Retour à Paris. Elections présidentielles
Emmanuel Macron est élu avec 58,5 % des voix. Ouf ! Mais, près de 42 % des électeurs se sont portés sur l’extrême droite et le même pourcentage des voix de Macron s’est contenté de faire barrage à Marine Le Pen. Même si c’est la première fois qu’un président de la République est réélu, hors cohabitation, il n’y a pas de quoi pavoiser ! Les Français qui ne parviennent pas à boucler leurs fins de mois ont exprimé leur mécontentement, ils sont de plus en plus nombreux. Les législatives vont suivre dans deux mois. Elles réservent des surprises.
L’Europe souffle. De cette élection dépendait son unité face aux volontés guerrières de Wladimir Poutine, dictateur soutenu par un peuple trompé par une propagande héritée de l’ex Union soviétique et qui, peinant aussi dans la Russie profonde, se cherche des ennemis.
Le monde entier croyait que l’armée russe serait à Kiev en deux jours, elle s’est révélée moins puissante et surtout moins organisée qu’annoncée. L’armée ukrainienne entraînée, armée par les Occidentaux résiste depuis des semaines. Retirés de la banlieue de Kiev, les Russes déversent désormais des milliers de missiles (on ne dit plus « bombes »…) sur le sud et l’est de l’Ukraine. Les survivants de Marioupol, femmes et enfants, sont terrés et affamés dans les caves depuis un mois. Et on croyait la guerre finie pour toujours en Europe !
Dans le TGV de retour.
Sitôt installés, nous avons déballé les sandwiches préparés par Gilles, une habitude. Ils sont bien meilleurs, plus frais que tout ce qui nous est proposé à la gare et dans le train. Nous sommes encore passés par Seyssel. L’éboulement sur la voie de Nantua semble sérieux ! Nous avons roulé dans la vallée austère et encaissée, creusée durant des millions d’années par la petite rivière qui serpente entre des murailles percées de marmites du diable, l’ancien trajet, avant de quitter le Jura.
À cette saison, le train accompagne le coucher du soleil de la Bresse jusqu’aux collines du Beaujolais en se glissant dans une symphonie de bleus, de verts, d’orangés, de rouges.
À partir de Mâcon, le train circule à grande vitesse et le crépuscule aidant, les passagers se replient sur eux-mêmes. Bercés par son ronronnement puissant, ils somnolent ou regardent leurs écrans.
À ce sujet, je veux décrire le comportement de notre voisine de devant. Un spectacle trop fréquent dans nos nombreux trajets pour ne pas être un phénomène de société.
Depuis Bellegarde jusqu’à Paris, elle a regardé un feuilleton américain sur l’écran de son ordinateur. Episode après épisode, j’ai vu défiler quantité de beaux jeunes gens, la trentaine, surtout des femmes, presque toujours filmés en lumière artificielle. Maquillage sophistiqué même au lit, robes élégantes et costumes-cravate. Dans des bureaux, dans des soirées cocktails, dans des appartements soigneusement décorés. Lèvres et yeux brillants. Ils parlaient. On voyait leurs lèvres bouger, bouger, sans s’arrêter. Impossible de savoir ce qu’ils se disaient, le casque étant heureusement désormais obligatoire. Des lèvres trop rouges ou des sourcils trop noirs, quelques grimaces laissaient deviner quand on avait affaire à de mauvaises personnes. Ils se ressemblaient tous, seules la couleur des cheveux et quelques mèches plus ou moins frisées ou relevées les distinguaient les uns des autres.
Pour avoir entendu leurs propos avant l’obligation du casque, je savais qu’il s’agissait de rivalités de bureau et d’intrigues amoureuses. Toujours les mêmes. La femme devant son écran avait le même âge, un peu plus avancé, la quarantaine, le même maquillage, la même tenue élégante et décontractée, un étroit foulard de soie sur des mèches étudiées. Aucun sentiment ne troublait son visage fixé sur l’écran. Je me demandais comment elle pouvait survivre à tant d’ennui, lorsque je la vis sortir son Smartphone. De ses doigts aux ongles vernissés, elle tapota le reste du voyage sur un jeu de taquin, tout en continuant de regarder de temps en temps l’ordinateur.
Je me souviens d’avoir autrefois été scotchée devant le feuilleton californien Santa Barbara, un défilé semblable de personnages jeunes et beaux. Mais ce qui me frappe dans le TGV, c’est que plus les années passent et plus les hommes regardent ces séries (en versions masculines) avec peut-être encore plus d’intérêt, comme s’ils cherchaient un mode d’emploi, une clé pour leur réussite personnelle, des modèles incontournables. Cela se devine à leur visage tendu, leurs coupes au rasoir, à leurs costumes-cravates, à leurs chaussures cirées. Quelles peuvent en être les conséquences sur la société ? Quelle que soit la réponse, les premiers gagnants en sont à coup sûr les producteurs : tournage bon marché, large diffusion.
Pendant ce temps-là, nous avons peiné sur le mot croisé du Canard enchaîné. Définition : Un monde de brut. Réponse : OPEP.
Le Festival du livre dans le Palais Éphémère du Champ de Mars.
Amélie Nothomb évoquait son père devant un amphithéâtre bourré à craquer. Sa voix semblait se briser à chaque mot. Pourquoi ai-je eu l’impression qu’elle était dévorée par son public ?
Samedi soir, nous avons revu le film de Jacques Demy : Les Demoiselles de Rochefort. Un hommage à la suite du décès de Jacques Perrin. Poétique et dérangeant. Un très beau film.
Et puis, je veux vous dire que Caroline est venue avec un bouquet de muguet de sa terrasse et que demain, nous allons recevoir les trois générations. La dernière, Gabrielle, arrive sur ses deux mois.
Le printemps à Tougin.
Vendredi matin en allant chez l’ophtalmo pour une visite de contrôle, j’ai eu la surprise de voir les marronniers du boulevard Pasteur en fleurs. Pyramides roses ou blanches dressées sur les feuilles en éventail. Cette année, contrairement aux autres années, l’hiver m’a paru court. Peut-être parce qu’il n’a pas été aussi froid et pluvieux que d’habitude. Un bienfait du changement climatique ?
