Maison vide et village désert

Il arrive à Paris, et c’est rare, qu’une semaine s’écoule sans événement particulier. Soir après soir nous nous retrouvons devant la télévision sans avoir rencontré grand monde et la routine peut devenir pesante. Cependant, sitôt sortis sur le palier, sur le trottoir, dans l’autobus ou dans le métro une vie nous est offerte qui ne fait jamais défaut.

Ici, la nature nous ouvre les bras, surtout ces derniers temps où le soleil brille tous les jours, de temps en temps éclipsé par des orages furtifs à peine accompagnés de quelques gouttes d’eau.

Le village cette semaine était désert, pas âme qui vive, nul mouvement. Un chat noir au soleil dans le jardin, un autre, roux, en cavale, des moineaux piailleurs, des promenades le long de l’ancienne voie ferrée, au bout d’un certain temps cela devient un peu monotone. Les noisettes mettent du temps à murir. Le soleil tape un peu fort sur la tête.

Je me disais que nos voisins étaient peut-être partis ou malades, mais hier je vois le garage de Marcel ouvert. Je vais y jeter un coup d’œil et j’entends du fond de la maison :

— Ah, Martine ! On te croyait malade !

Jacqueline surgit de son escalier :

— On était inquiet. On ne te voyait plus !

Je réponds :

— Nous aussi on se demandait si vous n’aviez pas des problèmes.

Olivier et son ami rappliquent, un piège grillagé au bout du bras

— On a trouvé un des bébés !

Je mets un certain temps avant de comprendre qu’il s’agit d’un des chatons nouveaux-nés. Homosexuels, des armoires à glace, en maillots sans manches, biceps tatoués, des anneaux dorés dans les oreilles, ce sont des tendres.

Et nous voilà à discuter d’un peu tout, du temps, des orages à venir, de la fête du hameau qui pourrait avoir lieu début septembre avant notre départ.

Ils se sont éloignés pour continuer la recherche de l’autre chaton qu’ils ne veulent pas laisser dans la nature.

— On doit aussi retrouver la chatte pour la faire stériliser.

Jacqueline me dit alors :

— On t’entendait jouer du piano. On se disait que tu décompressais.

Une allusion à notre vie parisienne.

— J’espère que je ne vous casse pas les oreilles.

— Non, pas du tout ! Tu peux même jouer plus fort, on aime bien t’entendre et même tu peux jouer le soir et la nuit, si tu veux !

Nous sommes partis visiter leur jardin à la recherche d’une marmite à pendre à la potence de notre façade pour y planter des fleurs. Les tomates sont rebondies, mais les haricots, les pommes de terre, les framboises inexistantes, pas assez de pluie. La sécheresse sévit comme partout. Même les plantations de la commune pourtant abondamment arrosées se flétrissent. De plus en plus inquiétant !

Je suis rentrée toute ragaillardie à la maison. Non, le village n’est pas un lieu vide et sans âme. Il s’y passe des événements lesquels pour n’être pas extraordinaires n’en sont pas moins réconfortants.

Le soir même, en écoutant Le Masque et la plume à la radio évoquer le festival d’Avignon, je me suis dit que notre village leur paraîtrait bien terne. Les critiques ont minutieusement décrit un spectacle qu’ils avaient jugé intéressant : l’actrice-auteur était endormie sur la scène et une caméra projetait en direct sur un écran l’intérieur de son vagin. Le lendemain, j’ai lu dans Le Monde qu’une franco-africaine « queer » y faisait une performance. Nue pendant trois heures dans des positions suggestives, elle évoquait les horreurs de la colonisation, du racisme noir, de l’antiféministe. Des photos exhibaient ses cent kilos et plus, dénudés, entourés d’autres Africaines revendiquant leur présence d’ostracisées. Pas dans la dentelle ! Les deux spectacles recueillaient les suffrages des journalistes, lesquels louaient leur courage et leur lucidité.

Je dois dire que rétrospectivement je fus heureuse d’avoir vu quelques jours auparavant le film de Nani Moretti, Vers un avenir radieux. Loufoque, libre, moqueur de lui-même et des autres. Une respiration !

Comme je téléphonais à Claudine :

— Nous sommes tous les deux, tous seuls, comme des vieux couillons.

Elle m’a répondu avec sagesse :

— Ça fait du bien de temps en temps. Ça fait réfléchir !

Maison pleine.

le Grand Capricorne du chêne (Cerambyx cerdo), biologie et développement;

Vide ou pleine, ce n’est pas la même maison.

Certaines pièces deviennent inaccessibles, des chaussures jonchent le sol de la cuisine à côté de la porte d’entrée, papiers d’identité, porte-feuilles, smartphones, clés de voiture encombrent les meubles. Deux fois par jour, la cuisine tourne au chantier avec épluchages, plats et casseroles dans l’évier.

Heureusement, en été la plupart du temps et c’était le cas cette semaine, nous prenons nos repas dans le jardin. Mais le problème, c’est le parasol. Il y a toujours une tête au soleil. On se pousse on s’arrange. De bons moments, on discute, on raconte des anecdotes, on plaisante, contents de se retrouver. Le soir, le salon paraît soudain trop petit.

Puis, un jour, en général après le café, les coffres bourrés, on s’embrasse et les voitures s’éloignent avec de grands gestes d’adieux. C’est alors que la maison change du tout au tout. Le silence la recouvre à nouveau. Une fois les draps dans la salle de bains, les lits refaits, les portes et les fenêtres s’ouvrent, l’espace s’agrandit.

Les enfants nous disent :

— Après notre départ, ça doit faire un vide !

S’ils savaient ! On entend de nouveau respirer la maison, souffler le vent dans les velux, gratouiller les petites bêtes dans le jardin. Tout un petit monde qui retrouve sa place, nous consolant de les voir partir.

D’ailleurs, hier soir, vers 23 h, une nuée de fourmis volantes a soudain envahi le salon. Par centaines elles se sont accrochées aux rideaux, ont obscurci les fenêtres. On s’est battu pour les chasser. Le matin, elles avaient toutes disparu. Il faut croire que la reine était partie et qu’elles sont allées établir leur colonie chez les voisins.

