Une si jolie petite plage.

Ayant laissé nos enfants partir devant, nous les avons rejoints à Céligny sur la rive suisse du Léman. Cette charmante petite plage à l’abri des regards et de la route est connue des seuls initiés, le plus souvent anglais et allemands venus des organisations internationales environnantes : ONU, BIT, CERN, OMC etc. Les enfants n’ayant pas pu y pénétrer, avaient envoyé un message pour nous informer qu’ils se baignaient sur les rochers du port.
En effet, une jeune fille revêtue d’un gilet aux couleurs de la commune nous annonça avec un large sourire qu’en raison du Covid la plage ne pouvait pas accueillir plus de « septante personnes ». Heureusement les baigneurs rentraient chez eux. Après seulement cinq minutes d’attente, nous avons pu entrer et profiter des installations qui ont remplacé cette année les anciennes baraques vétustes. Luxe suisse : sanitaires en acier frotté, carrelage gris perle, bouteille de gel hydroalcoolique devant chaque porte.
Le bain fut délicieux, l’eau un peu trop chaude après un été presque caniculaire, mais tout de même revigorante. Les vagues d’une petite bise nous obligeaient à lever la tête. Nous sommes remontés vers la pelouse en boitillant sur les graviers, les enfants à l’entrée de la jetée nous faisaient des signes pour nous inciter à les retrouver à la buvette.
Alors que je me dirigeai vers le banc un peu caché le long du mur afin de me changer, un homme d’une trentaine d’années à la taille débordante de bourrelets me prit de vitesse. Il y posa discrètement un narguilé et ses accessoires avant de s’y asseoir avec la certitude de sa priorité masculine. Notre région attire les ressortissants des Émirats arabes et de l’Arabie saoudite. J’aurai pu continuer vers les sanitaires, mais après un instant d’hésitation je me suis installée à l’autre bout du banc et je me suis rhabillée sans complexe. Imaginez le tableau !
Nous avons retrouvé les enfants devant la buvette. Alors qu’ils passaient commande au bar, une place à l’ombre se libérait. Je demeurai debout pour la réserver quand j’eus la surprise de sentir une certaine hostilité provenant du groupe qui se levait. Une femme tout en rangeant ses affaires s’écria sans me regarder avec un fort accent suisse :
— Vous êtes amendable ! Allez-vous-en !
Comme je ne comprenais pas, son compagnon m’incita à me replier sur la digue. Un peu plus loin, le gérant de la buvette pointait vers moi un doigt accusateur :
— Je vous ai à l’œil !
Constatant ma surprise, il s’approcha. Croyant que je ne parlais pas français, il m’expliqua avec des gestes que je devais porter un masque. Il ajouta, plaçant la main à bonne hauteur :
— Vous pouvez le retirer une fois assise ! Il y va de ma patente
Je me suis excusée platement. Le panneau de mise en garde avait été caché par la queue devant le bar.
Sitôt les tables libérées nous nous sommes installés sur la terrasse au-dessus de l’eau, heureux de savourer ensemble cette belle fin d’après-midi, de nous repaître des Alpes ensoleillées. Mais, je suis restée un peu perplexe. Je me souvenais qu’en février les Suisses s’étaient confinés d’eux-mêmes sans la moindre coercition. Ils avaient suscité en Europe une certaine admiration pour leur sens civique et pour leur faible taux de contamination. Était-ce une erreur ou avaient-ils changé de politique sanitaire ?