L’après-midi, nous avons vu défiler depuis le TGV de grandes surfaces de colza, peut-être une conséquence de la guerre en Ukraine, grenier de l’Europe, nappes jaunes d’or alternant avec le vert tendre des blés de printemps. Mais c’est surtout à l’arrivée dans notre petit jardin que le renouveau nous a sauté aux yeux,… et aux oreilles. Un merle lançait ses trilles entortillées, les mésanges criaient « taille vite, taille vite ». Les moineaux pépiaient en se poursuivant. Les bourdons bourdonnaient, les sittelles s’appelaient d’un bout du village à l’autre.
Les muscaris bordaient la serre d’un tapis bleu outremer. Les jonquilles jaillissaient des corbeilles d’argent. Sous le prunus, les grosses tulipes jaunes et rouges, fidèles parmi les fidèles depuis cinquante ans, n’avaient pas pris une ride. Les roses de Noël finissaient de fleurir. Elles avaient de toute évidence affronté la neige en beauté. Aux alentours, la blancheur un peu rosée des pommiers vibraient dans la lumière du soleil.
Tout cela n’avait cependant rien à voir avec le Sacre du printemps de Stravinski et son explosion de vacarme, sa mise à mort. Dans un calme à mille lieues des rues de Paris assaillies par des nuées de touristes traînant à grand bruit leurs valises à roulettes, le Jura déroulait ses crêtes dans un silence majestueux. Des plaques de neige dessinaient sur ses pentes des souvenirs de l’hiver. Un aigle a plané au-dessus du jardin et le petit chat gris est venu voir qui pénétrait dans son domaine.
Le lendemain, nous avons salué nos voisins, demandé des nouvelles sous le soleil. Marcel et Jacqueline recevaient leurs enfants et petits-enfants. Léonard et Romi, la petite voisine, 4 ans tous les deux, jacassaient en faisant des concours de trottinettes. J’ai dit bonjour à Denis :
— Dis donc, Denis. J’ai vu tourner des mésanges autour du nichoir. Tu ne crois pas qu’en nous voyant arriver, elles vont déserter leur nid. Il vaudrait peut-être mieux entrer par la porte sur la rue ?
Denis est mon informateur pour tout ce qui concerne la nature. Élevé dans une ferme, il s’y connait. Il a haussé les épaules :
— Mais non, elles savent très bien que vous ne leur voulez pas de mal. Elles savent que vous n’êtes pas des chats ! Notre nichoir est juste à côté de la fenêtre et nous cohabitons très bien. Il est vrai qu’elles y ont intérêt, nous les nourrissons.
— Qu’est-ce que vous leur donnez ?
Je pensais aux paquets de margarine suspendus dans les jardins du village. Il m’a répondu :
— Nous, on leur donne des graines de tournesol.
Et j’ai pensé au jardin de ville de mon enfance qui fourmillait d’oiseaux. On n’aurait pas eu l’idée de les nourrir sauf pour essayer de sauver les oisillons tombés du nid. On leur donnait du pain trempé dans du lait et naturellement ils ne survivaient pas.
Samedi, nous avons déjeuné au soleil, au milieu des herbes qui commençaient à pousser. Quel plaisir ! L’après-midi, la bise s’est mise à souffler. Il a fallu fermer les fenêtres et la nuit fut fraîche.
Le jour de Pâques, nous sommes allés dire un petit bonjour au Léman. Agité par la bise, de violet à l’horizon, il virait au bleu outremer, puis se teintait d’indigo, puis de vert et finissait en vagues dorées par le soleil. J’aime tellement leur chanson sur les rochers !
Le lundi, la famille d’Ève est venue pour la journée. Il a fallu déjeuner à l’intérieur. Les garçons nous ont aidés à couper quelques branches du prunus qui a tendance à prendre toute la place. Les parents partaient le lendemain pour Gênes en amoureux. Nous nous sommes quittés, un peu tristes, sachant que nous ne pourrions pas nous revoir avant deux, trois mois.
Nous avons de la chance. La méteo était exécrable, mais elle nous annonce désormais du beau temps, un peu frais, du soleil jusqu’à notre départ. Nous retournerons à Paris vendredi pour voter. Il faut à tout prix éviter que Marine Le Pen, incompétente notoire à la solde de la Russie, ne profite du mécontentement qui entoure Macron. L’enjeu est de taille. Avec la guerre en Ukraine, ce serait une catastrophe !
Gabrielle
Chaque semaine je me gratte la tête en me demandant ce que je vais pouvoir vous raconter. Tous les chroniqueurs vous diront la même chose. Parfois ça vient tout seul et dès le dimanche en un tour de main, la mise à jour du site est écrite, enregistrée, prête à partir automatiquement le mardi suivant.
D’autres fois, c’est plus compliqué. Manque de temps le week-end précédent, une cuisson ou un émaillage de céramique le lundi, ou encore rien à dire et je traîne. Il m’arrive même de penser que je pourrais éventuellement laisser passer la semaine. Qui s’en apercevrait ? Cependant mon sens de la fidélité renâcle et je décide au pire de m’en tenir à trois lignes, dans le genre : bonjour, bonsoir, il fait beau aujourd’hui, à bientôt… Mais dès que je touche au clavier, un monde s’ouvre. Le monde qui m’entoure surgit sous mes doigts maladroits, les idées surviennent et les phrases s’écoulent.
Déçue à leur relecture, je les triture et les agence pour approcher au plus près de ce que j’ai vu, entendu, vécu. Sans illusion sur une objectivité inatteignable, mais bien décidée à partager ces instants éphémères, souvent savoureux, qui furent la trame d’un présent désormais enfui. Une lutte perdue d’avance contre le temps, mais grisante ! Les heures me paraissent des secondes, j’oublie la casserole sur le feu, le rendez-vous noté. Souvent en retard, je deviens inabordable les dernières minutes, soulagée quand j’appuie sur la touche « publier ». Par la suite, je ne peux m’empêcher de changer une virgule, corriger une phrase, une faute d’orthographe pendant un jour ou deux. L’avantage de ne dépendre de personne ! Je partage cette liberté avec vous, amis lecteurs…
La tête en plomb à cause de la guerre en Ukraine et de ses atrocités, j’ai traîné les pieds tout le début de la semaine de l’appartement à l’atelier jusqu’à ce dernier jeudi où j’ai retrouvé Gilles à la Pitié Salpétrière.
