Noël masqué

Noël s’est plutôt bien passé. Ève et Emmanuel ont investi le bureau de Gilles. Les enfants ont dormi sur des matelas à l’atelier. Les 23 et 24, ils nous ont rejoints rue Étienne Marcel ; gestes barrières, deux tables, fenêtres entrouvertes. Il ne faisait pas trop froid et nous avons pu savourer ces étranges retrouvailles. Nous avons fêté Noël le 24 à midi. Dans l’après-midi, ils ont rejoint Julien et sa famille au Palais-Royal et se sont promenés dans le jardin de Tuileries. Le soir, ils sont partis vers Rouen dans la famille d’Emmanuel. Le 25, Julien, Laure et Thomas sont venus goûter avec nous. Rien à voir avec la fête habituelle, mais des instants décalés, inventés, et appréciables.

Le 24, nous avions joué avec les adolescents au jeu de l’éloquence, à savoir : défendre une cause ou son contraire. Par exemple, pour ou contre la majorité à seize ans, les animaux dans les cirques, le véganisme, etc. Ils ont l’esprit tellement plus vif que nous ! Intéressant de voir à quel point les mentalités changent au fil des décennies. Marius pourrait faire un bon avocat.

Le 26, nous avons repris nos occupations habituelles. Pour moi le modelage de l’oiseau. Il ne fallait pas traîner, la terre ne doit pas trop sécher en cours de travail sous peine de craquer à la cuisson. Gilles a repris son grec. Mais ces fêtes sont un peu déstabilisantes. Plus le temps passe, plus il est triste de les voir partir, même si leur présence est fatigante et bouscule nos habitudes. On s’est donné rendez-vous en visio le plus tôt possible.

Les jours vont rallonger, le moral s’améliorer. La vaccination a démarré aux USA sur une grande échelle. Chez nous, elle est prévue pour janvier en commençant par les Ehpad. L’espoir demeure que l’épidémie reculera durant le premier semestre 2021, malgré l’arrivée par l’Angleterre d’une nouvelle souche plus contagieuse. Mais rien n’est encore gagné. Personne ne connait la durée de l’immunité vaccinale.

L’Europe et l’Angleterre se sont mises d’accord in extremis pour signer un Brexit à peu près acceptable pour les deux parties. Comme l’a dit Michel Barnier, le négociateur principal : « Désolant ! C’est du perdant-perdant. » Mais les Anglais ne voulaient décidément pas rester dans cette Europe dont ils ne se sont jamais vraiment sentis solidaires. Les voilà désormais seuls, avec l’espoir de devenir une importante place financière. Un embouteillage monstre de camions à Douvres, surtout dû à une protection sanitaire d’urgence, s’est résorbé peu à peu.

Je pense à tous ces émigrés sans abri qui errent dans Paris après avoir fui leurs pays, loin de leur famille et de leurs amis, la plupart du temps à cause de la guerre. Les hommes sont fous !

Des messages d’amitiés le jour de Noël nous ont fait chaud au cœur ! Maintenant nous attendons l’année 2021, avec le ferme espoir qu’elle nous permettra de prendre un nouveau départ. On en a bien besoin !

Noël

Noël à Paris : illuminations, vitrines de Noël ou shopping ?

Solstice d’hiver. Pour peu qu’il pleuve comme ces jours-ci, il fait nuit à 16 heures. Triste ! Cependant quelques éclaircies, et les rayons du soleil juste au-dessus des toits traversent l’appartement de part en part avec une générosité qui m’émeut chaque année. Je m’étonne de ne pas voir plus souvent évoquer les variations saisonnière de la lumière dans la littérature ! Ces jours-ci, les gens n’ont pas vraiment le moral et chacun lutte à sa façon pour sauver ce qui peut l’être des fêtes de fin d’année.

Le risque de contamination est au maximum. Il eut été plus prudent de se confiner pour les deux fêtes, mais le gouvernement a jugé qu’il valait mieux laisser survenir une troisième vague et permettre aux Français de respirer, au moins pour la soirée de Noël. Pas plus de six à table, masques à l’intérieur. Chaque famille fait ses comptes. Certains, comme Marc, se confinent à deux préférant attendre le vaccin pour faire la fête, d’autres comme Hervé pulvérisent le quota recommandé de participants dans la mesure où la plupart ayant déjà eu la maladie ils n’en craignent plus les effets. Chacun réfléchit sur son comportement vis-à-vis des plus vulnérables. Ève va venir de Grenoble avec sa famille et la stratégie s’affine au fil du téléphone. Les enfants dormiront à l’atelier, ils ne prendront pas les repas avec nous. Julien et sa famille lui succéderont le jour de Noël. Pour le reste, on verra !

