• Attentats

    [et_pb_section admin_label= »section » transparent_background= »off » background_color= »#ffffff » allow_player_pause= »off » inner_shadow= »off » parallax= »off » parallax_method= »off » custom_padding= »0px||0px| » padding_mobile= »off » make_fullwidth= »off » use_custom_width= »off » width_unit= »on » make_equal= »off » use_custom_gutter= »off »][et_pb_row admin_label= »row » make_fullwidth= »on » use_custom_width= »off » width_unit= »on » use_custom_gutter= »off » custom_padding= »0px||0px| » padding_mobile= »off » allow_player_pause= »off » parallax= »off » parallax_method= »off » make_equal= »off » parallax_1= »off » parallax_method_1= »off » column_padding_mobile= »on »][et_pb_column type= »4_4″][et_pb_text admin_label= »Texte » background_layout= »light » text_orientation= »left » use_border_color= »off » border_color= »#ffffff » border_style= »solid » custom_margin= »15px||0px| »]

    Tout le monde, peut-être trop de monde, a une histoire à raconter sur les attentats du 13 novembre, je veux cependant apporter ma petite pierre à l’édifice contre l’oubli.

    Ce soir-là, nous étions invités à dîner chez Stéphane, au quatrième étage d’un immeuble qui donne sur le port de l’Arsenal. En sortant du métro Bastille, j’avais longé le quai, surprise par la foule qui se pressait aux terrasses de cafés. Pour un 13 novembre, la température était douce et les restaurants dégageaient un bonheur de vivre, sursis avant l’hiver. Une fois de plus, je me suis fait la réflexion qu’il y avait beaucoup de jeunes.

    À mon époque, on finissait ses études, on travaillait, puis on se mariait. La pilule n’existait pas et un enfant arrivait vite. Nous n’avions guère le loisir ni assez d’argent pour aller au restaurant. Aujourd’hui les jeunes se marient très tard, quand ils se marient, et disposent de nombreuses années de liberté, sans réels problèmes financiers. L’incertitude règne sur leur avenir, ils profitent du présent.

    — C’est bien parce que c’est vous. D’habitude, j’évite de prendre le métro dans la foule du vendredi soir ! n’ai-je pu me retenir de dire en entrant chez Stéphane.

    Il y avait très longtemps que nous n’avions pas rencontré les parents de Stéphane. Ils habitent en Savoie et des problèmes de santé les avaient empêchés de venir à Paris. Devant leur étonnement, je me sentis obligée de préciser :

    —… Paris est en état d’alerte maximum !

    Ses parents qui débarquaient de la gare de Lyon semblaient un peu perdus. Les rues de Paris les changeaient du calme de leur village. L’apéritif agrémenté de saucisson savoyard ne fut pas de trop pour les mettre en confiance. Coincé dans le labyrinthe des codes de porte, Gilles est arrivé un peu plus tard. Son portable ne captait pas celui de Stéphane. Les immeubles sont devenus des forteresses.

    La vue depuis l’appartement de Stéphane est magnifique, le regard coure librement sur le port et ses miroitements comme un appel aux vacances. Au loin, la tour Eiffel émerge de la ville. Le ciel s’illumine au coucher de soleil en larges reflets bleus et or. Mais ce 13 novembre, à 20 h 30, il faisait nuit. On pouvait suivre la ronde des voitures éclairées de l’autre côté du canal. La ville vibrait de la pause un peu euphorique des fins de semaine.

    Des nouvelles de chacun. Nous nous retrouvions avec plaisir. Humour ou sérieux, passé et projets. Marc avait travaillé toute sa vie dans le commerce des vins fins et celui qui provenait du coteau juste au-dessus de chez lui évoquait la pente ensoleillée, la rudesse du sol calcaire.

    Nous nous sommes assis autour de la table. Stéphane avait mitonné une daube de porc au citron et à la coriandre qui fondait dans nos bouches pendant que Christelle parlait de son métier. Elle est chercheuse dans le domaine agricole. Elle invente des capteurs intégrés aux tracteurs pour minimiser les apports d’eau et d’engrais déversés sur les cultures. Ses travaux l’amènent à participer à de nombreux congrès. Ils font partie de ces couples d’une quarantaine d’années qui vivent la plupart du temps séparés, elle à Dijon, lui à Paris. Stéphane également chercheur, étudie la déshydratation des feuilles.

    Pendant que nous évoquions le temps qui passe, les promenades au milieu des vignes, les escalades dans la montagne, la maison familiale sur la route qui monte à Val d’Isère, nous entendions des bruits de sirènes.

    — Le commissariat de police est situé en face, de l’autre côté du canal et le vendredi soir ça bouge beaucoup.

    Gilles et Stéphane sont scientifiques, il leur en fallait davantage pour tirer des conclusions sur un remue-ménage de police.

    Et nous avons continué à bavarder tout en savourant des fromages savoyards puis une glace à la mandarine confite. Lucette la mère de Stéphane avait été institutrice. Depuis sa retraite, elle accumule des problèmes de santé. Nos conversations glissaient insensiblement vers les difficultés de l’existence.

    D’instinct, je me suis dirigée vers la fenêtre. Un défilé de gyrophares montait et descendait le long du canal :

    — Vous ne trouvez pas que ça bizarre !

    — Comme tous les vendredis et samedi soir !

    Je suggérai sans succès à Stéphane d’écouter les informations. Marc s’étant joint à ma demande, en traînant les pieds Stéphane alluma la télévision.

    C’est ainsi que nous avons appris en direct l’attaque des terroristes. Ils avaient tiré sur des terrasses de café, non loin de là, du côté du boulevard Richard Lenoir. Il y avait des morts. De nombreux blessés étaient transférés en urgence vers les hôpitaux, en particulier vers la Pitié-Salpétrière, ce qui expliquait le va-et-vient sous nos fenêtres.

    (à suivre)

    [/et_pb_text][/et_pb_column][/et_pb_row][/et_pb_section]


  • Musiciens dans le métro

    [et_pb_section admin_label= »section » transparent_background= »off » background_color= »#ffffff » allow_player_pause= »off » inner_shadow= »off » parallax= »off » parallax_method= »off » custom_padding= »0px||0px| » padding_mobile= »off » make_fullwidth= »off » use_custom_width= »off » width_unit= »on » make_equal= »off » use_custom_gutter= »off »][et_pb_row admin_label= »row » make_fullwidth= »on » use_custom_width= »off » width_unit= »on » use_custom_gutter= »off » custom_padding= »0px||0px| » padding_mobile= »off » allow_player_pause= »off » parallax= »off » parallax_method= »off » make_equal= »off » parallax_1= »off » parallax_method_1= »off » column_padding_mobile= »on »][et_pb_column type= »4_4″][et_pb_text admin_label= »Texte » background_layout= »light » text_orientation= »left » use_border_color= »off » border_color= »#ffffff » border_style= »solid » custom_margin= »15px||| »]

    Lorsque le temps a passé, les petits événements parisiens se teintent d’autres aventures vécues par la suite. On pourrait dire que l’angle de vue se décale légèrement, la précision s’estompe, mais l’impression demeure forte. La nécessité de les consigner devient urgente tant il semble indispensable de ne pas laisser disparaître ces instants précieux et souvent délicats. Mais j’aime aussi leur offrir la liberté de s’envoler pour former la trame invisible de mes jours.

