Quatre jours agités (suite)

Agnès m’avait téléphoné alors que nous roulions vers Grenoble. Conversation laborieuse, interrompue par le tunnel de Chambéry et difficilement reprise. Ayant profité des vacances de la Toussaint, elle arrivait tout juste de leur maison d’Intragna, un village accroché à la montagne au-dessus du lac Majeur en Italie.

 Ils habitent dans le haut de Gex, dans la partie ancienne de la ville. J’ai déjà évoqué ces vieilles maisons aux murs épais dont les jardins s’étagent sous les remparts de l’ancien château fort. Longtemps le refuge des pauvres de la commune, occupées ensuite par des émigrés de l’après-guerre, elles sont aujourd’hui prisées et restaurées par des Nordiques et des Anglais travaillant dans les organisations internationales de Genève. De jardin en jardin, de terrasse en terrasse, ils forment une communauté cultivée et originale. Et l’année dernière, ils ont déposé les statuts d’une association culturelle programmant des événements variés ; expositions de photos, de céramiques, visionnage de courts métrages et ce jour-là un spectacle dans une grange.

Nous arrivions d’Albertville et la nuit tombait. Après un bref passage à Tougin, nous nous sommes aventurés dans les rues sombres et désertes de la vieille sous-préfecture. À l’écart, au pied des remparts, nous avons trouvé une grange, telle je ne pensais pas qu’il puisse encore en exister en centre-ville. Une voiture occupait le rez-de-chaussée. Personne nulle part. Nous allions continuer lorsque des chuchotements provenant de l’étage nous ont alertés. Nous avons grimpé un escalier de bois raide et blanchi par les siècles. Dans la pénombre vaguement éclairée par des guirlandes lumineuses, une assemblée écoutait en silence une mélopée accompagnée d’une sorte de harpe celtique. Les jeunes filles assises sur un plancher rustique jonché de feuilles mortes nous ont fait un passage et Wilfrid a surgi pour nous conduire vers un banc de bois.

Nos yeux s’habituant à l’obscurité, nous avons deviné les silhouettes d’une trentaine de personnes entourant une sorte de catafalque faiblement éclairé, composé de feuillages et de fleurs. Devant nous un grand gong en cuivre pendait à une potence de fer forgé.

Après une poésie déclamée par une jeune fille aux cheveux d’ondine, un son profond s’en éleva, monta, s’éteignit, reprit jusqu’à remplir l’espace, s’éleva à nouveau pour se replier lentement et se fondre définitivement dans le silence. La jeune fille nous convia alors à descendre pour déguster une soupe à la citrouille. On se leva. Wilfrid et Agnès nous présentèrent aux organisateurs. Tout autour, des jeunes, parfois très jeunes dont beaucoup parlaient anglais.

La pièce du haut se vida lentement. À la sortie, une jeune fille nous incita à couper une tige de lierre à laquelle était accroché un petit rouleau de papier. Une poésie y était calligraphiée. Nous devions la lire à haute voix avant d’accéder au rez-de-chaussée débarrassé de la voiture ayant servi à camoufler le buffet orné de feuillage.

Il se trouve que depuis mon enfance je ne supporte pas la soupe au potiron. On pouvait me priver de dessert et même de repas, sans que j’accepte d’en avaler la moindre cuillérée. Heureusement, Agnès et Wilfrid avaient concocté une soupe avec des châtaignes rapportées d’Italie. Avec une lichée de crème bio de la même origine, ce fut un délice. Elle cuisait sur un feu de bois maintenu dans une vasque métallique, au fond d’un chaudron suspendu à des fourches.

Nos amis nous ont présenté plusieurs des membres de l’association, ce qui nous a rajeunis. Des décennies auparavant, débarquant dans une région à l’époque encore presque exclusivement agricole, à l’initiative de Mazé Guillot, nous avions créé Le Mouvement artistique du Pays de Gex. Nous en avons gardé de chers amis tout au long de notre vie. Plusieurs ont fait de beaux parcours : Julian exposant ses bijoux sur la Cinquième avenue, Joël, invité principal du Printemps des poètes de Paris, Henriette à Genève, Karen en Californie.

Enfin, Wilfrid, à la lumière de son portable, nous a conduits chez lui par les cours et les jardins. Nous avons pu embrasser Armand qui s’apprêtait à partir, les vacances terminées. Il est en deuxième année d’EPFL, une école d’ingénieur terriblement difficile. Agnès le déposait à Coppet au train de Lausanne.

Après une nuit réparatrice et encore quelques rangements, avant de fermer la maison et de prendre le car, puis le TGV pour Paris, Gilles a commenté la soirée :

— Si le feu avait pris dans la grange, on serait probablement tous morts !

Halloween ! 

Quatre jours agités.

Jeudi : Tougin. Arrivée sous la pluie et dans la froidure.

Vendredi : Taille des rosiers, coupe des holtas et des iris, ramassage des feuilles de la vigne vierge entre deux averses, rangement de la maison pour l’hiver.

L’impasse était déserte. Quelques nouvelles des voisins néanmoins. Nous avions tant à nous raconter ! Nous avons retrouvé Marcel et Jacqueline autour d’un café. Marcel partait rendre les honneurs militaires aux obsèques d’un compagnon de la guerre d’Algérie.

Deux bonnes soirées devant un feu de cheminée. Le premier soir, la tempête s’est soudain mise à souffler. Les tuiles cliquetaient sur le toit au milieu du vacarme des arbres tordus par le vent. Vers minuit, tout s’arrêta. Plus un souffle d’air, un étrange silence s’était installé sur le village.

Samedi : déjeuner chez Patrick et Marie.

Avec Ève et Emmanuel, Jean-Michel et Caroline, les cousins de Grenoble avaient décidé d’inviter leurs vieux oncles et tantes.

Yves est donc venu de Paris en train et logeait chez Caro. Marc et Catherine étaient montés du midi, avec une étape à Barcelonnette et logeaient chez Ève. Hervé et Véronique en avaient profité pour faire une escapade dans les Alpes, ils restaient plusieurs jours chez Patrick. Nous venions donc de Tougin. Une belle idée qui s’était développée avec une belle simplicité.

Ce fut une fête de famille bien agréable ! Agnès et son mari, venus de la Drôme s’étaient joints à nous.

La maison sur les hauteurs de Vizille, construite dans la campagne, il y a une dizaine d’années est magnifique. Férus de montagne, ils ont fait les plans de façon qu’on puisse voir toutes les montagnes aux heures les plus belles.

Repas savoureux ! Champagne du producteur. Blagues et anecdotes. Photos. Nous nous sommes quittés en fin d’après-midi en nous donnant rendez-vous le lendemain, qui pour aller visiter le musée de la Résistance, qui pour faire une grande balade en montagne dans la neige, qui encore pour monter à la Bastille.

