlotte de David Foenkinos. Cette histoire romancée d’une jeune peintre talentueuse morte à Auschwitz m’a beaucoup intéressée. J’ai trouvé sur Wikipédia des images de ses tableaux et des personnages qui l’ont entourée   Arrivée à plus de la moitié du livre, je me suis aperçue que je l’avais déjà lu, et que c’était moi qui l’avais offert à la bibliothèque de la ville en 2014. Un choc ! J’ai compris pourquoi j’écris désormais des notes sur mes lectures aussi souvent que je le peux et les relis de temps en temps. Mais durant les mois d’été à Tougin, je préfère les baignades dans le lac…

Sur les conseils de Julien, Gilles a renoncé à sa déclamation du chant III de l’Iliade au festival d’Argenton-sur-Creuse. Le danger de contamination leur a paru trop important : voitures remplies, repas pris en commun, risque de mauvais temps et donc de devoir se retrancher à l’intérieur. Les circonstances ne semblaient pas de nature à respecter les gestes barrières. Dommage ! Il se réjouissait, ayant appris des centaines de vers par cœur et répété en visioconférence avec Xiaoli et Yanis pendant le confinement. Philippe Brunet cherche donc un nouveau Nestor.

Dernière minute : la démission de Gilles a provoqué un réajustement des mesures de précautions pour le festival. Du coup, il se propose de revenir sur sa décision. Á suivre…

Accrobranches

Forestand parc de loisirs, parcours aventure, accrobranche et ...

Il y a eu Marius et Ben. 13 ans. Ils sont arrivés par le train à Bellegarde.

Deux jours après, il y a eu Tom, 11 ans, et son père venus en voiture depuis Paris

Encore deux jours et il y a eu Romain, Noé et leurs parents venus de Grenoble.

Marius et Ben sont allés tout seuls explorer Genève, une carte TPG (Transports Publics Genevois) dans la poche : Ferney-Voltaire, frontière suisse, gare Cornavin, pont du Mont Blanc, horloge florale, jet d’eau, vieille ville, cathédrale Saint-Pierre et retour. Ravis ! Ils sont amis depuis la maternelle et aussi bavards l’un que l’autre.

Tom n’a pas non plus sa langue dans sa poche. On aurait cru entendre une volée de moineaux. Tous les trois, accompagnés de Julien, ont fait une via ferrata, parcours aménagé de cordes et de ferraille sur le fort l’Écluse. Un ancien fort militaire percé dans la montagne au XIXe siècle pour la défense de la vallée lémanique. Huit cent quatre-vingts marches en souterrain avant d’atteindre le lieu d’escalade. L’après-midi, ils ont enchaîné avec le Mont Mourex (trois kilomètres de presque plat depuis le parking, une vue magnifique sur le Mont Blanc et le Jura à l’arrivée ). Un lieu évocateur de cérémonies druidiques.

Les soirs, de mémorables jeux, parties de cartes et petits bacs prétextes à d’innombrables blagues et réflexions de leur âge,  savoureuses et inattendues.

Marius et cie, mais aussi Noé arrivé le samedi ont parcouru le circuit d’accrobranche de la Faucille, non pas la vertigineuse tyrolienne, la plus longue et la plus rapide d’Europe, mais tout de même un circuit un peu costaud.

On a fêté avec quelques jours d’avance mon anniversaire. Ils ont eu l’élégance de me faire souffler une seule bougie (une grosse…). Marius a cuisiné un saucisson brioché et Emmanuel des tartes aux abricots et aux myrtilles. Une bonne soirée qui n’a pas pu être prolongée pour cause de Covid ; il n’aurait pas été sage d’entasser tout ce petit monde dans la maison pour la nuit. Les Grenoblois sont rentrés chez eux après le dîner.

Sont restés Julien et Tom, qui ont voulu terminer leur exploration des accrobranches du pays de Gex par celle de Divonne. Selon Tom, c’est la meilleure.

Pendant ce temps, Gilles et moi sommes allés nager tous les jours dans le Léman. Le jeudi, forte bise et vagues.

Ils vont partir demain et comme à chaque fois, nous nous retrouverons tous les deux dans la maison silencieuse. Ça fait toujours bizarre.