    Aujourd’hui, l’un d’eux, modeste, risque d’être occulté par le récent massacre du Bataclan, je veux cependant le citer comme une résistance à l’horreur.

    Plus de huit jours auparavant, en début d’après-midi, un Rom ou un gitan – je ne sais pas les différencier – jouait de la trompette dans le métro. Sa musique déclinait les airs de nos chanteurs français avec une telle souplesse, une telle liberté que le wagon paraissait suspendu dans le temps et dans l’espace comme cela arrive quelquefois. À la station Opéra, une jeune femme est montée, grande, élancée, cheveux frisés, châtains clair. Elle portait une contrebasse dans un étui blanc dont l’usure témoignait d’une vie bien remplie. Elle sortait probablement d’une répétition de l’orchestre de l’opéra.

    Elle s’est appuyée avec son instrument contre la porte opposée, un peu lasse.

    Le son de la trompette se pliait, se dépliait, s’enflait ou s’éteignait comme un souffle de vent. Lorsqu’il a atteint ses oreilles, la jeune femme a levé la tête et s’est tournée vers le musicien. Un frémissement de surprise a parcouru ses lèvres. Elle a probablement   rencontré son regard car un franc sourire a illuminé son visage. Dans la rame régnait une sorte de paix et même de joie.

    Quand le moment est venu de faire la quête, comme souvent en pareille occasion, la manne fut plutôt rare. La qualité ne fait pas bon ménage avec le métro. Elle étonne. On pourrait dire d’une certaine façon qu’elle inquiète, comme une déchéance qui pourrait atteindre chacun d’entre nous. Le geste de déposer une pièce dans une main tendue a souvent quelque chose d’humiliant pour celui qui reçoit.

    Mais la jeune femme a extrait son porte-monnaie de son sac en bandoulière. J’entendis, puis je vis l’homme remonter le wagon, une petite cinquantaine d’années, pas très grand, mais charpenté, cheveux noirs et rares. Ses yeux vifs se posaient sur les voyageurs avec la certitude d’avoir participé à nos existences.

    La jeune femme versa son obole dans la sébile comme elle-même reçoit son cachet de musicienne, comme le spectateur paye sa place, avec une simplicité n’ayant d’égal que le sourire du gitan posé sur elle et sa contrebasse, effaçant la distance entre la musique classique et la musique de rue.

    Lorsque la porte s’est ouverte, il s’est immobilisé une seconde avant de sortir, il s’est retourné et a lancé dans un français hésitant :

    – Merci pour bonheur aujourd’hui !

    [/et_pb_text][/et_pb_column][/et_pb_row][/et_pb_section]


  • Dans le métro

    [et_pb_section admin_label= »section » transparent_background= »off » background_color= »#ffffff » allow_player_pause= »off » inner_shadow= »off » parallax= »off » parallax_method= »off » custom_padding= »0px||0px| » padding_mobile= »off » make_fullwidth= »off » use_custom_width= »off » width_unit= »on » make_equal= »off » use_custom_gutter= »off »][et_pb_row admin_label= »row » make_fullwidth= »on » use_custom_width= »off » width_unit= »on » use_custom_gutter= »off » custom_padding= »0px||0px| » padding_mobile= »off » allow_player_pause= »off » parallax= »off » parallax_method= »off » make_equal= »off » parallax_1= »off » parallax_method_1= »off » column_padding_mobile= »on »][et_pb_column type= »4_4″][et_pb_text admin_label= »Texte » background_layout= »light » text_orientation= »left » use_border_color= »off » border_color= »#ffffff » border_style= »solid » custom_margin= »15px||| »]

    Un épisode parmi les nombreuses petites aventures vécues dans le métro remonte à la surface de ma mémoire avec une constance qui m’oblige à le consigner. Il a la particularité de se transformer au fil du temps.

    Ce lundi-là, en début d’après-midi, j’allais à l’atelier. Le métro à cette heure est tranquille, sans la foule qui rend le retour parfois pénible. J’étais assise paisiblement sur un des quatre strapontins du centre de la voiture. Comme souvent dans ce genre de situation, mon esprit flottait, à la fois présente et déjà dans mes peintures.

    Je fus tirée de cette méditation par des phrases en anglais dont le contenu n’avait rien de paisible. En face de moi près de la porte, un homme d’une quarantaine d’années, de grande taille, en costume sombre et cravate, chaussé de lunettes d’écaille, cheveux blonds et teint clair, les coudes posés sur les genoux, invectivait par dessus un voyageur immobile sur son siège, une femme jeune, cheveux un peu frisés, dont le visage exprimait de l’indignation.

    L’Anglais ne manquait pas de séduction et je regardais un peu plus attentivement la scène qui se déroulait devant moi.

    Côté rails, l’homme assis au bord du couloir entre les deux protagonistes était de type africain, du sud Maghreb, Mauritanien ou Éthiopien, peut-être métis. Ses cheveux sans être crépus frisaient autour d’un visage dont je remarquai avec surprise qu’il était figé par l’effroi. Les pupilles qui ressortaient sur le blanc de la sclérotique semblaient paralysées par une peur le contraignant à une immobilité d’animal en danger, absent de lui-même comme pour ne laisser aucune prise à l’adversité.

    Côté porte, l’Anglais s’étirait sur les deux sièges pliants, jambes écartées. Il monologuait en grondant de colère. Il se pencha et apostropha la femme à plusieurs reprises, laquelle, faute de savoir l’anglais, répliquait par des gestes et des mimiques de protestation.

    Les yeux exorbités de l’homme noir restèrent fixés dans le vide lorsque l’Anglais se leva et descendit à la station Concorde. La haute taille, le costume du Britannique lui conférait une certaine prestance, malgré une démarche curieusement vacillante et je ne pus m’empêcher de le suivre du regard jusqu’au redémarrage de la rame.

    La femme se pencha vers son compagnon, se serra contre lui et lui pressa la main, cherchant à le sortir de sa léthargie. Elle n’y était pas encore parvenue lorsque je suis arrivée à destination.

    Le soir même, j’appris qu’un groupe d’Anglais ivres, supporters de je ne sais quel match avait pourchassé les couples mixtes durant la nuit précédente au centre de Paris, s’en prenant aux femmes blanches avec une telle violence que la police avait eu beaucoup de difficultés à les neutraliser.

    Par la suite, cette histoire me trotta dans la tête. Le souvenir de l’Anglais céda bientôt la place à celui de la femme. Son visage, son attitude, l’amour qu’elle portait à son compagnon se précisèrent. La mousse colorée de ses cheveux, la forme de son nez, sa bouche au dessin affirmé, son corps serré contre son compagnon se substituèrent par contraste à la raideur et à la lourdeur obtuse de l’Anglais. Et ce souvenir s’épanouit jour après jour comme une fleur précieuse, un encouragement à la résistance et à la liberté d’aimer.

