Rue Montorgueil.
La rue Montorgueil bénéficie d’une place tout à fait particulière dans la vie du quartier. Piétonne et commerçante, elle part des Halles pour arriver rue Réaumur sous le nom de rue des Petits Carreaux. Elle passe du premier au deuxième arrondissement en traversant la rue Étienne Marcel. C’est dire son importance, du moins pour nous, habitants du centre de Paris, rive droite. Son architecture ne paye pas de mine, mais elle regorge de trésors pour qui sait regarder.
Elle conduisait vers une hauteur (actuellement quartier Bonne Nouvelle), un si petit mont qu’il lui valut au Moyen-âge par dérision le nom de Victus Montis Superbi. Elle est citée sous le nom de « rue de Montorgueil » dans un manuscrit de 1636 : « ordre, boueuse, avec plusieurs taz d’immundices. » Prolongement des Halles, elle resta jusqu’à leur démolition, plus associée aux récits de Victor Hugo dans les Misérables, qu’aux allées et venues des calèches sur les Champs Élysée.
Elle a cependant ses lettres de noblesse. Autrefois point d’arrivée de la pêche, le restaurant le Rocher de Cancale en a gardé le souvenir. L’Escargot Montorgueil, auparavant l’Escargot d’or a vu et voit toujours défiler des célébrités : Sarah Bernhardt, Marcel Proust, Georges Feydeau, aujourd’hui des chanteurs et des acteurs, amateurs d’escargots de Bourgogne. La pâtisserie Stohrer, la plus ancienne de Paris, à qui l’on doit l’invention du baba au rhum, fut depuis sa fondation en 1730 un lieu incontournable pour tout souverain britannique en visite à Paris. Lors de sa dernière visite officielle à Paris, le 6 juin 2014, la reine Élisabeth d’Angleterre tint à venir en personne. Tout le quartier était sorti pour la voir.
Aujourd’hui piétonne, trottoirs pavés de blanc, la rue Montorgueil a perdu ses marchandes des quatre saisons et ses musiciens ambulants, mais elle a gagné des terrasses de café, nombreuses et accueillantes. Un peu plus propre qu’au XVIIe siècle, mais pas tellement – la mairie de Paris qu’elle soit de droite ou de gauche n’est pas très regardante côté mégots et crottes de chien, sauf en période électorale – elle demeure pittoresque. Dans une rue adjacente, la rue Tiquetonne, le magasin « G. Detou », connu de tout Paris, vend une multitude d’ingrédients pour une cuisine fine, originale et savoureuse.
La rue Montorgueil fait partie de notre univers. Gilles va tous les jours y faire les courses. Il y a son boucher, son marchand de légumes, son marchand de fromage, son boulanger. Ce dernier est parti récemment pour s’installer en province. Une mode depuis la pandémie. Toute l’équipe a changé, ce qu’il a un peu considéré comme une trahison. Il croise des voisins. On se salue discrètement, on discute un peu.
Lieu de rencontre, on y voit aussi bien des touristes que des personnes âgées, des jeunes en bande, des mères avec leurs poussettes et désormais des bobos qui s’installent dans le Sentier grâce à des prix presque abordables. J’y vais moins souvent que lui, pour des achats chez le quincaillier par exemple ou pour me rendre chez mon médecin niché au fond d’une cour tranquille. Mais ce samedi après-midi, la petite pharmacie de la rue voisine était fermée et j’ai poussé vers celle de la rue Montorgueil.
En sortant du porche, j’ai mis un certain temps avant de réaliser qu’il y avait du changement dans l’air.
Les magasins étaient encore fermés par ordre du gouvernement. Pourtant, une foule de jeunes, venue je ne sais d’où, déambulait sur les trottoirs de la rue Étienne Marcel avec une étrange allégresse. Un vent léger soulevait les cheveux, le soleil brillait, et plus j’avançais, plus je voyais de garçons et de filles se conter fleurette, appuyés contre un mur, assis côte à côte sur un rebord de boutique, blottis dans l’embrasure d’une porte, presque tous sans masque. Les visages vibraient, les cheveux frétillaient, les bouches riaient. Ils s’embrassaient avec ferveur, comme s’ils avaient failli mourir de soif. Des groupes se formaient. Les filles roucoulaient, les muscles se tendaient sous les chemisettes des garçons. Les corps se déliaient.
Le printemps était arrivé ! La foule avait oublié les mois de tristesse, de précautions, d’interdictions, elle savourait la liberté, et la rue Montorgueil éclatait de vie dans un défilé ininterrompu de jeunes heureux et rieurs qui faisaient plaisir à voir et à entendre.
Dans la pharmacie
Ce matin-là, j’étais entrée dans ma pharmacie habituelle, une petite officine. La pharmacienne, la cinquantaine, petite brune robuste est au courant de tout ce qui se passe dans le quartier. Elle peut anticiper un renouvellement d’ordonnance, connait les médecins à cinq cents mètres à la ronde. Pas docte pour deux sous, elle mène sa barque avec Sophie, une jeune métisse discrète et placide, et donne des conseils souvent judicieux. La proximité des Halles et de sa faune met parfois son autorité à rude épreuve, mais son sens des valeurs ne s’en trouve jamais entamé.