Le soir nous nous sommes retrouvés chez Ève avec Marc et Catherine. Jean-Michel était allé écouter Cabrel avec sa fille Maud. Yves et Caro se sont joints à nous pour un dîner léger.

Dimanche : nous avons cherché les tombes de la famille dans le cimetière de Grenoble, sans succès. Je les avais pourtant trouvées il y a quelques années, mais le cimetière est très grand. Nous nous sommes perdus, retrouvés. Puis nous avons traversé la vieille ville. Nous sommes passés devant le monument dédié à la Révolution Française avec l’hommage à la Journée des tuiles et à Mounier, héros familial, devant la maison de Stendhal.

Enfin, nous sommes montés à la Bastille en bulles. Pas un nuage. Le Mont Blanc trônait à l’est, derrière nous la Chartreuse, à droite le Vercors, devant nous Belledonne enneigée. C’était magnifique ! Ève et Emmanuel nous ont expliqué la géographie de la ville qui s’étendait à nos pieds. Nous avons cherché les lieux familiaux (mon père était originaire de Grenoble, vous l’aurez compris !)

À midi, nous avons déjeuné avec nos petits-enfants, 20, 18 et 16 ans. Comme c’est intéressant d’écouter ce qu’ils vivent dans leurs lycées, à l’université, d’entendre leurs opinions sur les problèmes d’aujourd’hui ! Pour le moment, ils s’en tirent plutôt bien.

Marc et Catherine sont partis visiter le château de Vizille où une de nos arrière-grand-mères au 19e siècle avait été préceptrice des enfants du comte de Chambord. Famille-famille…

Enfin, Gilles et moi, nous sommes partis pour Albertville voir son frère Jean-Claude. Les médecins ont décidé de ne pas l’opérer de son cancer. Nous avons passé une heure à discuter au soleil. Nous avons plaisanté autant que possible. Après-midi à la fois triste et gaie, affectueuse. Nous avons évoqué un peu le passé, beaucoup le mystère de la vie et de la mort. Nous nous sommes quittés sans savoir si nous allions nous revoir…

Pour ceux qui me lisent régulièrement, j’espère que plusieurs de ces personnages vous sont devenus familiers, tels des amis qu’on ne voit pas souvent, mais qui vous tiennent à cœur.

Nous nous sommes dépêchés de rentrer à Tougin, pour ne pas être trop en retard à une petite fête organisée dans la vieille ville par un groupe hétéroclite d’écrivains, de musiciens et de cinéastes.

Le sommet des montagnes rougeoyait au soleil couchant.

(à suivre)

Art contemporain.

Lula est élu au Brésil d’une courte avance. Une lueur d’espoir pour le monde. Démocratie et climat.

Passé la nuit à l’atelier, pour surveiller la mise en route du four à céramique, rodage à vide. 1020 degrés Celsius, ce n’est pas rien ! Disjoncteur, claquements intempestifs, arrêt prématuré : que d’émotions ! D’autant plus qu’ayant ensuite dormi comme des loirs, nos observations se révèlèrent plutôt approximatives. Le lendemain, nouvelle cuisson test avec des tuiles d’argile. Nous avions procédé à un échange agité de régulateur défectueux auprès du fabricant et je n’étais pas trop optimiste. Le surlendemain, merveille ! Elles étaient impeccables, dures et ocrées à souhait.

Ce lundi, un essai d’émaillage. Cuisson à 900 degrés. Si ça marche, c’est le rêve ! Je mets le four en marche en partant de l’atelier et le lendemain, il n’y a plus qu’à ouvrir…

Donc samedi, profitant de notre nuit à l’atelier, après la magnifique exposition Kokoschka au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris et un pique-nique à l’atelier, nous sommes allés voir une exposition d’art contemporain près de la mairie du XVe (où nous nous sommes mariés…), intitulée Douze preuves d’amour. Le résultat d’un concours pour les moins de 35 ans. J’essaie régulièrement de rester au courant de ce qui se réalise à l’avant-garde.

Au fond d’une impasse ouvrière, un ancien et vaste garage entièrement repeint en blanc et illuminé de rampes de néon au plafond accueillait des « installations », des toiles, des sculptures de tailles variées, parfois très grandes. On y retrouvait le fourre-tout de ce genre d’exposition. Des idées variées, et le plus souvent un travail énorme, de soudure, de couture, de moulage, d’assemblage, de résine, de précisions diverses. Difficile d’y retrouver le thème, si ce n’est qu’il y avait probablement fallu beaucoup d’amour… Le prix avait été décerné à Dora Ferigi pour ses toiles en diptyque, certes grandes, mais à peine couvertes de personnages elliptiques, tracés au pinceau et relayés sur la toile nue par quelques traits de craie grasse. Le jury, du beau monde de l’art, avait tranché parmi 3000 dossiers de candidature, nous a raconté la « médiatrice ». Peut-être exténué lui-même, fatigué de tant de fatigue, s’était-il offert un peu de repos.

A la sortie de ce vaste espace désertique, un catalogue fut donné aux trois ou quatre visiteurs s’apprêtant à replonger dans les rues grouillantes de ce samedi après-midi. Un livre cartonné, sur papier glacé, bilingue français-anglais, orné d’un cœur, agrémenté d’explications sur les motivations des œuvres. Étonnée, j’ai demandé d’où provenait le financement d’un concours récompensé par des bourses non négligeables. La médiatrice m’expliqua que son promoteur, un très fortuné promoteur immobilier était également président du conseil d’administration du Palais de Tokyo, musée national. Un arrangement efficace entre le privé et le public ! En rentrant, j’ai vu sur Internet combien cet autodidacte débordait d’enthousiasme : fondation dans l’île Seguin, Villa Emerige (ouverte aux membres du Tokyo Art Club).

— C’est la neuvième année qu’il organise ce concours et plusieurs de ses lauréats sont maintenant pris en charge par des galeries. Certains sont devenus célèbres.

La jeune fille me cita des noms que je ne connaissais pas, ce qui ne veut rien dire.

C’est ainsi que le lendemain dimanche, je fus à peine surprise en allant au Franprix de la rue du Mail, de trouver une immense toile entourée de papier bulle, posée sur la chaussée dans une caisse de bois à sa mesure. La rue était bouchée par un camion, convoi exceptionnel, et par un engin mécanique ultra moderne, surmonté de phares et de bras articulés, une de ces grues qu’on voit les jours fériés transporter des objets lourds et encombrants par-dessus les toits de Paris. Autour s’agitait une équipe spécialisée. En transparence, on devinait un personnage à la Rembrandt bras tendu vers le haut dans une atmosphère noire et apocalyptique. Je me suis approchée de la jeune fille qui dirigeait l’opération :

— C’est un tableau ?