Non, l’aventure ne se termine pas avec le départ des enfants. Ce matin, un énorme insecte de près de dix centimètres avec des antennes plus longues encore longeait le mur près du portail.

— Un capricorne ! s’est écrié Gilles.

Les capricornes, la terreur des vieilles maisons ! Ils grignotent les poutres même les plus grosses en un rien de temps transformant l’intérieur en une sorte de gruyère fragile rempli de farine de bois.

Le voilà qui grimpe sur le mur en direction du toit. Gilles le prend de vitesse, le rejette au sol. Le temps que je ferme les yeux, il l’avait écrasé sans état d’âme.

Nous nous sommes précipités sur Wikipédia. Oui, un des plus gros insectes d’Europe ! C’était bien un capricorne, mais un capricorne des chênes, totalement inoffensif, une espèce particulièrement rare et protégée. Imaginez nos regrets. Dorénavant, nous n’écraserons plus les petites bêtes que le Bon Dieu nous a offertes, sans une enquête préalable.

À propos de smartphone, durant son séjour notre petit-fils Marius, 16 ans, n’eut de cesse de nous convaincre de l’immense progrès que cet instrument de communication représente pour l’humanité. Il se heurtait de mon côté à un scepticisme qui l’indignait.

Or il se trouve que le 14 juillet il nous a entraînés sur le Jura pour aller admirer les feux d’artifice dans la plaine. La montée dans la nuit et les nombreux feux au pied de la montagne, la couronne lumineuse le long de la partie savoyarde du Léman sont un spectacle assez étonnant. Nous les avons laissés grimper jusqu’à la lisière de la forêt et nous avons attendu allongés dans l’herbe. Les foins ondulaient dans le vent comme des vagues, avec un léger et doux murmure comme une respiration. On entendait au loin les cloches des vaches et les claquements du feu de Divonne. Le scintillement des étoiles traversait un ciel un peu voilé ajoutant au mystère de la nuit.

Après nous avoir retrouvés, ravis du spectacle, ils sont redescendus à toute vitesse. Quand nous les avons rejoints à la voiture, Marius paraissait catastrophé.

Il avait posé son smartphone sur le bord du coffre. En refermant celui-ci dans l’obscurité, il l’avait écrasé, « éclaté », comme il nous le dit sur un ton navré, tempéré par la volonté d’affronter la situation.

Impossible d’imaginer Marius sans son smartphone ! Nous avons compati. Il l’avait payé fort cher et les circonstances l’empêchaient de transférer la carte Sim dans un vieux téléphone.

Je dois avouer que je n’étais pas fâchée de le voir contraint de s’en priver pour un moment, mais naturellement, je n’eus pas la cruauté de le manifester.

La privation fut de courte durée. Dès le lendemain matin, un réparateur du centre commercial voisin l’avait remis à neuf. Pour une somme non négligeable ! Seule la couleur du liseré extérieur avait changé. Elle était passée du gris au rouge clair, comme me le montra son propriétaire.

Ouf !

Tougin.

Grosse chaleur. En ouvrant les fenêtres durant la nuit, protégée par ses murs épais, la maison reste fraîche..

J’ai eu du mal à partir cette année. Il se produit tellement de petits et grands événements à Paris, je craignais de m’ennuyer dans le calme de Tougin. J’ai eu du mal à quitter mon atelier, un grand tableau en cours, des céramiques prêtes à être émaillées. Cependant les activités parisiennes s’arrêtaient et le temps s’étirait comme s’il fallait passer à autre chose.

Un dernier déjeuner avec les amis du café homérique de Gilles. Une jolie rencontre avec Claire et sa petite fille, Gabrielle. J’aurais voulu participer au dernier Par Cœur du Palais-Royal, entendre Jacques distiller avec son étrange tendresse un nouvel épisode des amours de Watt et de la patronne de l’auberge. Au quatrième épisode, ils en étaient arrivés à s’effleurer le coin de la bouche…

À notre arrivée, du fait de la sécheresse, le jardin n’était pas trop envahi par les herbes, mais bien peu fleuri.

Nous avons soulevé le toit du nichoir. Le nid des mésanges semble intact comme inutilisé, une sorte d’épaisse ouate mousseuse en tapisse le fond comme si aucun oisillon n’y avait jamais mis les pattes. Et pourtant, il y a un mois, nous avons vu les parents s’y introduire avec des petits vers dans le bec.

Après les salutations d’usage et les nouvelles de la santé des uns et des autres, nous avons préféré ne pas épiloguer sur les violences de la semaine dernière peut-être parce qu’elles n’ont pas épargné les villes voisines contrairement aux précédents épisodes parisiens des « gilets jaunes ». D’ailleurs, personne n’a d’explications simples, il s’agirait d’une accumulation de facteurs.. Plus le temps passe, plus l’option de la sévérité à l’égard de la jeunesse semble réclamée par l’opinion. Le grand gagnant de l’affaire semble être le RN, la droitisation du LR et le financement accru de la protection policière. Tonneau des Danaïdes et sujet brûlant.

En prévision d’un repli dans les maisons en raison de la chaleur, je suis allée à la bibliothèque de la ville. Je n’y étais pas retournée depuis le Covid. Ce fut un plaisir d’y retrouver Christophe, le responsable, sauf que nous sommes restés muets sans savoir quoi nous dire. Nous nous rattraperons quand je rendrai les livres.

Désormais, je suis plongée dans des romans, un genre que je pratique très peu depuis plusieurs années. Le suspense me fatigue, trop haletant. Il ne me permet pas de tourner les pages et de les savourer pour le seul plaisir de la lecture et pour la joie simple de poser le livre et de le reprendre comme un ami patient et fidèle.

