• Covid et attentat.

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    Manifestation anti couvre-feu.

    Avant-hier, une conférence de presse du président de la République nous annonce un couvre-feu à partir de samedi, en raison de la recrudescence de la pandémie. 21 h – 6 h. Mouvement dans l’opinion, surtout du côté des métiers concernés. Cafés, restaurants, théâtres, cinémas, concerts. Ils sont durement touchés. Les séances devront être décalées pour sauver les meubles, du moins ce qui peut l’être.

    Il est vrai que les statistiques du ministère de la Santé ne sont pas bonnes et que les hôpitaux recommencent à déprogrammer des opérations pour soulager les urgences, au risque d’intervenir trop tard dans certains cas, de cancer par exemple. Le personnel est sur les dents, déjà épuisés par la flambée du printemps, beaucoup font des burnout et beaucoup démissionnent. Les hôpitaux sont fragilisés par rapport à mars. Heureusement, des progrès dans les soins ont permis d’éviter un grand nombre d’intubations avec mise en coma artificiel et rééducation interminable. Tout ceci n’empêche pas une partie de la population parfois inconsciente de s’opposer aux directives restrictives de l’État.

    Le week-end dernier, alors que les bars étaient fermés par ordre de la préfecture de police, une « tefeu », fête en verlan, a eu lieu dans un bureau de l’immeuble Kenzo mitoyen de notre appartement. Bruit de discothèque de l’autre côté du mur et cris en continu. Ce qui m’a le plus frappée était l’absence de rires. Ces jeunes gens, plus d’hommes que de femmes parlaient comme s’ils assénaient des convictions, hurlant pour se faire comprendre malgré la musique et ses martèlements. Le ton montait avec l’alcool et les heures qui s’accumulaient. À 3h3O du matin, j’ai fini par m’endormir sur le divan du salon, côté rue, un peu à l’abri du vacarme. Nous avons mené notre enquête la semaine suivante, sans succès. Probablement une réunion improvisée dans des locaux vides, en toute légalité d’ailleurs. Par contraste, les rues et la place des Victoires désertes et silencieuses avaient quelque chose de surréaliste.

    Effectivement, nous entendons parler ces temps-ci de cas de Covid, parfois très lourds, Christophe après avoir travaillé pour la fashion week est resté quinze jours alité avec une fièvre de cheval, il s’en remet à peine, ses enfants sont atteints, Miguel s’est trouvé à convoyer un bateau de Corse vers Marseille avec un ami pendant la fameuse tempête qui a ravagé la Côte d’Azur fin septembre, tous deux malades à en mourir. De retour chez lui, il a contaminé sa femme et ses enfants. Un neveu a été atteint après avoir assisté à un mariage. Et j’en passe… On ne peut pas comparer cette situation aux pestes du Moyen-Age, naturellement, mais ça sent le roussi. Il faut faire très attention. Je continue d’aller à l’atelier, mais je sors des rames lorsqu’elles se remplissent et j’attends sur le quai le passage d’un métro au public plus clairsemé.

    Nous avons pu recevoir Tim et Xiaoli dimanche après-midi en respectant les distanciations et en aérant l’appartement. Quel plaisir ! Soucieuse, j’avais donné un mauvais rendez-vous à Sara et Pablo. Nous avons bien l’intention de remettre ça avec eux. Pas question de se laisser dominer par ce sacré microbe !

    Je n’ai pas eu le temps d’aller du côté des Halles et de la Soupe Saint-Eustache. Je crains le pire. La misère guette. Les aides d’état ne pourront pas durer indéfiniment. Comment vont survivre les travailleurs du tourisme et de la culture ? Paris est en panne.

    La décapitation d’un professeur de géographie pour avoir montré à ses élèves des caricatures de Mahomet par un jeune radicalisé de 18 ans a bouleversé la France entière. Le résultat d’une incitation à la haine sur internet. Manifestations dans tout le pays, questions autour de l’encadrement juridique des messages du web. Samuel Paty, professeur estimé de tous, avait obéi au programme sur la liberté d’expression et demandé aux élèves pouvant être choqués de sortir dans le couloir. Un parent musulman relayé par un imam radicalisé avait lancé contre lui une sorte de fatwa sur la toile et ainsi poussé à l’action un jeune d’Évreux en Normandie, inconnu des services de renseignements.


