• Le jeu de la mise en terre.

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    C’est l’histoire d’une bande d’amis à la Sorbonne qui sont connectés à un jeu virtuel. L’un d’eux disparaît des écrans. Les autres qui ne le connaissaient pas physiquement organisent son enterrement virtuel. On voit deux garçons et deux filles discuter de cette disparition comme d’un suicide. Questions sur la vie et la mort, sur « l’éventuelle nécessité » de faire le tri entre virtualité et réalité. Alcoolisation des jeunes et toute puissance de la mort (Némésis). Entre deux questions existentielles, ils se saisissent de leurs Playstation et poursuivent leur dialogue sur grand écran par le biais de leurs avatars. Pas facile à comprendre !

    La pièce de théâtre avait été précédée d’une table ronde réunissant l’auteur et metteur en scène, philosophe de formation, un théologien, un concepteur de jeux vidéo et l’auteur d’un roman sur la robotique. Avantage et danger de la numérisation. L’Homme augmenté. La main robotique plus performante que la main de chair et d’os, l’intelligence artificielle dominant le cerveau humain. La sensualité et l’affectivité par algorithmes…

     

     

     


  • Les robes de mariées (suite et fin)

    La jeune fille brune et grande, lumineuse glissait comme dans une nef nuptiale au bras d’un jeune homme un peu effaré, en jaquette grise, perle sur la cravate de soie, haut de forme sur la tête. Il paraissait un peu pâlichon à côté de sa princesse, revêtue de dentelle, un flot de tulle s’échappant d’un chignon torsadé.

    Elle avançait, tête droite et sourire figé. La foule s’écartait religieusement. Sa traîne plus longue encore que celle de l’Asiatique ratissait les pavés. La robe était magnifique et la fille aussi. Accroupi devant les mariés, un homme en jean et blouson de cuir filmait la scène à reculons. On pouvait déjà imaginer le couple de rêve sur Facebook, Instagram et You Tube, entourés par la foule de la rue de la Huchette, dans les lumières des restaurants, au milieu des jeunes et des touristes admiratifs. La fête pour le monde entier et pour l’éternité.

    Au regard de l’avenir réservé à tout couple lié par un contrat de mariage, un peu de discrétion me semble pourtant indispensable. Un tel tralala promet quelques désillusions. Les querelles, les enfants qui vous réveillent la nuit, le quotidien d’une vie conjugale n’ont pas grand-chose de commun avec ces paillettes.

    La semaine suivante, comme je repassai devant la vitrine de la place des Victoires, deux jeunes filles admiraient sans retenue les robes, plus scintillantes et dénudées que jamais. Alors qu’une vague peut-être excessive de misanthropie m’envahissait, je vis soudain à travers la vitre, surgissant entre un mannequin surmonté d’une pomme de pin dorée et le comptoir à moulures non moins dorées, une jeune femme sortir d’une cabine d’essayage. Sa robe l’enserrait sans la serrer. Sous le bustier, la jupe s’élargissait en corolle. Pas de verroterie, pas de drapé, juste en attente des longs gants blancs, et de la dentelle du voile. Elle s’avançait en hésitant, un peu intimidée et demandait du regard quelque approbation. Dieu, qu’elle était jolie !

    Fin


  • Les robes de mariée 2

    rue de la huchette,jpgElle paraissait préoccupée. Son visage maquillé, fond de teint appuyé, joues rougies, yeux et lèvres peintes, faux cils interminables, contrastaient avec son dos blanc, un peu granuleux. Du chignon classique ne sortaient ni perles, ni tulle. Elle marchait vite et la traîne glissait sur le sol, récoltant tout ce qu’une nuit parisienne pouvait y avoir abandonné. Elle finit par rejoindre un photographe. Plutôt laid et râblé,  asiatique lui-aussi, il écouta avec une attention indifférente les ordres de la jeune femme qui s’empara enfin de la traîne et l’enroula autour de son bras, insensible aux dégâts qui avaient fané le satin et auréolé les plis. Le haut de la robe de location n’avait guère de grâce et le bas évoquait plutôt une serpillière. Je me dis qu’ils comptaient sur Photoshop pour transformer cette parodie de bonheur en une toilette de lumière destinée à faire des envieux, mais comme j’arrivais à destination, je n’en sus pas davantage.

