Covid et campagne électorale US.

Les courbes de l’épidémie montrent une deuxième vague de même ampleur que la première. Si des mesures ne sont pas prises, elle pourrait largement dépasser la première, un couvre-feu a été instauré le 17 octobre.

Mercredi dernier de 18 à 20 heures, nous avons reçu Pierre et Nicolle pour un apéritif avant le couvre-feu. Ils habitent à côté du Pont Neuf et sont venus à pied. Pierre Christin est un peintre reconnu, célèbre au Japon : on peut voir ses toiles à la galerie Nichido, rue du Faubourg Saint Honoré, à côté de l’Élysée. Ils nous ont dit que les terrasses des bistrots étaient bourrées de jeunes, collés les uns contre les autres et sans masques. Nos amis revenaient d’un de leurs nombreux séjours à Venise. La cité des doges était déserte. Ils nous ont évoqué le bonheur de savourer les Carpaccio, les Bellini, les Jérôme Bosh sans la foule des touristes. Sortant plus que jamais son carnet de croquis, Pierre a déambulé le long des canaux. Il a même pu dessiner à la terrasse vide du café Florian.

Pour leurs cinquante ans de mariage, un vieil ami gondolier, bel homme comme il se doit, les a embarqués pour une navigation personalisée. Nicolle en était encore toute émue : « Il a chanté spécialement pour nous ! »

La vie se recroqueville de nouveau, désormais dans la France entière. On perd l’habitude de se parler et l’avenir semble bouché. On nous évoque un vaccin à la télévision, mais sans rien de concret pour le moment. Cette crainte perpétuelle de la contamination est néfaste pour les jeunes. Ils ne sont pas en danger, mais ils accumulent les culpabilités. Gilles et moi serions pour un confinement des gens à risque comme les obèses, les diabétiques, les hypertendus et les personnes âgées, dont nous-même, naturellement. Le virus pourrait circuler avec un minimum de danger vital sans encombrer les hôpitaux en attendant une solution. Mais il parait que le sujet est tabou, je me demande pourquoi.

Les élections aux USA inquiètent le monde entier. Trump, candidat sortant, populiste républicain promet la lune et ment comme jamais. Biden, démocrate, essaie de pacifier un pays où la pandémie fait rage, mais il a 77 ans. De nombreux pro-Trump parlent de sortir les armes en cas de victoire de Biden. Donald Trump laisse entendre qu’en cas d’échec, il n’acceptera pas le verdict d’un scrutin qu’il estime truqué. Pendant ce temps, le monde s’étripe au nom des religions et la Chine voit s’ouvrir un boulevard pour imposer ses volontés.

Mathilde qui travaille à l’hôpital de la Pitié-Salpétrière nous annonce un très probable reconfinement. L’impact sera désastreux. Ralentissement économique et chômage en progression. Déjà les contrats précaires sont touchés. Beaucoup ne mangent plus à leur faim, l’hiver arrive, ils ne pourront pas se chauffer. En général les crises atteignent les plus démunis, on leur accorde des miettes sans réaliser qu’on sème une haine qui couvera plus ou moins longtemps avant d’éclater en violence incontrôlable.

JMH m’a invitée à prendre un café avec un de ses amis spécialiste des manuscrits littéraires. Nous avons blagué, fenêtre ouverte. Nous avons évoqué les amours de M., l’incompétence en mécanique de JMH, le peintre Vegetti. Toute autre chose que la Covid. Quel plaisir !

Covid et attentat.

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Manifestation anti couvre-feu.

Avant-hier, une conférence de presse du président de la République nous annonce un couvre-feu à partir de samedi, en raison de la recrudescence de la pandémie. 21 h – 6 h. Mouvement dans l’opinion, surtout du côté des métiers concernés. Cafés, restaurants, théâtres, cinémas, concerts. Ils sont durement touchés. Les séances devront être décalées pour sauver les meubles, du moins ce qui peut l’être.