— Oui, me répondit-elle gentiment.

— Pour un particulier ?

Elle leva la tête. Appuyée à une fenêtre, une femme élégante nous sourit en me saluant d’un geste large. La jeune fille prononça un nom que je ne compris pas tout de suite.

— Anselm Kiefer !

Il me fallut encore quelques secondes avant de relier la scène à l’auteur dont j’avais vu les immenses toiles macabres au Panthéon et qui avait fait un tabac à Pompidou, un artiste dont mon amie Marie fait grand cas.

Une sorte de machine à calculer se mit en route sous mon crâne. Le prix de ce transport très particulier devait être astronomique. Je me suis éloignée de la jeune fille après l’avoir remerciée et j’ai dit à un voisin qui regardait la scène :

— Cela doit valoir très cher ! Au moins 300 000 euros.

Un clochard assis par terre dans ses vêtements gris et déchirés ouvrait des yeux ébahis,

Le badaud déclara sur un ton neutre :

— C’est de la spéculation ! Vous verriez ça chez vous ?

En sortant du Franprix, je vis la toile pendue au bout de sangles. Les jeunes hommes ajoutaient des éléments de protection sur les bords avec des gestes lents et précis. Retournée dans l’appartement, je racontais la scène à Gilles, sceptique quant à mon évaluation.

Vérification faite sur Internet, la toile valait 4 000 000 d’euros.

Les obsèques de Philippe C.

Sous nos fenêtres dans la cour, des ouvriers sont en train d’installer un échafaudage pour la réfection de la toiture et son isolation. Crise énergétique oblige.

De toute façon, c’était une passoire. Comment a-t-on pu loger les domestiques dans ces mansardes haussmanniennes, minuscules, étouffantes l’été et glaciales l’hiver ? Comment ont-ils pu survivre au milieu des cheminées qui crachaient une suie collante ? La tuberculose sévissait alors à grande échelle. Aujourd’hui, elles sont réunies en lofts spacieux avec de larges velux, assez agréables à vivre, avec vue sur les toits et chez nous sur le Sacré-Cœur.

Les échafaudagistes travaillent dans un bruit continu de barres de fer qui s’entrechoquent, de coups de marteau, au milieu d’incessants discours. Dans quelle langue ? Difficile à dire. Le monde ouvrier est devenu une tour de Babel. Ils se comprennent et leurs échanges font un chœur de voix graves qui me réjouit le cœur et les oreilles. Ils montent le mécano, étage par étage, verrouillent les passerelles, placent les échelles. Un travail en plein air, qui demande de la méthode et de l’astuce. Ils s’activent sans s’énerver. Ce matin, ils ont atteint le cinquième. Demain, ils seront devant nos fenêtres. Il faudra éviter de se promener en petite tenue…

L’enterrement de Philippe C. J’y reviens.

Ce cousin germain allait sur ses 92 ans. Il ne se portait pas trop mal et vivait encore chez lui quand il a eu l’idée d’aller à Lourdes comme chaque année avant l’épidémie, pour participer au pèlerinage de Monaco où il avait vécu jusqu’à la mort de son épouse, Jessie. Au retour, il s’est arrêté chez sa fille à Aix en Provence. Et c’est là que s’est déclaré le Covid.

Elle a dû l’hospitaliser. À l’entrée, il a exigé qu’on le ramène chez lui. C’était un homme de l’ancien temps, particulièrement autoritaire. Le médecin lui a répondu :

— Pas de problème, vous signez une décharge. Mais demain matin, vous êtes mort.

Il est resté et ils l’ont tiré d’affaire. Il a pu rentrer chez lui à Blois en ambulance. Son autre fille qui habitait la même résidence l’a persuadé d’entrer dans une maison de convalescence où curieusement, il a séduit tout le personnel par sa gentillesse. Mais le cœur n’a pas tenu bien longtemps, il s’est éteint juste comme Sophie avait quitté sa chambre pour aller faire des courses. Un grand classique ! Elle en était désolée.

On l’enterrait à Saint-Augustin, à côté de Faremoutiers où avait lieu la cérémonie religieuse, deux communes de la Brie, proche de Coulommiers.

Ce n’était pas une mince affaire ! Pas de train. Nous n’avons pas de voiture à Paris. La grève des raffineries avait fermé les pompes à essence. Claudine la sœur de Philippe nous a trouvé une gentille convoyeuse, qui nous a embarqués à la porte de Vincennes. C’est en discutant que nous avons pris l’autoroute. Nous avons évoqué la vallée de l’Aubetin sur la commune de Saint-Augustin vers laquelle nous nous dirigions et le Moulinet, un lieu familial et enchanteur, dont j’ai déjà parlé ici.

A dix ans et onze ans, j’y avais fait des séjours pendant les vacances de Pâques, chez mon parrain, l’oncle Hervé et son épouse, la si vive et gaie tante Mimi. Avec Catherine et Claudine, les cousines de mon âge, nous avions gambadé au bord de la rivière, cueilli des fleurs, nous nous étions raconté des tas d’histoires. Les soirées dans l’odeur du feu de bois nous ensommeillaient avant de nous glisser dans nos lits bassinés. Par la suite, Claudine et son mari y avaient habité à l’année et j’ai évoqué à plusieurs reprises les bons moments que nous y avons passés, en heureuse compagnie, au son de la rivière qui chantait en sautant les vannes sous la maison. C’est au cimetière de Saint-Augustin qu’allait être enterré Philippe, auprès de Jessie et de ses parents.

La famille de Philippe habitant à Blois et dans le midi, Claudine s’était chargé des démarches pour les obsèques de son frère. Ce fut toute une histoire ! Philippe avait été un pilier de sa paroisse de Beauséjour, trésorier du diocèse de Monaco et ami de la sœur du prince Régnier. Voyant la mort venir, il avait organisé ses obsèques dans les moindres détails, prières, organisations, coussin pour ses décorations monégasques. Sans être pédant, il aimait les solennités !

Seulement voilà… Aujourd’hui, les prêtres se font rares pour célébrer les enterrements, ils sont remplacés par des laïcs formés à ces cérémonies. Et celui de Faremoutiers, un ami de la famille, une tête de mule, s’indigna et refusa de changer ses habitudes. Dans l’intervalle, un prêtre très âgé s’était trouvé disponible, et celui-ci décida tout de go, compte tenu de ses états de service d’obéir aux volontés du mort. Ouf !