J’ai baigné toute une journée dans l’univers cruel de la nounou de Chanson douce, prix Goncourt 1918. Maintenant j’erre avec Yacine dans les douars de l’Algérie du début du 20e siècle, dans l’enfer de Verdun, la tyrannie colonialiste et la misère de l’Algérie d’entre les deux guerres. Auteur à fort tirage et innombrables traductions, cet Algérien a étrangement pris le nom de son épouse, Yasmina Khadra. Dans l’armée pendant 25 ans, il n’avait pas eu le droit de signer de son vrai nom. Je me disais bien que ce n’était pas l’œuvre d’une femme. « Mon épouse m’a soutenu et m’a permis de surmonter toutes les épreuves qui ont jalonné ma vie… Sans elle, j’aurais abandonné » explique-t-il. Recherche historique indispensable, mais terrible ! Dans un interview, il déclare « Le malheur déploie sa patrie où la femme est bafouée « . En effet !

Je me promène dans ces univers importés, comme si nous n’étions pas tout à fait au pied du Jura à nous installer, à débarrasser la maison de ses toiles d’araignées, à préparer le jardin pour l’arrivée des enfants.

Pourtant, hier soir à la fraîche, je suis sortie dans la nuit. Les crêtes sombres se découpaient sur un ciel encore lumineux, un merle m’observait en trottinant sur le toit de la remise, les habitants du village somnolaient devant la télévision ou tapotaient leur ordinateur. J’ai aperçu Denis qui arrosait les géraniums de sa voisine.

Appuyés au muret de madame Péaquin, nous avons discuté à voix basse dans la sérénité de la nuit pendant qu’une chauve-souris nous frôlait de sa ronde incessante.

C’est ainsi que j’ai su que les tomates de son potager grossissaient gentiment, que la partie ancienne en pisé de sa maison était plus fraîche que la nouvelle en parpaing pourtant bien isolée, et que la chatte jaune de Boule et Bill avait fait des petits dans un buisson de la maison du fond, ce qui était bien ennuyeux, car en grandissant, ils allaient devenir sauvages et dévorer les oiseaux.

— Et Gilles, il va bien ?

— Ça va, mais on vieillit doucement.

— On en est tous là, a-t-il gentiment minimisé.  

Puis on s’est quitté en se glissant dans le silence à peine troué par des rires venus des Ovalies.

— À bientôt.

— À bientôt.

Violences urbaines

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Le lendemain, on apprenait que dans la France entière des jeunes s’étaient mis en colère. Des mairies, des commissariats, des écoles, des centres culturels, des centres commerciaux, des boutiques avaient été attaqués et incendiés à coup de voitures béliers et de mortiers d’artifice. Des centaines de voitures avaient brulé dans les cités. Des dégâts considérables, des centaines de blessés, des centaines d’arrestations. Aux Halles, à deux pas de chez nous, des boutiques avaient été incendiées et pillées. Nous, on a l’habitude !

On a su que dans la matinée aux portes de Paris derrière le quartier de la Défense un policier avait tiré et tué après un refus d’obtempérer un jeune de 17 ans qui roulait sans permis. La vidéo avait été diffusée sur les réseaux sociaux. La famille s’est indignée, les policiers ont été accusés de violence systématique, de racisme. Même M’Bappé, notre footballeur national qualifiant le jeune de cher ange a lancé un message : J’ai mal à ma France. Omar Sy l’acteur des Misérables, un film évoquant les difficultés entre la police et les jeunes de Montfermeil avait déclaré à son tour : Qu’une justice digne de ce nom honore la mémoire de cet enfant.

Et chaque soir, ça recommence sous les yeux médusés du monde entier. Depuis quatre jours, on compte chaque matin les blessés et les interpellations (3200 jusqu’à présent). La moyenne d’âge des manifestants tourne autour de 17 ans. À Pontoise : la maire a entendu une bande de jeunes crier : On va s’la faire ! Elle s’est enfuie dans sa voiture. À L’Haÿ-les-Roses un autre maire a pu sortir de sa maison en flamme en passant par derrière avec son épouse et ses deux jeunes enfants.

Cependant, de jour en jour, de dégradation en dégradation, le discours commence à changer. La police n’est plus systématiquement accusée, on commence à se poser des questions sur la jeunesse et ses rapports avec la société. Manque d’autorité parentale ? Désespérance ? Mal-être ?

Ce sont vos biens que vous détruisez ! a fini par dire M’Bappé.

Ce matin, la grand-mère du jeune homme décédé a pu déclarer que la police était nécessaire.

Comme on est loin de la Russie où deux hommes en civil sonnent à votre porte pour vous envoyer sur une simple parole et sans autre procès pour des années en Sibérie ! Certains comme l’extrême droite ou l’extrême gauche essaient de nous faire croire que démocratie et dictature c’est la même chose.

La nuance n’est pas la règle. On est dans le tout ou rien. On dit oui ou non, comme les clics du numérique, un peu aussi comme les réponses de QCM. On coche des cases. Les jeunes sont comme ci, les vieux sont comme ça, les pauvres comme ci, les riches comme ça, la province comme ci, la ville comme ça, pareil pour le changement climatique. Et on traîne à inventer des solutions de bon sens aux problèmes soulevés.

Pas étonnant que les jeunes ne se sentent pas considérés, eux qui sont dans l’âge de la complexité, plus tout à fait des enfants pas encore adultes. On les attire avec des richesses auxquelles ils n’ont pas accès. Dans leurs ghettos, ils ne perçoivent pas de valeurs vivables et réelles. Ils se sentent rejetés, dévalorisés, discriminés, d’autant plus que le quotidien de leur vie est jalonné de contrôles d’identité, de poursuites, comme un perpétuel jeu du chat et de la souris avec la police, laquelle, souvent issue des mêmes quartiers se fustige peut-être ainsi de ses propres origines et de sa couleur de peau.  

Heureusement que les forces de vie ont des ressources insoupçonnées, et qu’un nombre non négligeable de ces jeunes issus de l’émigration sortent des cités et accèdent à la classe moyenne. Il ne faut cependant pas trop tirer sur la corde… Le monde est devenu si fragile, à la merci de la technologie, d’un incident nucléaire, d’une manipulation informatique et j’en passe. Les profiteurs sont à l’affut pour s’emparer de tout ce qui peut leur tomber sous la main. Profiteurs de pouvoir, profiteurs de richesses. Tous prêts à tirer profit du mécontentement, de la détresse et de la peur provoqués par ces agissements.