Il est vrai que les statistiques du ministère de la Santé ne sont pas bonnes et que les hôpitaux recommencent à déprogrammer des opérations pour soulager les urgences, au risque d’intervenir trop tard dans certains cas, de cancer par exemple. Le personnel est sur les dents, déjà épuisés par la flambée du printemps, beaucoup font des burnout et beaucoup démissionnent. Les hôpitaux sont fragilisés par rapport à mars. Heureusement, des progrès dans les soins ont permis d’éviter un grand nombre d’intubations avec mise en coma artificiel et rééducation interminable. Tout ceci n’empêche pas une partie de la population parfois inconsciente de s’opposer aux directives restrictives de l’État.

Le week-end dernier, alors que les bars étaient fermés par ordre de la préfecture de police, une « tefeu », fête en verlan, a eu lieu dans un bureau de l’immeuble Kenzo mitoyen de notre appartement. Bruit de discothèque de l’autre côté du mur et cris en continu. Ce qui m’a le plus frappée était l’absence de rires. Ces jeunes gens, plus d’hommes que de femmes parlaient comme s’ils assénaient des convictions, hurlant pour se faire comprendre malgré la musique et ses martèlements. Le ton montait avec l’alcool et les heures qui s’accumulaient. À 3h3O du matin, j’ai fini par m’endormir sur le divan du salon, côté rue, un peu à l’abri du vacarme. Nous avons mené notre enquête la semaine suivante, sans succès. Probablement une réunion improvisée dans des locaux vides, en toute légalité d’ailleurs. Par contraste, les rues et la place des Victoires désertes et silencieuses avaient quelque chose de surréaliste.

Effectivement, nous entendons parler ces temps-ci de cas de Covid, parfois très lourds, Christophe après avoir travaillé pour la fashion week est resté quinze jours alité avec une fièvre de cheval, il s’en remet à peine, ses enfants sont atteints, Miguel s’est trouvé à convoyer un bateau de Corse vers Marseille avec un ami pendant la fameuse tempête qui a ravagé la Côte d’Azur fin septembre, tous deux malades à en mourir. De retour chez lui, il a contaminé sa femme et ses enfants. Un neveu a été atteint après avoir assisté à un mariage. Et j’en passe… On ne peut pas comparer cette situation aux pestes du Moyen-Age, naturellement, mais ça sent le roussi. Il faut faire très attention. Je continue d’aller à l’atelier, mais je sors des rames lorsqu’elles se remplissent et j’attends sur le quai le passage d’un métro au public plus clairsemé.

Nous avons pu recevoir Tim et Xiaoli dimanche après-midi en respectant les distanciations et en aérant l’appartement. Quel plaisir ! Soucieuse, j’avais donné un mauvais rendez-vous à Sara et Pablo. Nous avons bien l’intention de remettre ça avec eux. Pas question de se laisser dominer par ce sacré microbe !

Je n’ai pas eu le temps d’aller du côté des Halles et de la Soupe Saint-Eustache. Je crains le pire. La misère guette. Les aides d’état ne pourront pas durer indéfiniment. Comment vont survivre les travailleurs du tourisme et de la culture ? Paris est en panne.

La décapitation d’un professeur de géographie pour avoir montré à ses élèves des caricatures de Mahomet par un jeune radicalisé de 18 ans a bouleversé la France entière. Le résultat d’une incitation à la haine sur internet. Manifestations dans tout le pays, questions autour de l’encadrement juridique des messages du web. Samuel Paty, professeur estimé de tous, avait obéi au programme sur la liberté d’expression et demandé aux élèves pouvant être choqués de sortir dans le couloir. Un parent musulman relayé par un imam radicalisé avait lancé contre lui une sorte de fatwa sur la toile et ainsi poussé à l’action un jeune d’Évreux en Normandie, inconnu des services de renseignements.

Semaine du 13 au 20 octobre 2020

Retour à Paris.

Après avoir rangé, nettoyé et fermé la maison, nous avons pris le car sous une pluie battante. Voyage dans un TGV vide. Arrivés vers 23 h dans une gare de Lyon fantomatique, nous avons émergé du RER désert sur l’esplanade des Halles. Pas un chat ! Un rat a filé devant nous et s’est glissé sous une grille. Quelques rares clients discutaient aux terrasses des restaurants. Rien à voir avec les nuits parisiennes habituelles. Nous avons traîné notre valise à roulettes le long de la rue du Louvre étrangement silencieuse.