Nous avons attendu quelques minutes dans la magnifique chapelle de l’hôpital. Construite sous Louis XIV sur le modèle d’une croix de Saint-André pour des raisons sanitaires, ses quatre nefs reliées à la chapelle centrale m’ont toujours émue lors des concerts qu’elle abrite avec des expositions. Je pense aux malades de cette époque, à leur misère, aux maux qui les rongeaient. J’imagine les prières tendues vers l’autel éclairé par les hautes verrières de la coupole, en ces temps où l’on avait si peu de chance de guérir.
Mathilde nous a rejoints avec la poussette au pied du grand escalier à rambarde de chêne qui monte à son appartement. Elle loge avec Arnaud et leur bébé tout neuf dans les bâtiments mitoyens qui accueillaient à l’origine les communautés religieuses attachées à la chapelle.
C’est justement de Gabrielle que nous étions venu faire la connaissance. Rendez-vous différé à cause de nos contaminations au Covid. Nous avons pu apercevoir une petite tête ronde qui manifestait son mécontentement de voir s’achever sa promenade, au grand dam d’une maman qui aurait voulu nous la présenter sous un meilleur jour :
— Le soir, elle n’est pas toujours de bonne humeur !
Nous l’avons rassurée. Nous avions tout le temps et il lui fallait bien restituer la fatigue de sa journée ! Nous avons grimpé tout en haut du superbe escalier restauré. Un bébé dans les bras de sa jeune mère, des grands oncle et tante essouflés, accueillis par un papa heureux de revoir sa fille, leur première-née, et de nous la faire admirer. Un condensé de vie.
Nous avons passé deux heures paisibles. Nous avons commencé par observer la jolie Gabrielle, toute rose et ronde, puis nous avons osé l’accueillir dans nos bras. Gilles s’y prenait très bien, attendri et attendrissant. C’est bizarre comme on oublie vite des gestes qui ont rempli nos journées, dont on a eu une petite resucée avec nos petits-enfants. Ce petit être qui tournait la tête vers nos voix étrangères avait quelque chose d’un peu intimidant, son avenir devant lui, nos années derrière nous.
Quel plaisir de parler du travail de Mathilde à l’hôpital, des projets d’Arnaud, des mille et un soucis autour du sommeil du bébé, de ces petits riens qui font l’existence de jeunes parents !
Ils nous ont revigorés et la semaine s’est achevée mieux qu’elle avait commencé. Merci à tous les trois !
Le dimanche suivant, premier tour des élections présidentielles. Une tout autre affaire ! Comme prévu, Emmanuel Macron est en tête avec Marine Le Pen. Nous voterons de nouveau le 24, à notre retour de Tougin. Le contexte de la guerre, des pénuries, de la baisse du pouvoir d’achat risquent de rendre la campagne électorale agitée, à moins qu’une certaine désespérance n’écarte les électeurs des urnes. On verra !
Obsèques de Serge, Ukraine, élections
Nouvelles du Covid : une flambée des contaminations, mais en Europe, pour le moment, une baisse des hospitalisations du fait des vaccinations. La Chine décrocherait. La politique du « zéro Covid » serait mise à mal par le variant Omicron, très contagieux, et probablement en raison de la faiblesse de son vaccin Sinovac. Des villes, comme Shanghaï, sont confinées en urgence. Au moindre soupçon, les Chinois sont isolés dans des structures gigantesques qui séparent les familles et ne sont pas adaptées aux pathologies préexistantes.
La guerre en Ukraine : L’armée russe se retire de la banlieue de Kiev et se déplace vers l’est, dans le but se se regrouper autour de la région du Donbass. Les Russes ont abandonné Tchernobyl après avoir creusé des tranchées dans des terres hautement contaminées. La centrale est de nouveau dans les mains des experts. Le peuple russe reste majoritairement solidaire de Poutine. Celui-ci exige que le gaz russe (100 millions de dollars par jour) soit payé en roubles afin de contrecarrer les mesures européennes contre sa monnaie. Probablement un effet d’annonce.
Et toujours les bombardements, les réfugiés sur les routes, les fausses annonces russes de cessez-le-feu. Des espoirs démentis par les actions de Poutine, à l’image des horreurs en Tchétchénie et en Syrie.
Les obsèques de Serge. Beaucoup de monde dans l’église Saint-François Xavier. Son petit-fils Thibaut (environ trente ans) a célébré la messe. Son sermon a tourné autour de la notion de paternité. Paternité familiale, ecclésiale, spirituelle, Dieu le père, Jésus le fils. Son grand-père Serge et son père Arnaud ont été des pères bienveillants, très éloignés des autoritarismes d’autrefois.
Nous nous sommes retrouvés à sept chez Nicky autour d’un paleron de bœuf à la bière, vin de choix et dessert basque. Il y avait un certain temps que nous n’avions pas participé à un de ses dîners, rencontres gastronomiques qu’il mitonne environ deux fois par mois avec gourmandise et amitié. J’ai pensé au Temps retrouvé de Marcel Proust. Les cheveux avaient blanchi, les rides s’étaient creusées, les gestes et les démarches avaient un peu perdu en assurance, veufs et veuves, heureux de partager leur solitude. Ils avaient tous eu des responsabilités importantes dans le privé comme dans le public, ils avaient plusieurs fois fait le tour du monde, certains étaient maintenant arrière-grands-parents. Les conversations portaient quelque peu sur le passé. Nous n’avons pas trop l’habitude de ce genre de réunions, mais nous en avons apprécié la bienveillance. On sentait tout de même pointer sous les propos d’anciennes batailles perdues ou gagnées.
La campagne électorale est perturbée par la guerre en Ukraine. Après le début fracassant d’une extrême droite autour d’Éric Zemour ayant fait le vide autour de Marine Le Pen, le Rassemblement National semble avoir repris du poil de la bête. La gauche socialiste et la droite libérale historiques se sont effondrées. Il semble qu’il nous restera à choisir au second tour entre Emmanuel Macron, président sortant et Marine Le Pen. Comme d’habitude.