Est-ce par réaction ? J’ai démarré un terrible mal de dos. Visite la nuit du médecin des urgences, il ne pouvait pas faire grand-chose pour moi, je suis allergique à la morphine. « Je vous laisse avec votre bouillotte. », me dit-il sur un ton désolé. Nous sommes tous un peu à cran, après dix mois de contraintes. Une sorte de menace pèse sur nos projets, trop souvent repoussés.

 La Mairie de Paris pour faire des économies a diminué l’intensité des lampadaires. On pourrait se croire pendant la guerre, d’autant plus que le couvre-feu vide les rues dès 20 heures. Mais on en est très loin ! Je me souviens de la chape de plomb, du froid et de la faim qui sévissaient alors. En fait, on relativise autant que possible. J’admire le dynamisme des jeunes dans ce Paris crépusculaire. On sent un potentiel prêt à redémarrer. Les petits magasins résistent à l’adversité, débrouillards, ils vendent sur le trottoir des gadgets comme à l’époque des camelots, des boissons chaudes, des sandwiches. Dans l’ensemble, les Parisiens conservent leur bonne humeur. La misère est circonscrite dans la sphère privée.

Á nouveau, beaucoup de Parisiens sont partis en province, dans leur famille ou dans leurs résidences secondaires. Les gites au bord de la mer ont été pris d’assaut. On peut bouger, donc on bouge, juste pour relâcher les obligations qui enserrent. La campagne redevient à la mode. Le télétravail ayant pris de l’ampleur, certains vendent leur appartement de Paris pour acheter une maison avec jardin à moins de 200 km, tout en gardant un pied-à-terre en ville si possible. Nous avons déjà vu ce retour à la nature en 68. Pas toujours une réussite ! Solitude et désert médical. Mais sait-on jamais ? Peut-être réaliseront-ils l’éternel rêve de la ville à la campagne.

En attendant, c’est Noël, une fête ambigüe qui mélange souvent peine et joie, et qui cette année est contrainte de se réinventer.

Sous la pluie

 

Durant la semaine, le Premier ministre a annoncé un assouplissement des règles de confinement. Les attestations ne seront plus nécessaires dès le 15 décembre, remplacées par un couvre-feu de 20 heures à 6 heures du matin. Restaurants, salles de cinéma, de théâtre et de concerts resteront encore fermés jusqu’au début janvier, au grand dam de ces professions à quia pour ne pas dire à terre. Pas de couvre-feu le soir de Noël, mais il sera maintenu le premier janvier, la baisse des contaminations ayant été plus faible que prévue.

En cette fin d’après-midi,  la tête un peu enchifrenée, j’ai rempli mon attestation (promenade), mis mon masque, saisi mes clés, mon parapluie, et je me suis retrouvée sur le trottoir avec l’intention d’aller à la galerie Couteron, dans le quartier de Saint-Germain des Prés de l’autre côté de la Seine. Je voulais prendre le 74 ou le 85, ils ne traversent pas, mais ont l’avantage de s’arrêter au Pont Neuf. Je n’avais pas le courage de faire tout le trajet à pied dans l’atmosphère humide et crépusculaire de ce mois de décembre très impacté par la pandémie.

La rue Étienne Marcel était fermée par des camionnettes de police. J’avais bien entendu des sirènes, mais elles sont tellement habituelles dans notre quartier que je n’y avais guère prêté attention. On était samedi, jour de manifestations ! Les voitures immobilisées essayaient de reculer dans un micmac mouillé. Naturellement pas d’autobus, service interrompu. Un instant d’hésitation, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai descendu la rue du Louvre au milieu des klaxons et de l’énervement généralisé.

Une femme s’est approchée de moi — on a perdu l’habitude de voir des visages de si près — et m’a demandé où se trouvait la Samaritaine. Surprise , je n’ai pu que répondre : « Elle est fermée depuis plus de dix ans ! » La provinciale n’en a pas démordu : « Elle a rouvert. On peut aller dans son restaurant au dernier étage. » Après tout, pourquoi pas ? Il arrive que les Parisiens soient les derniers au courant et je lui ai montré le chemin. De toute façon les restaurants sont fermés.