Mais le lendemain, la vie avait repris, certes différente d’avant la pandémie, mais bien décidée à s’imposer. Tout le monde porte un masque, les vélos et les trottinettes ont gagné du galon, des distributeurs de gels sont disponibles devant chaque arrêt d’autobus. Je me suis empressée d’aller à l’atelier, un peu inquiète de devoir prendre le métro dont on disait tant de mal. En fait, le risque m’a semblé négligeable. Distanciation et port du masque respectés. Mais le quartier de La Motte-Picquet n’avait pas retrouvé sa déambulation rieuse et ses terrasses bourdonnantes. Les bars venaient de fermer à la suite du passage de l’Île de France en zone renforcée.

Le retour du soir en métro fut d’autant plus confortable que les employés du ministère des Armées semblent avoir été placés en télétravail et ce n’était plus la foule d’avant le Covid, la presse et la fatigue. Mais quelques jeunes et quelques récalcitrants ayant baissé leur masque sous le menton semaient un rien d’inquiétude.

Samedi matin, profitant d’un rayon de soleil, je suis allée faire un tour au Palais-Royal.  Malgré la sécheresse de l’été, les feuilles des tilleuls étaient particulièrement vertes. Se croient-elles au printemps ? La nature s’y perd.  Un homme allongé sur les dalles du pourtour travaillait ses abdominaux, un autre, élastique accroché aux grilles, ses pectoraux. Encore plus loin, des groupes s’agitaient de concert en mouvements venus d’Asie. Encore plus loin, sous les voûtes de la Comédie Française, des jeunes s’entraînaient à la boxe. Et je me suis souvenu que les salles de sport étaient fermées. De l’air et de la beauté, ils n’y perdaient rien. Une nouveauté, la présence des chiens. Durant le confinement, leurs promeneurs avaient bénéficié de certaines prérogatives, y avait-il un lien ? En tout cas, une bande de molosses déboulant du passage sous la maison de Colette manqua me bousculer. Jamais, je n’avais vu le jardin aussi animé un samedi matin.

En fin d’après-midi,  je suis revenue de l’atelier en métro. Une rame toutes les sept ou huit minutes, elles étaient bondées. Il est resté bloqué à Concorde durant un temps interminable. Une jeune fille a blagué dans un silence général : « Le train de l’horreur ! » Je me suis échappée et j’ai pris la ligne 1, automatique et plus fournie en rames, qui m’a déposée à la station Louvre. Je n’ai pas eu le courage de remonter la rue du Louvre à pied et j’ai sauté dans l’autobus 85. Il s’est rempli aux stations suivantes. Coincés dans un embouteillage, on était loin des conditions de sécurité affichées et clamées partout. Un jeune a toussé. Plusieurs personnes lui ont tourné le dos, ce qui a fait rire son amie. Pour le moment, peu d’entre eux ont vu des êtres aimés mourir de cette sale maladie.

Pendant ce temps-là, Trump contaminé (?) faisait le guignol à Washington pour affirmer que le virus était bénin et qu’il ne fallait pas en tenir compte.

Semaine du 6 au 13 octobre 2020.

Juste avant de partir.

Triste début d’octobre. Une tempête dévastatrice a soufflé sur la Bretagne, mais surtout un phénomène cévenol a ravagé la vallée de la Vésubie sur la route du col de Tende. Des centaines de maisons emportées par la rivière, des dizaines de disparus, presque toutes les routes détruites ou endommagées, villages isolés sans eau et sans électricité, l’arrière-pays niçois est à la peine.

Il y a deux jours, le président Trump annonce son hospitalisation après avoir été testé positif. Il tweete que tout va bien et lance une vidéo qui se veut rassurante. Juste par mesure de précaution. Aujourd’hui, on le voit de nouveau durant quatre minutes assurer qu’il va de mieux en mieux. Il parle mécaniquement et respire avec un peu de difficulté. Les informations médicales sont contradictoires ; officiellement tout va bien, des fuites anonymes prétendent que son pronostic vital n’était pas fameux à l’arrivée à l’hôpital et son taux d’oxygène préoccupant. À un mois des élections, la campagne électorale dérape plus que jamais. Trump est un as de l’embrouille. D’ici à ce qu’il refuse le résultat des élections et délégitimise Joé Biden, si celui-ci est vainqueur, il n’y a pas loin. Les institutions sont en péril et les autocrates pullulent dans le monde entier.