Cette fois-ci, le duel risque d’être chaud ! Le pouvoir d’achat est au centre des préoccupations des Français d’autant plus que le prix du pétrole, du gaz, des matières premières flambe du fait de la guerre, que les intérêts de la dette ont explosé et que l’inflation est au plus haut depuis des décennies. La politique d’Emmanuel Macron, « le président des riches » lui a valu une haine féroce de la part de ceux qui ont vu leur niveau de vie baisser, de ceux qui ne joignent plus les deux bouts, de ceux qui se sont sentis méprisés par les « élites » (cf : les gilets jaunes). L’écart entre les riches et les pauvres s’est accentué durant son septennat, même si l’économie s’était redressée avant la survenue de la pandémie, même s’il a plutôt bien géré la crise sanitaire et qu’il tient sa place dans la gestion internationale de la guerre en Ukraine.
De là à voter pour Marine Le Pen et ses promesses mirobolantes, sans équipe et sans compétence dans un contexte aussi tendu à l’intérieur comme à l’extérieur, le pas sera peut-être difficile à franchir ! Favorable à Wladimir Poutine pendant des années, accusée par un rapport de police de détournement de fonds européens, son absentéisme ostentatoire au parlement européen ne plaide pas pour elle dans la situation actuelle.
Elle a su montrer patte blanche depuis quelque temps et les Français ont la mémoire courte, elle a ses chances. Le risque viendra surtout de l’abstention. Une abstention par un refus grandissant de la politique et des politiciens, multipliée par la date des élections en plein milieu des vacances scolaires. Les sondages les donnent ces jours-ci au coude à coude. La démocratie est à la peine !
Guerre, covid et printemps
La ville de Marioupole, plus de 400 000 habitants avant la guerre, est rasée. Elle tient encore, contre toute attente. Des millions d’Ukrainiens vivent dans des abris, les femmes, les enfants, les vieillards partent sur les routes traversent les frontières, les hommes se battent jusqu’à la mort ou la victoire. Et les Russes croyaient être accueillis en libérateurs ! Absurdité des fake news sur Internet ?
Et pourtant le printemps est arrivé. Plusieurs jours de douceur et de ciel sans nuages.
Etrange, pour la première fois depuis des années, l’hiver ne m’a paru paru trop long ! Une réaction aux deux précédents plombés par le Covid ? Peut-être ! Le virus moins menaçant, les obligations sanitaires moins impérieuses, j’aurais davantage savouré une liberté qui allait de soi auparavant, chaque instant précieux d’une vie qui redémarre.
Ces jours-ci, je relis et reprends ces chroniques pour les réunir dans des volumes, je m’étonne. Semaine après semaine, je m’attache à noter des faits qui n’ont rien de spectaculaire, mais qui me semblent importants. Dans celles qui concernent la pandémie, les petits événements qui nous réunissent autour d’une table, dans la rue ont disparu. Je m’attarde sur les confinements et les déconfinements, sur le port des masques et sur les vaccins. Le covid prend toute la place. J’en établi une sorte de calendrier, avec des hauts et des bas, citant les anecdotes qui lui sont liées, avec l’intention de laisser quelques traces de nos existences soumises à ses dictats.
Aujourd’hui, je m’interroge. N’était-ce pas une obsession, une soumission ? J’aurais peut-être dû en profiter pour lire davantage, relire mes classiques. J’aurais peut-être pu écrire sur le pourquoi et le comment de l’existence, fouiller dans les états d’âme découlant d’une situation exceptionnelle, riche en questions. J’aurais pu démarrer une amitié sur internet, écrire un roman, contourner la réalité de l’isolement par des mots. Non, j’ai préféré noter les maigres faits qui ont égrené ces deux longues années d’épidémie.
Et je pense aux précédentes pandémies. Sitôt finies, sitôt oubliées. Qui se souvient de la grippe de Hong Kong en 1968 ? La guerre de 14 -18, ses 20 millions de morts a provoqué et suscite encore aujourd’hui un immense travail de mémoire, mais que sait-on de la grippe espagnole (1918-1920) et de ses 40 à 50 millions de morts ? Le sujet manquerait-il d’intérêt ? Est-ce une simple péripétie à travers les âges, ne méritant pas de commentaire particulier. En me relisant, je ne serais pas loin de le penser.
Et pourtant… (à suivre)
L’Odyssée à la Sorbonne. Les chants 3, 4, 20. Déclamations illustrées par de superbes marionnettes. Gilles : Nestor et Télémaque. Suzy Busbaumer : remarquable dans le retour à Ithaque d’Ulysse déguisé en vieux mendiant. Hélas, le tout était un peu trop long. Il a fallu abréger, sous la menace de voir les lumières s’éteindre et de repartir à tâtons vers les issues de secours.
Décès de Serge à la veille de ses 99 ans. Il s’est éteint chez lui durant la nuit entouré de sa femme et son fils. « Nous avons entendu sa respiration s’espacer, puis s’arrêter. » Dernier souffle. Une mort paisible.
Siège de Marioupol, printemps Covid
Ukraine. 80 % de la ville de Marioupol est détruite. Les Russes veulent contrôler la mer d’Azov pour y établir une vaste base navale. On ne sait pas grand-chose sur ce qui s’y passe. Il n’y aurait plus d’eau, plus de nourriture, plus d’électricité. Les Russes annoncent des ouvertures de couloirs humanitaires, puis tirent sur les convois. Stratégie de la terreur. Les atrocités de Grozny et d’Alep recommencent, comme le seul fonctionnement pouvant émerger du cerveau de Wladimir Poutine, effroyable répétition, en boucle sur elle-même.
Et pourtant les Ukrainiens résistent, aidés en armement par l’occident. Le Maire de Marioupol refusait encore ce matin de capituler. Kiev résiste. Dix millions de femmes et d’enfants sont partis sur les routes de Moldavie, de Pologne. L’Europe leur a accordé des droits spéciaux, droits au travail, à la santé, une année de droit de séjour, mais les pays frontaliers sont submergés.