Les jeunes ont-ils vraiment l’opportunité de faire leur apprentissage alors qu’ils restent de plus en plus longtemps dans l’enfance, s’isolent dans leurs quartiers ? Pour nombre d’entre eux, ils ont des moyens d’adultes et des comportements immatures. Il en résulte ces mouvements très certainement attisés par les mafias de la drogue, ces destructions qui coûtent des sommes faramineuses à la nation et qui réduisent à néant les efforts d’éducation, de soin de tant de personnes de bonne volonté.

Sarkozy a dramatiquement supprimé la police de proximité qui cherchait à établir un lien avec la population, les institutions associatives et les municipalités. Il a aussi contraint la police des stupéfiants à faire du chiffre, réduisant à néant la traque patiente des gros bonnets de la drogue. On le paie aujourd’hui très cher.

Il faudra pourtant bien repartir en tirant des leçons de ces événements pour éviter qu’ils se reproduisent. Qui a dit que la vie est un éternel recommencement ?

Divers.

Que fait Evgueni Prigojine en Russie ? S'agit-il d'un coup d'État du patron  de Wagner ? - BBC News Afrique

Il y a trois jours, on a appris que Prigogine, le chef et commanditaire du groupe Wagner, une milice de mercenaires travaillant dans l’ombre pour Poutine avait pris en son seul nom possession de la ville de Rostov à l’est de l’Ukraine. Le groupe Wagner se fait connaître depuis déjà de nombreuses années dans des opérations militaires, tuant, pillant, violant et détruisant tout sur son passage, en Afrique en particulier. A côté de l’armée russe désorganisée, rongée par la corruption, il était le seul véritable combattant efficace dans la guerre lancée par Poutine contre l’Ukraine avec des soldats recrutés à prix d’or parmi des prisonniers de droit commun.

Après la prise de Rostov, il s’est dirigé avec ses chars et 15 000 miliciens vers Moscou dans l’intention d’envahir le Kremlin. Le monde entier a vu cette armée avancer jusqu’à 150 km de Moscou. L’armée russe a bouclé le Kremlin, les pelleteuses ont creusé des fossés sur les routes d’accès à la ville au milieu des touristes et des habitants vaquant à leurs occupations.

Prigogine, soudain défenseur des soldats de l’armée russe, s’est mis à diffuser dans les medias des propos de propagande humanitaire.

Poutine a répondu par un discours à la télévision annonçant les pires châtiments aux insurgés.

Le soir même, la nouvelle est tombée. Prigogine avait fait demi-tour, lui, ses chars et ses hommes allaient en Biélorussie. Des négociations avaient eu lieu par l’entremise de son dictateur, Loukachenko. Les trois fous de pouvoir et d’argent s’étaient mis d’accord. Prigogine retirait ses troupes et Poutine lui promettait une amnistie.

On apprend aujourd’hui que les hommes de Wagner doivent choisir entre l’armée russe et le retour chez eux. C’est la version qui nous arrive par les médias. En fait, on ne sait pas grand-chose, les commentaires vont bon train, invérifiables. On s’attend à des purges massives jusquau fin fond de la Russie. Par quel tour de passe-passe Prigogine est-il encore vivant ?

Autrement, nous avons encore vécu des journées agitées dans une chaleur qui n’a heureusement pas duré.

Nous sommes allés à la Sorbonne voir Andromaque avec l’accent, les costumes d’époque et la fin d’origine laquelle n’a plus été jouée depuis 1673.

Une alerte. Lors d’une visite médicale de contrôle, une douleur thoracique a inquiété mon médecin. Analyse en urgence. Le laboratoire me renvoie à mon médecin, qui se met en rapport avec ma cardiologue laquelle m’envoie à l’hôpital Saint-Joseph. Taxi, dans un Paris embouteillé. Après un électrocardiogramme et deux heures d’attente, l’interne me renvoie chez moi. Les résultats de l’analyse sont jugés normaux pour mon âge, en accord avec le service de cardiologie. Nous sommes revenus en métro.

Notre troupe a joué le spectacle de fin d’année : L’Occident Express. Réussite mitigée. Un certain succès, mais nous aurions pu faire mieux. Nous avons manqué de temps, trois mois troués par les lundis fériés et les vacances de Pâques. Nous espérons pouvoir le reprendre en septembre. Ce fut tout de même une belle aventure qui s’est terminée hier par une soirée animée et arrosée. Je n’en dis pas plus.

Dimanche, nous sommes allés voir Thomas jouer au théâtre de la Ville de Nogent-sur-Marne. Spectacle de fin d’année. Les petits évoquaient avec fantaisie la résistance aux idées toutes faites, à la tyrannie quotidienne, texte probablement tiré d’un grand écrivain. Le groupe des moyens s’est beaucoup amusé dans un Barbe Bleue terrifiant.

Thomas et sa troupe de préadolescents se sont bien débrouillés dans Knoch de Jules Romain un rôle long et pas commode du tout. Thomas a tenu bon dans le rôle principal. Ils sont parvenus à dépasser l’aspect sordide du charlatan, leur jeunesse s’étant moquée du fameux docteur Knock interprété au cinéma avant la guerre de 40 par Louis Jouvet.

Paris en liesse tous les soirs,

Roland Garros

Classement ATP : Djokovic retrouve son trône, Nadal hors du top 100

Dimanche, finale de Roland Garros. Novak Djokovic à 36 ans a gagné son 23e match de grands chelems. Les grands sportifs m’étonnent. Leur rage de vaincre m’épate. L’âge de son adversaire, 23 ans, pouvait être sa seule crainte. Il en a fait une bouchée.

Les images de la télévision en plans rapprochés semblent nous introduire dans le cerveau, les muscles, l’affectivité des joueurs. Volonté, intelligence, intuition. À ce niveau-là, comment ne pas y voir des capacités surhumaines ? Surtout chez Djokovic, lequel plus que tout autre, sauf peut-être Roger Federer, reste imperturbable devant 15 000 personnes, montrant juste quelque mécontentement à certaines et rares balles perdues, concentré, indifférent à tout autre but que celui de gagner.

