La digue de Wimereux.

 

Partira ? Partira pas ? Gilles avait répété durant des mois le Chant III de l’Odyssée pour le festival d’Argenton-sur-Creuse. Mais il y a quelques semaines, Julien très inquiet lui a téléphoné estimant que ce n’était pas raisonnable. En effet, aucune précaution n’avait été prise pour la sécurité de la troupe et il considérait le risque trop important, compte tenu de l’âge de son père. Gilles après moult réflexions avait donc annulé sa participation. À la suite de quoi, Philippe Brunet le metteur en scène avait mis en place une longue série de directives, rassurant ainsi Gilles qui avait demandé s’il « pouvait retirer sa démission. » Proposition acceptée avec humour et sérieux. Véronique la directrice du festival, confirmant qu’il n’avait pas à mettre sa vie (et la mienne) en danger décida qu’il dormirait une seule nuit à Argenton isolé de la troupe, et voyagerai avec Violette après tests de laboratoire.

Malgré les réticences de Julien qui aurait bien voulu nous savoir tranquillement à Tougin, nous sommes partis et nous en avons profité pour monter dans le Pas de Calais voir la famille de Gilles avant d’aller à Paris.

Sept cents kilomètres d’une traite ! Le Jura, puis l’autoroute, Reims, Amiens, Arras, et enfin Boulogne, après beaucoup d’arrêts, pas trop de circulation et beaucoup de Nordiques. Ah, la splendeur de l’arrivée, la mer au loin, la lande, les arbres ployés par le vent ! Nous nous sommes glissés sous la voûte des saules pour nous immobiliser devant la ferme aménagée de Philippe et Catherine, isolée dans les marais, chaulée de blanc, encadrements de fenêtres verts, toitures orangées, éclairée par le soleil du soir. Un univers si différent de notre Pays de Gex ! Ce fut deux jours de balades, de visites au cap Gris nez, dans la vieille ville de Boulogne, pays natal de Gilles.

Mais surtout Wimereux, la digue et la mer ! Nous y avons retrouvé sa sœur Nicole et Serge qui venaient de fêter leur « soixante-dix ans » de mariage, leur fils Régis et sa famille, dans leurs maisons en bord de mer. Nous avons pris l’apéritif au soleil déclinant à l’abri du vent. Énormément de monde sur la digue, comme si le coronavirus n’existait pas.

Le matin du départ, nous nous sommes baignés dans les rouleaux éclaboussés de lumière. Superbement dynamique ! Cette côte autrefois plutôt froide et pluvieuse bénéficie aujourd’hui du changement climatique. Nous avons quitté Philippe et Catherine, leur accueil généreux, la cuisine savoureuse de Catherine pour nous enfourner dans l’autoroute jusqu’à Paris et ses embouteillages. Contraste impressionnant ! Travaux, poussière, flottement dû au Covid. On peut seulement espérer que Paris, sans la culture qui la définit, les théâtres, les musées ne basculera pas dans un laisser-aller triste et sans grâce, une paralysie mortifère. Elle risque de drainer les mécontentements de la France entière en manifestations incessantes, de devenir un cul-de-sac, un refuge illusoire pour les sans espoir et les laisser-pour-compte de l’effondrement économique. Paris est très fragile dans le contexte actuel. Saura-t-elle résister à l’adversité ?