Curieusement, la circulation était fluide sur le quai et je suis parvenue à l’entrée du Pont Neuf. Je me suis arrêtée pour regarder la Seine. Dieu, qu’elle était belle ! Frisotée par le vent, elle reflétait en lueurs argentées l’Institut, la passerelle des Arts, le Louvre. Une languette de bleu triomphait au-dessus d’une mer de nuages sombres et tourmentés. Sous mon parapluie, j’ai pensé une fois de plus à ma chance d’habiter Paris, en dépit de ses embouteillages et de ses manifestations.

Sur le pont, peu de promeneurs, une impression de ferveur remplaçait l’ancienne foule des touristes du monde entier. Des familles, des amoureux se croisaient dans le crépuscule qui commençait à céder la place à la nuit. Arrivée rive gauche, j’ai pris à droite. Un seul bouquiniste avait ouvert, il se battait avec un grand plastique tressautant dans le vent. Toutes ces boites fermées le long du parapet, comment était-ce possible ? Quand rouvriront-elles ?

J’ai traversé devant l’hôtel de la Monnaie et je suis parvenue à la galerie, heureusement ouverte. Il y avait bien longtemps que je n’avais pas vu Yves et Nad. C’est sur un ton un peu tristounet que nous nous sommes donné des nouvelles les uns des autres, avec le Covid comme leitmotiv, naturellement.

Au retour, j’ai appris que pour la première fois depuis des années, la manifestation s’était terminée à peu près sans incident. La police aurait-elle mis au point une technique pour gèrer les blacks blocks ? Une bonne nouvelle. Pourvu que ça dure !

 

Réouverture des magasins, Anne Sylvestre.

Hier, samedi, les rues étaient bondées, remplies surtout de jeunes heureux de déambuler en groupe. Leur bonne humeur un peu inquiète faisait plaisir à voir après tous ces jours moroses. On ne pouvait pas parler de liesse, mais derrière les masques soigneusement portés on devinait une certaine détente. Contrairement au samedi précédent, les magasins accueillaient des clients, disséminés dans l’espace imparti, mais déterminés. Devant le fameux magasin d’alimentation G. Detout (sic), une longue file d’attente laissait penser que l’espoir de fêter Noël en famille restait tenace. Il est vrai que les courbes de la pandémie continuent de baisser et que le seuil exigé par le gouvernement pour libérer les contraintes de déplacements semble péniblement se dessiner.

Pourtant, le bilan des États-Unis et du Canada après le thanksgiving day est catastrophique. L’idée de supprimer le couvre-feu en France durant les deux nuits de Noël et de la Saint-Sylvestre n’est peut-être pas très judicieuse, même si l’on sent un besoin urgent de décompresser, de retrouver le sens de l’autre, de lutter contre une perte de dynamisme que le télétravail ne compense pas.

Hier, une manifestation pour les libertés de la presse a encore dégénéré en violence à Paris comme en province. À Paris, cinq cents jeunes vêtus de noir et cagoulés ont brulé des voitures, cassé des vitrines sur son passage en raids éclair. Ils maîtrisent trop la technique de la guérilla urbaine et de l’esquive pour ne pas avoir été entraînés par des professionnels. La police arrête des agités qui font les malins, mais pas le noyau dur et peut-être international de ces entreprises de déstabilisation. La police est coincée entre la dénonciation de ses propres violences et la violence des black blocs. On dirait qu’elle n’a pas mis en place de réelles stratégies contre ces débordements. Policier, un métier difficile et pourtant garant de la démocratie et du respect de ses lois.

Anne Sylvestre est morte, quelle tristesse ! Elle avait accompagné de sa poésie l’enfance d’Ève avec ses Fabulettes. Nous l’avions entendu à l’Olympia dans son répertoire pour adulte. Elle chantait avec des mots simples la difficulté de vieillir, d’être une femme libre. Elle chantait le bonheur d’un instant, l’amour partagé ou non, toutes les formes d’humanité et de rencontres qui font la vie. Jamais aigre, elle nous prenait dans ses bras, comme autrefois sa guitare, elle chantait sans courir après la notoriété, juste par fidélité pour elle-même et pour son public.

Les hommages qui ont entouré sa mort m’ont un peu gênée. Pour ma part je la voyais et l’entendais plutôt comme une amie qui vivait et souffrait comme nous tous. Je l’imaginais dans sa famille, parmi ses proches, allant faire ses courses, s’activant dans sa cuisine et son jardin. « Une grande dame », a-t-on dit à la télévision. Peut-être… Serait-ce cela une grande dame ? Elle a défendu l’avortement, les homosexuels, les femmes, avec des mots durs lorsqu’elle sentait la liberté attaquée, et en même temps avec une douceur et une mélodie qui anéantissait toute haine.