C’est ainsi qu’à la fin de la messe, un jeune homme nous lut le message posthume de son grand-père par lequel il exprimait son amour et son amitié pour nous tous et s’excusait d’avoir été un peu trop autoritaire !

Nous nous sommes rendus ensuite au cimetière de Saint-Augustin sous la pluie. Un repas briard, savoureux et simple a réuni une cinquantaine de convives dans la salle communale de Saint-Augustin.

Comme nous avions vieilli ! Les petites filles d’autrefois étaient devenues des vieilles femmes ridées et courbées, pour certaines assez branlantes. Heureusement qu’autour de nous, une nuée d’arrière-petits-enfants criaient et couraient dans tous les sens. La vie continuait…

Nous aurions été intarissables sur nos souvenirs, sur nos enfants et nos petits-enfants, mais il fallait débarrasser le plancher, tout ranger pour laisser la place aux activités périscolaires. Nous avons donc pris la route du retour vers quinze heures, après un petit arrêt sentimental au Moulinet, racheté par un jeune couple ayant fui Paris après le confinement et qui travaillait dans la cyber sécurité. La vie s’y poursuivait, là aussi…

Trois jours après : éternuements, fièvre, fatigue, gorge emportée, j’avais le Covid.

Une semaine à Paris

Nous avons renoué avec les dîners de Nicky, qu’il continue d’assurer depuis le décès de Noëlle. Il envoie une invitation à une vingtaine de personnes en précisant le menu,  mardi un cassoulet (il est originaire de Pau). Selon les réponses, il concocte des tablées surprises. Ce soir-là, trois de ses petits-enfants s’étaient joints à nous et à un couple de notre âge.

Quel plaisir ce fut de discuter de leurs études ! Stage de Science Po auprès d’assistants parlementaires à l’Assemblée nationale pour l’un. Pour les deux jeunes filles ayant laissé leur famille à Singapour, l’une étudie dans une école de cinéma (elle veut se spécialiser dans le montage) et pour l’autre, démarrage du droit à Dauphine. Le mari de l’autre couple avait fait ses études à Science Po, il y a près de cinquante ans. Ils s’étaient rencontrés dans la haute fonction publique et ils évoquaient leurs relations avec les politiques. Elle avait un temps été chargée de la communication des ministres, en particulier de celle de Laurent Fabius. Ils avaient vu défiler toutes les couleurs politiques. Lui, avait travaillé à l’Équipement, en particulier pour la ville nouvelle de Marne-la-Vallée. Ils avaient passionnément aimé leur métier. Le jeune garçon buvait leurs paroles, visage un peu tendu, le contingent de l’école étant passé dans l’intervalle de quelques centaines à cinq mille élèves.

Quel soulagement ce fut de recevoir un message de Daria ! Elle est revenue à Paris. Nous nous sommes retrouvées à l’atelier. Elle m’a raconté la vie des jeunes et des femmes au milieu de la répression en Iran. Alors qu’il distribuait des tracts lors d’une manifestation, un ami étudiant a été arrêté par un gardien de la révolution surgi d’une ambulance. Toute sa famille a été poursuivie. Jusqu’à l’arrivée au pouvoir du président Ebrahim Raïssi, Daria était heureuse à chaque retour en Iran de voir combien la société évoluait, à la fois dans la modernité et dans le respect des religions, de la culture et des traditions. Elle était fière de cette évolution vers un humanisme inventif. La répression s’est abattue sur les jeunes comme un cataclysme. Elle m’a dit que beaucoup des gardiens de la révolution, représentants de la police des mœurs, sont des arabes mercenaires venus de Syrie ou d’ailleurs et ne parlent pas persan. Selon elle, les jeunes n’ont pas peur et ne reculeront pas, contrairement aux précédentes révoltes. Mal à l’aise à Paris dans l’attente d’une réponse pour un postdoc, elle pense sans cesse à son pays et voudrait y retourner.

Ce matin dimanche, café avec Pierre derrière Saint-Eustache. Quand un peintre rencontre un autre peintre, ils se racontent… des histoires de peinture. Malgré les perpétuelles exigences qui nous font souvent peiner sur notre travail, nous avons parlé de notre chance. Pinceau à la main, le temps et l’univers se dilatent, nous ignorons l’ennui. Nous avons un peu discuté d’art contemporain, un art extraverti, qui s’adresse au plus grand nombre. Nous avons évoqué les façades d’immeubles peintes, appréciant certaines, jugeant beaucoup d’autres trop envahissantes.

Nous nous sommes quittés pour rentrer déjeuner, lui, vers le Pont Neuf, moi par la rue Montorgueil. Une queue démarrait un peu avant Stohrer. Songeant encore à notre conversation, j’ai continué machinalement vers la pharmacie. Quand j’ai réalisé qu’elle s’étirait sur plus de cent mètres, je suis revenue sur mes pas pour regarder quelle boutique pouvait intéresser ces jeunes au point de faire le pied de grue durant plus d’une heure, une occupation à laquelle je ne me plie qu’en cas de nécessité absolue.

La queue démarrait d’une petite boutique intitulée « Fou de pâtisseries » en lettres fines et dorées sur fond bleu-nuit. Elle proposait des pâtisseries destinées à un nouveau public, du genre petits cannelés ou tartelettes architecturées. La file indifférente à ses babas au rhum, à ses gâteaux moussus bouchait l’entrée de l’illustre et historique Stohrer. On remarque de temps en temps à Paris des files de ce genre, composées de jeunes à baskets blanches devant des magasins qui paraissent insignifiants. Là, il s’agissait plutôt de trentenaires, en couple ou célibataire. Effet internet ? Pourquoi n’ai-je jamais possédé cet instinct grégaire ?

Lundi, nous sommes allés à Faremoutiers pour les obsèques de mon cousin Philippe C. et c’est une autre histoire.

Une semaine à Paris

Nous avons renoué avec les dîners de Nicky, qu’il continue d’assurer depuis le décès de Noëlle. Il envoie une invitation à une vingtaine de personnes en indiquant le menu – mardi un cassoulet (il est originaire de Pau) – et selon les réponses, il offre des tablées surprises. Ce soir-là, trois de ses petits-enfants s’étaient joints à un couple de notre âge ainsi qu’à nous.

Quel plaisir ce fut de discuter de leurs études ! Stage de Science Po auprès d’assistants parlementaires à l’Assemblée nationale pour l’un. Pour les deux jeunes filles ayant laissé leur famille à Singapour, l’une étudie dans une école de cinéma (elle veut se spécialiser dans le montage) et pour l’autre, démarrage du droit à Dauphine. Le mari de l’autre couple avait fait ses études à Science Po, il y a une cinquante d’années. Ils avaient travaillé dans la haute fonction publique où ils s’étaient connus. Ils évoquaient leurs relations avec les politiques. Elle avait un temps été chargée de la communication des ministres, en particulier de celle de Laurent Fabius. Ils avaient vu défiler toutes les couleurs politiques. Lui avait travaillé à l’Équipement, en particulier pour la ville nouvelle de Marne-la-Vallée. Ils avaient passionnément aimé leur métier. Le jeune garçon buvait leurs paroles, visage un peu tendu, le contingent de l’école étant passé dans l’intervalle de quelques centaines à cinq mille élèves.