    Il se trouve que quelques jours plus tard, nous sortions du théâtre de la Huchette après avoir applaudi une pièce évoquant le désastre d’un mariage à Athènes. Les touristes se mélangeaient à un nombre impressionnant de jeunes débordant des bars un verre à la main. Nous étions parvenus à en écarter quelques uns lorsque la foule se fendit en deux comme par miracle  pour laisser passer un couple de mariés.

     La jeune fille brune et grande, lumineuse glissait comme dans une nef nuptiale au bras d’un jeune homme un peu effaré, en jaquette grise,  perle sur la cravate de soie,  haut de forme sur la tête. Il paraissait un peu pâlichon à côté de sa princesse, revêtue de dentelle, un flot de tulle s’échappant d’un chignon torsadé.

    (à suivre)


  • Les robes de mariée

    Exif_JPEG_420Place des Victoires, le magasin de vêtements Esprit a été remplacé par Pronuptia qui vend des robes de mariées.

    Chaque semaine les vitrines exhibent de nouvelles robes cousues de diamants et de paillettes, décolletés plongeant, échancrures vertigineuses, une mousseline couleur chair créant l’illusion. Traînes de trois mètres, dentelles à gogo. Les demoiselles d’honneur à l’américaine ne sont pas oubliées, drapés moulants, violets, rose fushia, vert pomme, retenus dans le dos par des lanières de même tissu. Les belles mères en noir scintillant et jais. Un conte des mille et une nuits.

    Et chaque semaine, passée la surprise, je me désole de tant de laideur. Pourtant en dépit des prix faramineux, chaque samedi les familles, mères, filles et sœurs s’y pressent, font la queue et attendent sagement leur tour. Moi qui ne suis pas très portée sur ce genre de cérémonie, j’éprouve comme une pitié pour ces pauvres créatures livrées à la mode et au qu’en-dira-t-on. Elles sont souvent jolies, parfois un peu épaisses, à se demander comment elles peuvent entrer dans ces cuirasses de verroteries.

    Un lundi, les traînes s’étalaient plus que jamais et les hauts se dénudaient autant que faire se peut. Au coin de la rue du Maréchal de la Feuillade (un courtisan de Louis XIV), j’eus la surprise de croiser sur le trottoir malgré le froid qui pinçait en ce début d’octobre, une mariée dans cette même tenue, bras et épaules à l’air, vêtue d’un simple bustier sur une poitrine comprimée à l’arrière par un laçage en zigzag. C’était une Asiatique. Il est fréquent de voir des Japonaises ou des Coréennes se faire photographier autour du Palais-Royal. On dit que c’est un service tout compris, robes, coiffeurs, maquillage, le mari est en jaquette et tous deux arborant des sourires crispés. Mais celle-ci était seule ! Elle marchait d’un pas déterminé et sa traîne balayait le trottoir ramassant poussières, crottes de chien et mégots de cigarettes.

    (à suivre)


  • Le fils du roi et les télécommandes (suite et fin)

    Exif_JPEG_420

    Les nuits suivantes, elle ne rêva pas. Elle y vit le signe qu’elle avait retrouvé son prince charmant. Ils passèrent le dimanche sur la plage, se gorgeant de soleil, courant à perdre haleine, se baignant dans des gerbes d’éclaboussures. La mer n’était pas tout à fait limpide, mais les familles de Brooklyn, noires, asiatiques, latinos, les amoureux de toutes origines les entouraient d’une foule bigarrée, exubérante, grouillante de vie bien différente de la pelouse de son père tondue au millimètre et de la piscine oxygénée et chlorée le plus souvent déserte. Ils s’assirent dans le sable, côte à côte.

    — Je ne sais pas d’où me vient cette volonté d’optimiser les progrès techniques. Il me semble indispensable de réfléchir à leurs conséquences. Si l’avancée de la science a sorti la plupart des peuples de la misère, elle s’accompagne d’une cupidité, d’un goût du pouvoir décuplés. Ses conséquences portent sur le meilleur comme la santé, mais aussi sur le pire. Les bombes ont remplacé les flèches, jusqu’à pouvoir détruire la planète. En parallèle, chez moi dans mon garage, j’étudie le moyen de faire évoluer la robotique vers des utilisations plus souples. Je fabrique des objets un peu farfelus, mais qui laissent davantage de place à la poésie et à l’invention personnelle.

    — Justement ! Depuis quelque temps, j’étudie les avantages du microcrédit, en matière de production artisanale, de défense de l’environnement, tant du point de vue de l’investisseur que de l’usager. Qu’en penses-tu ? Beaucoup de talents manquent de soutien, aussi bien dans le monde occidental, que dans les pays en voie de développement.