On dit de lui qu’il est dur avec son équipe, mais charmant dans la vie. Il a appris cinq langues par courtoisie à l’égard des pays hôtes. Têtu, il l’est certainement, puisqu’il a préféré renoncer à l’Open d’Australie plutôt que de se faire vacciner contre le Covid. Comment peut-on survivre à de telles poussées d’adrénaline ? Comment vivre ensuite le quotidien ? Quels rapports peut-il avoir avec sa famille, sa femme, ses enfants ? Est-il encore sensible à la beauté d’une simple fleur des champs, au pépiement d’un oiseau ?

De tout temps les grands sportifs et leur rage de vaincre m’ont étonnée. Je me souviens de la conquête de l’Annapurna, un des premiers exploits largement divulgué dans un livre écrit par Maurice Herzog, le chef de l’expédition. J’avais dix ans. J’ai lu et relu le livre, à chaque fois intriguée par les réactions des sherpas népalais.

Dans leurs traditions, l’Annapurna était sacré, interdit à l’homme et j’aimais cette idée, l’idée d’un endroit inviolable qu’on devait laisser à son mystère, un peu comme le noyau de la poésie. Je me souviens que dans la civière qui le redescendait semi-comateux pour soigner ses membres gelés, les oreilles d’Herzog avaient été assaillies par des bruits de cloches. J’y avait vu le signe qu’il avait été cloche. Les mêmes sherpas avaient entouré ses blessures d’un cataplasme d’asticots qui en mangeaient les parties putréfiées et l’avaient ainsi sauvé de la gangrène. Ils n’étaient pas rancuniers !

Récemment, j’ai lu au sujet de « sir » Edmund Hillary, le vainqueur de l’Everest.

— Je l’ai eu, ce salaud ! aurait-il dit en redescendant.

Si l’on peut y entendre une certaine admiration et même de l’affection, je n’aime pas cet adjectif qui qualifie d’ordinaire un ennemi. Quel besoin éprouve l’homme de toujours devoir vaincre ? De toujours devoir être le plus grand, le plus fort, quand on finit toujours par trouver plus grand et plus fort que soi ?

Pourquoi s’acharner avec une raquette sur une balle de 10 cm de diamètre pour en faire un projectile ? Ce serait dans la nature de l’homme qui doit la vie à une course de spermatozoïdes.

De là à risquer sa vie et celle de son équipe afin d’atteindre un sommet, le toit du monde, quand soixante-dix ans plus tard le trajet est devenu un boulevard borné par les nombreux cadavres gelés de ceux qui n’y sont pas parvenus ou qui n’ont pas pu en redescendre ? Aujourd’hui, un sherpa fête sa vingt-cinquième montée.

Comment relier cet appétit de victoire au petit épisode que j’ai vécu vendredi dernier au retour de l’atelier ?

Je suis sortie du métro pour prendre l’autobus à Richelieu Drouot. Dix minutes à attendre. J’allais m’asseoir sous l’abri à deux bancs séparés par une vitre quand j’ai entendu crier. Je n’ai pas tout de suite vu l’homme penché vers la vitrine de la boutique Héma.

Entre trente et quarante ans, bel homme, brun et bronzé, grand, mince, musclé, les cheveux poussiéreux en bataille, les vêtements en loques, les chaussures grises et défoncées, il s’adressait à quelqu’un à l’intérieur de la boutique en criant :

— Salope !

Encore un pauvre fou, à la dérive sur le pavé de la ville ! Par mesure de précaution, je suis allée m’asseoir de l’autre côté de la paroi de verre.

Il ne s’était pas passé cinq minutes avant qu’il s’affale à mon côté et se tourne vers moi avec brusquerie. Je n’ai fait ni une, ni deux, je me suis levée en criant :

— Non, mais ça va pas !

Il a sursauté :

— Ça c’est pas gentil ! a-t-il dit.

J’ai répondu en montrant l’abri désert :

— Vous pouvez vous asseoir ailleurs !

Et j’ai contourné la paroi pour aller de l’autre côté.

Je l’ai entendu répéter doucement, comme un enfant déconfit :

— Ça c’est pas gentil !

Comme on était loin de Novak Djokovic, auquel il ressemblait un peu ! J’ai eu une légère honte de l’avoir rembarré, mais fou ou pas fou, il n’avait aucune raison de m’embêter. En aurai-je fait autant avec le tennisman ? Celui-ci ne risquait pas de s’intéresser à ma petite personne !

Paris, Tougin, Paris.

Oui, mercredi dernier, nous avons filé à Tougin pour débroussailler le jardin. Il en avait bien besoin ! Nous avons eu de la chance, les quelques gouttes d’orages de fin de journée n’ont pas empêché Gilles de passer le fil. Il faut se rendre à l’évidence le jardin n’est pas en forme ! Le changement climatique ne lui vaut rien.

Le massif de pivoines est pratiquement mort. Il était là quand nous avons acheté la maison, il y a cinquante ans. Celui de nos voisins Marcel et Jacqueline résiste. J’aurai dû davantage l’arroser en août dernier. Je me le reproche, mais je crois qu’il est trop tard.

Le rosier grimpant de Monique est attaqué par l’oïdium, une patasse blanchâtre qui asphyxie les bouquets de boutons. Gilles a désherbé tout autour, il a pulvérisé ce qu’il fallait, mais je doute que nous retrouvions la merveille de grâce qui enveloppait la serre. La succession de sécheresse et de pluies orageuses risque d’avoir raison d’un rosier qui a vu le jour dans le Pas de Calais. Il ressemble à sa donatrice, Monique, notre belle-sœur, luxuriant et délicat à la fois, généreux et rieur, comme elle. Je crois vous en avoir déjà parlé.