Quel soulagement ce fut de recevoir un message de Daria ! Elle est revenue à Paris. Nous nous sommes retrouvées à l’atelier. Elle m’a raconté la vie des jeunes et des femmes au milieu de la répression en Iran. Un ami a été arrêté parce qu’il distribuait des tracts, toute sa famille a été poursuivie. Jusqu’à l’arrivée au pouvoir du président Ebrahim Raïssi, elle était heureuse à chaque retour de voir combien la société évoluait, à la fois dans la modernité et le respect des religions, de la culture et des traditions. Elle était fière de cette évolution vers un humanisme inventif. La répression s’est abattue sur les jeunes comme un cataclysme. Elle m’a dit que beaucoup des gardiens de la révolution, représentants de la police des mœurs, sont des arabes mercenaires venus de Syrie ou d’ailleurs et ne parlent pas persan. Les jeunes n’ont pas peur et ne reculeront pas, contrairement aux précédentes révoltes. Mal à l’aise à Paris dans l’attente d’une réponse pour un postdoc, elle pense sans cesse à son pays et voudrait y retourner.

Ce matin dimanche, café avec Pierre derrière Saint-Eustache. Quand un peintre rencontre un autre peintre, ils se racontent… des histoires de peintres. Malgré les perpétuelles exigences qui nous font souvent peiner sur notre travail, nous avons parlé de notre chance. Pinceau à la main, le temps et l’univers se dilatent, nous ignorons l’ennui. Nous avons un peu discuté d’art contemporain, un art extraverti, qui s’adresse au plus grand nombre. Nous avons évoqué les façades d’immeubles peintes, appréciant certaines, jugeant beaucoup d’autres assez envahissantes.

Nous nous sommes quittés pour rentrer déjeuner, lui, vers le Pont Neuf, moi par la rue Montorgueil. Une queue démarrait un peu avant Stohrer. Encore dans la conversation, j’ai continué machinalement vers la pharmacie. Quand j’ai réalisé qu’elle s’étirait sur plus de cent mètres, je suis revenue sur mes pas pour voir quelle boutique pouvait intéresser ces jeunes au point de faire le pied de grue durant plusieurs heures, une occupation à laquelle je ne me plie qu’en cas de nécessité absolue.

La queue démarrait d’une petite boutique intitulée « Fou de pâtisseries » peintes en lettres fines et dorées sur fond bleu-nuit noire. Elle proposait des pâtisseries destinées à un nouveau public, des cannelés par exemple. La file indifférente à ses babas au rhum, à ses gâteaux moussus bouchait l’entrée de l’illustre et historique Stohrer. On remarque de temps en temps à Paris des files de ce genre, composées de jeunes à baskets blanches devant des magasins qui paraissent insignifiants. Là, il s’agissait plutôt de trentenaires, en couple ou célibataire. Effet internet ? Pourquoi n’ai-je jamais eu cet instinct grégaire ?

Lundi, nous sommes allés à Faremoutiers pour les obsèques de mon cousin Philippe C. Mais c’est une autre histoire.

Ce matin dimanche, café avec Pierre derrière Saint-Eustache. Quand un peintre rencontre un autre peintre, ils se racontent… des histoires de peintres. Malgré les perpétuelles exigences qui nous font souvent peiner sur notre travail, nous avons parlé de notre chance. Pinceau à la main, le temps et l’univers se dilatent, nous ignorons l’ennui. Nous avons un peu discuté d’art contemporain, un art extraverti, qui s’adresse au plus grand nombre. Nous avons évoqué les façades d’immeubles peintes, appréciant certaines, jugeant beaucoup d’autres assez envahissantes.

Nous nous sommes quittés pour rentrer déjeuner, lui, vers le Pont Neuf, moi par la rue Montorgueil. Une queue démarrait un peu avant Stohrer. Encore dans la conversation, j’ai continué machinalement vers la pharmacie. Quand j’ai réalisé qu’elle s’étirait sur plus de cent mètres, je suis revenue sur mes pas pour voir quelle boutique pouvait intéresser ces jeunes au point de faire le pied de grue durant plusieurs heures, une occupation à laquelle je ne me plie qu’en cas de nécessité absolue.

La queue démarrait d’une petite boutique intitulée « Fou de pâtisseries » peintes en lettres fines et dorées sur fond bleu-nuit. Elle proposait des pâtisseries destinées à un nouveau public, des cannelés par exemple. La file indifférente à ses babas au rhum, à ses gâteaux moussus bouchait l’entrée de l’illustre et historique Stohrer. On remarque de temps en temps à Paris des files de ce genre, composées de jeunes à baskets blanches devant des magasins qui paraissent insignifiants. Là, il s’agissait plutôt de trentenaires, en couple ou célibataire. Effet internet ? Pourquoi n’ai-je jamais eu cet instinct grégaire ?

Lundi, nous sommes allés à Faremoutiers pour les obsèques de mon cousin Philippe C. Mais c’est une autre histoire.

Par Cœur, au Palais-Royal

Oh, Daria, si tu savais comme je pense à toi, à ta famille, à ton pays !

Un automne radieux dans un monde sous la menace nucléaire. Si prier, c’est espérer, oui, je prie de toute mon âme pour que la folie de Poutine n’entraîne pas le monde dans cette apocalypse probable, annoncée par Joe Biden. Des déluges de missiles tombent sur l’Ukraine.

Pourquoi dans un tel contexte évoquer la récitation de poésies, ouverte à tous, au Palais-Royal ? Peut-être parce que des rescapés des camps nazis ont dit combien la mise en commun de leur mémoire poétique les avait aidés à tenir bon. Mais aussi parce que la prochaine séance, programmée cette semaine, propose d’apprendre par cœur pour une récitation collective, la Chanson d’automne de Paul Verlaine.

Les sanglots longs

Des violons

De l’automne

Blessent mon cœur

D’une langueur

Monotone.

Blessent ? Bercent me venait spontanément à l’esprit. Recherche sur Internet : cette strophe a été envoyée à la Résistance par De Gaulle, comme code du débarquement en Normandie, avec le mot bercer, utilisé par Charles Trenet.

Une mémoire collective riche d’espérance !