Pour moi, elle n’est pas tout à fait morte et je vais réécouter ses disques pour rattraper les périodes où je m’en suis privée.

Paris

Merci à David, Bory et Maria…

Un confinement un peu assoupli va durer jusqu’au 15 décembre. Tous les commerces peuvent rouvrir sous conditions sanitaires. La promenade passe à trois heures, son périmètre à vingt kilomètres. Les lieux de cultes ne peuvent toujours pas recevoir plus de trente personnes, mais une décision du Conseil d’État ordonne d’en augmenter le nombre. Hier, foule sur les trottoirs des rues commerçantes, mais pas grand monde dans les magasins. Les gens ont-ils provisoirement perdu le goût de la dépense? Seraient-ils devenus plus sages ?

Ce deuxième confinement traîne en longueur et le moral s’en ressent. Une sorte d’atteinte à nos forces vitales. Les plus mal logés n’en peuvent plus. Des étudiants en visio décrochent. Vivement le vaccin annoncé pour le début de l’année prochaine !

Un micmac législatif au sujet du droit de filmer les policiers et de diffuser les vidéos sur les réseaux sociaux a enflammé une nouvelle fois la toile, puis la rue. On n’avait plus connu ça depuis le commencement de la pandémie. Voilà maintenant des années que chaque samedi nous avons droit à des manifestations avec leur cortège de casseurs compulsifs, le plus souvent étrangers aux revendications. Gilets jaunes, retraités, ou autres — on finit par oublier qui — se relaient dans un festival hebdomadaire de sirènes de police, de compte rendu d’incendies, de pillage de magasins, de destruction de matériel public, une sorte de feuilleton qui semble passionner acteurs et spectateurs.

Naturellement, la violence fait partie intégrante de l’histoire de Paris. La misère y est présente, concentrée ces derniers temps dans les centaines de tentes de migrants sous le métro aérien. Mais Paris est aussi la ville de la liberté. Je savoure ses petites aventures, le plaisir d’y déambuler dans l’anonymat. On y rencontre toujours une ou plusieurs personnes à qui dire trois mots, bonjour, au revoir. On peut arpenter ses rues, dans ses pensées, à la fois seuls et entourés. On peut rire ou pleurer, sans susciter l’envie ou provoquer mépris et commisération. Extravagance ou discrétion, tout y est naturel. L’humour n’est jamais loin. Son centre offre à chacun l’asile de sa beauté. Quel plaisir de participer à son histoire ! Paris, cette ville où se croise depuis toujours une multitude venue de tant de provinces, de tant de pays qu’on y respire l’air du grand large, quoiqu’on en dise et en dépit de sa pollution. Pourvu que cela dure !

Hier, dans le métro dépeuplé par le Covid, un mendiant a troué le silence. On s’attendait à entendre le discours habituel qui sème dans les rames un relent d’angoisse. Mais après la traditionnelle entrée en matière « Excusez-moi de vous déranger… », il a continué : « Je suis un intermittent du spectacle… ». Cette formule recouvre un monde dont on ne sait trop de quoi il est constitué et qui revendique souvent des aides de l’État. Il explique « Je suis magicien, prestidigitateur et je ne peux plus travailler à cause du Covid. J’ai parcouru le monde entier. » Il cite des pays sur les cinq continents « mais si vous voulez m’aidez, je peux vous faire un tour ! ». J’ai sorti des pièces de mon porte-monnaie et je les lui ai tendues. Il m’a remerciée. Puis il a fait disparaître l’une d’elle à cinquante centimètres de mon visage. Un peu trop prés, car je l’ai aperçue coincée entre son pouce et sa paume. Il a recommencé comme on remonte sur son cheval. Et là, vraiment impossible de savoir où elle était passée ! La pièce a disparu une troisième fois. Alors qu’il se penchait vers moi, elle a failli tomber de son crâne qu’il avait chauve. Il l’a rattrapée in extrémis, comme si de rien n’était, et a repris sa route.