    Il se pencha vers elle, et lui déposa sur la joue un baiser qu’elle reconnut sans aucun doute possible. Elle murmura :

    — Lancelot…

    Il s’immobilisa et lui dit :

    — Qu’as-tu dit ? Lancelot ? Comme c’est bizarre ! C’est le nom de mon ancêtre parti sur « l’Angelo ». Il était lui-même le fils d’un roi du même nom qui avait épousé une…,

     Il la regarda comme on cherche une réponse à une question et ajouta, pensif :

    —… Une Violaine. C’est du moins ce qu’on raconte dans ma famille. Elle était, dit-on, belle, vive et intelligente, comme…, comme, comme toi…

    — Angy !

    — Vivian !

    Ils s’étaient retrouvés. Il poussa plus loin ses baisers.

    Au bout d’une semaine, il repartit vers Bethesda. Après un temps de réflexion qui leur parut une éternité, ils s’envoyèrent des watsaps où ils se déclaraient leur amour.

    Angy et Viviane se marièrent l’année suivante. Ils eurent deux enfants, un garçon et une fille. D’un commun accord, ils décidèrent de ne pas poser d’alarme dans leur maison. Ils purent entrer et sortir à leur guise, accueillir leurs hôtes sans précautions particulières. Malgré l’augmentation substantielle de leur tarif d’assurance, ils ne furent pas tellement plus cambriolés que leurs voisins.

    À part quelques inévitables accidents de l’existence, comme des accidents de voiture, un peu d’asthme dû à la pollution, quelques alertes cardiaques dues à l’excès de travail, lesquels ne laissèrent que peu de traces grâce au progrès des IRM, à l’amélioration des produits antihistaminiques et aux extraordinaires avancées de la chirurgie endoscopiques, ils vécurent heureux, toujours plus amoureux l’un de l’autre. Ils atteignirent quatre-vingt-dix ans, soit dix ans de plus que leurs ancêtres.

    Les recherches d’Angy sur la robotique lui valurent vers l’âge de soixante ans le prix Nobel de physique et les banques de crédit qu’elle avait créées valurent un peu plus tard à Viviane celui de la paix. À leur insu, ils étaient également devenus les héritiers de Pierre et Marie Curie.

     Ils se partagèrent entre les USA, la France, et le reste du monde. Sur leurs vieux jours, accompagnés de leurs enfants et de leurs petits-enfants, ils visitèrent le palais de leurs ancêtres. Un enfant, vif, assez désobéissant mais plein d’avenir, après avoir failli dégringoler des murailles sans parapet attira l’attention de la famille sur un graffiti : on y voyait deux cœurs enlacés gravés dans la pierre, usés par le temps, mais bien visibles. Dans l’un on pouvait reconnaître un L, dans l’autre un V.

    Le gamin remarqua juste au-dessous de l’inscription une petite excavation bouchée à la chaux. Il sortit son couteau de poche et sous le regard intéressé de la famille, la dégagea. Il en sortit un petit objet attaché à une cordelette. Il l’essuya sur son pantalon et l’observa avec attention. Ses yeux se plissèrent dans une expression d’incompréhension. Il prit délicatement l’objet entre le pouce et l’index et le tendit à son père qui le tendit à son grand-père Angy, qui le tendit à Viviane, laquelle après l’avoir tourné dans tous les sens s’écria d’une voix un peu chevrotante :

    — La télécommande du portail de mes parents ! Je me demandais où elle avait bien pu passer !

    Sa mémoire était restée intacte, contrairement à Angy qui confondait un peu les époques et les pays.

    Fin

    Le tableau « Just smile »  qui a accompagné ce feuilleton est d’Alain Trez. Merci à lui.


  • Le fils du roi et les télécommandes (16)

    New York minisiteLorsqu’elle se réveilla au 50e étage d’un gratte-ciel de Manhattan, elle ne fut pas vraiment triste. Elle partit bourrée d’énergie faire la connaissance de son université.

    Tout lui était nouveau. Elle se dirigea vers son département, trouva l’amphi et suivit son cours avec un intérêt décuplé par l’amour. À midi, elle descendit dans le parc et s’installa sur un banc. Alors qu’elle sortait un sandwich de son emballage en plastique, elle entendit un jeune homme lui demander s’il pouvait s’asseoir à côté d’elle. Elle acquiesça d’un geste. Elle leva la tête et crut défaillir. C’était lui !