  • Semaine du 6 au 13 octobre 2020.

    Juste avant de partir.

    Triste début d’octobre. Une tempête dévastatrice a soufflé sur la Bretagne, mais surtout un phénomène cévenol a ravagé la vallée de la Vésubie sur la route du col de Tende. Des centaines de maisons emportées par la rivière, des dizaines de disparus, presque toutes les routes détruites ou endommagées, villages isolés sans eau et sans électricité, l’arrière-pays niçois est à la peine.

    Il y a deux jours, le président Trump annonce son hospitalisation après avoir été testé positif. Il tweete que tout va bien et lance une vidéo qui se veut rassurante. Juste par mesure de précaution. Aujourd’hui, on le voit de nouveau durant quatre minutes assurer qu’il va de mieux en mieux. Il parle mécaniquement et respire avec un peu de difficulté. Les informations médicales sont contradictoires ; officiellement tout va bien, des fuites anonymes prétendent que son pronostic vital n’était pas fameux à l’arrivée à l’hôpital et son taux d’oxygène préoccupant. À un mois des élections, la campagne électorale dérape plus que jamais. Trump est un as de l’embrouille. D’ici à ce qu’il refuse le résultat des élections et délégitimise Joé Biden, si celui-ci est vainqueur, il n’y a pas loin. Les institutions sont en péril et les autocrates pullulent dans le monde entier.

    Un bref passage à Coppet, au château de madame de Stael, m’a fait chaud au cœur. En voilà une qui avait le sens de la liberté !

    Nous rangeons la maison sans savoir quand nous reviendrons. Fonds de placards, vieux trucs à la poubelle ou à la décharge, la table de jardin dans la remise. De temps en temps un rayon de soleil nous rappelle qu’il a fait beau, mais le Jura se couvre de neige, les Alpes blanchissent, le lac a pris cette couleur grise qui donne envie de partir.

    Cependant, tout le monde nous dit que Paris est devenu bien morose. Le risque Covid y est maximum et les rues sont encombrées en raison de la fermeture des grands axes pour laisser la place aux vélos. Malgré les embouteillages, les travailleurs venus de banlieue préfèrent prendre leur voiture par peur d’attraper le Covid dans le métro. Les restrictions d’ouverture de restaurants se multiplient. Comment l’économie parisienne pourra-t-elle tenir ?

    La misère converge vers les Halles par les RER. Il est probable que Paris va vite devenir le rendez-vous des contestataires venus de la France entière lorsqu’il faudra se serrer la ceinture et rembourser la dette consécutive à la pandémie. On connait : casseurs, voitures incendiées, présence policière, métro et bus perturbés, et j’en passe.

    Mais, ici, dans cette région frontalière plutôt préservée, on se sent trop à l’écart, trop à l’abri. Le froid et la pluie ont vidé l’impasse, nous avons décidé de partir, avec l’impression désagréable de trahir un peu nos amis.

    Nous reviendrons fin octobre, si le Covid ne nous rattrape pas.


  • Semaine du 29 septembre au 6 octobre 2020

    Dernier bain.

    L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Versoix-dernier-bain-1024x710.jpg.

    Le temps est devenu exécrable. Froid et pluie continue, neige sur le Jura. Nous avons allumé le chauffage. Le soir la danse délicate des flammes, le pétillement du bois, l’odeur et la chaleur du feu de hêtre nous réchauffent le corps et l’âme. Nous savourons le silence et la chanson de la pluie sur les velux, le souffle du vent dans la toiture et la cheminée.

    Pendant que mes souvenirs sont encore frais, je voudrais revenir un peu en arrière, vous évoquer nos compagnons de baignade et les relations étranges qui ont entouré des rencontres presque quotidiennes. Souvenirs d’autant plus frais que notre dernier bain date seulement de quelques jours. Il pleuvait déjà, mais un mail d’Ariane de l’autre côté du lac nous a encouragés à nous y risquer. Quel plaisir ! 21°, un rayon de soleil sur une eau argentée. Un moment à se remémorer durant l’hiver. Cependant, ce dernier jour nous étions seuls à descendre la glissière de Versoix, seuls à nager vers le large, à nous fondre dans le paysage des Alpes et détailler le dessin de ses aiguilles sur un fond de nuages clairs.