Un peu plus loin, un homme à cheveux blancs et casquette lui a donné un billet en refusant le tour de magie. Il a protesté « Je ne mendie pas… ». L’homme d’un signe lui a fait savoir qu’il comprenait, mais qu’il n’avait pas le temps. Alors le prestidigitateur a continué vers des femmes au fond du métro, bruyantes, habillées de bric et de broc avec un bébé dans une poussette poussiéreuse et il leur a fait ses tours. Il a sorti des mouchoirs de soie d’un dé à coudre et trouvé des fleurs dans leurs cheveux. Je ne suis pas certaine qu’elles aient vraiment apprécié, mais lui de toute évidence était ravi. J’ai entendu dire que comme les musiciens, eux aussi sinistrés, ils ont besoin de s’exercer et de pratiquer devant un public. J’aurais tellement voulu retirer ce foutu masque devant ma bouche pour qu’il puisse voir le sourire qu’il avait fait éclore…

Des petits moments au soleil

Comme le temps passe vite ! Les semaines défilent les unes après les autres, aussitôt vécues, aussitôt disparues. J’en laisse quelques traces dans ces lignes.

Le nouveau confinement ne me gène pas, au contraire, je peux aller travailler dans des métros presque vides. Avant la pandémie, le retour de l’atelier devenait de plus en plus pénible. L’installation du ministère des armées à Balard avait entraîné à la sortie des bureaux une affluence grandissante. De plus en plus de monde, de moins en moins de rames.

L’autorisation de sortie pour achat offre une certaine liberté. Je suis allée quai Voltaire acheter de l’essence de térébenthine. Comme convenu quelques jours plus tôt, j’ai donné rendez-vous à Nicolle. Elle-même à deux pas du Pont Neuf et de l’ancienne Samaritaine restait dans son périmètre autorisé. Nous nous sommes retrouvées en haut de la rampe au bout de la colonnade du Louvre. Le soleil illuminait les peupliers trembles du quai. Quel plaisir de déambuler le long de la Seine scintillante de vaguelettes, de passer sous la passerelle des Arts, d’entendre le piaillement des mouettes, de remonter vers le Louvre, de s’engager sur le Pont du Carrousel comme un envol au-dessus du fleuve ! Plaisir partagé. Nicolle habite le quartier depuis des décennies, elle m’a raconté des souvenirs liés au travail de son père à l’hôtel de la Monnaie. Elle venait le voir avec sa mère. C’est son chez elle depuis toujours. Pas n’importe quoi !

Elle m’a dit de me méfier. La veille, son mari Pierre, lui aussi peintre, avait été contraint de téléphoner sur le trottoir pour pouvoir entrer dans le magasin du Boulevard Saint-Germain. Sur le quai, je me suis battue avec le clavier de mon smartphone (illisible au soleil !), puis j’ai pu frapper à la porte. Je me suis vue autorisée à entrer dans un minuscule sas aménagé devant la caisse. J’ai pris la commande dûment enregistrée et nous sommes revenues par la passerelle des Arts.

Nous nous sommes assises sur un banc à un mètre l’une de l’autre et nous avons regardé les péniches se glisser entre les arches du Pont Neuf tout en bavardant. Quand elle a regardé sa montre, son heure était dépassée, nous nous sommes levées d’un bond et nous nous sommes quittées en haut de la rampe en nous promettant de recommencer.

C’est avec Sara que j’ai de nouveau eu le plaisir de rencontrer une amie en chair et en os, et non pas au téléphone ou en visio. Nous avons toutes les deux en général quelques difficultés à nous entendre sur l’heure et le lieu de nos rendez-vous. Nous avions décidé de nous retrouver devant la porte du Monoprix. Elle travaille sur une thèse à l’ENS, rue d’Ulm ou boulevard Jourdan, et vient de banlieue avec une attestation de la bibliothécaire. Elle peut éventuellement sortir à Châtelet, station sur son trajet, mais en prenant un risque. Avant de partir, j’ai coché sur mon attestation la case « achat », pour bénéficier d’un temps illimité. Alors que je passais devant le Pied de Cochon, elle m’a téléphoné pour me dire qu’elle était dans le sous-sol du Monoprix. Après l’avoir retrouvée et fait quelques achats, nous sommes sorties par la rue Rambuteau. Elle m’a raconté en marchant qu’ayant vu la police en haut du grand escalator, elle était entrée dans le magasin par la porte du bas. Nous avons commencé par déambuler le long de l’allée, mais l’absence de la bande des blacks qui squattent habituellement les bancs nous a alertés. Sara a proposé un petit coin sec, à l’abri des regards. Nous avons parlé tranquillement de choses et d’autres en observant les promeneurs, une légère brume éteignait peu à peu les rayons du soleil. Elle a fait un selfie, puis photographié nos chaussures (voir ci-dessus). Nous grignotions les galettes Saint-Michel achetées dans le Monoprix par précaution, lorsqu’elle m’a dit, impassible et sans bouger « La police ! ».

