• Obsèques de Pierre.

    La France a vibré aux obsèques de Jean d’Ormesson et de Johnny Halliday, puis elle est passée à autre chose. Novembre et décembre sont souvent des mois funèbres, comme si les malades chroniques et les vieillards au bout du rouleau ne jugeaient pas nécessaire d’affronter un nouvel hiver.

    Je ne connaissais pas vraiment Pierre. Il n’y a pas si longtemps, nous étions attablés face à face dans un bistro, rue de la Huchette et il m’avait évoqué sa vie, sa croyance dans l’au-delà, ses convictions religieuses. Je connaissais davantage sa femme, une professeure de français, latin, grec beaucoup plus jeune que lui, une brune abondante, et énergique. C’est pour elle que nous étions venus aux obsèques de son étrange mari. Scientifique, médecin et psychanalyste, il avait supervisé l’envoi dans l’espace d’une souris. Un premier mariage et des petits-enfants. Une vie très remplie qui s’était terminée à plus de 90 ans, sans passer par la case Alzheimer.Trois prêtres et deux diacres officiaient malgré la pénurie de clergé actuelle.

    Un peu avant la communion, une voix s’est élevée durant quelques minutes de la tribune accompagnée par l’orgue. Du Bach ? Plutôt Haendel. Cette voix comme une respiration, pas tout à fait juste, mais tellement sincère me mit le cœur en vrac.

    La façon dont on vit, dont on meurt, est bien étrange… Quel souvenir, quel impact laissons-nous après notre départ ? Comme il est difficile de répondre à ces questions !

    Désormais les jours rallongent. Dans quelques mois la végétation redémarrera et le printemps reviendra …comme chaque année.


  • voeux 2018

    Que l’année 2018 vous apporte

     

    Rires et sourires

    Amours et amitiés

    Soleil et ombre fraîche

    Rencontres et solitude

    Aventures et farniente

    Mer et montagne

    Musique et silence

    Travail et repos

     

    Sans oublier ceux qui nous ont quittés

     


  • Le Premier janvier 2019

    Je ne suis pas très douée pour les bilans de fin d’année. Pour moi, chaque jour suffit son histoire et l’année n’est qu’une accumulation arbitraire de jours, de levers et de couchers du soleil, de petits et parfois de grands événements.

    Cependant j’aime que chaque jour m’apporte un petit plus. Une avancée vers la sagesse ? Peut-être. Mais surtout que le jour précédent soit un enseignement pour le jour suivant. Je déteste stagner, me répéter,

    Je ne trouve pas indispensable de vivre des choses extraordinaires, je trouve plus d’inattendu dans le simple déroulement d’une vie que dans des triomphes ou échecs autoproclamés. J’espère pourtant de la vie de belles surprises, même si je ne sais que ce n’est pas raisonnable et qu’il vaudrait mieux ne rien en attendre.

    Je trouve plus de possibilités d’avenir dans une simple caresse que dans des trémolos passionnés.

    S’il m’arrive de m’ennuyer et c’est très rare, j’ouvre un livre comme une ouverture sur le monde.

    Si l’horizon s’assombrit, je prends acte. Je râle, je tempête et résiste.

    Si l’amertume m’envahit, je râle, je tempête, mais je résiste.

    Quels que soient les difficultés, l’âge qui se fait sentir, vivre me paraît un miracle à ne pas gâcher, à partager, grâce au passé, vers l’avenir.

    Plus le temps passe, plus le présent me semble investi de mystère. La mort en serait l’ultime expérience ?

     


  • Le premier janvier 2019

    Je ne suis pas très douée pour les bilans de fin d’année. Pour moi, chaque jour suffit son histoire et l’année n’est qu’une accumulation arbitraire de jours, de levers et de couchers du soleil, de petits et parfois de grands événements.

    Cependant j’aime que chaque jour m’apporte un petit plus. Une avancée vers la sagesse ? Peut-être. Mais surtout que le jour précédent soit un enseignement pour le jour suivant. Je déteste stagner, me répéter,

    Je ne trouve pas indispensable de vivre des choses extraordinaires, je trouve plus d’inattendu dans le simple déroulement d’une vie que dans des triomphes ou échecs autoproclamés. J’espère pourtant de la vie de belles surprises, même si je ne sais que ce n’est pas raisonnable et qu’il vaudrait mieux ne rien en attendre.