Le peuple russe soutient globalement Poutine, désinformé ou indifférent à ce qu’on lui montre à la télévision comme une simple opération de maintien de l’ordre contre des groupuscules nazis,
Et le printemps commence à remplir de promeneurs les jardins publics et les quais de la Seine. Contraste avec la guerre, ses pertes humaines, civiles et militaires, aux portes de l’Europe !
Oui, j’ai fini par attraper le Covid. Il est de bon ton aujourd’hui, malgré l’inédite flambée des contaminations de passer sous silence tout ce qui le concerne. Durant deux ans, ce fut le seul sujet de conversation, il fut scruté sous tous ses angles, on lui attribua tout et son contraire, chacun devenant biologiste, médecin, ou encore économiste. Il fut le sujet de nombreuses fausses informations, d’incessantes récriminations politiques. On lui attribua le genre masculin, puis féminin, de nouveau masculin. Aujourd’hui, il est de bon ton de l’ignorer.
Et le gros méchant loup a fini par me manger. Je n’ai pas étouffé, j’espère avoir conservé ce qui me reste de matière cérébrale, ma gorge a picoté, j’ai beaucoup éternué, un peu toussé, beaucoup dormi, pas eu de fièvre. Presque un rhume, si je n’avais senti que l’ennemi n’était pas si anodin que ça. Une fatigue inhabituelle a paralysé mes membres, un sérieux fond de déprime a gommé ces quelques jours d’isolement.
Tranquille pour deux mois, j’évite pour le moment la quatrième dose. Mais je reste inquiète pour ceux qui ont cru bon de ne pas se faire vacciner. Alors que j’étais dans son cabinet pour une consultation de routine, mon médecin a reçu un coup de téléphone de l’hôpital qui voulait avoir confirmation de la vaccination d’une personne placée en réanimation.
— Beaucoup de faux certificats circulent, a-t-elle commenté.
Je m’efforce maintenant de bouger et de rencontrer du monde. Vite fait à mon âge, de rester chez soi, de sommeiller la journée et de tourner en rond dans ses souvenirs la nuit ! Il y a mieux à vivre.
Je suis allée écouter Aymeric Munch lire sa traduction de l’Énéide de Virgile dans le cadre des Dyonysies. Cette descente aux Enfers d’Enée m’a paru tellement plus vivante que celle de Dante que j’ai lue récemment et qui m’a fort ennuyée par ses boursouflures et ses jugements inquisitoriaux. Une mauvaise traduction (ou une mauvaise lecture…) ?
Dimanche, j’ai eu le plaisir de prendre un café au bistro avec Pierre. Pas de nouvelles d’Antoine. Nous avons évoqué notre travail et le manque de rencontres durant ses deux années.
— Voir du monde, s’intéresser, c’est notre nourriture ! a-t-il dit.
Mon petit fils Noé nous a envoyé une photo de la tente qu’il a montée dans son jardin de Grenoble, avec la mention :
« … de belles randonnées qui s’annoncent. »
Anna de Noailles. Naissance de Gabrielle, Les Chaises de Ionesco
La guerre en Ukraine se poursuit de plus en plus sauvage, en particulier à Marioupol affamée, privée d’eau. Les Russes encerclent Kiev.
J’ai attrapé le Covid et c’est la tête enfarinée que je viens vers vous.
Je ne me souviens plus très bien de la semaine écoulée, si ce n’est que je prenais mille précautions pour ne pas être contaminée par Gilles. Raté !
Mercredi, je suis allée au musée Carnavalet écouter une conférence de JMH sur le Paris d’Anna de Noailles, à l’occasion de l’exposition sur Marcel Proust. Il m’avait gentiment invité et j’ai ainsi eu le plaisir d’échanger quelques mots avec la princesse de Brancovan, descendante du frère de la poétesse évianaise. Pourquoi ai-je oublié de lui demander si elle avait un lien avec Pupetières en Dauphiné, où j’ai vu un superbe portrait d’Hélène, la sœur d’Anna, une très belle femme également ?
Vendredi, alors que Gilles ne pouvait plus transmettre le virus, nous avons pu accueillir Caroline et Jean-Michel, les heureux grands-parents d’une petite Gabrielle toute nouvelle née. Leur fille Mathilde, administratrice d’hôpital et de recherche médicale, habite dans un vaste bâtiment adjacent à la chapelle de la Salpétrière. Ils venaient de Grenoble pour faire la connaissance du bébé. Ils y ont passé toute l’après-midi.
Samedi, ils nous ont invités à déjeuner au Bouillon Chartier. Un lieu mythique, classé monument historique, intact depuis son ouverture en 1896. A l’origine, exceptionnellement bon marché, ce restaurant resté populaire, attire aussi les touristes astucieux. Il propose une cuisine savoureuse de terroir dans le genre tripoux ou blanquette de veau. Les garçons en gilets noirs et tabliers blancs y servent deux mille six cents repas par jour, nous a dit l’un d’eux. Nous l’avions surtout choisi pour sa grande hauteur sous plafond, précaution Covid. Il a vu passer des tas d’écrivains et d’artistes fauchés, pour certains désormais célèbres. Haut lieu parisien, souvent évoqué dans les romans, dans les films. Je ne me sentais pas très bien, mais ils n’avaient pas voulu rater l’occasion. Nous avons naturellement trinqué à Gabrielle.
Ils sont repartis dimanche matin. Nous avions pris des places pour Les Chaises de Ionesco au théâtre de Poche-Montparnasse pour la séance de l’après-midi. Hésitations. La pharmacie de la rue Montorgueil était ouverte et j’ai pu m’autotester : j’étais négative.
Nous ne voulions pas laisser passer ce spectacle, mis en scène par Stéphanie Tesson, assistée d’Émilie Chevrillon, spécialiste de Ionesco, qui dirige l’atelier théâtre Lobtusobtus. Nous avions déjà repoussé une fois. C’est sous un parapluie que nous avons émergé du métro, très en avance. Un café au bar, et la porte du sous-sol s’est ouverte. J’ai mis mon masque FFP2.