Un bref passage à Coppet, au château de madame de Stael, m’a fait chaud au cœur. En voilà une qui avait le sens de la liberté !

Nous rangeons la maison sans savoir quand nous reviendrons. Fonds de placards, vieux trucs à la poubelle ou à la décharge, la table de jardin dans la remise. De temps en temps un rayon de soleil nous rappelle qu’il a fait beau, mais le Jura se couvre de neige, les Alpes blanchissent, le lac a pris cette couleur grise qui donne envie de partir.

Cependant, tout le monde nous dit que Paris est devenu bien morose. Le risque Covid y est maximum et les rues sont encombrées en raison de la fermeture des grands axes pour laisser la place aux vélos. Malgré les embouteillages, les travailleurs venus de banlieue préfèrent prendre leur voiture par peur d’attraper le Covid dans le métro. Les restrictions d’ouverture de restaurants se multiplient. Comment l’économie parisienne pourra-t-elle tenir ?

La misère converge vers les Halles par les RER. Il est probable que Paris va vite devenir le rendez-vous des contestataires venus de la France entière lorsqu’il faudra se serrer la ceinture et rembourser la dette consécutive à la pandémie. On connait : casseurs, voitures incendiées, présence policière, métro et bus perturbés, et j’en passe.

Mais, ici, dans cette région frontalière plutôt préservée, on se sent trop à l’écart, trop à l’abri. Le froid et la pluie ont vidé l’impasse, nous avons décidé de partir, avec l’impression désagréable de trahir un peu nos amis.

Nous reviendrons fin octobre, si le Covid ne nous rattrape pas.

Semaine du 29 septembre au 6 octobre 2020

Dernier bain.

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Le temps est devenu exécrable. Froid et pluie continue, neige sur le Jura. Nous avons allumé le chauffage. Le soir la danse délicate des flammes, le pétillement du bois, l’odeur et la chaleur du feu de hêtre nous réchauffent le corps et l’âme. Nous savourons le silence et la chanson de la pluie sur les velux, le souffle du vent dans la toiture et la cheminée.

Pendant que mes souvenirs sont encore frais, je voudrais revenir un peu en arrière, vous évoquer nos compagnons de baignade et les relations étranges qui ont entouré des rencontres presque quotidiennes. Souvenirs d’autant plus frais que notre dernier bain date seulement de quelques jours. Il pleuvait déjà, mais un mail d’Ariane de l’autre côté du lac nous a encouragés à nous y risquer. Quel plaisir ! 21°, un rayon de soleil sur une eau argentée. Un moment à se remémorer durant l’hiver. Cependant, ce dernier jour nous étions seuls à descendre la glissière de Versoix, seuls à nager vers le large, à nous fondre dans le paysage des Alpes et détailler le dessin de ses aiguilles sur un fond de nuages clairs.

Chaque matin, un monsieur d’un âge certain nous avait précédés. Des muscles à faire pâlir les adolescents, lunettes étanches. Après s’être invariablement aspergé d’eau sur les épaules et le torse, palmes aux pieds, il démarrait tel un grèbe par une interminable plongée. On le voyait ressortir vingt mètres plus loin et s’élancer vers le large jusqu’à plus d’un kilomètre de la rive. Son dos crawlé, son crawl ventral impeccables nous laissaient perplexes sur son âge, probablement plus de 70 ans. Il ne parut jamais s’apercevoir de notre présence. Jusqu’au dernier jour. Tout d’un coup, alors qu’il remontait la glissière,  il descendit ses lunettes sur son cou et me fit un immense sourire. Je pensai à une erreur de personne, mais il recommença sur le parking où nos voitures étaient garées côte à côte et me salua d’un chaleureux « Au revoir ! ». Pourquoi cette soudaine amabilité ? Mystère ! La psychologie du nageur de fond est très particulière, c’est bien connu.