    Chaque matin, un monsieur d’un âge certain nous avait précédés. Des muscles à faire pâlir les adolescents, lunettes étanches. Après s’être invariablement aspergé d’eau sur les épaules et le torse, palmes aux pieds, il démarrait tel un grèbe par une interminable plongée. On le voyait ressortir vingt mètres plus loin et s’élancer vers le large jusqu’à plus d’un kilomètre de la rive. Son dos crawlé, son crawl ventral impeccables nous laissaient perplexes sur son âge, probablement plus de 70 ans. Il ne parut jamais s’apercevoir de notre présence. Jusqu’au dernier jour. Tout d’un coup, alors qu’il remontait la glissière,  il descendit ses lunettes sur son cou et me fit un immense sourire. Je pensai à une erreur de personne, mais il recommença sur le parking où nos voitures étaient garées côte à côte et me salua d’un chaleureux « Au revoir ! ». Pourquoi cette soudaine amabilité ? Mystère ! La psychologie du nageur de fond est très particulière, c’est bien connu.

    Rien à voir avec les deux femmes qui tous les jours de ces trois mois ont nagé à un mètre l’une de l’autre sans cesser un instant de papoter. Que se racontaient-elles ? Des bribes me parvenaient, des histoires d’achats, de copines. Elles parlaient pour parler, comme insensibles à la beauté du lac, à la fluidité de l’eau. Mais on devinait que ce rendez-vous quotidien leur était indispensable à elles aussi.

    J’allai oublier ! Le vieux monsieur et son kayak. Il longeait la rive à un rythme lent. Quand il arrivait devant la plage, plutôt que de faire demi-tour à la pagaie, il sortait son kayak de l’eau, le soulevait, le montait sur l’herbe et le faisait pivoter. Il redescendait à petits pas, embarquait de nouveau et repartait le long de la rive sur plusieurs centaines de mètres le long des noisetiers et des aulnes, jusqu’à une autre petite plage où il recommençait son manège. Combien de fois ? Je n’ai pas compté.

    Et lui aussi participait à la beauté du lac, à la paix de nos matinées (lorsque les élèves de l’école de voile ne faisaient pas trop de raffut !). Ce furent des compagnons et même d’une certaine façon des amis qui me manquent confusément, maintenant qu’il nous faut retourner à Paris.


  • Net’Léman

    Genève: Le Covid laisse des traces parmi les déchets du Léman - Le Matin
    Nettoyage du Léman

    La maison est silencieuse, le quartier au travail, les enfants à l’école. Le temps devient variable, des orages en fins de journée. J’aime le bruit du vent qui tord les arbres, celui du tonnerre qui s’approche en grondant, qui claque et puis s’éloigne.

    Trop de masques, les visages me manquent. On garde ses distances, J’ai décidé de peindre une petite foule. Elle marche le long du fleuve au rythme du temps. Elle ne sait pas où elle va, mais elle avance indifférente au Covid, avec une insouciance oubliée depuis des mois. Bien sûr qu’au bout la fin est inéluctable, mais j’aime peindre ce corollaire de la vie et de la mort. Tant pis et même tant mieux si cette figuration n’a plus cours. J’aime retrouver le geste qui tourne autour d’un corps, se fond dans un mouvement et s’y attache, donner une existence moins précaire que l’instantané de la photographie, plus proche de la continuité qui me lie à mes personnages.

    A Versoix, avec Agnès F. Nous remontions du port sur le trottoir. Une femme descend vers nous et nous alpague d’un ton mécontent. Nous tombons des nues. Elle aurait voulu que nous la laissions passer en respectant la distance de sécurité. Pourtant les Suisses ne portent pas de masques et ne prêtent guère attention aux gestes barrières. La dame s’explique : « C’est insupportable, les Suisses sont absolument inconséquents ! je passe mon temps entre Genève et Paris et je peux vous assurer que les Français sont bien plus raisonnables ! ». Les bras m’en tombent. Je lui réponds : « Excusez-nous si nous avons eu un comportement inadapté, mais je dois dire que d’habitude, j’entends plutôt les Suisses accuser les Français d’inconséquence. » Elle réplique : « Oui, à Paris, il y a des zigotos qui font la fête tous les soirs, mais dans l’ensemble, tout le monde porte son masque. » Je lui apprends que nous sommes français. Elle ajoute : « j’accepte bien volontiers vos excuses, car vous m’êtes sympathiques » et elle s’éloigne en nous croisant à bonne distance.