J’ai dû attendre, car elle se préparait à pratiquer un test antigénique dans le réduit aménagé sous l’escalier. Distraite, je n’avais pas vu la petite fille agrippée à la robe de sa mère, une grande noire, vêtue d’une tunique colorée, coiffée d’un turban. La femme n’était plus de première jeunesse. Son visage marqué par la vie manifestait une inquiétude qui agitait l’enfant. Elle parvint à s’en détacher et à s’asseoir sur la chaise. L’enfant, deux ou trois ans, cheveux dressés sur la tête en petites tresses ornées de perles, plantée à côté du rideau regardait la scène avec le plus grand intérêt.
J’entendis alors des mouvements, des petits cris et une protestation : « Comment voulez-vous que j’y arrive si vous vous reculez ? ». Les cris s’amplifièrent. La petite fille regardait pétrifiée. Quand ce fut fini, la femme émergea du rideau, le visage mouillé de larmes. « Vous aurez les résultats dans 15 minutes. Vous pouvez attendre dehors », lui dit la pharmacienne. Je restais perplexe, par expérience, je sais que l’opération n’est pas si douloureuse que ça. La femme s’immobilisa et attendit debout dans la boutique. La petite fille attirée par des tubes de rouge à lèvres sur un présentoir chercha à les attraper. La mère voulut la retenir, en vain, les objets à sa portée étaient bien trop tentants.
La pharmacienne qui commençait à lire mon ordonnance sursauta et s’excusa. Elle revint vers elle pour lui montrer un banc sur le trottoir d’en face. La femme résista un moment, puis bon gré, mal gré, finit par sortir. D’habitude, peu avare pour râler contre les clients importuns, ma pharmacienne ne fit aucun commentaire. Pourtant la situation s’y prêtait. La patiente avait probablement des raisons pour se faire tester et risquait fort d’être positive à la Covid. Elle ne pouvait pas rester durant un quart d’heure dans un si petit espace. Je m’étonnais de ce silence, le mettant sur le compte de la discrétion professionnelle.
Comme je sortais, je vis l’enfant qui jouait sur le large trottoir et la mère assise sur le banc. Celle-ci me regarda d’un air interrogatif. Je me suis demandé si elle parlait français.
Au retour, j’ai raconté l’aventure à Gilles. Il m’a dit : « Je crois que cela peut faire très mal à certaines personnes. Ça dépend des gens ». Et j’ai repensé à ce qui s’était passé.
Ma pharmacienne m’avait plusieurs fois tenu des propos désobligeants à l’égard des noirs du quartier. Il est vrai qu’ils sont assez énervants à squatter les allées du jardin des Halles, musique à toute pompe. Par ailleurs, chaque samedi le quartier avait été contraint de se barricader durant les manifestations de l’hiver 2019. Portée sur les généralisations, juive et fière de l’être, craignant pour son officine, elle m’avait évoqué un antisémitisme sous-jacent chez les gilets jaunes.
J’ai du mal à évaluer la part de racisme, autant chez moi que chez tout un chacun. Le rideau m’avait cependant laissé entrevoir la tête de la femme noire acculée contre le mur du fond, la pharmacienne n’y était pas allée de main morte ! Était-ce vraiment un acte médical sans intention particulière ? Je me suis demandé comment la femme et sa petite fille l’avaient ressenti. N’était-ce pour elles rien de plus qu’un événement comme un autre ? Pourquoi écrire ces lignes ? Quelle en est la part de subjectivité? Pourquoi vouloir les partager avec vous ? Vous l’aurez compris, toutes ces questions m’ont laissée songeuse.
Le métro.
Il y a quelques années, le ministère de la Défense s’est regroupé à Balard, à la limite de Paris, dans de nouveaux bâtiments construits en hexagone à l’image du pentagone US. Très vite, la ligne 8 du métro, la mienne, s’est retrouvée saturée chaque soir.
Peindre est fatigant. Je travaille debout, j’avance, je recule des centaines de fois, je vais et viens pour recharger ma palette, prendre un chiffon. Avant de partir, je dois revisser à fond mes tubes de peinture pour qu’ils ne sèchent pas, nettoyer mes pinceaux, les savonner pour qu’ils conservent leur souplesse. J’ai à peine le courage d’enfiler mon manteau que je me retrouve compressée dans une foule, les jambes en marmelade, le nez dans une chevelure ébouriffée, mon sac comme seul rempart aux coudes envahissants.
Pourtant j’aime cet entourage et ce retour commun après une journée de travail. J’aime côtoyer ces jeunes ou moins jeunes, j’aime entendre leurs conversations, j’aime leur patience. Je me vois souvent proposer une place assise. Je remercie d’un « Comme c’est gentil ! ». J’aime le regard discret et modeste en réponse à mon sourire. Ils me nourrissent de leur vitalité et j’imagine des retours à la maison, les retrouvailles avec le conjoint et les enfants, le dîner à préparer, les devoirs à surveiller. Je devine des amours, des ruptures, des tendresses, des scènes de joies ou de disputes, la vie, la vraie vie ! Avec des hauts et des bas, la plupart du temps courageusement assumés.