    Elle allait se jeter dans ses bras quand elle fut retenue par son attitude, aimable certes, mais indifférente. Serait-il devenu amnésique ? Elle l’examina de plus près. Le jean et la chemisette le rajeunissaient. Ses cheveux longs lui donnaient un petit air à la Bob Dylan. Ses mains fortes et fines tournaient les pages d’un livre. Avec prudence, elle lui en demanda le titre. Il répondit sans se faire prier :

    — C’est une communication de la revue Nature, concernant les dernières avancées sur l’optimisation des sols, grâce à un apport hydrique et chimique réduit au minimum.

    — Vous êtes ingénieur agronome ?

    — Chercheur. Envoyé par mon laboratoire pour participer à une conférence. Et vous ?

    — Étudiante. Française. Je viens compléter ma formation par un MBA de gestion. Votre prénom ?

    — Angy. Je m’appelle Angy, un diminutif d’Angelo.

    — Vous êtes Latino,

    — Non, mais ma famille d’origine française remonte aux premières arrivées sur le continent à bord d’un navire espagnol, « l’Angelo ». Après deux siècles en Louisiane, elle s’est installée à Washington plus précisément à Bethesda, à côté d’un important centre de recherche. D’où mon goût pour la biochimie au départ. Et vous ? Comment vous appelez-vous ?

    — Je m’appelle Viviane, comme Vivian Leigh, la Scarlett d’Autant en emporte le vent.

    — Dites plutôt comme la fée Viviane !

    Était-ce son Lancelot ? Elle reconnaissait ses yeux bleus, son attitude à la fois sérieuse et dégagée. De l’allure ! Mais un je ne sais quoi de Yankee l’en différenciait. Une liberté dans ses gestes, une façon de se comporter sans politesse superflue. Elle disposerait de peu de temps pour en avoir le cœur net. Il ne fallait surtout pas qu’ils se perdent de vue. Il n’y songea d’ailleurs pas, car il lui proposa illico pour le weekend une promenade en métro à Coney Island, idée saugrenue qu’elle accepta d’autant plus volontiers qu’un air maritime tempérerait la chaleur de cette fin de juillet.

    — Apportez votre maillot de bain !

    (à suivre)


  • Le fils du roi et les télécommandes (15)

    Viviane, dans l’avion qui survolait l’Atlantique pensait à Lancelot. Lui qui ignorait tout des avancées de la robotique, comment aurait-il pu imaginer qu’un navire en fer pesant des milliers de tonnes pouvait s’élever dans les airs comme un oiseau ? Depuis leur rencontre, elle voyait les progrès techniques par ses yeux. Les premiers navigateurs mettaient des semaines pour rejoindre l’Amérique dans un inconfort quasi absolu. Cependant, assise dans la cabine pressurisée, à 800 km à l’heure, elle se dit que Lancelot aurait probablement préféré la mer et ses tempêtes. Elle ne l’imaginait pas coincé sur son siège pendant cinq heures à préserver les quelque cinquante centimètres qui lui étaient impartis contre les débordements de ses voisins ensommeillés. Il aurait également préféré le risque du scorbut au goût insipide du plateau-repas.

    Mais elle ne se découragerait pas, elle lui montrerait les avantages des voyages modernes. Ils feraient le tour du monde. Ils iraient à Bénarès, à Vladivostok, à Hawaï. Ils déambuleraient dans les marchés d’Istamboul, sur les plages de Rio de Janeiro. À cette idée, son cœur sautait de joie dans sa poitrine. C’était un peu cher, mais dès son MBA terminé, elle chercherait un poste bien payé. Lancelot devait avoir une bonne situation s’il avait pu louer un carrosse de cette taille, tiré par quatre chevaux pour un simple bal costumé. Le problème serait seulement de trouver du temps.

    Par le hublot, elle observa Manhattan et ses gratte-ciel avec les yeux de Lancelot. Elle atterrit à JFK, s’empara de sa valise sur le tapis roulant, franchit des quantités d’escalators, prit le métro, sorte de bête monstrueuse grignotant le sous-sol dans un bruit infernal et gagna sa chambre d’université. Elle ouvrit son iPad. Il n’y avait pas de message provenant de Lancelot.

    Le temps de défaire sa valise et le décalage horaire la terrassa. Elle s’endormit.

