paris, fev 18

Danièle Sarrat aurait dû nous lire sa traduction de La Fiancée d’Abydos, mais elle s’était brisé le genou huit jours auparavant en skiant. Elle fut remplacée par plusieurs lecteurs, dont Gabriel Matznef.

Il s’avança derrière le bureau avec simplicité, à la différence de Michel Butor que j’avais vu il n’y a pas si longtemps à la même place jouer les personnages importants. Quand ce fut son tour, il lut la traduction en mettant l’accent sur le texte dans le strict respect de l’auteur, exercice difficile en première lecture. Il trébucha sur quelques liaisons sans se troubler. Son long corps appuyé sur sa canne, il transmit sans pathos et presque avec ferveur le texte de Byron.

Quel étrange personnage ! Écrivain, essayiste et chroniqueur à l’érudition impressionnante, aux mœurs contestées, son esprit sans cesse sur le qui vive assume un  dandysme à la fois éternel et d’un autre âge. J’aime qu’il me baise la main. Élégant, de haute taille, tête plutôt petite, crâne chauve et précieux, sa minceur laisse soupçonner qu’il a passé sa vie à avoir faim. Il est l’auteur d’un petit livre remarquable sur les régimes de famine que s’était imposé Lord Byron, cet autre dandy aux mœurs non moins sulfureuses.

G.M. m’expliqua qu’il avait glissé dans un escalier à Naples et qu’il était tombé sur l’arrière du crâne. Ses cervicales en avaient été ébranlées. Il n’avait certes rien de cassé mais une fragilité du dos s’en était suivie, justifiant la canne d’ébène et d’argent sur laquelle il s’appuyait, même au repos. Dandy jusqu’au bout des ongles en dépit d’un visage un peu fatigué. « On critique les hôpitaux italiens, mais j’y ai été très bien soigné ! » me dit-il de sa voix un peu lente, séduisante, sans leurs accents ironiques habituels. Peut-être à tort, j’imaginais la scène se déroulant dans l’escalier de marbre d’un palais napolitain.

J’ai traversé la Seine sur le pont Bir Hakeim. La neige fondue dégoulinait du métro. Sur la petite île allongée qui la coupait en deux comme une épine dorsale, des promeneurs admiraient le spectacle du fleuve glissant sur les berges. J’ai continué jusqu’au carrefour de La Motte-Picquet où j’ai déjeuné d’un sandwich attablée au soleil en regardant défiler les passants qui  marchaient d’un pas guilleret.