Oh, Daria, si tu savais comme je pense à toi, à ta famille, à ton pays !

Un automne radieux dans un monde sous la menace nucléaire. Si prier, c’est espérer, oui, je prie de toute mon âme pour que la folie de Poutine n’entraîne pas le monde dans cette apocalypse probable, annoncée par Joe Biden. Des déluges de missiles tombent sur l’Ukraine.

Pourquoi dans un tel contexte évoquer la récitation de poésies, ouverte à tous, au Palais-Royal ? Peut-être parce que des rescapés des camps nazis ont dit combien la mise en commun de leur mémoire poétique les avait aidés à tenir bon. Mais aussi parce que la prochaine séance, programmée cette semaine, propose d’apprendre par cœur pour une récitation collective, la Chanson d’automne de Paul Verlaine.

Les sanglots longs

Des violons

De l’automne

Blessent mon cœur

D’une langueur

Monotone.

Blessent ? Bercent me venait spontanément à l’esprit. Recherche sur Internet : cette strophe a été envoyée à la Résistance par De Gaulle, comme code du débarquement en Normandie, avec le mot bercer, utilisé par Charles Trenet.

Une mémoire collective riche d’espérance !

Ce dimanche-là, journée du patrimoine, nous étions allés écouter un exposé sur le théâtre de Molière sous le péristyle de la galerie Montpensier. En sortant, nous avons aperçu sur une colonne une affichette annonçant cette récitation publique. Elle démarrait justement à cet instant.

Les fables pour l’anniversaire de mariage de Patrice et Monique encore fraîches dans nos mémoires, sans plus réfléchir, nous avons filé vers le petit jardin clos, sous les fenêtres de Colette. Malgré l’heure tardive, 18 h, les promeneurs étaient encore nombreux à écouter des guides qui commentaient ça et là l’histoire du lieu, celle de Richelieu, de Philippe d’Orléans, de la Comédie française, du ministère de la Culture et du Conseil d’État.

Le soleil caressait encore les étages et les toits, l’ombre avait gagné les rangées d’arbres, les pelouses, le bassin et nous avons poussé le portillon. Sur son pourtour, une vingtaine de personnes assises côte à côte sur les bancs de bois écoutait religieusement le discours d’un homme dressé au centre de l’enclos. Nous les avons rejoints. Installés confortablement dans la brise du soir, les paroles nous parvenaient, émergeant d’un univers à la limite de la réalité.

Je compris qu’il s’agissait de prose, d’une prose littéraire, dont les phrases longues et cursives me disaient quelque chose. Proust ? Oui, Proust ! La grand-mère, la madeleine flottaient dans le murmure étouffé de la ville. On n’entendait pas très bien, mais la ferveur de l’orateur compensait, retenait l’attention.

Quand il se tut, une femme s’approcha de nous :

— Comment êtes-vous arrivés ici ?

— Nous avons vu une affichette et nous avons demandé au bureau où cela se trouvait.

Elle parut très étonnée et nous a expliqué la genèse de cette histoire, toute récente.

Il y a peu, un groupe de proustiens s’était réuni au Palais Royal pour une récitation en plein air. Le conservateur du domaine les avait surpris en pleine action et s’était joint à eux. Lui aussi connaissait par cœur des passages de La Recherche. Il les avait encouragés à élargir ces récitations à la poésie et à les ouvrir à tous. Il faut rappeler que cet oasis au centre de Paris est un condensé de charme recueilli. En 2016, des vers de Baudelaire, Rimbaud, Hugo et de poètes étrangers ont été inscrits au laser sur le dossier de plusieurs de ses chaises ou peints sur le bois de ses bancs.

Pas de lecture, mais des récitations. C’est ainsi que le groupe a pris le nom de « Par Cœur » et se réunit désormais régulièrement au Palais-Royal. En cas de pluie il est accueilli sous le péristyle Montpensier, avec chaises et sonorisation. Tout le monde peut s’y joindre.

Ce soir-là, nous avons écouté Montesquieu, Corneille, et bien d’autres. J’ai pu réciter Sous le pont Mirabeau et Le chat, la belette et le petit lapin. Impression étrange de lancer ces mots défiant le temps vers le ciel illuminé par le soleil couchant, vers ces lieux chargés d’histoire, à deux pas de la Comédie Française, en toute liberté, devant des regards bienveillants et intéressés.