    La beauté de l’homme noir m’est apparue un peu plus tard. Son immobilité avait eu, au-delà de la peur, quelque chose de puissant et d’hiératique, comme une prodigieuse interrogation sur la bêtise humaine.

    [/et_pb_text][/et_pb_column][/et_pb_row][/et_pb_section]


  • La Pointe Saint-Eustache

    [et_pb_section admin_label= »section » transparent_background= »off » background_color= »#ffffff » allow_player_pause= »off » inner_shadow= »off » parallax= »off » parallax_method= »off » custom_padding= »0px||0px| » padding_mobile= »off » make_fullwidth= »off » use_custom_width= »off » width_unit= »on » make_equal= »off » use_custom_gutter= »off »][et_pb_row admin_label= »row » make_fullwidth= »on » use_custom_width= »off » width_unit= »on » use_custom_gutter= »off » custom_padding= »0px||0px| » padding_mobile= »off » allow_player_pause= »off » parallax= »off » parallax_method= »off » make_equal= »off » parallax_1= »off » parallax_method_1= »off » column_padding_mobile= »on »][et_pb_column type= »4_4″][et_pb_text admin_label= »Texte » background_layout= »light » text_orientation= »left » use_border_color= »off » border_color= »#ffffff » border_style= »solid » custom_margin= »15px||| »]

    Café au soleil.

    Un clochard, hirsute, rougeoyant, le nez en éponge, les vêtements sans couleur et sans âge saute à cloche-pied sur les dalles de la rue Montorgueil en évitant comme un enfant les jointures des pierres. Il chantonne, indifférent au flot qui s’écoule.

    Bobos, commerçants, journalistes, nombreux dans ce quartier de presse, jeunes de toutes les couleurs débarqués de la banlieue défilent devant la terrasse de la Pointe Saint-Eustache. Un bruit de valises à roulettes accompagne les pas des touristes attirés par les chambres d’hôtes du 2e arrondissement. Je saisis des bribes de conversation. Je savoure la robustesse du café tout en participant avec légèreté à la vie qui m’entoure.

    Des nounous noires poussent d’une démarche nonchalante des landaus à deux places où sommeillent des enfants au teint clair.

    Un homme d’une quarantaine d’années, chemise hawaïenne et short quadrillé, chaussures noires cirées, chaussettes sombres tirées sur des mollets musclés pousse un fauteuil roulant. L’infirme ? Une femme d’une soixantaine d’années, emperlée, endiamantée, lèvres rouge vif, chevelure laquée. De toute sa personne émane une autorité implacable. Sourcils froncés, cramponné au fauteuil, l’homme fait de son mieux. On les dirait soudés l’un à l’autre par quelque lien mystérieux. Gigolo, infirmier ou tout simplement son fils ? Ils ont déjà disparu vers le jardin des Halles.

    Comme le temps a passé ! Autrefois, à cette même terrasse, j’observais le manège des artisans aux mains burinées sortant des ateliers pour partager un verre au comptoir. J’aimais regarder le trottinement des petits vieux courbés sur leur canne, la course des enfants après l’école. Hors de sa boutique, à la lumière du jour, le boucher débonnaire et son ventre moulé dans un tablier sanguinolent m’évoquait quelque résurgence sacrificielle. Les blagues fusaient, les coups de gueule étaient fréquents et beaucoup se connaissaient. C’était l’époque où il y avait encore des marchandes des quatre saisons. Pauvres, pour ne pas dire misérables, elles vendaient des herbes fines, des salades et des fruits sur de petites charrettes. Matrones sans peur et sans reproche, elles haranguaient la foule avec verdeur et tenaient tête aux commerçants des étals avec un brio stupéfiant.

    Lorsque nous nous sommes installés dans le quartier des Halles, un immense trou à l’air libre avait déjà remplacé les structures de Baltard. Des bulldozers, des scrapers et des grues aux couleurs vives, rouge et orange, s’y activaient en mouvements huilés. Les années ont passé. Aujourd’hui, les champignons métalliques surgis du gouffre ont cédé la place à une grande verrière, dite canopée, en cours de réalisation.

    Immuable, l’église Saint-Eustache se dresse sur le bord du chantier. Le tintement de ses cloches me rappelle qu’il est temps de rentrer.

    [/et_pb_text][/et_pb_column][/et_pb_row][/et_pb_section]


  • Rue du Chemin Vert (suite)

    [et_pb_section admin_label= »section » transparent_background= »off » background_color= »#ffffff » allow_player_pause= »off » inner_shadow= »off » parallax= »off » parallax_method= »off » custom_padding= »0px||0px| » padding_mobile= »off » make_fullwidth= »off » use_custom_width= »off » width_unit= »on » make_equal= »off » use_custom_gutter= »off »][et_pb_row admin_label= »row » make_fullwidth= »on » use_custom_width= »off » width_unit= »on » use_custom_gutter= »off » custom_padding= »0px||0px| » padding_mobile= »off » allow_player_pause= »off » parallax= »off » parallax_method= »off » make_equal= »off » parallax_1= »off » parallax_method_1= »off » column_padding_mobile= »on »][et_pb_column type= »4_4″][et_pb_text admin_label= »Texte » background_layout= »light » text_orientation= »left » use_border_color= »off » border_color= »#ffffff » border_style= »solid » custom_margin= »15px||| »]

    Dans l’autobus, le doute refit surface. D’habitude, j’essaie mes vêtements plutôt deux fois qu’une, exigeante pour un pli ou une tombée disgracieuse, comment avais-je pu penser une seconde que ce manteau pourrait m’aller ? J’entendais, comme s’il était là, Gilles répéter qu’on ne doit jamais rien acheter à un inconnu dans la rue. Mais j’écartais ces pensées déplaisantes. Le cuir était souple et la doublure glissait agréablement sous les doigts. L’Italien connaissait son métier. Je me voyais déjà déambulant avec cette élégance sublime et confortable qui signe la qualité d’un vêtement. Dans un moment d’infortune, le sort m’avait choisie entre toutes. À juste titre, cela va sans dire.

    À peine la porte poussée, je m’empressai de sortir le manteau de sa housse et de l’essayer devant le miroir de l’entrée. Ouf ! Il était à ma taille ! Avec juste ce qu’il fallait d’aisance pour les mouvements. Voilà qui était bon signe !

    À y regarder de plus près, si la coupe était simple, les épaules suffisamment amples pour recouvrir une veste, la longueur adéquate, je devais cependant admettre que le manteau manquait d’allure. Peut-être qu’entrouvert, agrémenté d’une écharpe de cachemire et les mains dans les poches, il trouverait cette classe tant espérée. J’en doutais confusément et décidais de chercher la marque sur le web.