Je m’attendais à du Ionesco sans queue ni tête. Je fus séduite par l’efficacité et la cohérence de la mise en scène, l’exceptionnel réalisme du jeu des acteurs. Au lever du rideau, deux vieillards isolés sur une île se préparent à recevoir des invités pour une conférence fictive. À chaque arrivée fictive, la vieille apporte une chaise, le vieux accueille les arrivants avec des commentaires variés. Ils font les questions et les réponses. Les chaises s’installent de plus en plus vite. Avec elles, un sentiment d’absurdité, de philosophie et de poésie se met en place.
L’arrivée du colonel fut suivie d’un noir et d’un silence. J’ai soudain été prise de toux et d’éternuements incoercibles. L’horreur ! J’ai fermé la bouche, plongé le nez dans mes mains et cherché une issue. Pour mieux voir, je m’étais placée sur une chaise haute au dernier rang. Sans bruit, je me suis glissée devant l’éclairagiste, en lui faisant un petit signe, j’ai poussé un rideau, une porte, j’ai grimpé un escalier et je me suis retrouvée, à moitié étouffée, dans le hall du théâtre où la jeune femme de l’accueil m’a proposé un verre d’eau.
— Buvez par petites gorgées, m’a dit un jeune homme à la table d’à côté, ce sera plus efficace.
Ma gorge s’étant un peu calmée, je vis les lèvres du jeune homme bouger.
— Vous répétez un texte ? lui ai-je demandé.
Il hocha la tête.
— Lequel ? Sans indiscrétion.
— Le philosophe.
— … ?
Il me montra le Bourgeois gentilhomme dans un classique Garnier.
— C’est amusant ! Je l’ai vu il y trois mois au Ranelagh…
— C’était bien ?
— Oui, très bien, très vivant.
Il connaissait la troupe, une troupe spécialisée dans le théâtre de cape et d’épée.
— Mais le philosophe était un peu rasoir !
Il me dit, sur le ton de la confidence :
— Il est prévu que je crache mes dents une à une, puis le dentier tout entier.
Il le mima. Il était charmant. Il avait l’air tellement heureux.
— Comédien, c’est un métier passionnant ! Mais difficile.
— C’est sûr, mais vous savez, aujourd’hui tous les métiers sont durs !
Je ne voulais pas rater la fin. Il m’a fait descendre par un escalier en colimaçon et a éclairé mes pas, jusqu’à ce que je retrouve la mienne de chaise. Je lui ai fait un signe de remerciement.
Et l’Orateur est apparu à l’entrée, en chair et en os. Vêtu de noir, chapeauté, moustachu, inexpressif et silencieux.
L’espace était couvert des chaises vides, mais on aurait cru qu’elles étaient occupées, tant les comédiens leur offraient de vie. Les vêtements rouges des vieux et les chaises rouges sur le fond noir des murs renforçaient le rythme de leurs sollicitations. L’Orateur monta sur l’estrade et les vieux tombèrent par les fenêtres.
Il fit quelques mouvements de bouche, comme s’il s’efforçait de sortir des sons, il battit un peu des mains, dessinant quelques signes dans l’air et demeura muet. Enfin, il laissa lentement tomber les bras et demeura figé.
Noir.
En sortant, je me suis excusée auprès de l’éclairagiste. Il me rassura. Je le félicitais sur la qualité du spectacle. Il me répondit :
— En effet, ça déménage !
Allusion au chambardement des chaises. Une prouesse pour Catherine Salviat, 75 ans, par ailleurs sociétaire de la Comédie française.
Le texte était magnifique et j’ai regretté d’en avoir perdu une partie, nous l’avons commandé à la Fnac. Nous nous sommes réjouis d’avoir pu voir un si beau spectacle.
Quand nous sommes rentrés, la barrette de l’autotest, avec deux heures de retard, indiquait que j’étais positive !
Invasion de l’Ukraine, deuxième semaine
Gilles a attrapé le Covid durant une répétition des Suppliantes. Juste un rhume. Il ne s’en serait pas aperçu si Hubert ne l’avait pas prévenu. Test positif, isolement. Je suis négative pour le moment et nous nous tenons à distance. Masques à l’intérieur, nous ouvrons les fenêtres le plus souvent possible. Pour l’instant, les trois doses semblent nous protéger, rien à voir avec les étouffements et les hospitalisations du début de la pandémie. Hier, Julien a laissé un message nous annonçant que Thomas est positif. Aujourd’hui, nous apprenons qu’ils sont tous les trois contaminés ainsi que la famille des amis avec qui ils avaient passé leur vacances. Ils avaient déjeuné dans un restaurant bondé et mal ventilé au col de la Faucille. Ils doivent maintenant gérer le casse-tête de l’isolement.
Du coup, je fais les courses. J’avais oublié ce quotidien plein de saveurs. J’avais oublié les conversations chez le boucher, les commentaires de la caissière. J’avais même oublié le temps qui passe ; les sacs pèsent désormais lourd au bout des bras ! Tout à l’heure, j’ai dû redescendre pour aller acheter le pain ainsi que les gâteaux du dimanche sur la place des Petits-Pères. Merci à Gilles pour ses va-et-vient quotidiens rue Montorgueil et à Tougin, dont il est d’ailleurs devenu une figure, évoquée par tous avec le sourire.
Je vais moins à l’atelier. Je continue de reprendre d’anciennes chroniques, surprise par leur légèreté et un humour que les dernières années semblent avoir quelque peu érodé.
Les gilets jaunes, la pandémie et maintenant la guerre en Ukraine ont eu raison d’une certaine insouciance. Tout n’était pas rose, mais l’avenir restait ouvert.
Aujourd’hui, le désastre de la guerre a mis fin à des décennies de paix en Europe, le sol se dérobe sous nos pieds.
Je suis née durant l’invasion allemande, un désastre qui fit soixante millions de morts dans le monde entier sans compter les victimes collatérales dues à la famine, au froid. J’imagine la peur de ma mère enceinte, de mon père lorsqu’ils furent contraints d’abandonner leur ville, leur maison sous les bombardements. Ils trouvèrent refuge chez mes grands-parents dans la Nièvre. Je suis née dès leur arrivée dans une maison bourrée jusqu’au fond des combles de familles en fuite Petite fille, j’ai vécu ces temps de guerre et d’occupation. Je me souviens du froid, de l’absence de liberté, de la peur, comme d’une infortune que je voudrais oublier et même nier.