Je mettrai en route mon atelier pour une autre vie…

Retour à Tougin

 

En raison du confinement, nous n’avions pas pu venir comme chaque année à Pâques, ni durant les grands week-ends de mai et de juin, et le jardin était en friche. Heureusement, par deux fois notre voisin Marcel l’avait fauché comme il avait pu, mais les allées disparaissaient sous les herbes. Vous n’imaginez pas combien un si petit jardin demande d’efforts pour que les rosiers, le plant de pivoines, les œillets de poète, les anémones du Japon n’étouffent pas sous l’herbe à chat, le plantain, le lierre et j’en passe…

Nous nous y sommes mis avec une assiduité décuplée par l’inaction des deux mois d’immobilité forcée. Une fin de printemps pluvieuse avait été bénéfique au rosier de Monique, au rosier grimpant, couvert de boutons. Les agapanthes n’avaient pas trop souffert, mais les feuliles du lilas se recroquevillaient dangereusement,  il fallut d’urgence le décharger de ses innombrables fleurs montées en graines. Je l’ai d’autant plus bichonné que Jacqueline, la femme de Marcel, nous en avait envoyé une photo (ci-dessus) quand nous nous languissions à Paris, parcs fermés et laissés à l’abandon. Il nous avait ravis à distance, rayon de soleil dans notre univers de bitume. Je lui devais bien ça.

Il fallut racler, arracher, tailler, se rendre plusieurs fois à la décharge avant de pouvoir replacer les tables, le fauteuil de jardin et les parasols. L’espace semble agrandi depuis que Gilles a sacrifié plusieurs  branches du prunus et du figuier. Si on la laissait faire, la nature aurait vite fait de vous chasser de chez vous.

Maintenant nous pouvons recevoir nos amis pour des repas en plein air, condition nécessaire pour éviter la contagion.

Heureusement, un temps chaud et clair nous a permis d’aller nous baigner au Léman, la frontière suisse s’étant rouverte le 15 juin. Quel plaisir de nager dans une eau fraîche et dynamique, d’aller ensuite déguster une glace faite maison à la buvette du port ! Mais je crois que cette année nous mettrons un peu plus de temps à nous réinstaller. Dans les magasins en ville, les masques et  le lavage des mains au gel hydroalcoolique ne sont pas aussi systématiques qu’à Paris, mais nous préférons nous y astreindre. Avec les voisins, nous obéissons aux gestes barrières. L’autre jour au milieu de la rue, nous formions une ronde avec l’impression d’être retournés à l’école.

Et comme toujours, le Jura déroule ses crêtes, comme indifférent à l’agitation de la plaine. Pourtant, je remarque que les hêtres remplacent de plus en plus les sapins sur la pente sud. On a tendance à croire la nature immuable. C’est une illusion, elle est fragile !

 

 

Paris-Tougin.

 

 

Fermé l’atelier dimanche et l’appartement lundi. Gros travail.

Dimanche, élections. Anne Hidalgo a été réélue maire de Paris sur une liste qui comprenait beaucoup d’écologistes. On ne peut pas dire qu’elle ait jusque-là bien géré la ville, une des capitales les plus sales d’Europe. Beaucoup de gâchis. Il semble qu’elle ne soit pas apte à surveiller ses sous-traitants : Vélib, ordures ménagères, nettoyage. Obsédée par le vélo sans pour autant encadrer ses adeptes qui roulent sur les trottoirs et brûlent les feux rouges, elle veut supprimer la circulation automobile. Pourtant les transports publics sont tout à fait insuffisants. Enjeux entre la région de Paris à droite et la ville de Paris à gauche, les deux dames, Hidalgo et Valérie Pécresse s’y font une guerre sans merci. De plus Paris est devenu une sorte de terrain de jeux, pour la banlieue, pour un tourisme de masse non maîtrisé, pour des manifestations de rue continuelles et souvent violentes dont la régulation dépend du gouvernement. On y travaille de moins en moins. Depuis deux ans, entre les gilets jaunes et les grèves, beaucoup de commerces ont dû fermer sans que leur détresse soit vraiment prise en considération.

Nous avons traversé le jardin des Halles à une heure de l’après-midi pour prendre le RER. Beaucoup de jeunes travailleurs déjeunaient au soleil assis sur les banquettes en ciment.  Ils fuyaient ainsi les espaces confinés des restaurants et des cantines, respectant plus ou moins les distances de sécurité. Sympathique ! Mais je n’arrive pas à me faire aux clochards et aux désœuvrés venus de banlieue. Ils sont agglutinés en groupes bruyants, canettes de bière à la main et abandonnent des déchets partout sans la moindre vergogne et sans qu’on leur dise quoi que ce soit.

Il faut espérer que les écologistes vont améliorer la situation, mais ils ne sont pas connus pour savoir gérer une ville, obnubilés par des idées toutes faites dans le genre, comme à Grenoble, de laisser les mauvaises herbes envahir les caniveaux au point de ressembler à Tchernobyl.

Nous n’étions pas fâchés de partir. Gare de Lyon : beaucoup de voyageurs assez obéissants côté consignes de sécurité. Nous avons pu entrer sans attendre dans le train, les billets lus à distance. Masques obligatoires et pour nous, personnes « vulnérables », chapeaux et lunettes. La contrôleuse a rappelé à l’ordre un usager dont le masque ne couvrait pas le nez. Beaucoup de jeunes, manifestement décidés à rentrer dans leurs familles grâce au déconfinement et aux vacances de juillet. Vous dire qu’on se sentait en sécurité serait pourtant excessif.