    Je trouve plus de possibilités d’avenir dans une simple caresse que dans des trémolos passionnés.

    S’il m’arrive de m’ennuyer et c’est très rare, j’ouvre un livre comme une ouverture sur le monde.

    Si l’horizon s’assombrit, je prends acte. Je râle, je tempête et résiste.

    Si l’amertume m’envahit, je râle, je tempête, mais je résiste.

    Quels que soient les difficultés, l’âge qui se fait sentir, vivre me paraît un miracle à ne pas gâcher, à partager, grâce au passé, vers l’avenir.

    Plus le temps passe, plus le présent me semble investi de mystère. La mort en serait l’ultime expérience ?

     


  • Philomuses, novembre 2017 (suite et fin)

     

    Philomuses, déc 17. jpg.J’aime voir le corps de la flûtiste onduler. On dirait que les sons s’envolent du bout de ses doigts. Mon regard se promène vers les mobiles qui pendent au plafond. Je connais leur auteur. Un personnage plus qu’étrange, un rejeton de la haute aristocratie bulgare. Né difforme, il ne mesure pas plus d’un mètre, seules ses mains sont à l’échelle d’un adulte, fortes et larges. Il se meut très péniblement accompagné d’une aide aux petits soins pour lui. Son épouse beaucoup plus jeune que lui, très belle, plasticienne, se produit dans des performances d’art contemporain. Il y a longtemps que je ne les ai pas vus. Sont-ils toujours ensemble, est-il toujours en vie ? M’approchant du fauteuil qui lui était attribué à Philomuses, je lui avais tendu la main, il l’avait saisie avec détermination pour un baiser difficile à oublier, un condensé d’élégance et de courtoisie. Autour de lui virevoltait une nuée de jeunes filles en fleurs.

    Aujourd’hui, mon regard erre autour de ses machines volantes composées de bois léger et de fils de lin, aériennes, sophistiquées comme entourées d’un nuage d’ailes de libellules, elles semblent chercher à s’élancer comme emportées par le souffle de la flûte.

    Les bûches rougeoient maintenant dans la cheminée, la température est douce. J’évite de gigoter. J’aimerais me lever, déambuler au rythme des sons, sidérée par la parfaite immobilité  de mon voisin américain.  À la fin, les musiciennes nous offrent en bis un « Rêve d’amour » de Schubert, complètement rénové.

    Le buffet fut rondement dressé, mais je ne suis pas restée longtemps. Encore quelques mots  échangés avec l’Américain et j’ai retraversé le Pont Neuf, dans le scintillement sombre du fleuve.

    Fin

     


  • Philomuses, novembre 2017 (suite)

    Philomuses, déc 17. jpg.Ces temps-ci, tout bruit me semble vacarme. Rien que l’idée d’être présente sur les Champs-Élysées avec les centaines de motards accompagnant la dépouille de Johnny Halliday me torture. J’apprécie pourtant le rockeur et sa vitalité, mais  je préfère murmurer « que je t’aime » plutôt que le crier à grand renfort de décibels.  C’est pourquoi le programme de cette soirée m’a tenté, flûte, musique française, Debussy, Ravel, Fauré, avec l’espoir de renouer avec le plaisir de l’écoute.

    Chantal nous présente les deux jeunes femmes. La flûtiste Raquele Magalhaes a enregistré des CD, mais on comprend surtout qu’après des études brillantes elle s’est consacrée à ses enfants.  Petite, brune, simplement vêtue, elle sourit avec modestie.  Presque l’antithèse de la plasticienne. La pianiste est son amie.  «Elles aiment jouer ensemble.» prévient Chantal.

    Et c’est un régal, sur une trame d’André Jolivet, une succession de délicatesse, de finesse, de sentiments à la fois forts et retenus. Elles me font apprécier Jolivet, retrouvant dans ses broderies sonores les cascades perlées de Schubert, dans ses rythmes les souplesses de Fauré. Main tendue à travers les âges, la flûtiste joue avec simplicité. Le son est juste, posé, sans pathos. Elle joue des airs célèbres en les rafraîchissant. Il y avait  longtemps que je n’avais pas été aussi émue.