Émergent des souvenirs de bombardements, de rues et de maisons défoncées, de soldats couleur kaki, de tickets de rationnement, d’abris et de restrictions. Je me souviens du premier printemps de paix, des lilas en fleur, du bleu du ciel, des cloches qui sonnaient à toute volée. J’avais cinq ans et c’était comme une naissance. Jusque là, j’avais vécu dans un no man’s land grisâtre dont la seule réalité tenait à l’affection inquiète de mes parents et de mes proches.
Aussi, quand je vois à la télévision ces convois de réfugiés, les bombes qui tombent sur les civils, les ponts détruits, je sais que cette violence ne peut pas s’arrêter par un coup de baguette magique. Aux informations de midi, les commentateurs laissaient percer la crainte que Poutine ne s’arrêtera pas là et continuera sur la Moldavie. L’Europe n’étant pas armée, rien n’empêche la Russie d’y entrer comme dans du beurre.
La folie de la Grande Russie est de même nature que celle du troisième Reich. Elle se nourrira de cadavres, de destructions. Qu’importe les ruines ; la mort se nourrit de la mort. La menace de l’arme nucléaire doit être prise au sérieux, tout sera bon pour aller jusqu’au bout.
Les sanctions économiques contre la Russie risquent d’unir son peuple autour du tyran et de sa propagande. Mais que faire ?
Je suis assez d’accord avec Jonathan Litell et Lionel Jospin lorsqu’ils espèrent un cessez-le-feu, afin de laisser à l’Occident le temps de constituer une possible riposte. Poutine l’accepterait-il malgré ses déclarations ? Ce n’est pas dans son intérêt. En fait, les Ukrainiens ne veulent pas céder. Avec leur courageux président, ils ont l’intention de se battre jusqu’au bout. Les hommes mettent femmes et enfants en sécurité en Europe, surtout en Pologne. Puis ils regagnent leurs villages et leurs villes, sous les bombardements russes. Ils se battent avec l’énergie du désespoir et espèrent encore gagner, bien que très inférieurs en nombre. Il est plus probable qu’ils en seront bientôt chassés par le feu, par la faim, même si certains spécialistes militaires européens pensent qu’ils peuvent encore plomber la victoire des Russes à leur profit.
En attendant, Poutine par un simulacre de couloirs humanitaires, encombre les routes et cherche à démoraliser le peuple ukrainien, comme il l’avait fait en Syrie.
La troupe russe d’après les renseignements américains est mal ravitaillée. De quelles exactions se rendra-t-elle capable lorsqu’elle entrera dans Kiev, la capitale ?
Espérons que les Russes auront assez de lucidité pour se révolter contre cette guerre, c’est le seul espoir pour le moment. Peuvent-ils se retourner contre leur pseudo tsar sanguinaire ? Privés de toute information et de moyens de communication sont-ils en mesure d’affronter la réalité ?
Invasion de l’Ukraine.
Comme j’aimerais ne pas avoir à écrire sur un tel sujet ! Pourquoi faut-il que les hommes aiment la guerre ? Que connaissent-ils de l’amour, de la liberté ? Je voudrais contre toute réalité qu’un fond d’espoir subsiste.
Un convoi de soixante kilomètres de chars et de munitions s’avance vers Kiev. Un fou, le doigt sur le bouton nucléaire, dit se battre contre un gouvernement néonazi. On avait mis les morts à table, dit le poète.
L’actuel gouvernement ukrainien est issu d’une série télévisée qui a mis en scène une résistance contre la corruption, visant ainsi celle du précédent gouvernement inféodé à la Russie. À la surprise générale, le président fictif qui s’était présenté aux dernières élections a été élu en 2019, à une forte majorité. Malgré son inexpérience et après des débuts chaotiques, Volodymir Zelensky s’est peu à peu imposé dans son pays comme sur le plan international. Qui aurait pu imaginer une telle situation !
C’est la volonté de son gouvernement d’entrer dans l’OTAN, Alliance politico-militaire des pays d’Europe et d’Amérique du Nord qui semble avoir mis le feu aux poudres. Le président russe, Wladimir Poutine formé dans l’ancien KGB (service de renseignement pour la Sécurité de l’Etat), nostalgique des anciennes frontières soviétiques et de l’Empire russe y a vu une intrusion intolérable. L’Ukraine, riche en ressources minières, grenier à blé de l’Europe, une large façade sur la mer Noire ne pouvait à ses yeux s’émanciper de la Russie. Il s’est construit un scénario historique où Kiev serait le berceau de la Grande Russie. Il s’est montré à la télévision prêt au nucléaire pour chasser Zelensky et le remplacer par un président et un gouvernement sous son autorité.
À la tête de la Russie depuis vingt-deux ans sous différentes formes, il a changé la constitution pour pouvoir y rester jusqu’en 2036. Bien qu’il ait noyauté les informations, bridé les libertés, avantagé les oligarques, les grandes fortunes, et bien que le pays ne décolle pas sur le plan économique, il bénéficie d’une forte cote de popularité dans la Russie profonde. Tout est réuni pour une guerre sans merci !
Après une période de rapprochement avec l’Occident, Poutine montrait les dents depuis longtemps, pour ne pas dire plus. L’annexion de la Crimée, d’une partie de la Georgie, le renforcement de son armée, tout indiquait qu’il avait l’intention d’aller plus loin.
Naïveté ? L’Occident a laissé sans broncher 200 000 soldats russes s’entasser aux frontières de l’Ukraine. Lorsque les premiers mouvements ont démarré, on n’a pas cru à une invasion aux conséquences dépassant l’entendement. Notre président Macron s’est pendu au téléphone pour persuader Poutine d’arrêter, ce qui ne l’a pas empêché de lancer des troupes sur Kiev pour une guerre éclair, tout en disant qu’il était prêt à négocier.