    Je pensais à elle, lorsque le lendemain, nous sommes allés nous baigner dans ce même port de Versoix. On y chargeait des touristes entassés dans un petit bateau. Et cela riait et cela criait à vous envoyer tous les postillons de la Confédération helvétique. Pendant ce temps, une armada de bénévoles masqués, perche à crochets dans une main, sac en plastique dans l’autre s’est répandue en bataillons organisés sur la plage, dans les rochers, le long de la jetée. C’était la journée nettoyage, Net’Léman. Il n’y avait pratiquement que des filles dirigées par des hommes munis d’étendards de couleurs. Un zodiac a déversé six plongeurs qui ont ratissé le fond du lac. On pouvait suivre leurs mouvements grâce à de longues bouées colorées se dressant à la verticale lorsqu’ils s’enfonçaient dans l’eau.

    Nous étions assis sur le parapet du port et nous leur avons signalé les innombrables mégots entassés dans les fentes entre les pierres. Ils nous ont remerciés, ils n’y auraient pas pensé : « Il n’y a pas idée de faire des choses pareilles ! » Et j’ai songé au temps de décomposition d’un philtre de cigarettes ; de l’ordre d’une centaine d’années si mes souvenirs sont bons. Oui, la planète est fragile même dans les plus petits détails.


  • Temps d’été.

    Baignades lumineuses dans un lac de rêve. Je voudrais m’étendre sur la chaise longue au fond du jardin, observer tranquillement le vol des oiseaux, le mouvement voluptueux des nuages sur les crêtes du Jura, me laisser bercer par le bourdonnement des guêpes, écouter le bruit du village, ses travaux et ses jours.

    Pourtant non ! Je me mets au clavier, parce que le temps nous est compté, parce que ce serait trop simple de s’enfermer dans un petit jardin aussi agréable soit-il, alors que le Covid guette. Les nouvelles ne sont pas bonnes.

    Non pas qu’il soit tellement mortel. On a vu pire avec les grandes pestes du Moyen-âge qui ont décimé les deux tiers de la population de l’époque. Mais notre monde est devenu si fragile ! Tout y est lié depuis le paysan de chez nous, d’Afrique ou d’Amérique, jusqu’à l’ouvrier des cinq continents. Si l’un tousse, l’autre a la grippe, si l’un manque de graines, l’autre ne mangera pas, si l’un n’a plus d’outils, l’autre se trouvera sans toit. Et le Covid détraque tout. Le chômage se répand, bien que la récession s’annonce moins forte que prévue. On arrive dans l’inconnu. Durant l’été, on a pu se préserver grâce aux gestes barrière, on a pu se rencontrer à l’air libre en gardant les distances. Quand l’hiver surviendra, tout sera différent ! Il faudra se chauffer et fermer les fenêtres. Au travail et dans les magasins on continuera de porter des masques, mais à la maison, en famille ?… Bien sûr qu’on ne s’y pliera pas et comment recevoir nos amis ? Un reconfinement équivaudrait à un effondrement de l’économie mondiale. Il faudra donc accepter le risque de contagion. Les personnes de notre âge en seront les premières victimes. On peut seulement espérer que le virus va s’atténuer avec le temps et que nous seront assez solides pour résister. Pourquoi pas ?

    En attendant, nous profitons de ces derniers jours de beau temps. Nous passons nos journées dans le jardin et nous bavardons, nous faisons provision d’amitié. On évoque dans le détail comment chacun s’y prend. On peut encore se sourire, se parler sans élever la voix. On voudrait bien se serrer dans les bras, mais tant pis, ce sera pour plus tard !

     Le virus se propage de plus en plus vite. Le port du masque est désormais obligatoire dans les grandes villes, dans les écoles et les universités. Et pourtant des groupes s’y opposent, parfois violents, recouvrant des sentiments variés et contradictoires. La logique n’a plus cours.  Seul un vaccin restaurerait un semblant de confiance, mais il n’est pas programmé avant longtemps.