    Elle rêva que Lancelot l’emmenait dans le palais de son père. Elle était reçue avec des marques d’affection qui la touchaient, plus habituée aux rapides embrassades de ses parents débordés de travail. Elle découvrait les murailles, le donjon, le palais et ses fenêtres à meneaux, les pièces larges et aérées. Une foule de serviteurs se pressaient dans les escaliers. Elle notait l’inconfort des meubles, la propreté très relative des chemises et des sols, l’odeur d’humidité des murs. Les animaux omniprésents laissaient des crottes partout qu’on recouvrait d’un peu de paille. Les gardes braillaient à bouche que veux-tu. Les femmes se hélaient à travers la cour et les fenêtres. Les roues des charrettes vous rompaient les tympans. Mais en définitive, ce n’était guère plus bruyant que le vol des avions toutes les deux minutes au-dessus de chez elle. Et c’était plus vivant. Le temps s’étirait sans aucun problème. Dix bonnes minutes étaient nécessaires pour ouvrir ou fermer le pont-levis. Les soirées se passaient à deviser, à chanter, à réciter des poèmes. Elle voyait beaucoup de boiteux, de manchots, de colonnes vertébrales tordues, la peau se dévoilait dans les mouvements du travail quotidien. Il en découlait une présence des corps plus sensuelle que la nudité sportive et lisse affichée autour du SPA ou du sauna.

    (à suivre)


  • Le fils du roi et les télécommandes (14)

    feuilleton de l'été (14)Ce matin-là, un rayon de soleil était venu chatouiller le nez de Viviane qui s’était endormie dans le bras de Lancelot. Elle éternua. Sa main se tendit vers son compagnon, mais elle ne trouva que le vide. Elle ouvrit les yeux. Lancelot était parti !

    Une détresse insupportable l’envahit de la tête aux pieds. Comment avait-elle pu faire confiance à un homme qui ignorait la télévision ? Elle se reprit. Sa peau, son corps encore imprégnés de la nuit qu’ils venaient de passer l’invitaient à croire à la sincérité de son amour. Il n’avait pas voulu la réveiller ! Elle enfila une chemise et descendit dans la cuisine. Pas de Lancelot ! Dans le salon, toujours personne. Il avait peut-être piqué une tête dans la piscine… Elle se rappela qu’il ne savait pas nager. Dans le sauna ? Il avait cru rôtir. Dans le jacusi ? Il en ignorait probablement l’usage. Elle alla tout de même vérifier, il pouvait avoir joué à l’imbécile, histoire de prolonger la fiction du bal costumé.

    Elle courait dans tous les coins de la maison, manettes en main. Elle ouvrit la porte de la cave. Elle pianota le code de la réserve de vin. Elle en profita pour jeter un coup d’œil sur les cadrans et baisser un peu la température. L’hygrométrie semblait correcte. Elle commençait cependant à s’inquiéter.

    Il s’était peut-être rendormi à l’ombre d’un buisson. Il lui avait paru souffrir de claustrophobie. De buisson en buisson, son cœur battait de plus en plus fort.

    Elle courut voir si le carrosse était encore là. Le parking était vide et le portail fermé. Il n’aurait pas pu sortir sans l’aide du bip qu’elle portait suspendu à son cou. Le cœur déchiré, elle dut se rendre à l’évidence ! Son bonheur n’avait jamais existé. Elle avait rêvé ! Elle fondit en pleurs. Les larmes coulèrent intarissables lui brouillant la vue.

    Elle ne cherchait pas à les essuyer lorsqu’une odeur inhabituelle s’infiltra dans ses narines. Elle eut un sursaut. D’un geste rempli d’espoir, elle passa la paume sur ses yeux. Sur le sol, des tas de crottin encore frais, bien formés, prouvaient sans contestation possible une présence de chevaux. Elle poursuivit son inspection. Sur les montants du portail, des traces dorées attestaient l’existence du carrosse. Elle soupira d’aise.

    Viviane savait qu’un jour elle retrouverait son prince d’un soir. Elle laisserait un message sur Facebook et noterait ses coordonnées dans Linkedin. Il suffirait d’attendre qu’il se manifeste. Elle décida de partir le surlendemain pour New York où elle s’était inscrite depuis longtemps à un MBA afin de compléter son cursus HEC.

    *

    La nuit qui suivit sa première rencontre avec Violaine, Lancelot fit un rêve.