Pourtant, ces dernières années, la foule est devenue trop dense et j’ai cherché une alternative à mon atelier. J’ai même pensé m’installer à Tougin toute l’année, ce qui présentait des avantages à bien des égards. Mais j’apprécie trop Paris, la vie de ses rues, les rencontres qu’on y fait, les événements inattendus qui agrémentent des semaines toujours différentes.
Au début de l’année dernière, le métro est devenu plus problématique encore. On parlait d’un mystérieux virus se transmettant par voie respiratoire. On entendait des toux inquiétantes dans la foule compressée et personne ne possédait de masque. Je me suis efforcée de tourner le dos à mes voisins, de diriger mon nez contre la vitre de la porte du fond. Puis j’ai rusé, j’ai pris la ligne 10, moins encombrée, je suis descendue à Odéon et j’ai traversé la Seine et les Halles à pied, une aventure quotidienne exténuante.
À la mi-mars, ce fut le confinement général. On sortait de chez soi pour une promenade limitée à une heure. Plus d’atelier, donc. J’en ai profité pour modeler des petites céramiques à la maison. Je dois avouer que le printemps et le soleil aidant, je n’ai pas vraiment souffert. Notre âge étant le plus menacé, il fallait faire attention aux facteurs de contagion, c’était le gros de nos préoccupations. Et je pensais aux travailleurs du métro, contraints de rester chez eux, pour beaucoup moins bien logés que nous, à la difficulté de vivre avec des enfants bridés dans leur vitalité.
En juin, le confinement s’est desserré. Enfants à l’école, télétravail, attestation d’entreprise pour s’éloigner de chez soi, j’ai pu reprendre le métro. Quel changement ! Je ne l’avais jamais connu aussi vide. Quel plaisir de pouvoir s’asseoir à distance les uns des autres ! Les autobus ne bouchonnaient plus aux portes de Paris, finies les attentes interminables dans les abribus qui n’abritent de rien. Et le mois de juin a passé dans une certaine allégresse, d’autant plus que les terrasses de café ayant rouvert, on pouvait s’y retrouver entre amis, masques sur le nez. Nous sommes partis en juillet pour Tougin sans l’impression d’avoir à fuir Paris.
Le retour de septembre se fit sans histoire, les employés du ministère toujours en télétravail.
Le reconfinement de novembre n’a pas non plus ramené la foule des travailleurs dans les transports en commun, malgré le couvre-feu de 18 heures. Depuis, vaccinée, je savoure sans retenue mes retours confortables. Je m’assieds de préférence à côté de la porte. À chaque station, avec sérénité, je sens l’air s’engouffrer dans la rame et balayer les miasmes. Depuis quelque temps, on voit revenir des touristes, des jeunes qui ne prennent pas toujours les précautions nécessaires, mais pas suffisamment nombreux pour encombrer la ligne 8.
Comment ne pas penser à la sagesse populaire : À quelque chose malheur est bon ? En tous cas, pour moi et pour le moment ! Touchons du bois, et n’oublions de nous laver ensuite les mains au gel hydroalcoolique.
Le jardin du Palais-Royal
L’épidémie vous engourdit la tête et les membres. Le printemps est arrivé sans que j’y prête vraiment attention. La floraison du prunier décoratif de la rue du Louvre m’avait presque échappé et je venais juste de remarquer les feuilles d’un vert tendre qui commençaient à revêtir d’une toison aérienne les branches sombres des arbres plantés à chaque coin de rue par notre mairie écologique. Ce matin-là, j’étais un peu fatiguée, mais le ciel était clair. Je me suis poussée pour traverser la place des Victoires et je me suis engagée dans le passage de la rue des Petits-Champs. J’avais seulement l’intention de m’asseoir un quart d’heure dans le jardin du Palais-Royal, histoire de voir où en étaient ses floraisons et savourer le soleil sur ma peau.
En fait, j’arrivais un peu tard pour les fleurs de magnolias, ils avaient semé leurs larges et étonnants pétales sur les tiges défleuries des narcisses et des jonquilles. Dans les parterres du centre, des tapis de tulipes blanches les avaient remplacées, la dentelle délicatement rosée de leurs rangs serrés frémissait à la lumière du printemps. Je méditais dans le petit jardin clos, quand me parvint dans une demi-conscience une conversation provenant du banc voisin. Une femme disait « Tu vois, c’est là qu’habitait Colette. » Je me suis tournée. Elle tendait le doigt vers la façade au-dessus du passage. « En haut ? » demanda son amie. « Non, au premier étage, la grande fenêtre ! » Soixante-dix ans après sa mort, l’ombre de la dame à l’accent bourguignon, aux écrits subversifs et hédonistes plane encore sur le Palais-Royal ! Longtemps, longtemps, après que les poètes ont disparu, leurs chansons courent encore dans les rues.