Je n’ai pas eu le temps de voir la patrouille qu’elle avait ramassé sacs, écharpes. Levée en un clin d’œil, elle s’est dirigée vers Saint Eustache. Elle pensait que nous allions nous quitter là. Mais sans vergogne, certaine peut-être à tort de pouvoir m’expliquer avec les policiers, je l’ai accompagnée jusqu’au métro « Ça me fait penser à quand j’étais petite. Nous nous raccompagnions indéfiniment à la sortie de l’école, d’abord chez l’une, ensuite chez l’autre ». Elle n’a pas compris tout de suite, ce n’est peut-être pas la coutume dans son pays, en Iran. Puis elle a ri « Nous, nous restions indéfiniment devant chez moi et mon père se demandait ce que nous pouvions bien nous raconter. »

Voilà ! Bien peu de chose dans le monde bousculé par la pandémie, les faillites et ses misères. Mais ces petites aventures me semblent « essentielles », comme on dit des commerces encore ouverts durant le reconfinement.

Poursuite du reconfinement.

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Les cloches de Notre-Dame des Victoires sonnent à perdre haleine, elles succèdent à celles de Saint-Eustache. Une façon de protester contre les directives du gouvernement. Les catholiques réclament la possibilité de célébrer la messe sur le parvis des églises, ils affirment respecter les distances de sécurité.

Le Premier ministre Jean Castex a annoncé mercredi dernier la poursuite du reconfinement, en y ajoutant l’interdiction des cérémonies cultuelles. Certains catholiques argumentent sur la messe, essentielle à leurs yeux. Mais leurs opposants refusent de les distinguer des autres cultes ou mettent l’accent sur la propagation du virus par les chants, d’autres encore rappellent qu’on peut suivre la messe tous les dimanches à la télévision et que nombre de personnes fragiles ou handicapées s’en contentent durant de longues années. Ils sont accusés d’irresponsabilité. Problématique qui tourne à la polémique politique, les cathos étant assimilés à la droite. De fait, s’il n’y a pas d’exception préfectorale en leur faveur, on note une certaine indulgence de la part de la police. Pour ma part, j’aimais retrouver Pierre et Antoine à Saint-Eustache. Nous allions ensuite boire un café au bistro d’à côté, ces petites rencontres à parler de tout et de rien me manquent. Antoine est reconfiné chez lui, en Corse.

Le Covid à la campagne, c’est le repli sur la maison, le jardin et les relations avec ses voisins, bonnes en général mais parfois détestables, un univers clos aujourd’hui un peu oppressant. Le Covid à Paris : moins de monde dans les rues. Les cafés, les terrasses, les magasins sont fermés, mais une poursuite de l’activité dans les bureaux maintient des dialogues éphémères. Quelques mots dans l’autobus ou dans le métro sont des petits instants de vie toujours bons à prendre. Les écoles et les universités fonctionnent vaille que vaille. Désormais, nous connaissons tous quelqu’un de contaminé et la variété des symptômes occupe le centre des conversations. On s’est remis au téléphone et au Zoum, cependant les contacts physiques manquent. La frustration se ressent lorsque l’écran s’éteint.

La misère gagne du terrain, on voit des jeunes mendier dans les rames à peu près vides du métro. Les étudiants qui travaillaient dans les MacDo ou comme serveurs dans les cafés ne mangent pas toujours à leur faim. Les loyers ne sont plus payés, la chaîne de l’économie est rompue. Il est à craindre que ce sentiment d’impuissance marque une génération. Pourtant, l’espoir est permis. Plusieurs vaccins commencent à voir le jour et il semble réaliste de penser qu’ils seront opérationnels au printemps, assortis d’une reprise économique rapide.

Aux États-Unis, Donald Trump ne reconnait toujours pas sa défaite. La majorité des Républicains se déshonorent en soutenant des déclarations de fraude pourtant récusées par la totalité des agences de surveillance et rejetées par la justice, état après état. Ils mettent ainsi gravement en péril les institutions et la démocratie. À Washington, une manifestation a réuni des milliers de ses supporters venus de toute l’Amérique. Des journalistes parlent d’un baroud d’honneur, espérons qu’ils ne se trompent pas. Joé Biden constitue un gouvernement de personnes expérimentées avec l’intention de rassembler un pays gravement divisé. On attend les résultats des élections du début janvier pour savoir s’il pourra réellement prendre des décisions importantes, et ne sera pas paralysé comme l’avait été Obama, sans majorité au Sénat. Je n’y connais rien, mais il semble que les États-Unis seraient avisés de faire évoluer leur constitution pour s’adapter à un monde qui a changé depuis 1787.