    Il avait retrouvé Viviane dans son palais de verre. Ils avaient appuyé sur les boutons et les bips. Ouvrant, fermant les portes, éteignant les lumières, cuisant les aliments, lavant la vaisselle comme par enchantement. Ils avaient manipulé les trois télécommandes de la télévision. Elle avait répondu à des appels et à des messages téléphoniques. Entre deux sonneries, entre la manipulation des boutons du sauna et du spa, malgré quelques pannes, ces progrès techniques leur avaient offert des moments de volupté débarrassés de toute contingence et ils s’étaient aimés avec passion.

    Au réveil, il fut cependant heureux de retrouver la calme Violaine qui semblait tout comprendre, qui appréciait la cuisine savoureuse montant du sous-sol, la sérénité du jardin clos. Elle portait parfois la main à son pendentif. Il la devinait alors agacée de ne pas changer de chemise tous les jours, de la lenteur de l’équipage, énervée par le chant du coq trop matinal à son goût.

    Le comte de Monfort et sa fille restèrent plus longtemps que prévu. Au bout de quinze jours, la demande fut faite en bonne et due forme. Le roi se retira dans une des tours, laissant les rênes du royaume à son fils, à l’avantage des paysans dont les conditions s’améliorèrent notablement. Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants.

    Lancelot n’eut jamais l’impression de trahir Violaine avec Viviane, ni de trahir Viviane avec Violaine. Les deux mondes s’entremêlaient avec bonheur.

    (à suivre)

     


  • Le fils du roi et les télécommandes (13)

     

    télécommande 2 jpgLe grincement des charrettes, le trot des chevaux, le cri des harengères sur la place réveillèrent le fils du roi. Il ouvrit les yeux. Il chercha de la main le corps de la jeune fille et ne trouva que le vide. Il reconnut la chambre dans laquelle il s’était endormi la veille après le festin offert par la ville. Il se leva d’un bond et se pencha à la fenêtre. Devant la porte, les chevaux attelés au carrosse doré piaffaient d’impatience. Un page apparut :

    — Nous n’avons pas voulu déranger Son Altesse qui dormait de bon cœur ! Mais il est tard !

    Une détresse insupportable l’envahit des pieds à la tête. Viviane, le palais de cristal, tout n’était qu’un rêve ! Il fallait maintenant affronter la réalité et les obligations quotidiennes qui tissaient sa morne existence. Il descendit les escaliers d’un pas lourd, mangea sans faim le saucisson et la cuisse de poulet qu’on lui présenta, essaya de se réconforter d’une rasade de vin et monta dans son carrosse afin de retourner au palais royal.

    Sur les murailles du palais, les trompettes annoncèrent son arrivée, le pont-levis s’abaissa dans un fracas de chaînes et de grincements qui sonnaient le glas de son bonheur. Son père l’attendait sur le pas de la grande porte de chêne, entouré de sa cour, belles dames en robes et chemises de soie, chevaliers mantels sur l’épaule et chaussures à poulaines. Ils formaient un groupe coloré dans le soleil, mais le prince n’y vit que vêture lourde et faste inutile. Le roi remarqua aussitôt que la neurasthénie de son fils ne l’avait pas quitté et s’était même aggravée. Après l’avoir baisé sur le front, il lui dit, se tournant vers les deux inconnus qui se tenaient à ses côtés.

    — Prince Lancelot, mon cher fils, je te présente mon ami Enguerrand de Montfort et sa fille Violaine. De retour des terres lointaines d’Amérique récemment découvertes, ils nous font l’amitié de s’arrêter quelques jours au palais après une longue et difficile navigation

    Le père avait une certaine prestance. Grand et large d’épaules. Le prince se tourna vers la jeune fille, fatigué à l’avance de devoir lui faire des politesses.

    — Bienvenue au palais de mon père… dit-il avec une courtoisie un peu distraite.

    Il faillit tomber à la renverse. Entre les lourdes tresses brunes, il reconnut le visage de Viviane.Les jambes tremblantes, il la regarda plus soigneusement, cherchant quelque signe de complicité. Mais bien que souriante la belle jeune fille restait impassible,  il pensait à une hallucination lorsqu’il aperçut un pendentif sur sa gorge, un petit objet en tous points semblable à celui qui avait permis d’ouvrir le portail du palais de cristal devant son carrosse. Il remonta vers le visage. Rieuse et vive, elle le fixa avec une franchise bien différente de ce qu’on inculquait habituellement aux princesses de son entourage. Elle cligna des yeux et leva un doigt sur sa bouche.