    Aujourd’hui, 30 degrés. nous cueillons le jour dans l’ombre fraîche des vieux murs de la maison avec nos amis Henriette et Lionel. Et c’est bon !


  • À Versoix.

    Torticolis persistant, très douloureux. Presque une semaine au lit. Dans ces cas-là, je songe avec admiration à ces hommes que la souffrance n’a pas vaincus : Montaigne et sa gravelle, Roosevelt, Pompidou, Mitterrand. Comment ont-ils pu ? La douleur m’ôte toute pensée cohérente. Vie suspendue, les heures passent indistinctes dans l’attente d’un mieux difficile à imaginer. Chaque seconde se dilate et fuit aussitôt, intensément vécue, mais inutile.

    Cependant hier, ça allait mieux, le soleil brillait et nous sommes allés nager à Versoix. Le mois de septembre est souvent délicieux dans nos régions.

    Hélas, à peine arrivés, un tamtam nous a cassé les oreilles. Il provenait du parc au-dessus de la plage. Je déteste tous les bruits répétitifs. Je me souviens de mon désespoir lorsque les tambours ont envahi le Pont des Arts, effaçant la beauté et le mystère des crépuscules sur Paris, blessant de leur brutale sottise la souplesse du fleuve.

    Voilà qu’ils s’installaient ce matin-là dans l’univers préservé du lac, couvrant la chanson des vagues. Ma tête n’avait pas besoin de cela ! Nous avions vu sur le parking des groupes en costumes et robes voyantes, embijoutés. Difficile de déterminer leur origine. Europe, Philippines, Afrique, Amérique du Nord, Madagascar ? Notre région est une tour de Babel et nous avons l’habitude d’éviter ces questions.

    Très vite, l’assemblée descendit la pelouse et à grand renfort de chants et de tambour atteignit la plage. Les femmes étaient couvertes d’une longue tunique blanche , les hommes d’une large chemise également blanche. Un grand et volumineux personnage entièrement revêtu du même blanc vociférait en moulinant des bras. Ses propos étaient ponctués par des applaudissements et de bruyantes approbations. Les femmes chantaient en se balançant. Lorsque plusieurs hommes entrèrent dans l’eau, je compris qu’il s‘agissait d’un baptême évangélique. Les bruits s’amplifiaient au grand dam des usagers de la plage qui observaient la scène avec un mélange de curiosité et d’agacement. L’un d’eux traversa la cérémonie son paddle sous le bras, sans plus de façons.

    Pour ma part, je rouspétais intérieurement. Déjà que je n’aime pas ce genre d’embrigadement, mais je ne pouvais pas oublier que cette secte avait contribué à faire élire Trump et qu’elle avait été responsable de la pandémie à Mulhouse. Sur la plage, épaule contre épaule, on ne pouvait pas dire qu’ils respectaient les distances de sécurité !

    Nous sommes allés vers l’autre jetée pour nous en écarter. À notre retour, les derniers participants, le pasteur et sa famille, s’engouffraient dans un gros fourgon de luxe. Sous l’effet de mon agacement, j’ai craint une reprise de mon torticolis. Heureusement, il n’en a rien été!…


  • Semaine du 18 au 25 août 2020

     

    L’été se poursuit. La canicule a épargné Tougin grâce au Jura qui nous a offert sa fraîcheur du soir. Comme le temps passe ! Septembre arrive à grands pas. En principe, nous ne rentrerons pas à Paris avant octobre, les nouvelles du Covid n’y sont pas très bonnes et la vie est plus tranquille ici.

    Nous avons traversé le Léman sur un bateau de la CGN, invités à déjeuner à Nernier chez Véro et Hervé en compagnie de leurs amis d’Élancourt. Nombreux propos politiques, contradictoires, mais courtois. Un monde fou sur la jetée et sur la plage en raison de la chaleur.  L’arrière-pays, côté français, comme côté suisse s’était rué sur les rives.

    Caroline et Jean-Michel sont venus passer quelques jours à Tougin. Baignades, belotes, scrabble, des nouvelles des uns et des autres. Bien peu de travail pour ma part.