Quand je me suis levée, un peu plus loin, du côté du théâtre, un groupe s’agitait avec lenteur. Du taï-chi ! Une activité que j’avais un peu pratiquée autrefois. J’ai voulu voir si je reconnaissais quelques mouvements. Je me suis plantée sous les tilleuls et leur tout nouveau feuillage pour regarder la petite troupe masques sur le nez, à distance anticovid, arrondir les bras et les jambes, pivoter, tendre le corps et les mains vers le ciel, s’accroupir, se reculer, s’avancer dans une synchronisation remarquable. Beaucoup de cheveux blancs, quelques jeunes femmes, on ne me prêtait aucune attention. Je me suis souvenue de la concentration indispensable pour le bon déroulement des séquences. L’animatrice, une femme d’une quarantaine d’années, vêtue de lin tissé les avaient laissés faire. Elle les félicita, puis elle leur proposa de poursuivre avec d’autres enchaînements : « Tigre, singe, cheval… » J’aime cette danse lente ancrée dans la nature, qui se tend et s’arrondit, s’élève et s’abaisse en mouvements alternatifs et complémentaires. Si j’ai arrêté, c’est parce que mine de rien, le taï-chi demande de l’espace, le tapis du living ne suffit pas et les prairies ne sont pas toujours à disposition.
Un peu plus loin des jeunes filles s’entraînaient à la boxe française. Jolies, queue de cheval de sportives, moulées dans des combinaisons de néoprène, elles lançaient leurs gants de couleur sur ceux du moniteur. De temps en temps, elles projetaient un pied jusqu’à son visage et le moniteur leur disait et répétait « Vous devez vous tenir à distance, vous approchez, mais vous vous tenez à distance… ». Je pensais à la lascive Colette et je pensais que le féminisme prenait des chemins variés. Il émanait de ces jeunes, un dynamisme bien différent du groupe de retraités et de leur lent taï-chi. À deux pas, le carré grillagé des mamans résonnait de cris et de rires enfantins qui semblaient éternels.
De part et d’autre de l’enclos des petits, j’avais vu disparaître les grands arbres devant la fenêtre de Colette et cela m’avait fendu le cœur. Des arbres maigrichons les avaient remplacés. Était-ce les mêmes ? Ce jour-là, j’ai eu la surprise de découvrir deux marronniers d’Inde en pleine force juvénile. Parmi leurs feuilles en éventail, de grosses fleurs se dressaient et s’ouvraient, doucement, comme si elles ne voulaient pas gâcher le plaisir de mettre le nez dehors.
Je suis rentrée revigorée et bien décidée à résister à la léthargie qui nous imprègne depuis le confinement.
Sorti du coma.
Antoine est sorti du coma. Quand la sonnerie a retenti et que j’ai lu le nom de son père sur l’écran de mon portable, mon cœur s’est serré. Mon doigt pesait des tonnes lorsque j’ai appuyé sur la pastille rouge. Au premier mot, j’ai deviné la bonne nouvelle et mon cœur a bondi. Antoine n’est pas encore debout, mais il est vivant ! Il a échappé à la Kère, comme disaient les Grecs dans l’Antiquité. La voix de son père vibrait d’un soulagement inexprimable. Le variant britannique, beaucoup plus virulent que le précédent, n’épargne plus les malades de l’âge d’Antoine et les médecins ne voulaient pas s’engager sur son pronostic vital. Partir à l’âge de quatre-vingts ans est dans la nature des choses, mais mourir à moins de cinquante ans, en laissant femme et enfant — je le sais par expérience — remplit d’effroi et de chagrin une famille et un entourage marqués pour toujours. Maintenant, on peut espérer qu’il n’aura pas de séquelles et que sa convalescence ne sera pas trop longue, qu’il pourra bientôt rentrer chez lui et retrouver l’affection des siens.
Quand j’entends minimiser l’épidémie, refuser les gestes barrières, et mettre ainsi en danger sa santé et celle des autres, je ne comprends pas. Comment peut-on être à ce point borné ? Mystère ! Je connais un de ces négationnistes, enfermé dans son entêtement, infecté par le coronavirus, accuser les antibiotiques et la cortisone de sa difficulté à respirer.
Le froid persiste. Le gel de la semaine dernière après une montée des températures jusqu’à 25° a déjà produit des dégâts énormes sur les vergers, sur les vignes de la France entière. On n’avait pas besoin de ça ! Le soutien de l’état sera indispensable à la plupart des cultivateurs. La dette de la nation était déjà faramineuse avant l’épidémie, comment pourra-t-on la rembourser ? On peut comparer cette hémorragie aux milliards dépensés en munitions et en morts d’hommes, de civils, d’infrastructures pendant les guerres. On peut aussi se dire que les agriculteurs ont tout de même de bonnes années derrière eux et que les vignerons possèdent des stocks excédentaires dus au confinement. Mais la crise économique actuelle ne peut qu’en être aggravée.
Quand il s’agit du changement climatique, on peut essayer d’inventer des solutions contre les dérives du monde contemporain, mais qui peut se vanter de baisser la température de son chauffage, de diminuer sa consommation de produits dangereux pour la planète, de prendre le moins possible sa voiture ? On est tous dans le même bain.