Mais les Ukrainiens se sont défendus suscitant une admiration générale. Zelenski a fédéré son peuple et son armée contre l’inéluctable, les Russes ne sont pas parvenus à prendre l’aéroport aussi vite qu’ils l’espéraient.
Poutine ne veut pas bombarder Kiev, qu’il considère comme appartenant à la culture russe. Il lance quelques missiles pour faire fuir les habitants et encourage la population à se réfugier en Pologne.
Aujourd’hui, près de cinq cent mille Ukrainiens ont franchi la frontière, souvent avec de simples balluchons, parfois à pied. Quelle misère ! Imaginez la terreur des femmes et des enfants laissant derrière eux les hommes défendre leur pays.
Le monde entier s’est uni pour isoler la Russie par des sanctions économiques et financières, au risque de devoir se serrer la ceinture. Des semblants de négociations ont réuni les belligérants dans la Biélorussie voisine. Nous en sommes là, sans oublier les villages rasés dans les deux territoires russophones de l’est, dont on n’a pas de nouvelles.
L’Occident arme l’Ukraine, mais que faire devant soixante kilomètres d’armement en route vers Kiev.
Et pendant ce temps, ici à Paris, nous savourons quelques jours de soleil, une promesse de printemps. La paix est un bien précieux dont il faut goûter chaque seconde, à ne pas gaspiller, à préserver autant que faire ce peut. Le plus grand des trésors.
Correspondance de Stéphane Mallarmé. Vacances de février.
Pour ma part, j’appréhende les vacances scolaires. L’atelier de céramique et le théâtre ferment. Les rencontres sont perturbées par les gardes d’enfants, les départs en province et les arrivées de province.
Elles ont pourtant du bon car elles m’obligent à m’arrêter un temps pour réfléchir. Depuis quelques jours, je nettoie mon atelier pour y loger deux jeunes amies, étudiantes bordelaises venues visiter Paris pendant leurs vacances. Inimaginable ce qu’on peut remuer de tubes de peinture, de pinceaux, de médiums, de papiers, de chiffons, de white spirit, de tout et n’importe quoi ! J’en profite pour classer, encadrer. Je déteste cela, comme si les travaux qui m’avaient passionnée appartenaient désormais au passé. L’achèvement d’une œuvre s’accompagne chez moi d’une passivité éprouvante. C’est le moment où mon regard s’aiguise, devient critique à l’excès, privé d’intervention. C’est fini et je dois l’accepter. Beaucoup de mes camarades y trouvent une satisfaction qui les incite à exposer. Il me faut plus de temps. Heureusement qu’une nouvelle aventure créative survient toujours !
Mardi dernier, nous sommes allés à l’École Normale Supérieure, assister à un séminaire sur la correspondance de Mallarmé, par Bertrand Marchal, le grand spécialiste du poète. Il prépare une réédition de la Pléïade ! Après avoir été présenté par notre ami JMH, il s’est lancé avec passion sur son travail qui a consisté à chercher, découvrir, déchiffrer, classer trois mille lettres, chacune d’entre elles révélatrice de leur auteur, tant par le contenu que par les détails du papier, de l’encre ou des ratures.
Comme tout le monde, j’ai eu un vague aperçu de Mallarmé à l’école. Il m’a laissé le souvenir d’une poésie incompréhensible et froide. Je pouvais juste le dater du 19ième siècle et encore ! Mais je suis irrésistiblement attirée par les séminaires sur les correspondances littéraires et artistiques de l’ITEM. J’y découvre tout un univers d’amis, d’échanges, de confidences qui m’éclairent sur les auteurs et leur époque, sur leur œuvre. Une plongée dans leur quotidien.
C’est fou ce qu’on pouvait écrire autrefois ! Des milliers et des milliers de lettres. Un fourmillement de relations continues dont les codes permettaient de ne pas se perdre de vue et de se livrer sans trop de danger, l’éloignement autorisant l’expression de sentiments intimes inenvisageable de nos jours.
Aujourd’hui, une lettre engage son auteur. On la lit, on la relit avec l’inquiétude de sa réception. On s’y livre le moins possible. On dispose du téléphone et de la messagerie électronique. Mais plus nous bénéficions de moyens, moins nous nous livrons. Trop de communication tue la communication.
Pourtant, un nouveau mode s’est mis en route à travers les réseaux sociaux. Nombreux sont les jeunes qui se trouvent ainsi des amis, parfois très loin de chez eux, et finissent par les rencontrer. D’une certaine façon, on peut dire qu’un retour de l’écrit se fait jour. Il n’est plus la prérogative d’une classe cultivée. Dans ce fourre-tout, il y a à boire et à manger, mais tout le monde s’exprime.
Tout de même, alors que j’écoutais Bertrand Marchal raconter comment durant des milliers d’heures, il avait établi la chronologie de ces milliers de lettres non datées, grâce à la texture du papier, la couleur de l’encre, les faits décrits, comment il était parvenu à lire sous les ratures, images sur grand écran à l’appui, j’ai pensé à l’abîme qui le séparait des préoccupations de la majorité des Français…
L’éminent chercheur parlait avec une passion qui ne laissait aucun doute sur la joie qu’il éprouvait dans son travail, au même titre qu’un artisan ou que n’importe qui d’autre. Ses yeux vifs, ses phrases sans hésitation faisaient plaisir à voir et à entendre, nous offrant l’impression de connaître personnellement le poète. Il nous introduisait dans l’univers intime de Stéphane Mallarmé , tyrannique avec sa femme et sa fille, ces « chéries » taillables et corvéables à merci, pointilleux dès qu’il prenait la plume. Il nous a évoqué ses amis, les peintres : Manet, Odilon Redon, les poètes : Charles Beaudelaire, Paul Valéry, des musiciens dont Debussy, et tant d’autres, un délicat plaisir d’amitiés partagées
J’avais pu contempler à Marmottan, la semaine précédente, le portrait que Manet avait offert à Mallarmé, portrait que le poète transportait dans ses déplacements saisonniers. J’aime voir mes intérêts se recouper, quel qu’ils soient, un peu comme lorsqu’on se promène dans une ville dont on finit par devenir familier.