    Entre deux morceaux, elle explique ses choix, son itinéraire. On comprend qu’elle n’est pas un poussin de la dernière couvée. Elle évoque Jean-Pierre Rampal, un maître qu’elle n’a pas connu, mais qu’elle a beaucoup écouté. Et cela me rappelle une anecdote.

    J’avais une vingtaine d’années, nous étions allés dans sa loge après un concert. Je me souviens d’un homme de haute taille, assez volumineux. Il m’avait complimenté et avait retenu ma main dans la sienne. Parlerait-on aujourd’hui de harcèlement sexuel  ? Je dois dire que j’en fus plutôt fière. À cette époque, j’écoutais en boucle son concerto pour flûte de Mozart et je n’imaginais pas que ma modeste personne puisse l’intéresser le moins du monde. Sa flûte était en or !

    (à suivre)


  • Philomuses, novembre 2017 (suite)

    Philomuses, déc 17. jpg.

    Et j’attends. À l’heure comme d’habitude, Chantal prend la parole. Elle annonce le concert, nomme ses interprètes. Puis elle présente l’artiste dont les tableaux sont accrochés aux murs. Les œuvres ont été peintes spécialement pour l’occasion. Un travail considérable compte tenu des dimensions, de la recherche de matière. Semi-figuratifs, on y voit un cheval (son arrière-train), la Callas (plus grande que nature), des acrobates suspendus à des portées de partition, beaucoup de notes de musique. Le thème est adapté aux circonstances. L’artiste évoque le sens de son travail. Je ne comprends pas l’anglais, et fais partie de ceux qui estiment que l’œuvre peinte n’a pas besoin d’explications. Chantal  pose quelques questions bienveillantes dans le genre : pourquoi le cheval est-il coupé en deux ? Je ne comprends pas la réponse, mais de toute évidence elle est imparable. La femme bourrée de vitalité s’exprime avec fougue et certitude.

    Elle qui a travaillé d’arrache-pied pour cette exposition, peut-être encore bousculée par le décalage horaire, se doute-t-elle de la quasi-indifférence de ce public restreint, réuni en grande partie pour assister au concert ? C’est possible ! Mais la Chine et Paris la même année ça meuble un curriculum vitae et elle s’y donne à fond. Un feuillet déposé à côté du livre d’or donne le ton de son discours. Impossible de savoir si elle est inconsciente, courageuse ou encore si elle trace un véritable chemin vers la célébrité.  Son sourire me semble inoxydable lorsqu’elle cède la place aux musiciennes.  Mais je ne peux m’empêcher de ressentir à son égard un brin de pitié, mêlé d’estime et d’irritation.

    (à suivre)


  •  

    Philomuses, déc 17. jpg.Près de la cheminée, la banquette me tend les bras. Je m’apprête à m’étaler sur les coussins lorsqu’un groupe me déloge. « Mais si, il y a de la place pour tout le monde ! On va se serrer ! » Je préfère m’asseoir sur une chaise devant. Je déteste me sentir coincée pour écouter de la musique. Mon moral ne s’améliore pas, d’autant plus que le casse-pied de derrière me bouscule quatre fois pour passer et repasser. Mon voisin de droite, une soixantaine d’années, élégant, barbe bien taillée pousse gentiment sa chaise afin de laisser un couloir à l’importun. Je lui fais remarquer que le feu de bois répand une chaleur peut-être excessive.  Il me répond que c’est bien agréable.  J’acquiesce sans trop de conviction afin de ne pas passer pour une râleuse. Et pour le remercier de sa  courtoisie, je lui dis le plus gentiment possible :

    – Vous êtes américain ?

    Il me répond  :

    – Mon accent français est si mauvais que ça ?

    Je bafouille :

    – Pas tant que ça ! Vous êtes à Paris depuis longtemps ?

    Il opine de la tête,  et j’insiste :

    – Depuis cinquante ans ?