Les vacances scolaires ont encore vidé Paris d’une grande partie de sa population partie se confiner ou poursuivre son télétravail à la campagne. Hier, dimanche, sous la pluie, les trottoirs étaient désertés, une tristesse morose s’appesantissait sur la ville. Au jardin des Halles, peu d’enfants, mais les jeunes, beaucoup venus de proche banlieue faisaient contre mauvaise fortune bon cœur. Je suis toujours surprise de leur vitalité. Certains déambulaient un sandwich dans une main, un gobelet dans l’autre, la capuche sur la tête, le sourire et la plaisanterie aux lèvres. D’autres, masqués, discutaient entre deux averses, assis sur les banquettes qui bordent les allées.
Les vaccins vont bon train, on a hâte d’en finir avec la pandémie. En attendant, on aimerait voir arriver un vrai printemps, ni trop chaud, ni trop froid, ni trop pluvieux, ni trop sec. Mais il ne faut pas rêver !
En réanimation
La température a chuté de 17° en quelques jours. Dans la rue, les chemises légères, les bras et les jambes nues ont cédé de nouveau la place aux doudounes de l’hiver. Pour le moment le soleil brille encore, mais la neige est annoncée même en plaine. « En avril, ne te découvre pas d’un fil. » En effet !
Nous avons appris avec tristesse l’hospitalisation d’un de nos proches dans un service de réanimation. Il était pourtant jeune, la cinquantaine débonnaire. Il y a quinze jours, son épouse s’était inquiétée de l’entendre tousser. Elle avait appelé leur médecin de famille qui l’avait envoyé aux urgences. Hospitalisé et mis sous oxygène, il allait de mieux en mieux quand au bout de six jours son taux d’oxygène a brutalement chuté. On l’a alors placé sous coma artificiel et intubé. Après deux jours d’angoisse, son état s’est heureusement stabilisé. Les poumons seuls sont atteints. Jeune et solide, il devrait s’en sortir, mais les médecins ne savent pas combien de temps ça va durer. Son épouse et ses parents sont désormais autorisés à venir le voir. L’infirmière leur a dit qu’il ne sentait rien, mais qu’il entendait. Elle les a encouragés à lui exprimer leur affection, à lui parler des uns et des autres pour l’aider à résister à la maladie. Son père nous a expliqué que les courbes du monitoring bougent quand on lui parle. L’équipe soignante est admirable d’efficacité et d’humanité.
Bourré d’humour, son caractère avait quelque peu changé depuis plus d’un an. Il manifestait une sorte d’amertume qui l’amenait à tenir des propos étranges, jugeant l’épidémie inventée de toute pièce par l’industrie pharmaceutique et le gouvernement. Pourtant intelligent et brillant dans son métier, il refusait de se protéger. Son entourage avait exprimé son inquiétude à plusieurs reprises. Ce fut un coup de tonnerre lorsque nous avons appris sa contamination, on ne croit jamais que le malheur puisse frapper près de chez soi. Une solidarité sans faille a aussitôt entouré sa famille, la réaction spontanée de l’un d’entre nous fut cependant une indignation, mal venue vu les circonstances, mais compréhensible : « Non seulement, il se mettait en danger, mais il mettait en danger les autres ! ».
Depuis plus d’un an, en raison de la pandémie et du télétravail, il travaillait dans des conditions difficiles, aggravées par un patron qui intervenait constamment sur internet dans ses relations avec les clients, l’obligeant à louvoyer et à en faire toujours davantage. Il semble qu’usé par le travail, il ait été victime d’un burn-out. Dépressif, affaibli dans ses facultés de jugement et de réaction, il aurait été amené à nier la réalité.
Le télétravail, cette panacée contre le confinement, comporte des effets délétères dont on n’a pas encore mesuré l’importance. La difficulté de régler les degrés de communications efficaces, le manque d’humanité qu’entraîne la distance de l’image sont loin d’être négligeables. L’écran ne peut remplacer les odeurs environnantes, les bruits d’ambiance, la lumière du jour. Nos yeux, notre peau, nos oreilles ont besoin d’être concernés pour nous sentir véritablement en présence de l’autre. Nul doute que ceux qui ont tendance à abuser de leur pouvoir, le monde de compétition actuel de plus en plus exacerbé ne profitent de cette situation hors sol.
On peut espérer de tout cœur qu’il va se remettre aussi vite que possible et qu’il nous dira comme Bernard, le cousin de Gilles, plus âgé que lui, sorti indemne après des semaines de coma : « Je n’étais pas malheureux, je ne souffrais pas, mais j’ai l’impression d’avoir vécu durant ces moments une autre vie, une vie différente de la mienne ».
Nous avons fêté Pâques tous les deux, filet de bœuf aux girolles, petits œufs à la liqueur sur un nid de mousse au chocolat, café devant un bouquet de jonquille. Rendez-vous vidéo avec les enfants et petits-enfants, le lundi. Toujours bon à prendre !
Printemps
Le printemps s’installe, douceur d’après-midi.