    Mouvements rapides. Une poussière dans l’œil ? C’était peut-être l’effet de son imagination ? Il lui prit la main, la porta à ses lèvres et lui proposa une promenade dans le jardin du palais. Elle ne se fit pas prier. Ils s’écartèrent sous les yeux attendris de leurs pères et errèrent dans le jardin des senteurs, dans celui des oiseaux, dans le carré des simples, ils s’assirent sur le petit banc de pierre à écouter la chanson de la fontaine. À aucun moment, Lancelot ne fut vraiment certain d’être en présence de Viviane. Quand il penchait vers la négative, le cœur lui pesait dans la poitrine, puis un détail, un mot, un sourire le transportaient de joie et le doute s’évanouissait comme par enchantement.

    La semaine passa. Il recherchait de plus en plus la compagnie de Violaine, se réjouissant de sa présence dynamique, tous deux passionnés par les progrès techniques comme les moulins sur les rivières, l’assèchement des marais, le rendement des semences. Il composait des poésies célébrant sa beauté et son esprit. Elle chantait des virelais qu’il accompagnait de son luth.

    (à suivre)

     


  • Le fils du roi et les télécommandes (12)

    Exif_JPEG_420— Je suis le fils du roi ! Comment peux-tu l’ignorer ?

    — Le fils de qui ? balbutia-t-elle, peau contre peau.

    — Je suis l’héritier du roi, le prince Lancelot. Je t’aime et tu seras la reine de mon royaume !

    « Un fou, je suis tombée sur un fou ! Quelle imprudence ! » pensa-t-elle. Elle essaya de se ressaisir.

    — Viens à la maison ! Je te trouverai des vêtements de rechange.

    Nus comme dans les tableaux d’Adam et Ève au paradis terrestre, ils traversèrent le jardin qui embaumait, entrèrent de nouveau dans le vestibule et montèrent quatre à quatre l’escalier menant aux chambres. Mais leur ardeur ne pouvait plus attendre, ils se dirigèrent vers un grand lit :

    — Juste une seconde ! murmura-t-elle.

    Elle sortit d’un petit meuble blanc un petit sac transparent dont l’usage ne faisait aucun doute.

    — Puisque je te dis que nous nous marions cette semaine ! dit-il.

    À contrecœur, il dut obtempérer. Il devina qu’elle ne transigerait pas. Quand elle le déroula, léger et fin, il le jugea plus confortable que l’habituel boyau de mouton.

    — Ce n’est pas à cause d’un éventuel bébé, je prends la pilule, mais à cause de la maladie du Sida ! lui dit-elle.

    — J’ai entendu parler de la grande vérole ramenée des Amériques…

    — Décidément, tu retardes, dit-elle en l’embrassant.

    Il en fut plutôt rassuré. Une sorcière ne se serait pas préoccupée de ce genre de choses. Viviane se détendit dans ses bras. Il était si gentil, si prévenant, et surtout si expert, tellement moins maladroit que les quelques amis qui l’avaient précédé ! Elle ne pouvait pas deviner qu’en attendant de trouver la princesse de ses rêves, il s’était maintes fois exercé avec des servantes et des paysannes dans les granges et les meules de foin.

    Une fois la tête reposée sur l’épaule de Lancelot, elle se demanda comment contre tous ses principes elle avait pu céder à une première rencontre. Pourtant, quel que soit leur avenir, elle ne regrettait rien. Il lui sembla qu’ils étaient nés l’un pour l’autre. Le prince de son côté, émerveillé par la beauté et la vivacité de sa princesse, par sa simplicité directe, par son incapacité à se soumettre aux codes féodaux s’endormit d’un sommeil paisible, il saurait bien convaincre son père qui se languissait d’un héritier. Ce n’était qu’une question de jours et la vie s’ouvrirait à eux.

    La lune bientôt se coucha sur la maison blanche aux larges baies vitrées. Une grenouille sauta dans la piscine, un hérisson sortit d’un buisson. Au loin, on entendait la musique du bal du Quatorze Juillet, le vrombissement des moissonneuses. Une légère clarté surgie de l’est envahit peu à peu le firmament. Les oiseaux s’égosillèrent, pour fêter la venue de l’aube. Les roses ouvrirent leurs pétales au soleil qui ne tarda pas à illuminer le jardin.

    (à suivre)