Rien à voir avec les deux femmes qui tous les jours de ces trois mois ont nagé à un mètre l’une de l’autre sans cesser un instant de papoter. Que se racontaient-elles ? Des bribes me parvenaient, des histoires d’achats, de copines. Elles parlaient pour parler, comme insensibles à la beauté du lac, à la fluidité de l’eau. Mais on devinait que ce rendez-vous quotidien leur était indispensable à elles aussi.

J’allai oublier ! Le vieux monsieur et son kayak. Il longeait la rive à un rythme lent. Quand il arrivait devant la plage, plutôt que de faire demi-tour à la pagaie, il sortait son kayak de l’eau, le soulevait, le montait sur l’herbe et le faisait pivoter. Il redescendait à petits pas, embarquait de nouveau et repartait le long de la rive sur plusieurs centaines de mètres le long des noisetiers et des aulnes, jusqu’à une autre petite plage où il recommençait son manège. Combien de fois ? Je n’ai pas compté.

Et lui aussi participait à la beauté du lac, à la paix de nos matinées (lorsque les élèves de l’école de voile ne faisaient pas trop de raffut !). Ce furent des compagnons et même d’une certaine façon des amis qui me manquent confusément, maintenant qu’il nous faut retourner à Paris.

Net’Léman

Genève: Le Covid laisse des traces parmi les déchets du Léman - Le Matin
Nettoyage du Léman

La maison est silencieuse, le quartier au travail, les enfants à l’école. Le temps devient variable, des orages en fins de journée. J’aime le bruit du vent qui tord les arbres, celui du tonnerre qui s’approche en grondant, qui claque et puis s’éloigne.

Trop de masques, les visages me manquent. On garde ses distances, J’ai décidé de peindre une petite foule. Elle marche le long du fleuve au rythme du temps. Elle ne sait pas où elle va, mais elle avance indifférente au Covid, avec une insouciance oubliée depuis des mois. Bien sûr qu’au bout la fin est inéluctable, mais j’aime peindre ce corollaire de la vie et de la mort. Tant pis et même tant mieux si cette figuration n’a plus cours. J’aime retrouver le geste qui tourne autour d’un corps, se fond dans un mouvement et s’y attache, donner une existence moins précaire que l’instantané de la photographie, plus proche de la continuité qui me lie à mes personnages.

A Versoix, avec Agnès F. Nous remontions du port sur le trottoir. Une femme descend vers nous et nous alpague d’un ton mécontent. Nous tombons des nues. Elle aurait voulu que nous la laissions passer en respectant la distance de sécurité. Pourtant les Suisses ne portent pas de masques et ne prêtent guère attention aux gestes barrières. La dame s’explique : « C’est insupportable, les Suisses sont absolument inconséquents ! je passe mon temps entre Genève et Paris et je peux vous assurer que les Français sont bien plus raisonnables ! ». Les bras m’en tombent. Je lui réponds : « Excusez-nous si nous avons eu un comportement inadapté, mais je dois dire que d’habitude, j’entends plutôt les Suisses accuser les Français d’inconséquence. » Elle réplique : « Oui, à Paris, il y a des zigotos qui font la fête tous les soirs, mais dans l’ensemble, tout le monde porte son masque. » Je lui apprends que nous sommes français. Elle ajoute : « j’accepte bien volontiers vos excuses, car vous m’êtes sympathiques » et elle s’éloigne en nous croisant à bonne distance.

Je pensais à elle, lorsque le lendemain, nous sommes allés nous baigner dans ce même port de Versoix. On y chargeait des touristes entassés dans un petit bateau. Et cela riait et cela criait à vous envoyer tous les postillons de la Confédération helvétique. Pendant ce temps, une armada de bénévoles masqués, perche à crochets dans une main, sac en plastique dans l’autre s’est répandue en bataillons organisés sur la plage, dans les rochers, le long de la jetée. C’était la journée nettoyage, Net’Léman. Il n’y avait pratiquement que des filles dirigées par des hommes munis d’étendards de couleurs. Un zodiac a déversé six plongeurs qui ont ratissé le fond du lac. On pouvait suivre leurs mouvements grâce à de longues bouées colorées se dressant à la verticale lorsqu’ils s’enfonçaient dans l’eau.