Dimanche nous avons déjeuné chez Claudine et Philippe, en toute sérénité puisque nous étions tous les quatre vaccinés. Nous avons dégusté un repas raffiné (merci, Claudine) devant des baies vitrées éclairées par le soleil, sous un ciel d’un bleu d’aigue-marine. Plusieurs de nos amis parisiens logent comme nous dans des appartements en étage élevé, sous un ciel presque plus présent qu’à la campagne sans végétation pour le cacher, en compagnie des toits et des tourterelles, des arbustes et des fleurs en pot.
Nous avons beaucoup demandé des nouvelles des uns et des autres, peut-être pour retrouver cette humanité que les confinements Covid ont tendance à diluer, à distendre dans un magma de crainte et d’irréalité. Nous nous accrochions à des détails précis, au souvenir d’une maison, d’une attitude, de sentiments éprouvés. Une bienveillance, peut-être due à l’âge, certainement provoquée par l’expérience s’attardait sur des propos qui glanaient quelques minutes, quelques heures contre la solitude et les informations préoccupantes.
Oui, l’avenir se révèle de plus en plus préoccupant. Le taux d’infections flambe dans de nombreux départements en raison du variant britannique, tout particulièrement en Île de France. D’une centaine dans le sud-ouest, il dépasse les mille en Seine-Saint-Denis. Ce lundi, il est envisagé d’y fermer les écoles. Nous sommes actuellement les plus atteints de toute l’Europe, laquelle avait pris le parti pour la majorité des pays de serrer la vis en février, contrairement à nous qui avions misé sur le comportement responsable des Français.
Naturellement sur le Net, se déverse un flot de commentaires accusant cette banlieue d’un manque de sens civique, accusant les jeunes désœuvrés errant au pied des immeubles de propager la maladie, du poids des dealers dans la désobéissance. Difficile de nier que dans le métro ou aux Halles, il est fréquent de voir des personnes issues de l’immigration sans masque ou descendu sur le cou. Mais, nous savons aujourd’hui, que ce n’est ni dans les transports, ni dehors qu’on se contamine le plus, c’est en intérieur. Se réunissent-ils dans des espaces clos ?
Par ailleurs, comment ne pas penser aux employés de supermarché, au personnel soignant, aux livreurs et leurs entrepôts, aux préposés de la Poste, en contact permanent avec des foules anonymes et non testées, dans des espaces peu ventilés propices aux aérosols délétères ? Les caissières sont protégées par des plexiglas ; mais les manutentionnaires ? Comment ne pas rendre hommage à tous ces gens venus des quartiers dits difficiles, de la Seine-Saint Denis en particulier, qui ont maintenu et maintiennent la région parisienne à bout de bras depuis plus d’un an avec de maigres salaires, à ces travailleurs sans lesquels nous aurions beaucoup plus souffert de la pandémie. Ils logent dans ces mêmes quartiers. Peu de statistiques à ce sujet.
Les prochaines élections risquent de propager des slogans mensongers sur le terreau des confusions et des insatisfactions de l’année écoulée. J’espère que la France saura faire la part des choses !
En attendant, essayons de profiter des jours qui rallongent et du soleil printanier.
Troisième confinement
Jeudi dernier, discours de Jean Castex à la télévision. Le Premier ministre nous annonce un troisième confinement pour une durée d’un mois. Seize départements sont concernés dont l’Ile de France. Etrange ! On s’attendait au pire, il est désormais possible de sortir se promener aussi longtemps qu’on le désire dans la limite de dix kilomètres autour de chez soi. Les écoles restent ouvertes, avec quelques ajustements. Les restaurants et les lieux culturels restent fermés, les commerces « qui ne sont pas de première nécessité » ferment, cependant les fleuristes, les cordonniers, les coiffeurs et quelques autres dont les chocolatiers restent ouverts. La liste des prescriptions et des attestations remplit deux pages difficiles à lire. En gros, « Dehors, vous ne risquez rien ! »
Le vendredi, les Parisiens sans enfants scolarisés se sont rués vers leurs résidences secondaires. Le samedi , comme les autres week-ends, une foule tout de même un peu moins dense a envahi les bords de Seine et les jardins restés ouverts. De nouvelles directives nous ont avertis qu’une attestation de domicile ou une carte d’identité suffisait. La liste s’est raccourcie. Dans l’ensemble, on est dans le flou.
Logiquement, qui dit vaccin, dit immunité. C’est ainsi que, dimanche, nous sommes allés déjeuner chez de jeunes amis. Quelle respiration ! Ce fut une joie de nous retrouver autour d’une table avec des adolescents rieurs !
Hélas, le lendemain voilà qu’on nous annonce : « Même vacciné, il faut rester chez soi, garder son masque et maintenir les distances de sécurité ! » Nous pouvons éventuellement transporter le virus dans le nez, seuls nos poumons seraient immunisés. Aurions-nous été imprudents ? Retour en arrière : nous n’avons vu personne “en présentiel“ durant la semaine précédente, Gilles devant son écran, moi à l’atelier avec mes pinceaux. À l’extérieur, nous portons le masque. Le risque est minime pour ne pas dire inexistant ! C’est tout de même une leçon. Nous continuerons de nous rencontrer et même de déjeuner avec des amis, de notre âge et vaccinés, mais il faut protéger les générations suivantes en attendant de nouvelles études épidémiologiques sur la transmission du virus après vaccination. Pourquoi pas ?