    Elle y était présente, marque de luxe exclusivement vendue dans les magasins agréés. Des robes, des vestes, peu de manteaux, ce qu’avait expliqué le bel Italien. Élégance, qualité insoupçonnable. J’étais peut-être trop difficile et je retournais devant le miroir. J’examinais la texture du cuir, peut-être un peu trop fine, éventuellement un peu trop régulière. Avec un rien d’inquiétude, j’ouvris une couture et en explorai l’envers.

    Le tissage qui apparut ne laissait pas de place au doute. C’était du faux !

    De retour sur le site, je tombai sur un « forum » qui acheva de détruire mes illusions. De témoignage en témoignage revenait la même histoire. Un Italien, pas toujours le même, mais toujours séduisant. À chaque fois, le même étonnement : « Je ne me laisse jamais arnaquer, c’est la première fois ! », « moi qui suis tellement méfiante ! ». L’une d’elles continuait : « Je suis allée au commissariat, où l’on m’a répondu que c’était tant pis pour moi. »

    En effet, c’était tant pis pour moi ! Devant le miroir, l’illusion s’était évanouie, elle avait laissé la place à un vêtement moche, mal taillé et qui, plus est, sentait le produit à base de pétrole. J’examinais le sac avec un reste d’espoir. Vulgaire croûte de cuir, fond de carton, chaîne et œilletons clinquants. Importable !

    Pourquoi n’ai-je pas, ce jour-là, ressenti l’ulcération qui me tourmente d’habitude lorsque je suis arnaquée ? J’avais eu à faire à un prestidigitateur ! Quand je déroulais le film de l’aventure, je ne voyais qu’invention, adaptation à la situation, un sens aigu de la psychologie féminine et surtout une séduction jubilatoire. Du grand art ! Et une belle leçon !

    En entrant dans l’appartement, Gilles s’est écrié :

    — Qu’est-ce qui sent si mauvais ?

    C’était mon beau manteau. Mais là, j’exagère un peu…

    Il ne fut pas facile de s’en débarrasser. Emmaüs refusa tout net. « Il est neuf ! » ai-je protesté, « On ne prend plus de vêtements, trop difficile à trier » me répondit la dame au guichet. « Si je vous dis que c’est une grande marque. » ai-je tenté pour voir. « Pareil, mais vous pouvez le laisser sur le trottoir, quelqu’un le ramassera. ». Son regard s’était légèrement allumé.

    La Ville de Paris annonçait des boites à vêtements. Comme je tournais autour de celle de mon quartier, un homme me demanda sans ménagement de m’écarter afin de photographier les couches d’affiches colorées qui l’enveloppaient et en obstruaient l’accès. J’ai ensuite traîné mon sac sans plus de succès du côté de l’atelier. De guerre lasse, il a terminé dans le local à poubelle de notre immeuble.

    La fin d’un rêve ?…

    [/et_pb_text][/et_pb_column][/et_pb_row][/et_pb_section]


  • Rue du Chemin Vert

    [et_pb_section admin_label= »section » transparent_background= »off » background_color= »#ffffff » allow_player_pause= »off » inner_shadow= »off » parallax= »off » parallax_method= »off » custom_padding= »0px||0px| » padding_mobile= »off » make_fullwidth= »off » use_custom_width= »off » width_unit= »on » make_equal= »off » use_custom_gutter= »off »][et_pb_row admin_label= »row » make_fullwidth= »on » use_custom_width= »off » width_unit= »on » use_custom_gutter= »off » custom_padding= »0px||0px| » padding_mobile= »off » allow_player_pause= »off » parallax= »off » parallax_method= »off » make_equal= »off » parallax_1= »off » parallax_method_1= »off » column_padding_mobile= »on »][et_pb_column type= »4_4″][et_pb_text admin_label= »Texte » background_layout= »light » text_orientation= »left » use_border_color= »off » border_color= »#ffffff » border_style= »solid » custom_margin= »15px||| »]

    Certains épisodes de la vie sont rarement évoqués. En voici un que je voudrais vous chuchoter à l’oreille. Peut-être vous y reconnaîtrez-vous.

    Le monde entier a été bouleversé par la tuerie de Charlie Hebdo. Deux jeunes fanatiques ont tiré sur le comité de rédaction pour protester contre la publication de caricatures du Prophète Mahomet. Le dimanche suivant, des millions de personnes défilaient dans les rues pour défendre la liberté d’expression. La semaine suivante, par prudence ou par conviction, une dizaine d’événements concernant les musulmans furent subrepticement retirés de l’affiche pour ne pas « heurter les sensibilités ». L’autocensure obéit à des règles plus complexes que la partie visible des interdictions et des libertés.

    Quelques jours plus tard, alors que je traversai le boulevard Richard Lenoir, je vis un amoncellement de couronnes mortuaires, de bouquets, d’affichettes accrochées aux grilles du petit square central sans faire le rapprochement avec les événements précédents. C’est seulement en revenant vers le métro, après avoir acheté des cadres rue du Chemin Vert, que je remarquai les pots remplis de crayon, les bougies commémoratives, les poèmes tracés à grands traits sur la chaussée. Je me trouvais à proximité du lieu de la tuerie.

    Et je restais songeuse… Il m’était arrivé, ici même, quelques jours avant l’attentat une petite aventure que l’énormité du massacre aurait dû éclipser, mais qui continue de me trotter dans la tête comme s’il me fallait l’écrire. Pourquoi ? Je ne sais pas.

    Ce matin-là, je venais d’apprendre la mort d’un proche et je me trouvais dans un état second. J’avais fini par dénicher sur Internet un fournisseur de pièces détachées pour mon vieux massicot, mais je devais venir en personne signer le bon de commande. Le genre de démarche qui vous mange du temps et vous prend la tête !

    C’était la première fois que je me rendais dans le quartier. De retour vers le métro, j’ai retraversé le boulevard Richard Lenoir, le moral en berne, l’esprit embrumé, traînant les pieds, lorsqu’une voiture a surgi de la gauche dans la rue du Chemin Vert.

    Elle tourna avec une certaine hésitation et s’arrêta au milieu du carrefour. Son conducteur se pencha par la fenêtre. Je me suis approchée avec réticence.   Prise au dépourvu, j’envoie souvent les égarés dans des directions fantaisistes. Son accent italien me tira un peu de ma léthargie. Il cherchait la gare de Lyon

    Il lui tournait le dos et les rues à sens unique ne facilitaient pas les explications. Comme j’hésitais, il insista :

    — Je suis en retard. Il faut que je rende la voiture. Mon avion part dans deux heures.

    L’homme était jeune, la trentaine élégante. Des catalogues de mode jonchaient le plat-bord de la voiture. Il s’expliqua :

    — Je viens des Galeries Lafayette où j’ai présenté une collection

    Il nomma une marque italienne de luxe.

    — Vous connaissez ? D’ailleurs, je n’ai plus de temps pour la douane et il me reste un manteau.

    Il tira de la banquette arrière un manteau de cuir enveloppé dans une housse transparente :

    — Il vaut deux mille euros et je ne sais pas quoi en faire ! Vous le voulez ? dit-t-il en riant.

    L’homme était charmant.