Nous étions assis sur le parapet du port et nous leur avons signalé les innombrables mégots entassés dans les fentes entre les pierres. Ils nous ont remerciés, ils n’y auraient pas pensé : « Il n’y a pas idée de faire des choses pareilles ! » Et j’ai songé au temps de décomposition d’un philtre de cigarettes ; de l’ordre d’une centaine d’années si mes souvenirs sont bons. Oui, la planète est fragile même dans les plus petits détails.

Temps d’été.

Baignades lumineuses dans un lac de rêve. Je voudrais m’étendre sur la chaise longue au fond du jardin, observer tranquillement le vol des oiseaux, le mouvement voluptueux des nuages sur les crêtes du Jura, me laisser bercer par le bourdonnement des guêpes, écouter le bruit du village, ses travaux et ses jours.

Pourtant non ! Je me mets au clavier, parce que le temps nous est compté, parce que ce serait trop simple de s’enfermer dans un petit jardin aussi agréable soit-il, alors que le Covid guette. Les nouvelles ne sont pas bonnes.

Non pas qu’il soit tellement mortel. On a vu pire avec les grandes pestes du Moyen-âge qui ont décimé les deux tiers de la population de l’époque. Mais notre monde est devenu si fragile ! Tout y est lié depuis le paysan de chez nous, d’Afrique ou d’Amérique, jusqu’à l’ouvrier des cinq continents. Si l’un tousse, l’autre a la grippe, si l’un manque de graines, l’autre ne mangera pas, si l’un n’a plus d’outils, l’autre se trouvera sans toit. Et le Covid détraque tout. Le chômage se répand, bien que la récession s’annonce moins forte que prévue. On arrive dans l’inconnu. Durant l’été, on a pu se préserver grâce aux gestes barrière, on a pu se rencontrer à l’air libre en gardant les distances. Quand l’hiver surviendra, tout sera différent ! Il faudra se chauffer et fermer les fenêtres. Au travail et dans les magasins on continuera de porter des masques, mais à la maison, en famille ?… Bien sûr qu’on ne s’y pliera pas et comment recevoir nos amis ? Un reconfinement équivaudrait à un effondrement de l’économie mondiale. Il faudra donc accepter le risque de contagion. Les personnes de notre âge en seront les premières victimes. On peut seulement espérer que le virus va s’atténuer avec le temps et que nous seront assez solides pour résister. Pourquoi pas ?

En attendant, nous profitons de ces derniers jours de beau temps. Nous passons nos journées dans le jardin et nous bavardons, nous faisons provision d’amitié. On évoque dans le détail comment chacun s’y prend. On peut encore se sourire, se parler sans élever la voix. On voudrait bien se serrer dans les bras, mais tant pis, ce sera pour plus tard !

 Le virus se propage de plus en plus vite. Le port du masque est désormais obligatoire dans les grandes villes, dans les écoles et les universités. Et pourtant des groupes s’y opposent, parfois violents, recouvrant des sentiments variés et contradictoires. La logique n’a plus cours.  Seul un vaccin restaurerait un semblant de confiance, mais il n’est pas programmé avant longtemps.

Aujourd’hui, 30 degrés. nous cueillons le jour dans l’ombre fraîche des vieux murs de la maison avec nos amis Henriette et Lionel. Et c’est bon !

À Versoix.

Torticolis persistant, très douloureux. Presque une semaine au lit. Dans ces cas-là, je songe avec admiration à ces hommes que la souffrance n’a pas vaincus : Montaigne et sa gravelle, Roosevelt, Pompidou, Mitterrand. Comment ont-ils pu ? La douleur m’ôte toute pensée cohérente. Vie suspendue, les heures passent indistinctes dans l’attente d’un mieux difficile à imaginer. Chaque seconde se dilate et fuit aussitôt, intensément vécue, mais inutile.