Ce dimanche-là, journée du patrimoine, nous étions allés écouter un exposé sur le théâtre de Molière sous le péristyle de la galerie Montpensier. En sortant, nous avons aperçu sur une colonne une affichette annonçant cette récitation publique. Elle démarrait justement à cet instant.

Les fables pour l’anniversaire de mariage de Patrice et Monique encore fraîches dans nos mémoires, sans plus réfléchir, nous avons filé vers le petit jardin clos, sous les fenêtres de Colette. Malgré l’heure tardive, 18 h, les promeneurs étaient encore nombreux à écouter des guides qui commentaient ça et là l’histoire du lieu, celle de Richelieu, de Philippe d’Orléans, de la Comédie française, du ministère de la Culture et du Conseil d’État.

Le soleil caressait encore les étages et les toits, l’ombre avait gagné les rangées d’arbres, les pelouses, le bassin et nous avons poussé le portillon. Sur son pourtour, une vingtaine de personnes assises côte à côte sur les bancs de bois écoutait religieusement le discours d’un homme dressé au centre de l’enclos. Nous les avons rejoints. Installés confortablement dans la brise du soir, les paroles nous parvenaient, émergeant d’un univers à la limite de la réalité.

Je compris qu’il s’agissait de prose, d’une prose littéraire, dont les phrases longues et cursives me disaient quelque chose. Proust ? Oui, Proust ! La grand-mère, la madeleine flottaient dans le murmure étouffé de la ville. On n’entendait pas très bien, mais la ferveur de l’orateur compensait, retenait l’attention.

Quand il se tut, une femme s’approcha de nous :

— Comment êtes-vous arrivés ici ?

— Nous avons vu une affichette et nous avons demandé au bureau où cela se trouvait.

Elle parut très étonnée et nous a expliqué la genèse de cette histoire, toute récente.

Il y a peu, un groupe de proustiens s’était réuni au Palais Royal pour une récitation en plein air. Le conservateur du domaine les avait surpris en pleine action et s’était joint à eux. Lui aussi connaissait par cœur des passages de La Recherche. Il les avait encouragés à élargir ces récitations à la poésie et à les ouvrir à tous. Il faut rappeler que cet oasis au centre de Paris est un condensé de charme recueilli. En 2016, des vers de Baudelaire, Rimbaud, Hugo et de poètes étrangers ont été inscrits au laser sur le dossier de plusieurs de ses chaises ou peints sur le bois de ses bancs.

Pas de lecture, mais des récitations. C’est ainsi que le groupe a pris le nom de « Par Cœur » et se réunit désormais régulièrement au Palais-Royal. En cas de pluie il est accueilli sous le péristyle Montpensier, avec chaises et sonorisation. Tout le monde peut s’y joindre.

Ce soir-là, nous avons écouté Montesquieu, Corneille, et bien d’autres. J’ai pu réciter Sous le pont Mirabeau et Le chat, la belette et le petit lapin. Impression étrange de lancer ces mots défiant le temps vers le ciel illuminé par le soleil couchant, vers ces lieux chargés d’histoire, à deux pas de la Comédie Française, en toute liberté, devant des regards bienveillants et intéressés.

Aujourd’hui, le monde.

Lorsque je relis mes notes sur la politique, la guerre ou l’état du monde, je m’étonne. Par exemple, les actualités avaient annoncé la mobilisation générale en Russie, la levée de 300 000 soldats. Aujourd’hui, après une semaine d’intense incorporation, on nous dit qu’elle était ciblée sur les seuls réservistes. Tout de même, 300 000 hommes, à loger, à nourrir, à transporter, à instruire, à armer…

Poutine après un référendum truqué a confirmé par un discours retransmis par les télévisions du monde entier l’annexion des quatre provinces de l’est de l’Ukraine. Désormais territoires russes, toute intervention militaire y justifierait selon lui l’usage de l’arme nucléaire. Les Russes par peur ou tout simplement pour être tranquilles croient toujours dans ses discours mensongers. Pour combien de temps ? L’Ukraine résiste avec l’aide stratégique et l’armement des Occidentaux, surtout des U.S.A.

Nous entrons dans une économie de guerre. Plus de gaz, plus de pétrole russe, l’électricité va manquer cet hiver. Déjà le prix de l’énergie flambe et les prix à la consommation suivent. Le gouvernement français établit un bouclier tarifaire tout en assurant des services publics de plus en plus défaillants.

La guerre ne fait qu’accentuer une réalité qu’on ne voulait pas voir : nous vivons au-dessus de nos moyens sur des dettes explosives tant sur le plan économique que sur le plan climatique.

Cependant, j’hésite à écrire ce genre de commentaires pessimistes ! Le confinement n’a pas entraîné autant de malheur que je l’avais craint. Les Russes ont peut-être déjà perdu la guerre et les menaces de Poutine ne seraient alors que gesticulations. La paix est peut-être plus proche qu’on ne le croit.

En Iran, le soulèvement à la suite de la mort en garde à vue d’une jeune fille arrêtée pour n’avoir pas suffisamment caché ses cheveux met en marche une répression qui pourrait s’apparenter aux atrocités commises en Syrie depuis 2011. Je pense à Ana, plongée dans cette douloureuse situation. Wattsapp a été coupé et je ne veux pas lui nuire !

Beaucoup de pays vivent sous la menace de révoltes sociales. Quand les plus riches profitent de la crise, les pauvres trinquent, ne pouvant plus manger, circuler, se chauffer décemment. La faim regagne du terrain.

Le monde va mal !

Et pourtant… Malgré des résultats décevants au premier tour , il semble que Lula soit en mesure de gagner les élections au Brésil contre l’actuel président d’extrême droite Bolsonaro, (Isa notre nièce brésilienne doit être sur le qui vive). Les événements actuels nous contraignent à réfléchir enfin au gaspillage énergétique (moi qui aime tant les bains chauds !) La pénurie de main-d’œuvre oblige les compagnies dont les profits explosent à se poser la question des bas salaires. L’Iran franchit peut-être une marche vers la liberté.

Sortie de crise ? Le calme avant la tempête ? On n’a jamais vu autant de touristes à Paris, malgré l’absence des Chinois et des Russes.

Samedi, le métro s’est arrêté pendant un quart d’heure à la station Madeleine. Des cris, l’arrivée de la police, le spectacle habituel des pickpockets dans les rames bondées de touristes avec enfants, de retraités en goguette, de jeunes en bandes. Venus de l’Est, on dirait qu’ils font leur marché et l’extrême droite s’installe sur cette insécurité.