    — Ce n’est pas ma taille !

    — Bien sur que si ! Je vous ai vu marcher.

    Il se rangea le long du trottoir. Je tâtai le manteau. Cuir fin, coupe simple et raffinée. Il me le proposa pour un prix dérisoire compte tenu de sa qualité. Il me montra un sac de grande marque posé à côté de lui.

    — Il vaut cher en boutique ! Mais je ne peux pas non plus l’emporter. Si cela vous dit, je vous l’offre.

    Depuis plusieurs semaines, je cherchais un manteau de cuir et voilà qu’un bel Italien venait au-devant de mes désirs. Un manteau de luxe me tendait les bras sans avoir à subir l’épreuve des Grands Magasins, de ses miroirs peu flatteurs et surtout de ses prix prohibitifs. Pourquoi refuser ? Dans cette triste matinée, le sort me souriait enfin. Je l’avais bien mérité. Élue par la providence, je me montrais partante. Mais je manquais d’argent liquide et je lui proposais un chèque. Il refusa : « Trop compliqué à encaisser en Italie ». Comme j’allais partir, il me dit :

    — Montez dans ma voiture, nous trouverons bien un distributeur, et il ajouta :

    — Comment vous appelez-vous ? Moi c’est Marco. J’habite Rome. Vous connaissez ?

    Après quelques échanges sur les mérites comparés entre Paris et Rome, je fus prise d’un doute :

    — Vous m’assurez que ce n’est pas un objet volé, que c’est honnête ?

    Il protesta :

    — Pas de ça avec moi, Martina !

    J’accusai le coup. En effet, ces temps-ci, je manquais de cette générosité qui vous ouvre les cœurs et les portes. La peur n’est pas bonne conseillère, le soupçon encore moins. Quelques déambulations dans le quartier du Marais et j’aperçus un distributeur. Il se gara en double file. Revenue, munie de coupures de vingt euros, je les déposai sur le siège et je demandai à mieux voir le manteau. Je soulevai la housse. Oui, c’était la bonne taille, cuir souple et léger. Il me dit :

    — Je vous demande une seule chose : de ne pas le vendre. Vous comprenez que ma collection ne peut pas être dévoilée avant sa commercialisation officielle.

    Je le rassurai et ravie de mon achat, je le quittai avec un « Viva Roma » qui sonna un peu faux.

    (à suivre)

    [/et_pb_text][/et_pb_column][/et_pb_row][/et_pb_section]


  • Croisière sur le Léman

    [et_pb_section admin_label= »section » transparent_background= »off » background_color= »#ffffff » allow_player_pause= »off » inner_shadow= »off » parallax= »off » parallax_method= »off » custom_padding= »0px||0px| » padding_mobile= »off » make_fullwidth= »off » use_custom_width= »off » width_unit= »on » make_equal= »off » use_custom_gutter= »off »][et_pb_row admin_label= »row » make_fullwidth= »on » use_custom_width= »off » width_unit= »on » use_custom_gutter= »off » custom_padding= »0px||0px| » padding_mobile= »off » allow_player_pause= »off » parallax= »off » parallax_method= »off » make_equal= »off » parallax_1= »off » parallax_method_1= »off » column_padding_mobile= »on »][et_pb_column type= »4_4″][et_pb_text admin_label= »Texte » background_layout= »light » text_orientation= »left » use_border_color= »off » border_color= »#ffffff » border_style= »solid » custom_margin= »15px||| »]

    Il fallut attendre le début de septembre et une météo favorable pour entreprendre cette croisière qui nous tentait depuis de nombreuses années, et que j’aimerais maintenant vous faire partager.

    La saison touristique terminée, il n’y avait pas foule sur le quai de Lausanne. Le soleil n’avait pas encore percé la brume de septembre. Un héron perché sur un piquet du débarcadère se reflétait dans l’eau calme et paisible comme une suspension du temps, une pause à l’écart de l’agitation du monde.

    Le bateau ventru surmonté de sa cheminée jaune a surgi de la brume. Il s’est arrêté devant le débarcadère dans le bouillonnement de ses aubes. La passerelle métallique tirée avec fracas, nous avons posé le pied sur le pont de chêne du « Rhône ».

    Le sifflet a retenti. Les roues ont fouetté l’eau. Le grand navire blanc s’est lentement détaché de la rive et nous nous sommes enfoncés dans la blancheur lacustre au rythme des bielles et du battement des roues qui labouraient le lac dans une effervescence tranquille.

    Alors que nous égrenions les ports de la Riviera, la brume s’est éclaircie. Le lac se teinta de bleus délicats, le soleil peu à peu colora les vignes de Lavaux, Les Rochers de Nays côté Suisse, le Gramont côté français sont apparus dans une lumière tamisée qui cachait des sommets plus lointains, les nappant de mystère.

    Sur les rives, la pause de midi parsema bientôt les bancs de travailleurs. Ils savouraient la présence du lac, un sandwich ou une barquette à la main et je pensai à ceux qui se pressaient à la même heure dans les cafés de Paris.

    Peu après Montreux, nous nous sommes approchés du célèbre château de Chillon, et de son débarcadère. Redoutable îlot-forteresse, propriété du duc de Savoie, puis des Bernois, il fut le théâtre d’atrocités qui se terminaient souvent en noyade dans des cachots aménagés à cet effet. Après une visite qui l’épouvanta, le grand poète romantique anglais Byron écrivit le Prisonnier de Chillon. Selon la légende, s’étant fait ouvrir la salle souterraine par un garde éméché, il grava avec ferveur son nom sur la colonne à laquelle Bonivard, héros de la Réforme fut enchaîné durant six longues années. De nos jours, intact et grandiose, dressant sur l’eau ses multiples tours de guet, le château n’accueille plus que des touristes venus du monde entier et son image illustre les boites de crayon Caran d’Ache.

    Traces historiques peu ragoûtantes qui ne nous empêchèrent pas de savourer notre repas dans la salle vitrée du premier étage. Le navire blanc poursuivit sa navigation, ventripotent, ronronnant, fouillant les flots. Au niveau de Chillon, l’à pic n’abandonnait qu’un couloir à la route et à la voie de chemin de fer, mais lorsque nous nous sommes approchés du delta du Rhône, les montagnes s’évasèrent pour laisser la place à une plaine marécageuse dont on dit qu’y passer la nuit en bateau au milieu des roseaux, des arbustes et des oiseaux, c’est comme se réveiller au premier matin du monde.

    Nous sommes descendus au bout du lac en territoire suisse. Un quart d’heure de pause sur le quai du Bouveret, caressés par le soleil, et nous avons embarqué sur la « Savoie » pour regagner les coteaux dorés de Lavaux.

    De retour à Lausanne, Gilles m’offrit de profiter du forfait à la journée pour continuer pendant qu’il m’attendrait à Nyon avec la voiture. Je ne me fis pas prier et je suis montée sur le « Simplon » de retour vers Genève. Chaque bateau possède ses caractéristiques : figure de proue à l’or fin, salon marqueté, machinerie visible, rotonde… Les connaisseurs repèrent au loin d’un simple coup d’œil ces merveilles navales construites dans le premier quart du vingtième siècle.