Cependant hier, ça allait mieux, le soleil brillait et nous sommes allés nager à Versoix. Le mois de septembre est souvent délicieux dans nos régions.

Hélas, à peine arrivés, un tamtam nous a cassé les oreilles. Il provenait du parc au-dessus de la plage. Je déteste tous les bruits répétitifs. Je me souviens de mon désespoir lorsque les tambours ont envahi le Pont des Arts, effaçant la beauté et le mystère des crépuscules sur Paris, blessant de leur brutale sottise la souplesse du fleuve.

Voilà qu’ils s’installaient ce matin-là dans l’univers préservé du lac, couvrant la chanson des vagues. Ma tête n’avait pas besoin de cela ! Nous avions vu sur le parking des groupes en costumes et robes voyantes, embijoutés. Difficile de déterminer leur origine. Europe, Philippines, Afrique, Amérique du Nord, Madagascar ? Notre région est une tour de Babel et nous avons l’habitude d’éviter ces questions.

Très vite, l’assemblée descendit la pelouse et à grand renfort de chants et de tambour atteignit la plage. Les femmes étaient couvertes d’une longue tunique blanche , les hommes d’une large chemise également blanche. Un grand et volumineux personnage entièrement revêtu du même blanc vociférait en moulinant des bras. Ses propos étaient ponctués par des applaudissements et de bruyantes approbations. Les femmes chantaient en se balançant. Lorsque plusieurs hommes entrèrent dans l’eau, je compris qu’il s‘agissait d’un baptême évangélique. Les bruits s’amplifiaient au grand dam des usagers de la plage qui observaient la scène avec un mélange de curiosité et d’agacement. L’un d’eux traversa la cérémonie son paddle sous le bras, sans plus de façons.

Pour ma part, je rouspétais intérieurement. Déjà que je n’aime pas ce genre d’embrigadement, mais je ne pouvais pas oublier que cette secte avait contribué à faire élire Trump et qu’elle avait été responsable de la pandémie à Mulhouse. Sur la plage, épaule contre épaule, on ne pouvait pas dire qu’ils respectaient les distances de sécurité !

Nous sommes allés vers l’autre jetée pour nous en écarter. À notre retour, les derniers participants, le pasteur et sa famille, s’engouffraient dans un gros fourgon de luxe. Sous l’effet de mon agacement, j’ai craint une reprise de mon torticolis. Heureusement, il n’en a rien été!…

Du 1er au 8 septembre 2020.

Après le beau temps, la pluie.

Une des dernières journées de soleil nous trouva au bord de l’eau chez Ariane en compagnie de son frère Alain et de Laurette, de Bernard et de Nelly, amis fidèles à travers les années.

Imaginez ! Un ravissant petit port particulier. Sa jetée protège de son enrochement une maisonnette couleur de lac, réunissant tous les agréments que peut offrir le Léman suivant les saisons, les vents ou les heures. Petite comme un mouchoir de poche, mais grande des mille et une nuances de l’eau et du soleil. Un salon vitré, un auvent en cas de pluie, une terrasse à l’abri de la bise, arbres et arbustes dans un petit jardin havre de fraîcheur. L’architecte s’est peut-être inspiré de la merveilleuse villa de Le Corbusier à Vevey.

Nous avons déjeuné de plats simples mais délicieux au-dessus de la mouvance de l’eau, à observer les crêtes paisibles du Jura, à savourer une amitié restée intacte à travers les traces ineffaçables du temps. Pourtant, en voyant notre situation et les Zodiacs mouillés dans le port, je pensais que nous étions particulièrement privilégiés. Il est facile ici de ne pas penser au monde qui bat la breloque et s’entre-déchire, d’oublier l’inquiétante précarité répandue par le Covid sur tous les continents. Beaucoup plus facile que dans notre quartier des Halles à Paris avec ses laissés-pour-compte venus de la terre entière. Cependant, je dois dire en toute honnêteté que je n’ai pas craché dans la soupe. On ne sait jamais ce que l’avenir nous réserve !