    Maintenant, enfants et petits-enfants (18, 16, 14 ans) de retour de Bretagne ont apporté de l’animation dans la maison !  Il n’est pas mauvais de nous retrouver bousculés (pour un temps !) par leur vitalité. Leurs préoccupations sont tellement  éloignées de celles de notre âge ! Malgré quelques constantes, les générations se suivent et ne se ressemblent pas. Difficile de nous projeter dans notre propre jeunesse !

    Ils passent beaucoup de temps sur les réseaux sociaux, gardent un contact permanent avec leurs amis. Noé mijote un bivouac dans la montagne aussitôt revenu à Grenoble. Romain est plus secret ; il s’apprête à rentrer dans la vie étudiante, un saut dans l’inconnu

    Je prépare support et sous-couches pour ma prochaine peinture. Bleu sur bleu, une gageure. Qui ne risque rien… Et je dénoyaute des mirabelles pour le clafoutis de Marius.  C’est la vie !

    Ce matin à Versoix, une suite de Bach au violoncelle nous a accueillis alors que nous sortions de l’eau. Le musicien répétait devant le lac sur la terrasse du club de voile. Le quai était désert. La veille, une centaine de petits Optimistes s’y entassait pour les championnats de Suisse. Les enfants parlaient français, allemand et italien, nous rappelant qu’un pays peut se partager entre différentes langues, différentes religions et cultures sans se taper dessus. Bien agréable !


  • Paris, Les Hautes Bruyères, Tougin.

     

    Bref passage à Paris dans une étrange atmosphère. Un peu comme si nous n’étions plus tout à fait chez nous, en quelque sorte un peu poussés dehors par le Covid. Tout semble comme avant, mais rien n’est comme avant. Une sorte d’inquiétude retient les gestes. On prend des nouvelles chez les commerçants, mais les réponses sont évasives. Ils ne savent pas à quelle sauce ils vont être mangés, quelle faillite les attend. Scènes de la vie quotidienne, livreurs, exercice de pompiers. Les masques sont obligatoires dans les espaces publics, mais certains clients font de la résistance, ce qui agace les autres. Un jeune homme devant la caisse du Franprix a fait le sourd quand je lui ai dit que je risquais plus que lui de me trouver sous respirateur.

    Des touristes plutôt jeunes, mais pas de Chinois. De nouveau la queue devant la pyramide à l’entrée du Musée du Louvre. Ils ont du courage car les transports publics fonctionnent mal et les pickpockets rattrapent le temps perdu. Dans le métro en rentrant chez elle, mon amie Sara s’est fait subtiliser son sac à dos avec son ordinateur. Nous avions été si contentes de  nous retrouver le matin au café de la place des Petits Pères ! On s’attend désormais toujours à quelque ennui. Réalité ? Impression ? Pressentiment ? Cueillons d’autant plus le jour !

    Puis la canicule s’est installée sur l’asphalte surchauffé. Je me suis dépêchée d’aller à l’atelier trier les pastels à emporter à Tougin et d’aller acheter du matériel de peinture  chez Sennelier, avant que les trajets ne deviennent tout à fait insupportables. Depuis le Pont Royal, j’ai salué la Seine, toujours désertée par les bateaux-mouches. Elle embrassait de ses deux bras l’île de la Cité, indifférente au Covid.

    Nous avons étrenné la climatisation de l’appartement. Elle suffisait à peine et faisait un bruit d’enfer. Et nous avons failli annuler notre déjeuner chez Brigitte et Régis à côté de Rambouillet, la météo annonçait 38 degrés. En fait, la maison, une longère, ancienne ferme isolée au milieu des champs dans un bosquet de chênes était restée fraîche. Ce fut un cadeau de la vie de nous retrouver, un peu inquiets de rester à l’intérieur, mais fidèles à une amitié de quarante ans.

    Alors qu’après le repas nous devisions agréablement dans la brise, à l’ombre des grands arbres, que nous évoquions amis, petits et grands événements, la jeune génération, enfants et petits-enfants avait disparu, les uns probablement affalés sur leur lit, les autres scotchés devant leurs écrans.