    À partir de Lausanne le lac s’élargit, et lorsque le bateau quitta Rolle pour s’élancer vers la côte savoyarde, je fus toute entière aspirée par la vaste étendue miroitante, par le mystère de ses rives. Une brume lumineuse voilait la chaîne du Mont Blanc. Les passagers, manifestement des amoureux du lac, allongés dans leur transat savouraient l’instant. Une dame lisait, trois amis plaisantaient. Un homme se penchait vers une femme dont l’élégance souple s’accordait aux flots. Régnait sur le pont une connivence respectueuse de l’intimité de chacun. Le bateau fendait la surface du lac en gerbes chantantes et je me fondais dans l’air, dans l’eau comme si l’univers vibrait au rythme de ses roues.

    La rive suisse s’estompa et la rive savoyarde apparut, différente, moins peignée, peut-être plus rurale et plus sauvage, en tout cas davantage à la merci des vents qui déferlent des plateaux vaudois et se déchaînent sur cette partie qu’on nomme le « grand lac ». Les ports français sommeillaient, désertés par les touristes. Un dernier arrêt à Nernier doré par le soleil couchant, une nouvelle traversée de ce qu’on nomme le « petit lac », et je retrouvais Gilles qui m’attendait au débarcadère de Nyon, pimpante ville suisse surmontée d’un château moyenâgeux repeint à neuf.

    J’éprouvai quelques difficultés à quitter le bateau, puis à m’éloigner du lac. Il m’en resta une nostalgie mêlée de questions. Certains ironisent sur le bonheur tranquille, préférant l’agitation et la compétition, pour ne pas dire la bagarre. Ils jugeraient inutile de perdre une après-midi à ne rien faire sur un vieux bateau à roues. D’autres estiment mal venue la paix de ces rivages privilégiés dans un monde de misère et de guerre, de peur et de faim où la violence et la mort accompagnent le quotidien de tant d’êtres humains. Pourquoi et par quel étrange mystère cette aventure lacustre imprima-t-elle dans mon âme des raisons d’espérer ?

    [/et_pb_text][/et_pb_column][/et_pb_row][/et_pb_section]


  • Exhibitionisme

    [et_pb_section admin_label= »section » transparent_background= »off » background_color= »#ffffff » allow_player_pause= »off » inner_shadow= »off » parallax= »off » parallax_method= »off » custom_padding= »0px||0px| » padding_mobile= »off » make_fullwidth= »off » use_custom_width= »off » width_unit= »on » make_equal= »off » use_custom_gutter= »off »][et_pb_row admin_label= »row » make_fullwidth= »on » use_custom_width= »off » width_unit= »on » use_custom_gutter= »off » custom_padding= »0px||0px| » padding_mobile= »off » allow_player_pause= »off » parallax= »off » parallax_method= »off » make_equal= »off » parallax_1= »off » parallax_method_1= »off » column_padding_mobile= »on »][et_pb_column type= »4_4″][et_pb_text admin_label= »Texte » background_layout= »light » text_orientation= »left » use_border_color= »off » border_color= »#ffffff » border_style= »solid » custom_margin= »15px||| »]

    La dernière semaine, les nuages se sont fait moins noirs, moins épais. Ils débordaient encore du Jura mais de vastes plages de soleil réchauffaient l’atmosphère. Le matin de notre départ, après avoir rangé, nettoyé la maison et bouclé nos valises, nous sommes allés tâter l’eau à Versoix avec le vague espoir d’une baignade dans le Léman. Le petit lac de Divonne avait fermé sa plage le premier septembre et nous avions fait nos adieux aux surveillants de plage, leur souhaitant un bon hiver, un joyeux Noël et une bonne année 2015.

    Les adultes au travail, les enfants à l’école, le port suisse avait pris son allure automnale, paisible et lumineuse, ne s’animant qu’en fin de journée à la fermeture des bureaux. Un groupe de jeunes s’activaient près de la glissière autour d’un grand catamaran, sportifs et bronzés, probablement son équipage conservé par un milliardaire pour la remise en état après l’été de cette étonnante embarcation qui de loin ressemble à une énorme libellule, coque en carbone, mâts ultralégers.

    J’ai trempé un pied dans l’eau. Surprise ! Elle n’était pas si froide que ça !

    En principe, il est interdit de se baigner en dehors de la grève et de sa surface entourée de flotteurs, à gauche du port. Mais nous avons de tout temps nagé depuis la jetée. Il est plus agréable de se lancer directement vers le large, de ne pas se raboter les pieds sur les cailloux de la grève ! Ce jour-là, nous avons savouré une dernière et providentielle nage dans notre cher Léman trop peu clément cette année pour nous y être aventurés plus d’une dizaine de fois.

    Naturellement, nous étions seuls. Difficile d’exprimer le sentiment de liberté qui vous envahit au large ! Les montagnes vous pénètrent de leur puissance : le Mont Blanc, pyramide tutélaire derrière le Môle, la chaîne des Aravis et ses dents régulières, les Monts du Chablais et la dent d’Oche, le Jura et le déroulement de ses crêtes, la Dôle. L’immense surface liquide qui s’étend sur des dizaines de kilomètres jusqu’à Lausanne vous caresse le corps sans lésiner. Vous comprendrez que je supporte mal les piscines, m’y sentant comme un poisson rouge dans un bocal.

    Alors que je revenais d’une brasse appuyée et que je me trouvais à quelques cent mètres de la rive, j’aperçus un homme debout sur un des rochers de protection de la jetée. Son immobilité avait quelque chose de bizarre. La taille minimaliste de son maillot de bain attira mon attention. La mode un peu passée du string pouvait expliquer la stricte pudeur d’un triangle de tissu noir, mais une lueur plus claire et verticale m’en fit douter. Avais-je l’esprit mal tourné ? Je continuais de savourer ma baignade sans plus y prêter attention, lorsqu’il plongea et se dirigea vers moi dans un crawl impeccable.

    L’homme était jeune, bien fait de sa personne, du genre éphèbe. Je le regardais s’approcher avec un rien de curiosité et même de plaisir. Nous nous sommes croisés et malgré l’étendue, il me frôla presque. Le tourbillon d’eau ne dévoila rien d’une éventuelle ceinture autour du bassin. Ayant atteint la glissière à bateau, j’ai rejoint Gilles sur la jetée pour me sécher.

    Nous savourions sur notre peau les rayons du soleil, sachant qu’il nous faudrait, dès le lendemain, les rechercher aux terrasses des cafés dans une agitation certes sympathique, mais un peu juste en oxygène. Je n’avais pas vu revenir le nageur ; il se dressait sur son rocher à quelques mètres de nous. Nu, nu comme un ver. Expression inappropriée qui ne tient pas compte de la pilosité humaine.