Denis nous a donné des plans d’œillets d’Inde. Il en sème des graines d’année en année et nous les connaissons bien. Florifères et peu exigeants, ils repoussent les nuisibles, mais pourront-ils résister à notre absence ? On verra bien. C’est à chaque fois une surprise quand nous arrivons avec notre valise à roulettes d’observer le comportement d’un jardin planté de bric et de broc, et qui n’en fait qu’à sa tête. La plupart du temps, il s’en tire avec honneur et je dois même dire qu’il est charmant. Une année, venus d’on ne sait où, de magnifiques pavots avaient orné le pourtour de la serre, une autre année une incroyable floraison de cosmos, légères corolles aux tons pastels avait bordé la haie côté impasse.

Cette année, des campanules bleues ont animé le parking avec une certaine élégance.

Les corbeilles d’argent et les iris avaient fini de fleurir. Tout était beaucoup trop en avance. Les holtas auront du mal à résister au soleil de juillet. Il va falloir trouver des espèces plus adaptées au nouveau climat.

Mais le clou de ces quatre jours fut notre cohabitation avec un couple de mésanges installé dans le nichoir qu’Ève nous a offert il y a deux ans. Nous n’avons tout d’abord pas su s’il était occupé. Les oiseaux dérangés par notre arrivée se méfiaient. Ce fut un soulagement d’en voir un se glisser subrepticement dans la petite ouverture ronde, un petit ver dans le bec. Proches de la table où nous prenons nos repas lorsqu’il fait beau, le risque était grand de les voir abandonner leur couvée.

Nous avons veillé à ne pas faire de gestes brutaux ni de bruits intempestifs et ils se sont habitués à nous. Quel plaisir ce fut de les voir vivre leur vie à quelques mètres sans faire d’histoire ! Gilles s’est pris de passion pour eux, méditant sur leurs allées et venues. Il est vrai que l’intense travail qui consiste à nourrir des petits affamés laisse perplexe ! Ils ne bénéficient pas de congés, ni d’assistance maternelle, ni de sécurité sociale. À eux de se débrouiller contre les chats !

Quelques points communs avec le film que nous avons vu dans le petit cinéma de Gex, une sorte de fable sur la survie dans la campagne en Iran, près de Chiraz. L’Odeur du vent. Images magnifiques de montagnes, de torrents sur fond de fatalité et de solidarité.

À propos de cette rage de vivre, le monde occidental a été stupéfait d’apprendre qu’on avait fini par retrouver les quatre enfants, âgés de 13, 9, 4 et un an, perdus dans la forêt amazonienne depuis quarante jours. Ils avaient survécu aux bêtes sauvages, aux serpents, aux moustiques, aux pluies diluviennes, à la faim.

À l’origine, j’avais cru à une blague. Un petit avion s’était écrasé dans la forêt tuant le pilote et deux adultes, dont la mère des enfants. Ils avaient disparu du lieu du crash, mais les secours prétendaient qu’il restait encore un espoir de les retrouver. Élevés dans une tribu autochtone, ils connaissaient la forêt et la fille de 13 ans avait l’habitude de s’occuper de ses frères et sœurs.

Très amaigris, pris en charge par les secours, ils ont révélé que leur mère avait survécu au crash pendant quatre jours. Ils s’étaient ensuite éloignés avec de la farine de manioc, une moustiquaire, une lampe de poche et des couches. Ils avaient mangé des fruits de la forêt, des racines. Ils avaient entendu les appels et ne s’étaient pas découragés. Un bel hommage à rendre aux peuples autochtones et à leur mode de vie.

Ces petits oiseaux-là garderont tout de même des séquelles de leur aventure. Espérons qu’ils préserveront leur liberté et ne se laisseront pas piéger par la vampirisation des médias occidentaux.

Saint Germain des Près, Bastille

L’autre jour, j’ai hésité à faire un tour dans le quartier Saint-Germain des Prés. C’est toujours une épreuve et le temps passant de plus en plus fatigant. J’y ai gardé certaines fidélités comme Benoit Morand de la galerie Les Yeux fertiles. Il me fallait passer à celle de Marie-Hélène de La Forêt Divonne qui présentait un nouveau peintre.

 Gilles m’a accompagné un peu à son corps défendant, mais nous devions aller retrouver Daria à la Bastille et continuer ensuite vers le vernissage-concert d’Ada.

Ce quartier de galeries qui fut autrefois celui de mes études aux Beaux-Arts a changé. Il est devenu un des quartiers les plus prisés et les plus chers de Paris. Les bistrots-restaurants de la place Jacques Callot sont aujourd’hui branchés. Des verrières ont recouvert les terrasses. La Palette ne ressemble plus guère à la lithographie que j’en ai tirée par le passé. Mais surtout, il m’est un peu difficile d’entrer dans les galeries. Le mélange d’art et de commerce gêne mon regard, freine ma démarche. À tort, puisqu’il faut bien que les artistes gagnent leur vie.

Claude Bernard est mort cet hiver à 93 ans. Un marchand de tableaux à l’ancienne qui a beaucoup fait pour la promotion de ceux qu’il défendait. Cet après-midi-là, la galerie était de nouveau ouverte. Une équipe peaufinait une présentation de petits formats : Small is beautiful. J’appris par la suite que son neveu avait repris la galerie jumelée avec celle de New York. Small, certes, mais les prix de ces petits Giaccometti, Bonnard, etc… étaient faramineux et évoquaient davantage la spéculation que le meilleur de leurs auteurs. J’ai regretté de ne pas y apercevoir sa sœur et sa nièce, personnages simples et souriants, accueillants.

Un tour aux Yeux fertiles qui finissait une installation pour le Jeudi des galeries. Trois mots à Benoit sur le trottoir. Il est tout content du retour des trains de nuit qui lui permettent à nouveau de passer des week-ends à Toulon. Il aime passionnément cette ville. Il nous avait préparé un voyage alors que je devais retrouver Gilles venant de Nice. Hélas, un lumbago m’avait retenue à Paris au dernier moment. Je m’étais contentée de lire des souvenirs de George Sand sur son séjour au cap Sicié. À eux deux, c’est presque comme si j’y étais allée.

Le peintre de la galerie La Forêt-Divonne, un figuratif puissant et coloré (le thème de ce Jeudi) m’a laissé une vague impression d’amertume. Pourquoi ? Je n’en sais rien, mais j’ai été contente de filer vers la Bastille et de retrouver Daria devant le Café des Phares. Repos bien gagné autour d’une bière et de quelques mini-rouleaux de printemps. A la bonne franquette.