Depuis, le temps s’est détraqué, il pleut à verse (une bénédiction pour la nature assoiffée). Un torticolis me tord le cou. J’ai tout de même pu me joindre à deux amis de l’Académie de Mâcon qui rencontraient Ann Bandle présidente des Rencontres de Coppet dans le fief de cette chère Germaine de Staël, pionnière de l’amitié entre les peuples européens, une femme libre.

Espérons que le beau temps va se rétablir. J’aime le mois de septembre, la douceur de sa lumière. Il se prête au travail. Nous comptons bien rester à Tougin jusqu’en d’octobre, avec quelques allers et retours sur Paris et l’espoir que la Suisse ne fermera pas de nouveau ses frontières comme une rumeur le laisse entendre ces jours-ci.

Du 25 août au 1er septembre 2020

Une si jolie petite plage.

Ayant laissé nos enfants partir devant, nous les avons rejoints à Céligny sur la rive suisse du Léman. Cette charmante petite plage à l’abri des regards et de la route est connue des seuls initiés, le plus souvent anglais et allemands venus des organisations internationales environnantes : ONU, BIT, CERN, OMC etc. Les enfants n’ayant pas pu y pénétrer, avaient envoyé un message pour nous informer qu’ils se baignaient sur les rochers du port.
En effet, une jeune fille revêtue d’un gilet aux couleurs de la commune nous annonça avec un large sourire qu’en raison du Covid la plage ne pouvait pas accueillir plus de « septante personnes ». Heureusement les baigneurs rentraient chez eux. Après seulement cinq minutes d’attente, nous avons pu entrer et profiter des installations qui ont remplacé cette année les anciennes baraques vétustes. Luxe suisse : sanitaires en acier frotté, carrelage gris perle, bouteille de gel hydroalcoolique devant chaque porte.
Le bain fut délicieux, l’eau un peu trop chaude après un été presque caniculaire, mais tout de même revigorante. Les vagues d’une petite bise nous obligeaient à lever la tête. Nous sommes remontés vers la pelouse en boitillant sur les graviers, les enfants à l’entrée de la jetée nous faisaient des signes pour nous inciter à les retrouver à la buvette.
Alors que je me dirigeai vers le banc un peu caché le long du mur afin de me changer, un homme d’une trentaine d’années à la taille débordante de bourrelets me prit de vitesse. Il y posa discrètement un narguilé et ses accessoires avant de s’y asseoir avec la certitude de sa priorité masculine. Notre région attire les ressortissants des Émirats arabes et de l’Arabie saoudite. J’aurai pu continuer vers les sanitaires, mais après un instant d’hésitation je me suis installée à l’autre bout du banc et je me suis rhabillée sans complexe. Imaginez le tableau !
Nous avons retrouvé les enfants devant la buvette. Alors qu’ils passaient commande au bar, une place à l’ombre se libérait. Je demeurai debout pour la réserver quand j’eus la surprise de sentir une certaine hostilité provenant du groupe qui se levait. Une femme tout en rangeant ses affaires s’écria sans me regarder avec un fort accent suisse :
— Vous êtes amendable ! Allez-vous-en !
Comme je ne comprenais pas, son compagnon m’incita à me replier sur la digue. Un peu plus loin, le gérant de la buvette pointait vers moi un doigt accusateur :
— Je vous ai à l’œil !
Constatant ma surprise, il s’approcha. Croyant que je ne parlais pas français, il m’expliqua avec des gestes que je devais porter un masque. Il ajouta, plaçant la main à bonne hauteur :
— Vous pouvez le retirer une fois assise ! Il y va de ma patente
Je me suis excusée platement. Le panneau de mise en garde avait été caché par la queue devant le bar.
Sitôt les tables libérées nous nous sommes installés sur la terrasse au-dessus de l’eau, heureux de savourer ensemble cette belle fin d’après-midi, de nous repaître des Alpes ensoleillées. Mais, je suis restée un peu perplexe. Je me souvenais qu’en février les Suisses s’étaient confinés d’eux-mêmes sans la moindre coercition. Ils avaient suscité en Europe une certaine admiration pour leur sens civique et pour leur faible taux de contamination. Était-ce une erreur ou avaient-ils changé de politique sanitaire ?