Le monde était beaucoup plus simple autrefois. Il y avait les pays capitalistes, les pays socialistes, le tiers monde. La gauche et la droite. La ville, la banlieue et la campagne. La guerre et la paix… Aujourd’hui tout se mélange. Les fakes news sont prises pour paroles d’évangile, la vérité et le mensonge se distinguent difficilement. Tout le monde a droit à la parole par internet, qu’on s’y connaisse ou non. Chacun est juge de tout. Et chacun vit comme il peut, dans un univers individualiste, équilibre précaire qui risque à tout moment de sombrer dans l’anarchie ou le désastre économique.

Et pourtant… on est en droit d’espérer. Imaginez ce que serait le monde, si Trump inféodé à Poutine avait gagné les élections ! Les périodes troublées ont toujours précédé les avancées de civilisation. On a de tout temps trouvé des moments de bonheur dans l’adversité (voir Montaigne), l’important n’étant pas tant ce qu’on vit, mais la façon dont on le vit. La France demeure pour le moment un pays de liberté. L’espoir est de mise et surtout l’avenir est imprévisible.

Pour ma part, je ne regrette pas la compétition des trente glorieuses, ses valeurs fondées sur la réussite financière ou sociale. J’ose avouer respirer mieux dans la complexité d’aujourd’hui.

Être vivant, c’est espérer. En tous cas, on y travaille !

Chez Tchito (suite et fin)

Donc, dimanche dernier, gare Saint-Lazare, nous sommes montés dans le train pour Pontoise. La proche banlieue a défilé avec ses quartiers d’habitations. Lorsqu’étudiante je prenais chaque jour le train, cette superposition de logements me fascinait, surtout la nuit. J’observais la vie s’y dérouler à travers les fenêtres éclairées. On y cuisinait, on y dînait. La lumière de la télévision tressautait dans des salons parfois vides. Les enfants jouaient dans leurs chambres. Je voyais leurs habitants vivre d’étage en étage, alvéoles presque semblables. Seuls un papier peint de couleur, un éclairage plus ou moins tamisé, des pièces éteintes les différenciaient les uns des autres. Je ne cherchais pas à imaginer ces existences se déroulant au rythme des trains, je leur étais simplement reconnaissante d’accompagner mes trajets.

Plus loin, des bâtiments futuristes et vitrés ont remplacé les usines, les entrepôts noirs et vétustes de ma jeunesse. Des enseignes lumineuses parfois géantes ont remplacé les annonces peintes sur les murs. Encore plus loin, apparaissent les pavillons et leurs jardinets inchangés. Avant d’arriver à Pontoise, on voit encore des bois et quelques champs cultivés.

Dimanche dernier, un soleil d’automne dorait les toitures, jouait dans les arbres. La ville au repos chauffait ses murs, et je me souvenais de mes montées à l’école. Nous avons grimpé l’escalier boiteux dans les nuances de ses gros pavés en granit, nous avons traversé le jardin de la ville, apprécié la nouvelle fontaine jaillissant du sol, nous avons encore grimpé jusqu’à la rue Saint-Jean. Un panneau de chantier tapissait le large portail. Nous avons appuyé sur la sonnette avec un rien d’inquiétude.

Des minutes s’écoulèrent et j’allais appuyer de nouveau, lorsqu’un frôlement s’est fait entendre. La porte s’est entrouverte avec lenteur dans des bruits de clés et de ferraille. Et nous avons entrevu le nez de Tchito. Sur un ton de centenaire, on l’entendit bredouiller :

— Oui, c’est bien ici !

Nous la regardions, médusés. Nous nous attendions à un changement, mais celui-ci nous prit de court. Elle ouvrit lentement le vantail. Vêtue de blanc et enveloppée dans un châle de cachemire clair, au milieu de son visage amaigri, ses yeux pétillaient. Avec soulagement, nous y avons retrouvé son humour décapant et nous nous sommes embrassés de bon cœur.

Dans un rire, elle nous dirigea vers le jardin.

Nous sommes passés sous la voûte du salon brûlé. Le bâtiment entièrement recouvert de bâches claires évoquait plus un fantôme égaré dans la lumière de l’après-midi que l’affreux chicot noir auquel je m’attendais. Tchito a soulevé la bâche, on devinait dans l’obscurité les pieds noircis d’un fauteuil Louis XVI, comme le personnage rescapé d’une scène tragique.

Nous avons continué.

— On avait espéré goûter dans le jardin, mais il fait un peu trop froid !

Nous sommes passés sous le cèdre du Liban et j’ai pensé au Voyage en Orient de Lamartine. Oui, trente chevaux pouvaient tenir à l’aise à l’ombre de ses ramures.

— Il y faisait frais pendant la canicule, nous dit-elle. Il a près de deux cents ans. Il ne grandira plus.

Des plates-bandes fleuries, mêlées de plants de tomates annonçaient le jardin en pente. Ce fut une surprise, loin d’être desséché par trois mois sans pluie, on se serait cru à Giverny. Nous avons monté l’allée bordée de dahlias multicolores. Les fleurs sauvages d’automne les complétaient dans cette lumière de l’Ile de France qui avait mis le pinceau dans les mains de Monet, de Pissaro, de Van Gogh. Comme on était loin des trottoirs de Paris ! Ce n’était pas non plus les jardins de Tougin soumis au climat des montagnes.

— Les dahlias doivent être rentrés chaque hiver, ai-je fait remarquer.

— Oui. C’est Nelly qui les replante chaque année.

Nelly, la pianiste, restée dans la maison familiale après la mort de leurs parents avec ses sœurs, toutes célibataires. Je me suis crue, comme autrefois, dans une pièce de Tchekhov.

Nous avons continué plus haut dans le jardin clos. Nous y avons grignoté des figues et des grains de raisin. Il y régnait un silence habité par le bruit des oiseaux et des insectes.

— Ce n’est pas toujours comme ça. Nous sommes sous un couloir de Roissy.

Et je me suis souvenu que ma mère attendait chaque jour, à onze heures deux minutes précises, le passage du Concorde avec ravissement, la beauté de l’avion lui faisant oublier l’incroyable vacarme de ses réacteurs.

Enfin, nous sommes redescendus dans la maison où nous attendaient un goûter, théière et tasse en porcelaine, assiettes et fourchettes à gâteaux. Nelly et Cécilia se sont jointes à nous. Nous avons beaucoup parlé de musique.

— Nous avons pu sauver le Steinway. Un vieil ami, facteur de pianos, qui prenait sa retraite l’a fait venir dans son garage et l’a réparé durant des mois et des mois. Et maintenant, le piano attend emballé, prêt à partir, la réouverture du grand salon.

Le temps avait passé sur Nelly en l’épargnant.

— Elle est même de plus en plus belle, a dit Cécilia. Et c’était vrai.