Je termine des statuettes modelées durant le premier confinement, cuisson et émaillage. Elles ont largement eu le temps de sécher. Et je reprends à l’atelier les Lacs verts. Le métro est quasiment désert, il semble que les entreprises aient privilégié le télétravail. La courbe de contamination s’infléchit enfin. Le but de ce reconfinement est de rouvrir les commerces et de permettre les déplacements pour Noël. Mais on a du mal à y croire.

Dernière semaine à Tougin.

Ce fut un déferlement de mensonges de la part de Trump, ainsi qu’un torrent de haine pour beaucoup de ses partisans. Naturellement, nous retenions notre respiration en faveur de Biden, et lorsque la Pennsylvanie a fait pencher la balance à son profit, nous avons pris un bon bol d’air.

À bientôt 78 ans, Joé Biden n’avait plus rien à prouver. Il s’est farouchement attelé à la tâche de sauver la paix et la démocratie aux États-Unis, comme il l’avait promis sur la tombe de son fils, politicien plein d’avenir, décédé il y a trois ans. Chapeau bas ! Mais il est encore à craindre qu’au fin fond des campagnes, l’Amérique ait pris goût aux tweets quotidiens et plus qu’épicés de Trump. Comment va-t-elle accepter un président moins excitant et qui ne vous promet pas la lune ? J’ai été élevée dans le souvenir des jeunes Français partis faire la guerre en 14, la fleur au fusil, avec pour seul désir de tromper leur ennui.

Par quel miracle, ce sinistre crétin issu de la téléréalité n’a-t-il pas fait sombrer le parti républicain et entraîné le pays dans le chaos et la guerre civile ? En ce sens, le résultat équilibré de ce dernier scrutin est une bonne chose ; le parti républicain possède des qualités d’optimisme et de dynamisme qui font parfois défaut à la politique d’aide des démocrates (même si l’avancée économique dont s’est flatté Trump avait démarré sous Obama … )

Ce fut une semaine pesante, sous un ciel gris. Un courrier de l’hôpital Cochin précisant la date de mon rendez-vous ophtalmo a accéléré notre retour. Nous avons fermé la maison pour l’hiver, sans savoir combien de temps va durer le confinement. Pour le moment, la pandémie a tendance à progresser, même si quelques signaux sont favorables. On entend des propos optimistes concernant la recherche du vaccin, mais toujours assortis de prudence.

Gilles a ratissé les feuilles de vigne vierge, coupé l’herbe, déposé du chanvre autour des héliotropes, de la cendre au pied des rosiers , taillé la haie.

Il a cueilli cette dernière rose. D’une longévité exceptionnelle, elle nous a enchantés jusqu’à notre départ. À croire qu’elle voulait nous inciter à espérer.

Dernière semaine à Tougin.

La dernière rose de l’année.

Temps de novembre, nuages et impasse déserte. Nous avons été suspendus état par état aux résultats de l’élection américaine. Joé Biden avait été donné gagnant dans les sondages, mais le résultat demeura incertain jusqu’au bout. Aujourd’hui encore, Donald Trump continue de nier la victoire du démocrate et se propose de mettre une armée d’avocats au travail pour le prouver.

Ce fut un déferlement de mensonges de la part de Trump et un déversement de haine pour beaucoup de ses partisans. Naturellement, nous retenions notre respiration en faveur de Biden et lorsque la Pennsylvanie a fait pencher la balance à son profit, nous avons pris un bon bol d’air.

À 80 ans, Joé Biden n’avait rien à prouver. Il s’est farouchement attelé à la tâche de sauver la paix et la démocratie aux États-Unis, comme il l’avait promis sur la tombe de son fils, politicien plein d’avenir, décédé il y a trois ans. Chapeau bas ! Maintenant qu’au fin fond des campagnes, l’Amérique a pris goût aux twits quotidiens et plus qu’épicés de Trump, comment va-t-elle accepter un président moins excitant ? J’ai été élevée dans le souvenir qu’en 1914 les jeunes Français sont partis faire la guerre, la fleur au fusil, avec le seul désir de tromper leur ennui.