La patronne m’a dit que les philosophes n’étaient pas revenus après le Covid.

— Et pourtant, nous avons restauré les fresques des philosophes sur le plafond et nous avons gardé la mosaïque sur le sol de l’entrée, dit-elle en me les montrant avec une certaine fierté.

— Aucune nouvelle ! dit-elle avec du regret dans la voix.

Nous avons parlé avec Daria de son nouveau travail à l’Ens. Ses candidatures ne sont pas simples, elle ne peut pas avoir de poste pérenne. Comme elle nous disait qu’elle envisageait d’aller se ressourcer chez ses parents en Iran, au mois d’août, je lui ai dit :

— Tu ne crains pas de ne pas pouvoir revenir ?

Elle me répondit que depuis les manifestations de cet hiver, c’était plus calme. Elle aimerait faire venir ses parents à Paris, mais c’est trop dangereux.

Nous sommes allés tous les trois au vernissage d’Ana. Entre les deux grandes terrasses de café bruyantes et bondées de la place de la Bastille, nous avons fini par trouver une grille. Ana est venue nous ouvrir et nous a introduits dans une oasis de verdure, une cour datant de 1780 ayant à l’origine abrité des artisans. Aujourd’hui rénovée, privée, havre secret et silencieux, elle est bordée d’anciennes boutiques. Une verrière s’ouvrait sur la cour pavée, éclairée de l’intérieur.

La délicatesse un peu extraterrestre des collages d’Ana s’harmonisait avec les lieux. Ana Bonora sait tout faire. Littéraire, elle est aussi chanteuse à l’opéra de Tours. Elle dirige des chorales. J’ai évoqué ici un de ses concerts de mélodies françaises près de Saint Lazare. Grande et belle, beaucoup d’aisance sur scène. Ce jour-là, elle nous a offert un récital de ses propres chansons, accompagnée par un guitariste venu pour elle du Mans.

— J’ai eu un coup de cœur et depuis cinq ans, je joue avec elle, m’a-t-il dit.

Chansons rêveuses, un peu tristes, à l’image du temps. Il y avait quelque chose d’irréel dans ce public, pour certains grands voyageurs, pour d’autres ancrés sur une péniche du côté de Saint-Cloud, des amis de Gislain le neveu de Gilles. Ils semblaient pris entre le monde contemporain – l’un, ancien informaticien, un autre, coach –  et une certaine nostalgie des années hippies. Comme une résurgence de la complexité des trente glorieuses, essor économique et demande de libertés.

Grands week-ends de mai

Cette année les premiers et huit mai tombaient un lundi. Ajoutés au grand pont de l’Ascension, au lundi de Pentecôte, le mois de mai fut un mois de grandes vacances. Ruée sur les bords de mer, dans les lieux touristiques. Imaginez les embouteillages de la rentrée.

Paris aurait pu être désert. Mais l’Europe a déferlé sur les rives de la Seine, un tourisme assez inattendu. Peu de groupes, des quantités de petites familles venues parfois de très loin. Des touristes venus d’Inde et c’est plutôt nouveau, probablement la conséquence de son boom économique. Des Chinois sont de retour, mais ceux-là déambulent en famille et semblent appartenir à une classe plus aisée et cultivée. Des Russes ? Peut-être, mais moins bruyants qu’avant le Covid. Une tour de Babel en mouvement. Dans les quartiers du centre, on n’entend guère parler français.

Dans le métro très encombré, la cohabitation est malaisée. Ils n’ont pas les automatismes des habitués. Leurs valises encombrantes menacent mes jambes fragiles, mais leur bonne humeur et leur plaisir font pardonner quelques maladresses. Ils me rappellent nos aventures avec les enfants dans New York ou Londres, il y a bien longtemps.

Le tourisme devient problématique dans beaucoup de lieux que nous avions vus autrefois peu fréquentés. Il faut désormais plus ou moins réglementer la foule, comme au mont Saint Michel, au zoo de Beauval. Ces marées humaines deviennent dangereuses.

Les temps changent. Le Covid a changé les mentalités. On veut profiter de la vie.

Un reportage à la télévision sur Washington. Soixante pour cent des travailleurs ont déserté les bureaux. Des immeubles entiers sont désormais inoccupés. Chacun préfère rester à la maison en télétravail. Les directions cherchent par tous les moyens à les faire revenir avec des salles de sport, de jeux, des lieux de repos, mais pour le moment rien n’y fait.

Il est vrai que lorsque nous avons été voir Ève à Bethesda, ou Julien à La Roya, j’ai le souvenir d’énormes bouchons quotidiens sur des autoroutes à huit ou dix voies convergeant vers Washington DC ou San Diego et je me disais que le bien être des belles maisons sur leurs yards tondus au brin d’herbe près se payait par des heures d’embouteillage. L’american life ne m’avait pas paru si merveilleuse que ça.

Un mode de vie qui avait de plus en plus gagné les métropoles françaises, toutes proportions gardées. Le télétravail avait juste un peu changé les habitudes. Des open-offices avaient été emménagés dans les centres urbains. Des buildings entiers remplis d’ordinateurs disposés en rangées serrées. Depuis ma fenêtre, je me demandais pourquoi ces gens faisaient tous ces trajets, sur des routes embouteillées ou dans des RER bondés, juste pour brancher une clé USB et communiquer par Internet. Je ne les voyais pas parler à leur voisin et j’estimais la situation peu conviviale, en tous cas étrange.

Le Covid a tout changé. Maintenant on travaille chez soi. Les prix de l’immobilier ayant chassé les familles de Paris, elles se sont installées en province dans de plus grands logements avec nature et jardins. Que leur réserve l’avenir ? Sauront-elles réinventer des relations locales ? Écoles, santé, tout s’y délabrait, il faudra remettre en route un tissu social qui coûtera cher. S’ennuieront-elles dans leurs belles maisons, loin de la vie agitée de Paris, surtout en hiver ? On ne sait pas.