Comme nous étions loin du jardin des Halles, des blacks, blancs, beurs et du rap, dont j’aime aussi la vie et qui me bouscule lorsque j’ai tendance à m’assoupir !

La parole de Tchito s’était faite moins vive, ses mouvements étaient ralentis par la maladie, mais dans ses yeux se lisait la détermination que je lui avais toujours connue :

— Le médecin m’a dit qu’avec ma constitution, je ne mourrais pas de ça. Je peux vivre jusqu’à cent ans !

Mais il nous fallait partir.

— À notre âge, on se dit au revoir avec un sentiment de liberté inconnu auparavant. Comment savoir ce que l’avenir nous réserve ? lança Tchito du haut de l’escalier de pierre à double révolution avec un sourire malicieux.

Une récitation de poésie, ouverte à tous, était annoncée dans les jardins du Palais-Royal et nous voulions y participer. Mais c’est une autre histoire…

Paris, Pontoise.

Tourbillon de Paris. Le jardin du Palais-Royal en émoi pour la fête du patrimoine.

Au théâtre Essaïon, Ego-système, vivement conseillé par Émilie. Quatre acteurs trentenaires racontent des histoires de trentenaires, un âge que je ne côtoie guère ces temps-ci. Forte vitalité, une mini comédie musicale a capella. Le déroulement d’une vie, depuis l’enfance jusqu’à un tournant existentiel. Un texte efficace et dynamique, un travail millimétré au centième de seconde près, un jeu d’acteur exceptionnel. Dialogues, chants, danses, un travail énorme pour une vingtaine de représentations. C’était un peu le sujet de la pièce. Quelle que soit l’activité des trentenaires, pris entre les problèmes d’émigration, le changement climatique, entre la pandémie et l’instabilité mondiale, il leur faut avoir la foi chevillée au corps pour aimer, pour travailler. On leur demande beaucoup, on leur demande un ego surdimensionné que les plus sensibles, les plus créatifs ne possèdent pas toujours.

Dimanche, nous sommes allés chez Tchito à Pontoise.

Marie-Hélène, alias Tchito, une longue histoire…

Nous avions toutes les deux treize ans lorsqu’elle est arrivée en cours d’année dans ma classe de quatrième. Un peu perdue, elle semblait rescapée d’un premier trimestre pensionnaire à Sainte Marie, une institution huppée et intellectuelle de Paris. Elle y avait été très malheureuse. On la vit peu à peu se détendre à Notre-Dame de la Compassion, dite La Compassion, tenue par une congrégation canadienne, pratiquant un enseignement tolérant et moderne. Son père d’origine aristocratique géorgienne, et sa mère issue de la bourgeoisie industrielle cultivée de Bellac formaient un couple original, entouré d’artistes. Ils venaient d’emménager non loin de l’école dans une belle maison agrémentée d’un grand jardin ombragé par un immense cèdre du Liban. J’y fus assez vite invitée, admirative d’un univers différent de celui de mes autres amies de Pontoise, filles de médecins ou de notaires, séduite par leur simplicité souriante, associée à une éducation raffinée, à des conversations originales et sensibles. Nous sommes devenues amies. J’ai invité Tchito à Nernier, dans notre maison au bord du Léman pour plusieurs séjours dont elle garda, je crois, un agréable souvenir. Nous avons un peu continué à nous voir durant nos études à Paris.

Une fois diplômée, elle s’est installée à Moscou, comme documentaliste chez un constructeur automobile et je l’ai perdue de vue. J’avais de temps en temps de ses nouvelles par des amis pontoisiens. Elle avait été débauchée en Russie par le président Samaranch, qui l’avait engagée au centre des publications du Comité Olympique de Lausanne. Cette nouvelle m’avait paru couler de source, en relation avec la volonté de l’époque, d’associer olympisme et esprit aristocratique, dans la continuité de Pierre de Coubertin. Tchito qui se faisait encore appeler Marie-Hélène en dehors de sa famille en connaissait les codes. J’avais appris qu’elle accompagnait le Comité à tous les Jeux Olympiques.

Un jour, — je me demande si je n’ai pas déjà raconté cet épisode dans une précédente chronique — Mathieu, un jeune neveu pratiquant le piano avec passion, m’avait conviée à un concours organisé à Pontoise par Nelly, une sœur de Tchito. Un concours original, le prix étant décerné par le public. À la fin, en descendant l’escalier de la salle de concert, je me suis retrouvée nez à nez avec mon amie d’autrefois. Ce fut comme si nous ne nous étions jamais quittées !

Nous sommes allés la voir à Lausanne, elle nous a fait visiter de l’intérieur le centre international olympique, nous avons fait des marches en montagne. Quand elle a pris sa retraite à Pontoise, nous nous sommes souvent retrouvées dans des expositions et j’aimais son regard vif et original, ses réparties fines et sensibles, son humour décapant. J’ai raconté ici plusieurs de ces visites.

Sa sœur Nelly, pianiste de grand talent, organisait des concerts pour une quarantaine de personnes dans le grand salon de leur maison de Pontoise. Ce furent des moments enchanteurs. Y passèrent des pianistes, des violoncellistes, des violonistes, des chanteurs, et autres musiciens, pour beaucoup devenus célèbres par la suite. C’était merveille de les entendre accompagnés par le chant des oiseaux, fenêtres ouvertes sur le jardin, au milieu des décors vert tendre et dorés représentant des légendes géorgiennes peintes par un ami de leur père. Les concerts étaient suivis par un goûter qui permettait des échanges passionnants. Je retrouve un peu de cette atmosphère aujourd’hui chez Chantal Stigliani.

Environ un an avant l’arrivée du Covid, le salon a brûlé. Le feu a pris pendant la nuit dans cette annexe en bois de la maison principale. L’escalier qui y montait, le toit, les tapis orientaux, les panneaux des décors, le piano Steinway, les fauteuils d’époque, tout a brûlé !

Les compagnies d’assurance se sont fait tirer l’oreille. Le Covid n’ayant pas arrangé les choses, le chantier de reconstruction n’a pas encore démarré.

En raison du Covid, comme avec beaucoup d’autres amis, nos relations se sont un peu distendues durant ces trois dernières années. Alors que par téléphone, je demandais plusieurs fois à Tchito de venir à Paris, j’ai fini par comprendre, et elle par avouer, qu’elle souffrait de la maladie de Parkinson.

Ce dimanche, quand nous sommes montés dans le train, gare Saint-Lazare, c’est le cœur serré que je pensais à mon amie diminuée par la maladie, au grand salon détruit, à l’odeur de brûlé. J’aurais voulu garder mes souvenirs intacts, mais la fidélité à notre passé guidait mes pas.

Bien nous en a pris !

(à suivre)