    La nuit qui suivit fut un peu difficile. Depuis le déconfinement Paris semble envahi de noctambules. On doit hurler, faire vrombir son moteur, manifester un contentement qui cache mal l’incertitude de l’avenir. Mais il faut que jeunesse se passe. On se réunit par internet aux Halles ou sur les quais. On mange, on boit, laissant le lendemain des traces beaucoup moins drôles. Des affichettes mettent en garde contre des invasions de rats.

    Vous dire que nous avons été heureux de retourner à Tougin est un euphémisme. Le Jura nous est apparu comme un havre de fraîcheur, l’impasse comme une oasis de tranquillité. Nous avons dormi fenêtres grandes ouvertes. Une couverture n’a pas été de trop au milieu de la nuit.


  • Tougin, Boulogne sur mer, Paris

     

    La digue de Wimereux.

     

    Partira ? Partira pas ? Gilles avait répété durant des mois le Chant III de l’Odyssée pour le festival d’Argenton-sur-Creuse. Mais il y a quelques semaines, Julien très inquiet lui a téléphoné estimant que ce n’était pas raisonnable. En effet, aucune précaution n’avait été prise pour la sécurité de la troupe et il considérait le risque trop important, compte tenu de l’âge de son père. Gilles après moult réflexions avait donc annulé sa participation. À la suite de quoi, Philippe Brunet le metteur en scène avait mis en place une longue série de directives, rassurant ainsi Gilles qui avait demandé s’il « pouvait retirer sa démission. » Proposition acceptée avec humour et sérieux. Véronique la directrice du festival, confirmant qu’il n’avait pas à mettre sa vie (et la mienne) en danger décida qu’il dormirait une seule nuit à Argenton isolé de la troupe, et voyagerai avec Violette après tests de laboratoire.

    Malgré les réticences de Julien qui aurait bien voulu nous savoir tranquillement à Tougin, nous sommes partis et nous en avons profité pour monter dans le Pas de Calais voir la famille de Gilles avant d’aller à Paris.

    Sept cents kilomètres d’une traite ! Le Jura, puis l’autoroute, Reims, Amiens, Arras, et enfin Boulogne, après beaucoup d’arrêts, pas trop de circulation et beaucoup de Nordiques. Ah, la splendeur de l’arrivée, la mer au loin, la lande, les arbres ployés par le vent ! Nous nous sommes glissés sous la voûte des saules pour nous immobiliser devant la ferme aménagée de Philippe et Catherine, isolée dans les marais, chaulée de blanc, encadrements de fenêtres verts, toitures orangées, éclairée par le soleil du soir. Un univers si différent de notre Pays de Gex ! Ce fut deux jours de balades, de visites au cap Gris nez, dans la vieille ville de Boulogne, pays natal de Gilles.

    Mais surtout Wimereux, la digue et la mer ! Nous y avons retrouvé sa sœur Nicole et Serge qui venaient de fêter leur « soixante-dix ans » de mariage, leur fils Régis et sa famille, dans leurs maisons en bord de mer. Nous avons pris l’apéritif au soleil déclinant à l’abri du vent. Énormément de monde sur la digue, comme si le coronavirus n’existait pas.

    Le matin du départ, nous nous sommes baignés dans les rouleaux éclaboussés de lumière. Superbement dynamique ! Cette côte autrefois plutôt froide et pluvieuse bénéficie aujourd’hui du changement climatique. Nous avons quitté Philippe et Catherine, leur accueil généreux, la cuisine savoureuse de Catherine pour nous enfourner dans l’autoroute jusqu’à Paris et ses embouteillages. Contraste impressionnant ! Travaux, poussière, flottement dû au Covid. On peut seulement espérer que Paris, sans la culture qui la définit, les théâtres, les musées ne basculera pas dans un laisser-aller triste et sans grâce, une paralysie mortifère. Elle risque de drainer les mécontentements de la France entière en manifestations incessantes, de devenir un cul-de-sac, un refuge illusoire pour les sans espoir et les laisser-pour-compte de l’effondrement économique. Paris est très fragile dans le contexte actuel. Saura-t-elle résister à l’adversité ?


  • Albertville.

    Place de l’Europe, Albertville.