    Patatras ! Manifestement, je luis mets un peu trop d’années sur le dos. De bonne grâce, il réagit comme à une plaisanterie.  Et nous commençons une conversation sur les Américains à Paris, sur Midbnight at  Paris de Woody Allen, sur le dernier livre de Douglas Kennedy. Il est de bonne composition. J’accumule les clichés et les gaffes, mais il n’en prend pas ombrage. Il travaille à l’Institut Pasteur depuis plus de vingt ans.  Il est marié à une Argentine professeure de tango. Elle doit être jeune car il évoque leur fils  de moins de dix ans. On dirait un personnage de roman américain et je finis par sagement prendre le parti de me taire. Il se tourne tout aussi aimablement vers sa voisine de droite.

    (à suivre)


  • Philomuses, nov 2017

    Pont neuf, nov 2017

    Ce soir-là, j’ai traversé le Pont Neuf dans la seule clarté de ses lampadaires. Le Louvre, l’Institut, l’hôtel des Monnaies ne sont plus éclairés, les tours de  Notre-Dame s’évanouissent dans l’obscurité. La ville-lumière désormais évoque le Moyen-âge. Quelques touristes semblaient perdus dans l’attente d’autre chose.

    Comme elle est belle, ma ville,  dans le mystère retrouvé, dans l’eau sombre qui la traverse d’est en ouest, dans ses monuments devinés qui cachent des drames historiques et des fêtes oubliées !

    Comme d’habitude, je n’ai pas pensé à prendre le code et comme d’habitude, il se trouva quelqu’un pour fouiller dans son smartphone et tapoter le digicode. Nous sommes  entrés dans la cour pavée qui sentait le feu de bois,  puis nous nous sommes enfoncés dans l’étroit escalier peint en blanc.

    Après avoir écarté le lourd rideau, l’odeur de feu de bois s’est  précisé, couvrant les parfums mêlés. Le bruit des conversations m’a retenue une seconde.  J’aurai voulu reculer, mais je suis entré d’un pas déterminé. Je ne connaissais à peu près personne. J’ai croisé Chantal, notre hôtesse, qui a juste levé la main. Elle était enrhumée.

    Une femme très maquillée, très, trop brune, aux yeux charbonneux, le bas de son corps serré dans un pantalon moulant noir, le haut déployé dans une masse de volants et de dentelles comme des ailes de corbeau, me salua comme si nous nous connaissions depuis toujours. Il me fallut quelque temps avant de comprendre que c’était l’auteur des œuvres qui tapissaient les murs.  Le concert s’accompagne toujours d’une exposition de peinture. C’est la règle, même que j’y ai postulé sans succès. Professeure d’histoire de l’Art à l’université de New York, elle venait d’exposer en Chine.

    (à suivre)

     


  • Cimetière

    Cimétière de Wimille, jpg

    La mort me fait physiquement mal au ventre.

    Voir Monique s’enfoncer dans le caveau au bout de cordes tenues par des croque-morts aux visages de circonstance ! Monique qui m’accueillait avec le sourire sur le pas de sa porte quinze jours plus tôt.

    Je n’ai pas envie d’en parler, mais il le faut. Mon corps proteste avec trop de vigueur. Contre la disparition comme un abandon ?  Contre l’inévitable oubli qui s’en suivra,  Trois petits tours et puis s’en vont… ? Contre la souffrance qui précède le plus souvent le dernier souffle libérateur, contre l’œdème qui vient à bout des courageuses impulsions du cœur ? Contre la rigidité cadavérique maquillée, comme une illusion s’apparentant à la croyance en la vie éternelle ?

    La mort !  Cet effrayant saut dans l’inconnu. Naître de rien, arriver dans rien ? La vie comme une minuscule étincelle dans l’infini du temps… ? Elle nous paraît tellement essentielle ! Nous la défendons avec tant d’acharnement, souvent aux dépens d’autrui. L’amour dont nous ont entourés nos morts fait fructifier notre présent comme notre avenir,  dilate nos âmes, mais comment fermer les yeux sur les haines qui n’en poursuivent pas moins leur œuvre de destruction ?

    Si la mort des êtres jeunes reste difficilement acceptable, celle des plus âgés laisse la place aux suivants. En ce sens, elle ouvre la porte à la vie. Alléluia… !  Le regard effaré des enfants devant la boite renfermant leurs grands-parents contiendrait-il un élément de réponse ?