Le soir, nous nous sommes retrouvés en famille, en visio. À Grenoble, pour le moment rien de changé. À Nogent, Julien et Thomas pratiquent le vélo à haute dose, en profitant des “parcours corona“. C’était bien agréable de se voir et s’entendre, de plus en plus détendus face aux écrans. Mais quelle différence avec le repas de midi, avec la saveur du bœuf à la coréenne, le parfum qui se dégage de l’assiette, la spontanéité des conversations, le tintement des cloches de l’église voisine, l’expression des visages, le va-et-vient dans l’appartement ! Espérons qu’en avril nous pourrons voyager.
Hier, nouvelles recommandations du gouvernement. Slogan : « Dedans avec les miens, dehors en citoyen »
« Je ne reçois pas chez moi,
« Je ne me rends pas chez les autres… »
En Allemagne, Angela Merkel le visage serré annonce “une nouvelle pandémie”, la fermeture de la plupart des commerces et annule les offices religieux pour le week-end de Pâques. Fichtre !
Nous sommes privilégiés, mais comment ne pas penser aux hôpitaux de toute évidence saturés, aux tris dans les urgences ? Le variant britannique est beaucoup plus contagieux, plus virulent, plus mortel que “l’historique”. Le gouvernement oscille entre confinement strict et dégâts collatéraux. En Ile de France, la Seine-Saint-Denis est la plus impactée. Et pourtant, il est impossible de maintenir des familles déjà durement éprouvées dans des petits appartements surpeuplés. De plus, la révolte gronde, des manifestations se multiplient dans toute l’Europe. Le gouvernement fait appel à l’autoresponsabilité de chacun.
Message reçu ? En tous cas, hier, les rues de Paris étaient à peu près désertes.
Immunisée !
Nous nous étions donné rendez-vous à l’atelier, une habitude depuis que Le Picquet est fermé. À peine la porte repoussée, je lui ai rappelé que je suis désormais immunisée.
— On peut retirer les masques !
JMH a hésité, mais j’ai insisté : « Deux injections, quinze jours depuis la dernière, les Américains ont déclaré que c’était efficace, de part et d’autre. »
Bizarre de revoir un bas de visage disparu depuis des mois ! C’est comme une fenêtre qui s’ouvre. Sans attendre, il s’est dirigé vers la machine à café, mais je l’ai arrêté. Il arrive que des amis à qui je prête l’atelier déposent des bouteilles dans le frigidaire, et justement je venais d’y découvrir une petite bouteille de champagne datant de je ne sais quand.
— On va fêter ça. Elle est peut-être éventée, mais en général, mes amis m’offrent de bonnes bouteilles !
Sur l’étiquette le nom du producteur ne nous dit rien, mais son prénom, Gilles, attire notre attention. Une bouteille pour deux destinée par nos amis à être bue en amoureux. Las ! Gilles est à l’hôpital pour une exploration endoscopique. Tant pis, on boira à sa santé ! JMH résiste un peu, pas trop. Je l’invite à faire sauter le bouchon, il s’exécute avec élégance. « C’est bon. Regarde ! »
Une charmante vapeur de bulles s’élève de la bouteille. Abandonnant sans remords mon tableau en cours, je sors deux flûtes et nous nous installons dans la pièce adjacente. En effet, c’est un bon champagne, à la fois doux et fort, fruité. On trinque. On trinque à Gilles, à nos familles, à nos amis, à la disparition du Covid, à ceux qui ont été malades, à ceux qui ne le seront pas… Pour JMH, trop jeune pour être vacciné, c’est juste un acompte de liberté. La présence de ses étudiants lui manque, il est fatigué de ses cours en visioconférence. Comme tout le monde, le virtuel finit par le déprimer. Alors on en profite, on se détend, on parle de tout et de n’importe quoi.
La vivacité reprend le dessus, la mimique accompagne les mots, la nuance orne les propos d’une grâce imprévue, le sourire éclaire le visage, la fossette frisotte, le menton gigote, on redécouvre la lueur discontinue des dents, le mouvement des lèvres. Mais, nous n’avons pas vu le temps passer. Il est déjà dix-sept heures quarante-cinq, plus qu’un quart d’heure avant le couvre-feu ! On a à peine le temps de se dire au revoir, j’enregistre ma dérogation et je file retrouver Gilles à la clinique.
J’y ai poireauté une heure dans la salle d’attente avant qu’il soit lâché avec son compte-rendu d’endoscopie (heureusement satisfaisant), en compagnie d’une famille de quatre personnes qui n’a pas cessé de grignoter des biscuits et de discuter sans masque. Immunisée, je n’ai pas éprouvé le besoin de protester !