     

    Le test de Jean-Claude s’étant révélé négatif, nous avons pu partir lui rendre visite. Missionnaire pendant soixante ans au sud de Madagascar, à Tuléar et dans la brousse, le frère de Gilles vit désormais dans un Ehpad à Albertville. Infecté par le Covid en mars, il n’a pas eu trop de symptômes, juste une grosse fatigue, mais dans la chambre d’à côté, son voisin et ami n’a pas eu cette chance, il est mort sans un bruit durant la nuit.

    Gilles lui a téléphoné presque tous les jours pour lui soutenir le moral,  d’autant plus que Jean-Claude souffrait au même moment d’une rétention urinaire. Urgences, sonde pendant trois mois en attendant que l’hôpital de Chambéry se réorganise après la flambée épidémique, opération, hémorragie au retour, de nouveau opération. Il en sortait tout juste.

    Il n’était pas question d’entrer à l’intérieur de l’Ehpad. Nous l’avons embarqué au pied de l’immeuble et nous nous sommes aussitôt dirigés vers la terrasse de notre restaurant habituel au centre-ville. Maria, la serveuse, une jeune roumaine, nous a trouvé une place à l’écart et à l’ombre. Malgré la chaleur, nous étions rafraîchis par un petit courant d’air.

    Cette Place de l’Europe, lieu étrange construit pour les Jeux Olympiques de 1992 dans un style néoclassique un peu lourd, à la Ricardo Bofill, possède l’avantage d’être à l’écart de la circulation. À peine installés, on entend :  « Père ! » Un instant de flottement : « Marie ! » Marie,  Maria, je ne comprends pas ! Jean-Claude nous présente une belle femme d’une cinquantaine d’années, blonde et souriante attablée avec son mari, « Marie, mon infirmière à l’Ehpad ! »

    Nom d’un chien ! Les applaudissements ont fusé tous les soirs aux fenêtres de Paris en hommage au personnel soignant des hôpitaux et voilà que nous sortons des images de la télévision et que nous nous trouvons devant des protagonistes en chair et en os. Le mari en plus !

    Nous commandons le repas et la conversation démarre de table à table. Naturellement, nous sommes tout ouïe sur les protections de cosmonautes qui ont accompagné les soins et les repas, sur la solitude des pensionnaires. « On ne se reconnaissait qu’à la voix. » L’angoisse du mari : « Tous les soirs, j’avais peur pour elle… et pour moi ! » ajouta-t-il un peu gêné. Elle : « Dans l’action, nous, nous n’avions pas peur ».

    Nous l’avons abondamment remerciée, ce que ni elle, ni Jean-Claude n’ont semblé véritablement prendre en compte. Ils étaient encore trop déstabilisés. Ce virus mal connu ne lâche pas ses victimes si facilement et tout peut recommencer. Ils se lèvent et nous nous saluons chaleureusement.

    Maria, la serveuse rapplique : « Je n’y crois pas ! » dit-elle d’un ton confidentiel. Elle continue en chuchotant : « C’est une invention des Américains. » Le frère de Gilles lui dit qu’il a été atteint, elle hoche la tête : « Vous avez eu autre chose ! » Il lui dit qu’il y a eu des morts et beaucoup de malades dans son Ehpad, elle insiste : « Ils étaient déjà malades, ils sont morts d’autre chose. Je vous jure, si j’avais le temps, je vous montrerai un article qui prouve point par point que ce sont les Américains qui ont lancé ce faux bruit pour déstabiliser le monde. ». Son visage respire la certitude.

    Nous connaissons Maria depuis plusieurs années. Comment aurions-nous pu deviner un tel sens du complot derrière son charmant sourire ? Elle ajoute : « Je connais des gens du monde entier. Ils ont beaucoup voyagé et ils n’ont jamais rien attrapé. D’ailleurs, vous voyez, je ne porte pas de masque et mon patron non plus. Nous n’avons jamais rien eu ! Et pourtant beaucoup de gens viennent déjeuner ici. »

    Nous n’avions pas remarqué l’absence de masque du personnel. De retour vers la voiture, Gilles n’était pas content : « La mairie ne fait pas son travail, le patron aurait dû être verbalisé ! »

    Et nous avons ramené Jean-Claude chez lui, en nous donnant rendez-vous à la fin d’août. Il semblait très fatigué. Une saleté, ce Covid !