Dans le car, même atmosphère ; il n’était pas facile de savourer comme à chaque retrouvaille le déroulement des crêtes du Jura et ce fut un soulagement lorsque nous sommes arrivés chez nous.

Nous avions été invités à dîner dès ce premier soir chez Agnès et Wifrid. Wifrid et Armand leur fils sont venus nous chercher. Figurez-vous que nous étions tellement heureux de nous retrouver qu’oubliant tout nous nous sommes embrassés, faisant fi de toutes les précautions auxquelles nous nous astreignons depuis tant de mois. Le jeune Armand a tout de même eu un geste de recul.

La soirée a été délicieuse, le repas succulent. Tant de choses à nous raconter…

Paris, après cinq semaines de déconfinement.

 

Non, ce n’est pas encore comme avant. Il est probable d’ailleurs que ce ne sera plus jamais comme avant.

Le virus, bien que maîtrisé pour le moment, continue de circuler. Et la vie reprend vaille que vaille. Une certaine nervosité apparaît çà et là dans les comportements. Les bicyclettes recommencent à rouler sur les trottoirs, brûlent les feux rouges. Les embouteillages sont fréquents. Beaucoup de stations de métro sont fermées et les autobus circulent parfois avec une irrégularité éprouvante. On parcourt des kilomètres à pied dans un vacarme oublié durant deux mois. Les magasins sont loin d’être pris d’assaut à l’exception de quelques uns comme le Made.com au pied de chez nous et sa queue de cinquante mètres sur le trottoir. Il vend des meubles prisés par les jeunes bobos.

Dimanche matin, je suis allée voir les préparatifs du concert de Jean-Michel Jarre annoncé pour le soir au Palais-Royal, fête de la Musique oblige. En fait, il avait été enregistré durant la semaine ; il ne restait plus que quelques caisses de matériel et un grand rideau noir suspendu aux galeries du ministère de la Culture. Dans le jardin qui reprend peu à peu forme un groupe silencieux de retraités pratiquait le taï-chi, comme pour conjurer le sort. L’avenir est sombre, l’économie plonge et la récession s’annonce douloureuse.

Le jardin des Halles tourne de plus en plus à la Cour des Miracles. S’y retrouvent des jeunes de banlieue venus faire la fête, des drogués, des clochards. Ils abandonnent sur le sol et sur les banquettes en béton des bouteilles vides, des barquettes en plastique plus ou moins dégoulinantes de nourriture, des vêtements, des masques usagés et même des chaussures. On voit revenir des jeunes émigrants plus perdus et obstinés que jamais. Où étaient-ils pendant le confinement ? Ont-ils été malades ? Un corps allongé sur un matelas a attiré mon attention. Des boucles de cheveux blancs dépassaient d’une couverture ; une femme âgée, yeux clos dans un visage marqué par le soleil et les rides. Quelle tristesse ! Le confinement semble avoir fait des dégâts chez les personnes précaires, dont on n’a pas encore une idée bien nette.

Je voulais retrouver Antoine à la sortie de la messe de 10 h à Saint-Eustache. Je n’ai pas vu l’habituel mendiant et son chien. La porte était fermée. J’avais cru les cultes autorisés à reprendre leurs activités. Il est probable que la réunion des évangélistes de Mulhouse a rendu la communauté scientifique et médicale méfiante.

J’ai continué par le marché de la rue de Montmartre ; ses commerçants étaient à peu près tous revenus. Il y avait pas mal de monde. L’étal de fruits et légumes derrière un rideau de plastique brillait dans la lumière. J’ai sorti mon smartphone de ma poche. Le temps que je me batte avec sa mise en route, la jeune vendeuse était devant moi. Je l’ai cadrée  : « Je peux ? » Elle a hoché  négativement la tête. « Dommage, vous êtes tellement mignonne derrière vos fruits ! » Elle m’a dit, après un silence étonné : « Vous ne voulez pas m’acheter des cerises ou des fraises, ma chérie ? » Mais je savais que Gilles allait en rapporter pour le déjeuner. Elle s’est écartée et j’ai touché la pastille de l’écran.

Dans la petite foule, je me suis aperçue que j’avais croisé un voisin ; nous ne nous étions pas salués. Une seconde d’étonnement, et je me suis rappelé qu’il ne sortait jamais sans sa casquette sur les yeux, son masque sur le nez et des gants de plastique. Comment aurait-il pu s’approcher d’une personne sans masque ? L’épidémie permet de relativiser les comportements…

Le soir, Paris vibrait de musique. Je ne suis pas sortie, mais j’entendais des cris de joie. Espérons que cette parenthèse dans les mesures de distanciation n’aura pas de conséquence sanitaire.