Pas étonnant que l’épidémie explose en Ile de France ! Il n’est pas à l’ordre du jour de reconfiner Paris et sa banlieue, comme à Nice et dans le Pas de Calais. Les quais de Seine sont bondés, mais entre autres problèmes le gouvernement craint les réactions de la population. Depuis les Gilets jaunes, l’Élysée reste traumatisé. Tout plutôt que revoir les vitrines brisées, les voitures brûlées, les gaz lacrymogènes et les grenades de dispersion ! Alors on transporte à grands frais les malades vers les hôpitaux de Nantes ou de Bordeaux, dans des avions, on envisage des TGV médicalisés. Les commandes de vaccin, bien que prépayées arrivent au compte-goutte, les pays producteurs préfèrent les garder pour eux.
Dimanche, c’est avec la même joie que nous avons reçu Hervé et Véronique à déjeuner. Avaler sans gestes barrières, sans avoir peur de postillonner, de rire aux éclats multiplie les saveurs, pigmente la conversation. Un plaisir oublié ! Espérons que ce foutu Covid n’est pas en train de muter pour contourner l’obstacle et que le vaccin demeurera efficace.
Froid et soleil.
Bizarre ! Je cite généralement mes livres en cours, comme si une fois lus, ils avaient déjà migré pour une sorte de digestion dans un monde intérieur qui ne peut plus tout à fait se dire, désormais destinés à faire partie intégrante de ma vie, sans que je puisse distinguer précisément ce qu’ils m’ont apporté ou examiner l’empreinte en creux de ce que j’ai refusé de garder. Si j’écris parfois des notes de lecture, elles me servent surtout à améliorer l’attention que je vais porter aux suivants.
Il en est de même pour les photos de mes œuvres. Elles apparaissent ici à l’état d’élaboration, comme des témoins d’étapes que les superpositions sur la toile vont plus ou moins recouvrir, et pourtant aussi nécessaires les unes que les autres. Premières affirmations, hésitations, allers et retour, légèreté ou densification. Une façon de décrire la vie qui accompagne les pinceaux et les couleurs sur la toile. La même chose pour les céramiques et leurs étapes successives.
Nous avons tous les deux reçu la deuxième injection cette semaine. Dans quelques jours, nous n’aurons plus à craindre d’approcher amis et inconnus. Il va falloir reprendre confiance. Ce ne sera pas immédiat. Nous avons pris l’habitude du mètre de distance, sorte de zone interdite passée dans les réflexes. Même entre proches, quelques alertes comme une toux, une grippe, ou même un soupçon de cas contact nous ont malgré nous marqués plus ou moins durablement. Y aura-t-il un retour aux nombreuses et peut-être excessives embrassades qui présidaient aux rencontres avant la pandémie ?
Un retour graduel va-t-il nous amener à retrouver nos anciennes habitudes comme si rien ne s’était passé ? Certains évoquent les débordements des années folles après les millions de morts de la grippe espagnole. Ils prévoient un relâchement fulgurant, des foules en liesse, corps contre corps, une frénésie de spectacles et de danse. L’avenir le dira. Les événements ne se répètent jamais à l’identique, d’autant plus que la Covid pour le moment ne semble pas s’éteindre spontanément comme son illustre ancêtre de 1918.
Je m’amuse à penser au genre qui accompagne le mot Covid depuis le début de l’épidémie. Il évoquait le coronavirus, un mot masculin. Ce fut « le » covid. Co-Vi-D. pour Corona-virus-disease. Las, le d, de disease a fait frémir les puristes en raison de sa traduction, maladie, mot féminin. Bien que le mot anglais soit neutre et qu’on ne l’ait pas remplacé pour autant par celui de Covim, ou Covig, pour maladie ou grippe, l’Académie Française a décidé qu’il fallait désormais dire « la Covid », « la » maladie que provoque le coronavirus. La grippe Covid. Une lutte d’influence entre les deux genres s’en est suivie. Dire la Covid était plus chic, mais un peu pédant, une résistance du côté du Covid argumentait d’un droit d’usage. La presse et la télévision ont pratiqué une valse-hésitation. Les plus grands épidémiologistes utilisaient plutôt le masculin, certains présentateurs osaient le féminin. En tant qu’usagers, nous étions un peu gênés d’avoir à prendre position. Depuis quelque temps, le féminin fait une percée fulgurante. Il semble que le masculin ait pris une dérouillée, dire le Covid sera bientôt tout à fait inapproprié. Un bel exemple de la vie des mots… !
En sortant du cours de théâtre, j’ai traversé la Seine par le Pont Neuf et l’épidémie semblait avoir pris du plomb dans l’aile, même si le nombre de contaminations augmente dangereusement. Probablement à l’annonce des vaccinations, une détente anticipait sa déroute. Un jeune homme tout de jaune poussin vêtu, veste et pantalon de velours, gilet satiné, dansait dans un des arrondis du pont. Un chapeau sur la tête, il lançait bras et jambes aussi haut que possible, drôlatique pantin désarticulé, filmé par un ami. Le temps de sortir mon smartphone, tous les deux regardaient la prise de vue probablement destinée à Youtube. Je n’ai pas osé leur demander de recommencer. j’aurais dû.