Aujourd’hui dans les immeubles en face de chez nous, les open-offices sont vides. On y fait des travaux, dans quel but ?

Autre conséquence du Covid. On ne trouve plus personne pour travailler dans les métiers pénibles de la restauration, de la santé, de l’entretien. Où sont-ils passés ? De quoi vivent ceux qui les ont assurés jusque durant l’épidémie ? Le chômage est au plus bas. Les temps changent.

On dirait que les Français ont goûté aux grandes vacances perpétuelles, en tous cas à une vie meilleure. Ils refusent de repousser l’âge de la retraite. Les plus réalistes sont de plus en plus inquiets pour l’avenir. On vit sur des montagnes de dettes. Historiquement, ce n’est pas fameux.

Le grand week-end de la Pentecôte a rempli le jardin des Halles d’une foule de jeunes venus de banlieue. Pique-niques, cercles d’amis assis sur les pelouses, la bonne humeur régnait sous un soleil clément. On se serait cru sur une plage urbaine. Une sorte de parenthèse d’insouciance, de paix et de rires malgré les menaces qui planent au niveau mondial. Carpe diem.

Chantier, Madame Marguerite, Le Menteur

LE MENTEUR - Théâtre de Poche-Montparnasse | THEATREonline.com

Cela fait maintenant sept mois que nous avons des échafaudages devant nos fenêtres. La plate forme de ravalement des toitures et de la façade à notre niveau, nous vivons à trente centimètres des menuisiers, des coupeurs zingueurs, des soudeurs, maintenant des plâtriers et des peintres. Nous partageons états d’âme, disputes, rires. Ils s’interpellent d’un bout à l’autre de l’immeuble. Au début, notre voisine de palier s’est plainte. Il est vrai qu’actrice et réalisatrice, elle tourne la nuit et dort durant la journée. Elle a dû s’en arranger, car on n’en entend plus parler.

On s’est habitué. Je n’entends même plus les martèlements, les grattements sur les murs. Pourtant, le moindre bruit provoqué par de l’incivilité m’exaspère. Je supporte les fêtes de jeunes même si je me demande pourquoi ils mettent la sono à fond et crient si fort. Ils s’amusent et j’en ai fait presque autant dans ma jeunesse, mais quand cela se reproduit trop souvent, je file sonner à leur porte. J’ai acquis une certaine expérience en la matière qui pourrait faire le sujet d’une amusante et instructive chronique.

À peu près aucun de ces ouvriers ne parle français, mais ils se comprennent entre eux. Je me suis demandé s’ils venaient de la même ville ou du même village. Ils travaillent dans la bonne humeur. De temps en temps, ils frappent à la fenêtre pour nous demander d’ouvrir les battants, nous les appelons lorsque leur musique nous empêche de travailler. Nos relations sont agréables et même plaisantes. J’irais jusqu’à dire qu’après le soulagement, ils vont peut-être nous manquer quand tout sera fini… Neuf mois en tout !

Pendant le grand week-end de l’Ascension, le chantier était arrêté. Des cavalcades ont résonné sur les coursives de l’échafaudage accompagnées de conversations, d’appels. Gilles a ouvert la fenêtre et je l’ai entendu demander :

— Vous êtes de quelle entreprise ?

En effet, en cas de retard, le travail se poursuit souvent le samedi. Mais après quelques échanges en français, il s’est écrié :

— Rentrez chez vous ! Vous vous mettez en danger !

Comme je lui demandais par la suite des explications :

— Ce sont des jeunes qui s’amusaient à escalader l’échafaudage ! Ils ne parvenaient pas à redescendre. Ils ne trouvaient plus la sortie.

Oui, le chantier se déroule du mieux possible. Nous avons dans l’immeuble des retraités spécialistes, l’un dans l’intendance de l’armée, l’autre dans les chantiers internationaux. Mais, je pense que je serai contente lorsque devant la porte du bas les toilettes mobiles auront disparu.

À propos de vitalité. Conviés par Émilie Chevrillon, nous sommes allés assister à la lecture de Madame Marguerite, au théâtre Essaïon, pièce seule en scène devenue célèbre par l’interprétation d’Annie Girardot dans les années soixante-dix. Un monument ! C’est l’histoire d’une institutrice à moitié folle qui parle à ses élèves, à mi-chemin entre la tendresse et la folie totalitaire, entre le comique et le tragique. Un sommet de difficultés. Émilie y fut vivante et passionnante, exubérante et réfléchie, une réussite. Le metteur en scène assis à une table sur le côté tournait les pages posées devant lui en lisant les didascalies.

L’auteur brésilien Roberto Athayde était dans la salle et nous fut présenté à la fin. Alors qu’il se trouvait au Portugal pour une représentation de sa pièce, il avait sauté dans un avion pour y assister. L’auteur, le metteur en scène et l’actrice furent acclamés.

En sortant, Émilie nous a dit :

— Mettre de la vivacité et de la fraicheur dans une lecture est une chose, mais l’apprentissage du texte et le travail de scène en est une autre.

En effet, elle s’attaque à du dur !

Dimanche, Le Menteur au théâtre de Poche-Montparnasse, la seule pièce comique de Corneille. Je l’avais vu deux fois. La première fois au TNP de Jean Vilar, l’autre à la Comédie française sur de grandes scènes. Comment cette histoire d’un jeune homme prétentieux et hâbleur qui s’enferre dans des mensonges au milieu de tant de monde et de va-et-vients pouvait-elle être contenue dans un espace aussi restreint ? Nous avons failli renoncer. Heureusement qu’un coup de fil à notre ami Nicky nous en a dissuadés.

Une merveille. Vitalité, ingéniosité scénique, éclairage astucieux, le rythme de l’alexandrin, les mimiques accusées, mouvements en ballets surjoués, la merveilleuse jeunesse des acteurs et leur plaisir de dire et de jouer, la mise en chanson de certains vers sur des musiques de tubes archiconnus, tout fut un régal. Devant nous, une petite fille d’une dizaine d’années riait à perdre haleine.

Nous n’avons pas regretté d’être restés à Paris, loin des bords de mer surpeuplés !