Cocktail du mois] Soupe champenoise - Le Vin selon Renaud

Nous nous étions donné rendez-vous à l’atelier, une habitude depuis que Le Picquet est fermé. À peine la porte repoussée, je lui ai rappelé que je suis désormais immunisée.

— On peut retirer les masques ! 

JMH a hésité, mais j’ai insisté : « Deux injections, quinze jours depuis la dernière, les Américains ont déclaré que c’était efficace, de part et d’autre. »

Bizarre de revoir un bas de visage disparu depuis des mois ! C’est comme une fenêtre qui s’ouvre. Sans attendre, il s’est dirigé vers la machine à café, mais je l’ai arrêté. Il arrive que des amis à qui je prête l’atelier déposent des bouteilles dans le frigidaire, et justement je venais d’y découvrir une petite bouteille de champagne datant de je ne sais quand.

— On va fêter ça. Elle est peut-être éventée, mais en général, mes amis m’offrent de bonnes bouteilles !

Sur l’étiquette le nom du producteur ne nous dit rien, mais son prénom, Gilles, attire notre attention. Une bouteille pour deux destinée par nos amis à être bue en amoureux. Las ! Gilles est à l’hôpital pour une exploration endoscopique. Tant pis, on boira à sa santé ! JMH résiste un peu, pas trop. Je l’invite à faire sauter le bouchon, il s’exécute avec élégance. « C’est bon. Regarde ! »

Une charmante vapeur de bulles s’élève de la bouteille. Abandonnant sans remords mon tableau en cours, je sors deux flûtes et nous nous installons dans la pièce adjacente. En effet, c’est un bon champagne, à la fois doux et fort, fruité. On trinque. On trinque à Gilles, à nos familles, à nos amis, à la disparition du Covid, à ceux qui ont été malades, à ceux qui ne le seront pas… Pour JMH, trop jeune pour être vacciné, c’est juste un acompte de liberté. La présence de ses étudiants lui manque, il est fatigué de ses cours en visioconférence. Comme tout le monde, le virtuel finit par le déprimer. Alors on en profite, on se détend, on parle de tout et de n’importe quoi.

La vivacité reprend le dessus, la mimique accompagne les mots, la nuance orne les propos d’une grâce imprévue, le sourire éclaire le visage, la fossette frisotte, le menton gigote, on redécouvre la lueur discontinue des dents, le mouvement des lèvres. Mais, nous n’avons pas vu le temps passer. Il est déjà dix-sept heures quarante-cinq, plus qu’un quart d’heure avant le couvre-feu ! On a à peine le temps de se dire au revoir, j’enregistre ma dérogation et je file retrouver Gilles à la clinique.

J’y ai poireauté une heure dans la salle d’attente avant qu’il soit lâché avec son compte-rendu d’endoscopie (heureusement satisfaisant), en compagnie d’une famille de quatre personnes qui n’a pas cessé de grignoter des biscuits et de discuter sans masque. Immunisée, je n’ai pas éprouvé le besoin de protester !

Pas étonnant que l’épidémie explose en Ile de France ! Il n’est pas à l’ordre du jour de reconfiner Paris et sa banlieue, comme à Nice et dans le Pas de Calais. Les quais de Seine sont bondés, mais entre autres problèmes le gouvernement craint les réactions de la population. Depuis les Gilets jaunes, l’Élysée reste traumatisé. Tout plutôt que revoir les vitrines brisées, les voitures brûlées, les gaz lacrymogènes et les grenades de dispersion ! Alors on transporte à grands frais les malades vers les hôpitaux de Nantes ou de Bordeaux, dans des avions, on envisage des TGV médicalisés. Les commandes de vaccin, bien que prépayées arrivent au compte-goutte, les pays producteurs préfèrent les garder pour eux.

Dimanche, c’est avec la même joie que nous avons reçu Hervé et Véronique à déjeuner. Avaler sans gestes barrières, sans avoir peur de postillonner, de rire aux éclats multiplie les saveurs, pigmente la conversation. Un plaisir oublié ! Espérons que ce foutu Covid n’est pas en train de muter pour contourner l’obstacle et que le vaccin demeurera efficace.