Par quel miracle, ce sinistre crétin issu de la téléréalité n’a-t-il pas fait sombrer le parti républicain dans l’indignité et entraîné le pays dans le chaos et la guerre civile ? En ce sens, ce résultat équilibré est une bonne chose ; le parti républicain possède des qualités d’optimisme et de dynamisme qui font parfois défaut à la politique d’aide des démocrates (même si l’avancée économique dont s’est flattée Trump avait démarré sous Obama… )

Ce fut une semaine pesante, sous un ciel gris. Un courrier de l’hôpital Cochin précisant la date de mon rendez-vous ophtalmo a accéléré notre retour. Nous avons fermé la maison pour l’hiver, sans savoir combien de temps durera le confinement. Pour le moment, la pandémie a tendance à s’amplifier, même si quelques signaux sont favorables. On entend des propos optimistes concernant la recherche du vaccin, mais toujours assortis de prudence.

Gilles a ratissé les feuilles de vigne vierge, coupé l’herbe, déposé du chanvre autour des héliotropes, de la cendre au pied des rosiers , taillé la haie.

Il a cueilli cette dernière rose. D’une longévité exceptionnelle, elle nous a enchantés jusqu’au départ. À croire qu’elle voulait délibérément nous inciter à l’espoir.

Reconfinement à Tougin

Sécurité dans le TGV, mais dans le car des jeunes avaient baissé leur masque sur le menton. Le chauffeur dont c’était le premier voyage se battait trop avec ses boutons pour faire respecter les consignes sanitaires. Trois quarts d’heure dans cet espace clos peu ventilé pouvaient s’avérer redoutables, j’ai fait un signe aux plus proches. Ils ont aussitôt replacé leur masque sur le nez. Dans le métro la veille, un jeune l’avait gardé autour du cou avec un sourire narquois, fuyant les regards pour éviter de voir les gestes de protestation.

Nous avons retrouvé Tougin comme si nous venions de le quitter, mais le temps avait passé et la vigne vierge recouvrait la façade du jardin d’une toison dorée. Ses feuilles dessinaient sur le gravier et les platebandes des taches colorées. Les oiseaux dérangés se sont éparpillés lorsque nous avons poussé le portail.

Mercredi, un discours télévisé du président Macron nous a annoncé un reconfinement, assorti de tolérance jusqu’au retour des vacances de la Toussaint. Nous avions réservé deux places pour le lundi. Mais les journées qui ont suivi nous ont fait hésiter. Lire au soleil dans le jardin, se promener au pied des montagnes, discuter avec les voisins en gardant ses distances sont des plaisirs qui manquent à Paris. J’avais transporté mes couleurs et mes pinceaux pour une retouche sur le tableau de Rosemary R., je peux donc terminer la Déambulation autour du lac de Divonne restée à Tougin. Par la suite, si nécessaire, je dispose d’ un panneau vierge pour démarrer une autre version du Lac vert en route à Paris.

Malgré les circonstances et son âge, notre ami organiste Lionel Rogg n’a pas flanché pour l’anniversaire de son intégrale de Bach à la cathédrale de Zurich. Il a offert à son public, hélas un peu clairsemé pour cause de Covid, des improvisations que nous avons devinées fortes et émouvantes. Nous avions reculé devant les risques d’un tel voyage avec restaurant et hôtel. Le virus galope en Suisse et particulièrement à Zurich. Mais rien ne l’a arrêté. « Diable d’homme ! », comme dit Henriette, sa compagne.

Nous devions retrouver enfants et petits-enfants à Chambéry le vendredi, mais nous avons préféré annuler. C’est fou ce qu’on a pu annuler depuis le début de la pandémie ! Nous vivons désormais dans l’incertitude. En principe, le reconfinement est prévu pour un mois, mais tout laisse à penser qu’il va s’éterniser comme au printemps. Vivement la mise au point d’un vaccin !

Cette fois-ci, les écoles et les services publics restent ouverts. On doit privilégier le distanciel à la maison, mais on peut se rendre au travail. Je pourrais donc aller à l’atelier si nous rentrons à Paris. Bonne nouvelle ! Seuls les commerces de première nécessité sont ouverts. Les bars, les restaurants, les cinémas et les théâtres sont fermés. De nouveau, il faut une attestation pour se promener et ne pas dépasser le périmètre d’un kilomètre autour de son lieu de résidence. Les réunions de famille sont interdites.

Pour le moment les hôpitaux sont saturés, ils recommencent à déprogrammer des opérations. Si l’on en croit l’expérience du mois de mars, il est peu probable que nous pourrons passer les fêtes de Noël en famille.