    Il vit que je l’avais vu et debout sur son rocher se tourna davantage vers moi. Gilles lui tournait le dos. Mon sang se mit à bouillir. Cet homme n’avait pas à m’imposer un spectacle que je ne lui avais pas demandé. Voulait-il me choquer, était-ce une provocation comme pour imposer sa jeunesse, défier mon âge canonique ? J’y vis une agression. Et je m’indignais :

    — Tu as vu le type en dessous ?

    Gilles approuva sans paraître vraiment choqué.

    — Ça ne te gêne pas ?

    Il hocha la tête. Et j’insistais plus indignée encore :

    — Tout de même… On n’est pas des singes !

    Je faisais allusion à une scène dont nous avions été témoins, ici même, il y a quelques années.

    Sur l’enrochement qui prolonge la jetée vers le large, un garçon, probablement un élève de l’École Internationale voisine embrochait une jeune fille tout en jetant quelques mots à une amie assise à côté. Je vous passe les détails de leur position, mais ce qui frappait le plus, c’était le mélange de forfanterie du garçon, de gène de l’amie, d’indifférence de la jeune fille nue et à califourchon sur son compagnon. Et surtout l’absence totale de réaction des nombreuses personnes présentes cette après-midi-là sur la jetée. Et pourtant, nous trouvions en Suisse, dans le canton de Genève, la calviniste.

    Fallait-il en conclure que les mœurs changeaient et que les interdits s’effaçaient ? J’en avais surtout retenu l’impression d’avoir assisté à une scène de copulation comme on peut en voir dans les zoos. Les jeunes gens en voulant affirmer le caractère anodin de la scène avaient brouillé les pistes au point qu’ils semblaient presque moins impudiques que les singes dans leurs cages.

    Un lien de cause à effet ? Par la suite, on ne vit plus les élèves de l’école traîner sur l’enrochement… Les autorités portuaires avaient peut-être réglé le problème avec la discrétion suisse.

    Toujours est-il que ce matin-là, la situation amenait des questions, plus sur moi-même en définitive que sur l’homme dressé, nu, sur son rocher.

    Je voulus bousculer le silence de Gilles qui tournait toujours le dos au nudiste :

    — Tout de même…

    À contrecœur, comprenant qu’il touchait un sujet délicat, il s’expliqua :

    — On est trop prude de nos jours. Il fait preuve de liberté !

    Comment oublier les années soixante-huitardes, la liberté sexuelle, la nudité revendiquée ? Faites l’amour, pas la guerre ! Nous en sommes loin aujourd’hui ! Les seins nus se recouvrent désormais sur les plages et les jeunes musulmanes réajustent le voile que leurs mères avaient jeté aux orties. Le contraste me fit rire. Ce que voyant, le garçon, décidément fort beau, remonta sur le quai et enfila son pantalon.

    Il disparut, mais la cocasserie de la situation me sauta aux yeux. Amusée de mon indignation, je repris :

    — Tout de même, on n’est pas des singes…

    Ce qui eut pour effet d’agacer Gilles qui s’habillait à son tour :

    — Qu’est-ce que ça peut te faire ?

    Et bien justement, cela me faisait quelque chose. Mon amusement cachait un contentement qu’il eut été malhonnête de nier. Ce n’est pas tous les jours qu’une femme se voit offrir la vision intégrale d’un jeune homme aussi beau. Plutôt que de me révolter, j’aurai du le remercier !

    Comme nous rangions nos serviettes dans le sac de plage, un homme passa sur la jetée, plutôt rabougri, le visage renfrogné, il chercha mon regard comme pour quêter l’approbation de sa désapprobation. Manifestement, il n’avait rien perdu du spectacle. Mais le contraste ne jouait pas en sa faveur !

    En remontant vers la voiture, nous avons aperçu les jeunes marins attablés au bistro de la capitainerie. Le jeune homme était vautré sur une chaise en plastique, le jean et la courbure de son sexe bien en évidence. Il n’est pas certain qu’il nous avait vu passer tant il semblait ployer sous l’autosatisfaction de sa beauté.

    J’aurai pu m’en offusquer, mais il ne me parut pas nécessaire de mégoter sur le petit plaisir qui avait accompagné mon dernier bain.

    Mais tout de même…

    De retour à Paris, le souvenir d’un exhibitionniste dans le métro, me trotta dans la tête. Quelques jours après, un article de journal approfondit l’aspect légal de ce problème.

    l’article 222-32 du Code pénal, « l’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».

    J’ignore les lois du canton de Genève, mais il était difficile d’imaginer le jeune homme croupissant dans une prison en perdant son bronzage. Sa solvabilité de marin à première vue semblait par ailleurs très hypothétique.

    Coïncidence ? Un reportage à la télévision explora la notion de pudeur du point de vue des coutumes, de l’histoire et de la géographie. Je repensai aux camps de nudistes, ayant toujours été frappée dans les nombreux reportages dont ils font l’objet, par une sorte de déni visuel de leurs organes sexuels.

    Moins angélique, je dus convenir de ma mauvaise foi ! …S’il avait été moche et vieux comme le promeneur de Versoix, il est évident que j’aurais été davantage scandalisée ! Est-ce une excuse, une justification ou une encore circonstance atténuante ? Jugez en vous-mêmes.

    [/et_pb_text][/et_pb_column][/et_pb_row][/et_pb_section]


  • Yoga soft

    [et_pb_section admin_label= »section » transparent_background= »off » background_color= »#ffffff » allow_player_pause= »off » inner_shadow= »off » parallax= »off » parallax_method= »off » custom_padding= »0px||0px| » padding_mobile= »off » make_fullwidth= »off » use_custom_width= »off » width_unit= »on » make_equal= »off » use_custom_gutter= »off »][et_pb_row admin_label= »row » make_fullwidth= »on » use_custom_width= »off » width_unit= »on » use_custom_gutter= »off » custom_padding= »0px||0px| » padding_mobile= »off » allow_player_pause= »off » parallax= »off » parallax_method= »off » make_equal= »off » parallax_1= »off » parallax_method_1= »off » column_padding_mobile= »on »][et_pb_column type= »4_4″][et_pb_text admin_label= »Texte » background_layout= »light » text_orientation= »left » use_border_color= »off » border_color= »#ffffff » border_style= »solid » custom_margin= »15px||| »]

    Je vous avais promis, cher lecteur, chère lectrice, la suite de mes aventures dans l’univers du yoga. Très à la mode en ce moment, si l’on en croit les immenses centres aux portes de Paris et de Lausanne.

    Après avoir laissé sur leur tapis les soixante-dix jeunes costauds qui se nouaient et se dénouaient les membres, se pliaient et se dépliaient la colonne vertébrale dans tous les sens, j’avais trouvé sur Internet un cours pour seniors pas trop loin de chez moi. Au téléphone, le chant d’une voix féminine à l’accent américain m’avait encouragée à essayer. Les séances étaient gratuites à partir d’un certain âge, ce qui me parut, allez donc savoir pourquoi, un peu inquiétant.

    Je me suis retrouvée dans une petite rue longeant les Arts et Métiers devant une modeste boutique dont la vitre était fissurée. Le réseau étoilé autour de l’impact, accentué par une peinture fluo et des fleurs de lotus, lui donnait, un petit air du San Francisco des années hippies. J’ai poussé la porte de la boutique et d’emblée, je me suis sentie en terrain plus familier que dans l’immense salle de sport municipale et ses rangées d’adeptes disciplinés qui m’avaient évoqué l’armée chinoise enterrée à Xian.

    Sur le sol de l’ancienne boutique repeinte à neuf, six à sept personnes d’un certain âge attendaient paisiblement allongées sur le dos le début de la séance. Je fus accueillie chaleureusement par Michelle, laquelle me pria dans un français approximatif d’ôter mes chaussures.

    Après avoir déroulé un tapis à mon intention, elle s’assit en face de nous dans la position du lotus et nous invita à respirer « comme pour remplir une jarre jusqu’au col ». L’expression m’amusa. Assis, jambes croisées, mains réunies au niveau du cœur, par trois fois, nous avons expiré un « Oum » de gorge avec l’impression, pour ma part, de me trouver au sommet du Jura et de lancer mon âme vers la plaine, à la façon des Indiens Hoppis d’Arizona.

    Et nous avons commencé à peu près les mêmes exercices que dans la salle de sport, mais à un rythme bien différent, agrémentés de respirations lentes, de ballotements de pieds, de mains, de roulements de pupilles, mouvements proposés avec humour par Michelle dans un français imagé qu’elle laissait de côté sans prévenir, au profit des anglophones présents.

    J’ai vite compris que l’assistance était polyglotte : un Urugayen travaillant pour Dior depuis des décennies mais incapable de s’exprimer en français, une journaliste franco-espagnole d’origine bolivienne, une Américaine, …une bretonne bretonnante. Au cœur de Paris, je gigotais dans un univers d’autant plus vaste que l’Inde s’y était installée comme chez elle.

    Nous entendions les conversations de la rue, l’aspirateur de la voisine, les discussions dans la cour, et j’aimais cela. À la fin de la séance, nous nous sommes allongés en sueur sur notre tapis pour dix minutes de relaxation, immobiles, enveloppés d’une couverture, bercés par de la musique indienne.

    Trois derniers « Oum ». Un salut, mains au niveau du cœur. Un sourire de Michelle. Et j’ai décidé de revenir le jeudi suivant. De nouvelles surprises m’attendaient…

    [/et_pb_text][/et_pb_column][/et_pb_row][/et_pb_section]


  • Autour du lac (fin)

    [et_pb_section admin_label= »section » transparent_background= »off » background_color= »#ffffff » allow_player_pause= »off » inner_shadow= »off » parallax= »off » parallax_method= »off » custom_padding= »0px||0px| » padding_mobile= »off » make_fullwidth= »off » use_custom_width= »off » width_unit= »on » make_equal= »off » use_custom_gutter= »off »][et_pb_row admin_label= »row » make_fullwidth= »on » use_custom_width= »off » width_unit= »on » use_custom_gutter= »off » custom_padding= »0px||0px| » padding_mobile= »off » allow_player_pause= »off » parallax= »off » parallax_method= »off » make_equal= »off » parallax_1= »off » parallax_method_1= »off » column_padding_mobile= »on »][et_pb_column type= »4_4″][et_pb_text admin_label= »Texte » background_layout= »light » text_orientation= »left » use_border_color= »off » border_color= »#ffffff » border_style= »solid » custom_margin= »15px||| »]

    La pouliche restait éloignée des étalons. Indifférente aux efforts de son poulain pour la téter, elle avançait et reculait, en proie à une évidente perplexité. Le pénis du grand cheval de devant avait regagné son fourreau, mais on comprenait qu’eux aussi réfléchissaient à la situation. Entre deux masticages, ils avançaient tous les deux des museaux prudents par-dessus la clôture électrique.

    La pouliche maladroite et touchante décida soudain de revenir. Elle se dirigea vers celui de derrière sans un regard pour son compagnon afin de continuer un flirt peut-être plus ancien qu’il n’y paraissait. Elle tendit à nouveau la tête et de nouveau le grand cheval répondit à ses avances. Il brouta sa crinière avec délicatesse, caressant de la gorge le nez de sa belle. Et de nouveau c’est l’autre cheval qui banda. On n’a plus souvent l’occasion, l’automobile ayant détrôné l’hippomobile dans nos villes, si l’on ne fréquente pas les manèges ou les champs de courses, d’observer comme je le faisais ce jour-là sur les rives du lac de Divonne, l’extraordinaire allongement de cet organe équin.

    La pouliche restait superbement indifférente à cet émoi. Amoureuse de l’autre, elle ne se sentait plus de joie et paraissait avoir totalement oublié la douloureuse expérience précédente. Le cheval se méfiait davantage. Son arrière-train étant caché par son camarade, je ne pouvais savoir si l’assiduité de la belle avait eu quelque effet, mais il levait haut la tête comme pour sauter par-dessus la barrière. Je me frottai les yeux. Il me semblait voir dans leurs attitudes non pas le rut et la chaleur animale auxquels je m’attendais, mais une sorte de danse fine et affective. Je découvrais un manège amoureux beaucoup moins bestial que celui de beaucoup d’êtres humains. La jument s’appuya sur ses pattes de derrière et tendit le cou. Lorsqu’ils se jetèrent l’un sur l’autre, une violente et triste secousse les éloigna de nouveau l’un de l’autre.

    Les deux étalons en restèrent figés sur place comme paralysés, mais la petite jument virevolta dans son enclos avec légèreté, contourna son poulain, avança, recula, se campa devant eux, hocha la tête verticalement, horizontalement et finalement leur tourna le dos. Je pensais qu’elle avait renoncé lorsque je vis qu’elle s’était immobilisée pattes écartées. Arrière-train abaissé, queue levée dans une invite sans détour, elle offrait des fesses musclées d’un gris lumineux et pommelé à la vue de son amoureux. Celui-ci s’agita et l’autre banda de plus belle.

    La situation était véritablement devenue sans issue lorsque deux lads s’approchèrent d’un pas rapide, ouvrirent la porte de l’enclos et attachèrent les grands chevaux pour les entraîner hors de la présence de la pouliche tentatrice. En moins d’une minute la situation s’était dénouée. Elle se retrouva seule avec son poulain qui essaya d’en profiter, mais qu’elle rabroua d’un coup de tête.

    La ronde active des promeneurs autour du lac s’était poursuivie dans l’indifférence générale. Lorsque j’ai repris ma marche, j’ai pensé confusément que je pourrais en faire le sujet d’une de ces chroniques. Puis les mois ont passé.

    Pour que je mette en mot ces petites aventures, il faut que le temps s’écoule, qu’elles s’imposent à travers l’oubli. Et voici qu’un beau jour, attirée par mon clavier, je me suis décidée à vous confier, cher lecteur, chère lectrice, cette petite histoire étrangère au goût du sensationnel qui règne sur le Web.

    [/et_pb_text][/et_pb_column][/et_pb_row][/et_pb_section]